Quand l’homme est aussi un loup pour l’homme !

La situation du loup pour l’élevage ovin est préoccupante, et le silence du gouvernement n’arrange pas les choses. Les éleveurs cévenols viennent de subir deux attaques ces derniers temps. L’une à l’Aubaret il y a quinze jours et l’autre à Mijavols la semaine dernière, toutes deux sur des troupeaux transhumants d’estive. Pour résumer, il y a une vingtaine d’années des loups venant d’Italie se sont assez rapidement installés dans les Alpes françaises. La convention de Berne protège le loup de façon très rigoureuse car c’est une espèce en voie d’extinction. Protégé, le loup a commencé à s’étendre dans d’autres régions de France dont les Cévennes et les Causses prioritairement.

La tension dans le monde des bergers ne fait que grandir, la menace d’une attaque de loup angoisse durant la période estivale. La présence du loup implique pour les éleveurs de brebis de revoir leur mode de pâturage, de mise en estive et surtout de surveillance des troupeaux. L’impact sur le temps de travail et surtout sur le moral est important.

Le pastoralisme est d’une grande importance sur le territoire français, souligné par une reconnaissance de l’UNESCO pour les Cévennes.

Mais comme toujours, l’être humain est la cause des déséquilibres dans la nature notamment de la quasi disparition du loup en Europe (il a été éradiqué fin 19ème et début 20ème siècle en France), et ce déséquilibre entraîne des conséquences très complexes. Logiquement la décision de faire revenir les populations de loups aurait dû imposer au préalable une réflexion à la hauteur de la complexité des enjeux, enjeux environnementaux, économiques, sociétaux, éthiques et philosophiques …

Mais l’Etat pratique une politique de « l’autruche » en ignorant la situation. Résultat : les éleveurs sont psychologiquement blessés par les attaques incessantes de loups sur leurs brebis et ne voient plus leur place dans une société qui privilégie le devenir du loup sans tenir compte de leur propre avenir.

Le risque est grand : ne pas dénoncer la politique de gestion du loup irresponsable du gouvernement c’est mépriser une réalité, et focaliser notre attention uniquement sur le loup c’est prendre un risque énorme en ces temps de transformations et de réformes des politiques agricoles qui affaiblissent les petites fermes. Et polariser la réflexion des citoyens entre écolo-bobos et agriculteurs pollueurs est trop facile alors que la réalité est tellement plus compliquée.

Finalement, le loup n’est-il pas devenu l’os à ronger jeté aux éleveurs par nos gouvernants pour pratiquer en catimini une politique agricole ultralibérale ?

Car pendant ce temps, la loi EGALIM (États Généraux de l’ALIMentation) annoncée en trompettes et fanfare, censée protéger les prix de vente des produits agricoles face aux supermarchés, enlève 0,4 % de la valeur des prix agricoles et augmente de 4% les prix aux consommateurs,

pendant ce temps l’état laisse cette année 10% des terres agricoles s’urbaniser,

pendant ce temps l’interprofession des fruits et légumes met en place des normes pour paralyser la vente directe,

pendant ce temps l’état négocie en secret des accords de libre-échange avec des pays exportateurs de viande,

pendant ce temps l’armée achète des terres agricoles à des prix inabordables pour des candidats à l’installation agricole

MAIS ATTENTION ! Le MODEF, le syndicat des petites structures agricoles, avertit que les éleveurs ne sont pas dupes, le loup est dans la bergerie sûrement, mais nous voyons aussi la meute dehors qui nous prend nos terres et nous confisque notre avenir !

[Frédéric Mazer, élu MODEF à la chambre d’agriculture du Gard]

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Repenser l’autonomie paysanne

Dans sa trilogie intitulée « Dans leur travail » parue en 1979, l’écrivain John Berger décrivait à travers un ensemble d’histoires et de fictions, la vie quotidienne de paysans dans un village de montagne en Haute-Savoie et son évolution dans une société en pleine mutation. Dans l’épilogue clôturant ces récits, il interrogeait ses lecteurs sur la relation qu’il pouvait y avoir entre les paysans et le système économique mondial auquel ils avaient été intégrés. Avec une lucidité certaine, il analysait : « L’agriculture n’a pas nécessairement besoin de paysans. […] Les planificateurs économiques de la C.E.E. prévoient l’élimination systématique des paysans d’ici la fin du siècle, sinon plus tôt. Pour des raisons politiques à court terme, ils n’utilisent pas le mot élimination, mais celui de modernisation. La modernisation entraîne la disparition des petits paysans (la majorité) et la transformation de la minorité restante en individus sociaux et économiques totalement différents. L’investissement nécessaire pour intensifier la mécanisation et l’utilisation de produits chimiques, la taille que doit prendre une ferme qui ne produit que pour le marché, la spécialisation du produit par région, toutes ces données signifient que la famille paysanne […] devient dépendante des intérêts qui la financent et qui lui achètent ses produits ».

En relisant ces quelques phrases rédigées il y a plus de quarante ans, il est difficile de ne pas s’interroger sur la signification que peut prendre aujourd’hui la quasi-extinction de l’existence paysanne dans le contexte actuel de la globalisation. Car les planificateurs économiques ne s’y étaient pas trompés : dans la dernière décennie, la France a perdu 100 000 fermes et la taille moyenne de celles-ci est passée de 56 hectares à 69 hectares (contre 24 hectares en 1988). Il resterait à ce jour 400 000 agriculteurs, mais face à un tel taux d’élimination, et selon les prévisions des départs prochains à la retraite, ce chiffre tombera à 200 000 d’ici peu. La modernisation a été minutieusement élaborée au sortir de la seconde guerre mondiale par l’État, et certaines organisations marchandes et syndicales, afin d’industrialiser le monde agricole et de l’intégrer à l’économie de marché. En 70 ans à peine, les ravages sont immenses. Que se soit au niveau social, économique et environnemental, ou concernant la disparition des savoirs et savoirs-faire pourtant transmis durant d’innombrables générations, la logique productiviste a conduit irrémédiablement à une agriculture déshumanisée et sans substance. Dans le Vaucluse, à l’été 2020, une première usine à « viande » cellulaire a été inaugurée, sans paysans, ni bétail, marquant ainsi la rupture symbolique entre une alimentation « moderne » désincarnée et une production de subsistance ancrée dans son territoire.

C’est ainsi une dépossession à tous les niveaux qui s’est opérée insidieusement sous l’égide de la modernisation agricole1. D’abord, par le rôle prépondérant de l’État dans l’orientation, la gouvernance et le contrôle des sociétés rurales : l’agriculture est le secteur professionnel le plus encadré et normé en France. Puis, par un processus d’insertion dans le capitalisme industriel intégrant les fermes aux marchés, et plaçant les agriculteurs dans une situation de dépendance matérielle et financière. En amont, ils sont tenus de recourir à l’endettement rendu incontournable pour la conduite d’une exploitation modernisée nécessitant de hauts rendements (semences, pesticides, fertilisants, machineries agricoles…). Et en aval, ils sont soumis à la chaîne d’intermédiaires de la grande distribution qui fixe les prix d’achat et ponctionne lors de chaque échange une fraction de la plus value (la part de revient sur le prix de vente d’un produit commercialisé pour un agriculteur est de l’ordre de 6 %). Mais la dépossession prend également forme par un processus de « rationalisation » mobilisant fortement les savoirs techno-scientifiques et visant à supprimer les aléas en agriculture : le vivant est transformé en un produit aussi standardisé qu’une machine par le biais des techniques de sélections génétiques, de modifications moléculaires, de création de variétés « championnes » adaptables à tout type de situations climatiques et de sol… L’agriculteur devient alors un simple « opérateur spécialisé » dont le rôle est réduit à l’application du cahier des charges prescrit par son fournisseur et contraint de respecter le bon de commande de son négociant.

Les conséquences de cette modernisation peuvent être d’ordre anthropologique, avec de profondes mutations des sociétés rurales : rapport au temps, au métier, à l’argent, au vivant, à la nature…, ou d’ordre environnemental : appauvrissement des sols, perte de biodiversité, rendements énergétiques négatifs, uniformisation des paysages… L’agriculture est aujourd’hui responsable d’un sixième des émissions françaises de gaz à effet de serre (importations alimentaires non comprises) et les quantités de pesticides épandues n’ont cessé d’augmenter ces dernières années : + 22 % de ventes entre 2009 et 2018. Au niveau social, le bilan est stupéfiant : « Le paradoxe est que, de nos jours, une partie non négligeable de la population d’un pays riche comme la France n’a pas les moyens de l’alimentation qu’elle voudrait choisir ; et parfois n’accède même pas à l’alimentation la moins chère disponible en grande surface. L’autre face de cette triste réalité est qu’environ 70 % des revenus des agriculteurs sont constitués par des aides nationales et européennes ; la moitié d’entre eux ont un revenu négatif, avant impôt et subvention, cette proportion s’élevant à 80 % chez les éleveurs ; et même après subvention, 14 % ne dégagent aucun revenu ! »2. Le productivisme agricole n’est en effet pas synonyme d’une répartition équitable des richesses : ce sont actuellement 7 à 8 millions de personnes qui se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, et bon nombre d’agriculteurs qui vivent en dessous de seuil de pauvreté. Le modèle de développement modernisateur ne peut échapper à un flagrant constat d’échec, malgré les moyens faramineux mis en œuvre pour l’imposer.

Pour autant, même si pratiquement aucune région dans le monde n’a été épargnée, la transformation des sociétés paysannes ne s’est pas faîte sans résistances. Tout au long de l’histoire, des luttes pour l’autonomie ont émergé dans un but de réappropriation de moyens d’existence confisqués. Ce fut le cas des Diggers anglais du XVIIème siècle (les « bêcheux ») qui squattèrent collectivement les prés communaux dont le droit d’usage venait d’être privatisé par le mouvement des enclosures ; des paysans ariégeois du XIXème siècle qui se rebellèrent contre le pouvoir en place lors de la Guerre des Demoiselles à cause d’une réforme du code forestier leur interdisant un accès à des ressources vivrières jusque-là collectives ; ou plus récemment du mouvement des zapatistes qui impose depuis 1994 son autonomie tant matérielle que politique vis à vis du gouvernement mexicain. Mais c’est aussi un ensemble de pratiques collectives larges telles la préservation des semences paysannes, le fauchage de champs d’OGM, la mise en place de réseaux d’échanges et d’entraide, ou encore la réalisation collaborative d’outils agricoles qui permettent de s’opposer à la dépossession orchestrée par l’État, le capital et les techno-sciences. Ainsi, si la condition paysanne a pour l’essentiel disparu, du moins dans le sens d’une inscription dans une communauté villageoise dont la production de ses moyens de subsistance caractérisait ses traits essentiels, la référence au passé peut être une source d’inspiration pour l’avenir. Comme l’indiquait John Berger, « Une paysannerie intacte était la seule classe ayant une résistance fondamentale à la consommation. Quand la paysannerie est éliminée, les marchés s’élargissent. ». Œuvrons donc au plus vite à la création de communautés locales suffisamment fortes et solidaires pour mettre un terme au système productiviste modernisateur.

[Fred]

1Voir sur la caractérisation de modernisation agricole les travaux de Christophe Bonneuil : “Une histoire de l’industrialisation de l’agriculture et du vivant du XIXe et XXIe siècles”

2L’atelier Paysan « Reprendre la terre aux machines – Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire – Seuil – 2021

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Face à l’accaparement des communs, luttons pour préserver les terres et l’eau

Le monde s’écroule, nous le constatons chaque jour un peu plus.

Pourtant depuis plus de cinquante ans, avec René Dumont dès les années 701, les alertes se succèdent, pour “une politique écologique contre le capitalisme agressif”.

Malgré les rapports du GIEC2 de plus en plus alarmants, les gouvernements, qui pourtant se voient chaque année pendant les COP3, restent quasi inactifs, incapables de prendre la mesure de la catastrophe et de prendre les moyens d’y remédier.

Les responsables de cette catastrophe, les grands groupes multinationaux qui courent après toujours plus de profit, sont ceux qui ont besoin de toujours plus d’énergie, et sont de ce fait, toujours plus émetteurs de gaz à effet de serre. Ce sont eux qui bétonnent nos terres arables et s‘accaparent l’eau pour faire vivre leurs industries mortifères (cimenteries, nucléaires, acièries…) ainsi que tout le secteur de l’agro-industrie.

Ce sont ces “grands patrons et les élites modernisatrices des années 70 qui appelaient déjà le peuple à se serrer la ceinture tout en encourageant le consumérisme débridé, ils promettaient des technologies propres pour le début du XXIe siècle grâce aux progrès de l’efficacité et à l’innovation. C’est pourtant bien l’inverse qui s’est produit : les consommations n’ont cessé de croître et les modes de vie de devenir plus énergivores, sous notamment l’impulsion des multinationales du pétrole et du gaz, aidées par les États modernisateurs.

Aujourd’hui, trois figures centrales du monde de l’industrie et de l’énergie (Total, EDF et Engie) nous invitent à économiser les ressources et proposent une « sobriété d’exception » pour sauvegarder la « cohésion sociale » et « accompagner la transition durable4 »”.

Face à une telle indécence, les mouvements s’organisent, pour braver ce capitalisme effréné.

Pour ne parler que des cinq dernières décennies, plusieurs victoires des mouvements démontrent que les citoyens peuvent faire entendre leurs voix, celles de la raison. Cette voix devra désormais être présente sur tous les lieux des désastres pour stopper la machine infernale et construire les mondes possibles au bénéfice des êtres vivants, humains et non humains.

Une des résistances victorieuses les plus anciennes : le Larzac, mouvement de désobéissance civile contre l’extension du camp militaire sur le causse du Larzac. Une lutte qui a duré 10 ans, avec des rassemblements allant jusqu’à 100 000 personnes et quelques épisodes qui restent gravés dans la mémoire, comme les brebis transportées par les agriculteurs sur le Champ de Mars à Paris que les policiers essayaient vainement d’attraper. Cette lutte s’est soldée en 1981 par l’abandon du projet, une des rares promesses tenues du président Mitterand nouvellement élu.

Il est à noter que l’armée est le 1e propriétaire foncier de l’Etat, à l’empreinte carbone la plus importante de l’Etat. Son budget – 41 milliards pour 2022 – le 2ème de l’Etat, est en augmentation constante5.

La décennie 2010 a vu une autre victoire fort emblématique : l’abandon du projet d’aéroport à Notre Dame des Landes6 : un projet apparu dès les années 1970 (avec comme corrollaire la création d’une association d’exploitants opposés – ADECA). Ce projet est relancé en 2000 par la ministre écologiste D. Voynet. L‘ADECA est réactivée et, à ses côtés l’association citoyenne ACIPA est créée, la résistance s’organise : grève de la faim, chaîne humaine, brigade activiste de clowns… le projet continue son chemin. La résistance monte d’un cran, la zone (ZAD – zone à défendre) est occupée, construction de multiples cabanes. À l’automne 2012, sous la présidence de F. Hollande, la police les évacue avec force manu militari, c’est l’ “opération César”. Plusieurs procès en cours, une reprise des travaux annoncée en octobre 2016, puis un référendum s’opposant à l’aéroport, font que le projet est définitivement abandonné en 2018.

Ces deux luttes emblématiques ont donné lieu à une reprise en main collective des terres hébergeant, agriculture, artisanat, accueil et soutien des autres luttes d’ici et d’ailleurs.

Pendant cette même période, les collectifs stop gaz de schiste, qui se sont dotés d’une coordination nationale, exigent l’annulation de tous les permis d’exploration accordés fin 2010. Face à la mobilisation importantre des populations et des élus locaux, le président Sarkozy annule les 3 permis les plus emblématiques (Villeneuve de Berg, Montelimar, Nant), un territoire allant du nord de l’Ardèche jusqu’à l’Aude, avant les élections présidentielles de 2012. L’annulation définitive a été prononcée début 2016 après les différents recours juridiques engagés par les compagnies gazières.

La répression est toujours présente, violente et même meurtrière avec la mort d’un jeune miltant lors d’une manifestation contre la construction d’un barrage à Sivens le 25 octobre 2014.

Ces luttes ont redonné espoir à de nombreux collectifs d’opposants aux Grands Projets Inutiles et Imposés, plusieurs centaines se sont mis en place un peu partout en France7 : aéroports, fermes usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux avec des victoires obtenues pour certains : abandon de plusieurs projets de plate formes Amazon (Fournès, Rouen, Montbert, Dambach, Pays Basque….) centre commercial Oxylane à Montpellier, le solarium jouxtant la piscine olympique à Aubervilliers… toutes ne sont pas recensées à ce jour.

Avec cette volonté de ne pas se laisser malmener par des décisions et des projets destructeurs, les luttes territoriales se coordonnent.

C’est ce qui a donné naissance au mouvement Les Soulèvements de la Terre8 qui a pour objectif principal de mettre “toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre”. Les luttes se soutiennent mutuellement avec des mobilisations importantes aux 4 coins de la France : contre les méga-bassines dans le marais poitevin, l’extension des carrières de sable, l’artificialisation de la montagne à La Clusaz et des terres à Pertuis, la reprise de terres aux Vaites à Besançon… Les militant.es se rencontrent 2 fois par an, lors des “interludes”. Ainsi s’ébauche une résistance globale à partir d’actions concrètes à l’échelle locale, une analyse partagée des freins et éléments facilitateurs et surtout la conviction que, comme le dit Jérôme Baschet 9” nous pourrions être amenés à constater que la propension de l’impossible à devenir possible s’accroît plus vite qu’on ne pouvait l’imaginer.”

Ce mouvement représente désormais une base d’appui à des moments souvent charnières, organisant aussi des actions directes d’envergure nationale contre les industries responsables du désastre en cours (Lafarge, Monsanto, ….).

A l’heure où l’écologie est dépolitisée par l’apologie des “petits gestes individuels”, à l’heure où la question fondamentale des conditions de notre vie sur terre est occultée par une offensive xénophobe et réactionnaire brutale, l’émergence d’une force politique non institutionnelle qui se donne les moyens d’agir sur certains champs clés du ravage capitaliste est d’autant plus précieuse10.

De nouvelles dynamiques soeurs essaiment, comme les Soulèvements de la Mer11, Coalition des Jardins populaires12 ou la journée d’actions coordonnées Retour sur Terres du 26 avril13

Localement, le réseau “Terres vivantes en Cévennes” qui vient de se créer, a pour ambition de défendre, récupérer et prendre soin de nos milieux de vie dans les territoires qui nous sont proches. Plusieurs luttes nous ont déjà mobilisés, nous mobilisent encore, et en particulier le refus sans conditions de laisser la ferme de Bannière (vendue à l’armée le 7 juillet 2022) aux mains des légionnaires.

Apprenons de nos expériences et ne restons pas sans voix face à la désolation sociale.

[Jacqueline]

3 “conférence des parties” à la convention des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)

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Épisode cévenol n°27

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Que penser de l’installation de la légion à St-Jean ?

– Salut toi, ça fait plusieurs fois de suite que je vous vois tracter sur le marché. Qu’est ce que vous avez comme échos des habitants ?

– Oh ben il y a de tout, ceux qui disent que leur présence ne les gène pas, mais beaucoup trouvent que légion et Cévennes ne font pas bon ménage. Je dirai même qu’ils sont majoritaires. Mais il faut encore informer : Certains pensent encore que la ferme en cours d’achat servira exclusivement à retaper des soldats blessés et ils se disent, bof, c’est pas si grave.

– Pour ma part, j’en ai entendu beaucoup se faire des soucis pour les terres agricoles de la ferme. La légion s’invente agricultrice mais on se demande où vont bivouaquer les 40 à 150 légionnaires qui doivent y séjourner à la semaine tout au long de l’année ? certainement sur les bancels destinés à l’agriculture puisque le reste c’est de la forêt. Je sens moi aussi beaucoup de réticences.

– En fait ce qui a fait basculer l’opinion et qui a commencé à vraiment poser question c’est quand des centaines de légionnaires ont déboulé fin mars dans les Cévennes. Des randonneurs ont rencontré des colonnes de soldats en armes et bagages sur les sentiers et ensuite ils se sont regroupés sur la place d’Armes. Ça en a choqué plus d’un. En plus, entre temps on sait que sont prévus des entraînements au combat, des marches dans la montagne, des tirs à blanc dans les bois… Ils l’ont annoncé cash ! Alors ça fait flipper.

– Evidemment que ce n’est pas agréable de rencontrer ces hommes en armes. J’ai vu une vidéo où des soldats faisaient des manœuvres en plein ville de Mende, tu te rends compte ? Je pensais que l’armée avaient des sites aménagés pour ça.

– Ah oui, du coup c’est devenu plus concret et pour beaucoup, difficile d’imaginer une cohabitation. Des légionnaires, ça passe pas inaperçu et bon on sait que c’est quand même une mentalité particulière et que beaucoup d’entre eux sont d’extrême droite. Tout ça risque de changer l’ambiance du village. Certains parlent même de « village garnison » !

– Et je peux te dire que les propriétaires des chemins de randonnées sont très inquiets et que les professionnels du tourisme commencent à s’agiter. Faut dire que St. Jean n’a pas grand chose de durable et d’écologique à proposer. Les randonneurs, en particulier ceux qui empruntent le chemin de Stevenson risquent de s’en éloigner. Et ce n’est pas vrai que tous les commerçants du village sont contents, certains restaurateurs sont même énervés.

– Je ne crois pas que les légionnaires rapportent beaucoup de sous, ils font plutôt fuir !

– Tu te rends compte que certains, et on sait qui, disent que leur sentiment de sécurité serait renforcé avec la présence de légionnaires, comme si on était au bord d’une guerre civile !

– Ah ben, du coup je comprends mieux quand le commandant du régiment qui veut s’installer ici dit qu’il veut « s’approprier encore davantage le département du Gard ». Ils ont investi la plaine, maintenant c’est au tour de la montagne !

– Bon attend, ce n’est pas fait encore. Ce n’est pas pour rien qu’on se mobilise…

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Nos Cévennes comme “désert militaire”*

Oui, nos belles et paisibles Cévennes, nos Cévennes des valats, des gours et des Gardons capricieux, nos Cévennes aux vallées sombres, nos Cévennes aux bancels construits avec opiniâtreté, à la force des bras, au fil des siècles , nos Cévennes aux laborieuses fileuses de soie…Nos Cévennes de résistance…”Al sourel de la liberta”.

“Désert militaire”, il en faut du culot pour évoquer le “désert” aux descendants des Huguenots réduits à la clandestinité, persécutés après la Révocation de l’Edit de Nantes ! Ou bien une ignorance crasse, un mépris total du passé résistant des Cévenols et de sa spécificité. Et comme si cela ne suffisait pas, la formule accrédite l’idée que la puissance militaire se doit d’être présente partout, et qu’il est dès lors légitime, voire nécessaire d’investir les lieux “oubliés”.

Ainsi l’armée a jeté son dévolu sur Saint-Jean-du-Gard. Sous couvert de “maison de repos pour légionnaires fracassés” se cache un tout autre projet puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un déploiement explicitement destiné à des pratiques militaires en zone boisée et escarpée, une préparation dont la finalité est la guerre, soyons clairs.

Nous sommes consternés, atterrés, car comme tant d’autres, si nous nous sommes installés entre pentes et escaliers de pierre, dans ce petit concentré de Cévennes, si nous avons choisi de vivre ici, pestant parfois contre les sangliers qui ont saccagé le jardin, si nous nous sommes émerveillés à écouter la hulotte la nuit, tout près de la fenêtre, ou à surprendre le vol d’un merle à l’aube, c’est précisément parce que l’élément militaire y est absent.

Si nous avons posé nos valises à Saint-Jean-du-Gard, c’est parce que nous avons été séduits par l’ambiance bon enfant qui y régnait: les cafés, le marché, les rives du Gardon, les bois, le silence, sans oublier les fêtes… Nous avons été touchés par cette admirable tradition de solidarité toujours prégnante dans ce gros village, où jadis la vie fut rude, marquée par d’âpres luttes pour défendre sa liberté de conscience ! Et maintenant nous nous sentons trahis par cette atteinte portée à nos Cévennes qu’il faut considérer comme notre bien commun..”Al sourel de la liberta”.

Aujourd’hui, me voilà tentée d’établir un parallèle (tout relatif et prudent, bien sûr ) entre le débarquement de troupes royales au début du XVIIIe siècle et le déploiement de la Légion étrangère dans notre village. La légion s’impose dans nos vallées, s’infiltre dans nos forêts, et par son implantation menace de détruire l’image tranquille et harmonieuse des Cévennes, image si chère aux amoureux de randonnées, de paysages sauvages, de vues grandioses.

Au hasard des conversations, j’ai parfois entendu dire que nous étions envahis par les touristes. Peut-être… mais chacun sait que l’économie locale ne peut se passer du tourisme. Chacun peut comprendre aussi que le nouvel envahisseur lui, bien visible et en nombre, portera képi, fusil et treillis, et qu’il risque fort de faire fuir le précédent. Qui peut raisonnablement croire que l’installation de la légion va apporter “un surcroît de tourisme”*? De qui se moque-t-on ?

La légion, c’est ni ici ni ailleurs. Nous refusons le bruit des bottes, les tirs d’artillerie, les régiments marchant au pas, le son du clairon qui viendrait troubler le chant des oiseaux. Nous ne voulons pas au détour d’un sentier tomber nez-à-nez avec la soldatesque en exercice. Nous ne voulons pas être complices des entraînements dégradants qui visent à réduire l’individu, à le soumettre, à l’endurcir pour lui permettre de supporter l ‘horreur.

Alors qu’une guerre dévastatrice fait rage à nos portes, que la course aux armements s’amplifie en Europe et ailleurs sur la planète, nous faudra-t-il subir le lamentable spectacle de la glorification du combat et des armes meurtrières ? Devrons-nous voir sous nos yeux, défiler, fleur au fusil, des jeunes malchanceux formatés pour tuer leurs frères, et voués à mourir aux premières lignes dans des conflits sanglants initiés et entretenus par les grandes puissances de ce monde ? Faudra-t-il applaudir ? Ou bien pleurer ? “Al sourel de la liberta”.

[Edwige]

*”C’est d’ailleurs au cours de cette présentation qu’on a parlé de l’achat d’une ferme sur la commune de Saint-Jean-du-Gard, actuel désert militaire et terrain très adapté pour le combat par le 2ième REI”. Colonel Geoffroy Desprées du Loù. Objectif Gard. 8 mars 2022.

*Le même: Objectif Gard. 4 avril 2022.

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Du Larzac aux Cévennes

De la ferme « le mas d’Allègre » au pied du Larzac sur la commune de Tournemire à la ferme « Bannière » à St-Jean-du-Gard en Cévennes, la légion étrangère semble vouloir « s’approprier » non seulement le sud de l’Aveyron mais également se déployer en « rayonnant vers le nord » du Gard.

Rappelons qu’elle a déjà massivement investi le Larzac depuis le village de La Cavalerie où la 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE) est stationnée depuis 2016. C’est pour elle qu’a été acheté le mas d’Allègre situé à 15km de son camp. La ferme de Bannière à St-Jean est quant à elle convoitée par le 2e Régiment étranger d’infanterie (2e REI) basé à Nîmes.

L’achat de la ferme à Tournemire s’est fait en janvier 2022 dans des conditions similaires à celles en cours à St-Jean du Gard à la différence près qu’il a été réalisé discrètement et que les habitants de la région ne l’ont découvert que récemment. En Cévennes, le projet n’est pas encore concrétisé et une opposition s’est formée. Dans un cas comme dans l’autre la légion a présenté à la Safer un projet de maison de convalescence pour blessés de guerre.

Si cet objectif est mis en avant pour rassurer notamment les habitants des régions concernées, force est de constater que les militaires eux-mêmes ne l’évoque que du bout des lèvres comme dans le cas du commandant du 2e REI qui annonce que la ferme servirait à mener des manœuvres sous forme d’entraînement au combat à pied en zone boisée avec notamment l’utilisation d’armes à balles à blanc et des marches dans la montagne.

L’acquisition de fermes et d’autres bâtiments ruraux semble relever d’un « concept de sites d’entraînement dédiés » qui, s’il n’est pas nouveau, semble se répandre ces dernières années. Le 4e Régiment étranger basé à Castelnaudary a acheté ou loué jusqu’en 2020 quatre fermes pour permettre à de petits détachements de s’entraîner dans le but d’une préparation opérationnelle.

Lors d’un briefing au camp des Garrigues le 14 janvier 2022, la ministre des Armées, Florence Parly, a été informée de l’acquisition prochaine de la ferme de Bannière. A cette occasion, le général de brigade Éric Ozanne, commandant de la sixième brigade légère blindée, en a expliqué l’utilité qui consiste à « permettre aux chefs de section de mieux apprendre à commander en autonomie, loin du chef de corps et du CDU [Commandant d’unité] ».

L’usage de ce site a de nouveau été confirmé lors d’un état des lieux sur la présence des Armées dans le Gard qui s’est déroulé mi-mars au siège de la légion à Nîmes en présence du même général également délégué militaire départemental du Gard et la préfète Marie-Françoise Lecaillon. Une nouvelle fois a été évoqué l’achat de la ferme de Bannière, qui selon les intervenants serait située dans « l’actuel désert militaire et terrain très adapté pour le combat d’infanterie, par le 2e REI ». Il n’était manifestement non plus question de maison de convalescence pour légionnaires blessés.

Il est invraisemblable que la Safer ne disposait d’aucune information sur l’utilisation réelle prévue pour les fermes acquises par la légion et n’ait pas dans le cas de Bannière refusé cette vente qui met non seulement en péril des terres agricoles si peu nombreuses dans la commune de Saint-Jean-du Gard mais risque de transformer la région en terrain d’entraînement militaire.

https://lemamouth.blogspot.com/2022/01/la-ferme-pour-laguerrissement-et-le.html

https://www.re4.terre.defense.gouv.fr/index.php/fr/regiment/les-quatre-fermes-d-instruction-2

https://www.objectifgard.com/2022/04/05/fait-du-jour-legion-etrangere-a-saint-jean-du-gard-notre-presence-le-territoire-peut-en-attendre-un-surcroit-de-tourisme/

https://www.objectifgard.com/2022/03/18/fait-du-soir-de-la-carriere-militaire-a-la-vie-civile-larmee-de-terre-souvre-au-monde-economique/

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L’antimilitarisme au goût du jour ?

Chaque lutte porte en elle des symboles. C’est le cas des nombreuses luttes menées autour de l’opposition à des projets destructeurs de grande ampleur telles l’implantation d’un nouvel aéroport, l’extension de zones commerciales sur des terres agricoles, ou encore la construction de lignes ferroviaires à haute vitesse. Celles-ci expriment à la fois le refus de nouvelles nuisances environnementales menaçant un territoire donné, mais aussi portent en elles la critique plus globale d’une société imposant un accroissement sans fin de ses infrastructures industrielles, touristiques ou commerciales.

Pour autant, si ces luttes gagnent en visibilité et en importance du fait de l’évidente responsabilité du développement capitaliste dans la catastrophe écologique actuelle, certains facteurs clés ayant permis son expansion mériteraient également d’être mis en avant. C’est le cas notamment des conflits armés, puis de l’intégration de la puissance militaire dans le monde de l’industrie, qui ont au cours de l’histoire rendu possible le système de domination actuel, et sont responsables pour une part non négligeable du saccage de la planète.

Contrairement à certaines idées reçues, la guerre, et la mobilisation des armées, ne sont pas un phénomène annexe au développement des civilisations et n’ont pas eu pour unique but la défense (ou l’attaque) de territoires dans le cadre de rivalités entre puissances ennemies. Elles ont au contraire été l’un des moteurs ayant permis l’émergence et le développement des sociétés dans leur construction tant économique, politique, que commerciale. Pour bien en saisir la mesure, il semble nécessaire de remonter le cours de l’histoire, au moins de manière succincte, pour en dégager quelques traits caractéristiques montrant en quoi la guerre a joué un rôle essentiel dans le développement du capitalisme moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui.

La guerre à l’heure des premiers Empires

A l’époque de la création des premiers États archaïques de l’Antiquité, le but de la guerre n’était pas tant la conquête de territoires que celui du regroupement des populations autour de la structure de la citée-État qui émergeait alors. Le butin de guerre était constitué par les populations placées en captivité et les prisonniers qui venaient augmenter la capacité de production de ces États. En effet, « les conquérants capturaient avant tout des individus en âge de travailler qui avaient été élevés à la charge d’une autre société et les exploitaient pendant leurs années les plus productives. La capture d’esclaves constituait une sorte de prélèvement sauvage d’une main d’œuvre et de compétences que l’État esclavagiste n’avait pas eu besoin de développer lui-même »1. L’esclavage pouvait être vu comme une stratégie de « ressources humaines », sachant que tant que les technologies militaires étaient relativement similaires d’un État à l’autre, celui le plus peuplé était le plus riche et l’emportait militairement sur ses rivaux de taille inférieure.

Mais l’avantage numérique pouvait être contrebalancé avec la découverte de nouveaux procédés métallurgiques. « Disposer d’une technique métallurgique plus avancée permettait de produire des armes plus puissantes, et grâce à elles, de dominer d’autres personnes et même des populations entières. »2 Le début de l’âge du bronze a notamment marqué une profonde rupture historique qui a conduit à des bouleversements politiques et sociaux. Cet alliage plus dur que le cuivre se révélait idéal pour fabriquer des outils, des armes et des armures, mais nécessitait une lourde logistique pour se procurer les matières premières nécessaires. Les Mésopotamiens durent parcourir des milliers de kilomètres pour se fournir en métal, et créèrent pour cela des colonies et un système d’échange commercial inégal où les villes hautement développées, telle Uruk ou d’autres citées-États, importaient les minerais, synonymes de puissance et de développement, et exportaient en retour dans les zones minières périphériques des produits manufacturés tels les textiles et les céramiques. En outre, « les routes commerciales exigeant de leur côté d’être protégées militairement, le processus se renforçait de lui même puisque pour assurer la fourniture en matières premières, il fallait avoir toujours plus d’armes. »

Un autre aspect important de l’essor de l’armée fut l’introduction du système monétaire étatique apparu dès le VI° siècle avant notre ère. « Tant que l’économie marchande et monétaire ne fut pas mise en place, il n’y eut pratiquement aucune armée permanente de soldats professionnels. L’armée devait être payée sous la forme de biens en nature qui, de leur côté, devaient être soit acheminés là où elle stationnait, soit pillés sur place, ce qui limitait l’ampleur que les guerres pouvaient prendre ainsi que leur durée. Jusqu’à l’introduction du paiement en argent, la portée maximale des armées ne dépassait pas les trois jours de marche, parce que le transport des vivres n’était plus possible au-delà. » La levée des impôts et taxes exigée sous forme monétaire eut pour objet de contraindre les paysans à participer aux échanges commerciaux en revendant une partie de leurs produits sur les marchés, mais aussi en vendant leur force de travail. Ces rentrées d’argent permettaient dès lors de pourvoir aux besoins des soldats, qui furent pendant longtemps la première force de travail salarié. Cette circulation monétaire peut être considérée comme une ébauche d’économie de marché, dans le sens où la population soumise à l’obligation de gagner de l’argent pour le reverser comme impôt à l’État, permettait ainsi l’expansion de son armée, et donc assurait sa puissance économique. L’impérialisme grec ou romain n’auraient jamais pu atteindre de telles proportions sans la diffusion des pièces de monnaie.

L’impérialisme occidental

Une phase essentielle au développement du capitalisme financier fut atteinte lors de la période d’expansion impérialiste européenne, qui s’est imposée par la force, et dans le sang au début de l’Époque moderne. Au XV° siècle, le développement de la finance européenne est étroitement liée à l’économie de guerre et à l’exploitation minière. D’immenses quantités d’argent sont entassées dans les coffres des premières grandes banques grâce à l’argent que les magnats du commerce gagnaient avec leur flotte de guerre. Fondée en 1407 à Gênes, l’Office de Saint-Georges est devenu, avec la banque des Médicis à Florence, l’établissement monétaire le plus puissant de son temps. L’Augsbourgeois Jacob Fugger devient quant à lui au XVI° siècle le banquier le plus puissant au monde.

Financer des guerres est à cette époque un business fort lucratif. Les banquiers des centres financiers apportaient l’argent nécessaire aux chefs d’États pour mener leurs expéditions, et en contre-partie des crédits accordés, exigeaient des monopoles sur le commerces des épices, de la soie, de la laine et surtout des métaux. Ainsi, plus les États partaient en conquête, plus les banquiers s’enrichissaient. « L’économie de guerre du début des Temps modernes peut effectivement être comprise, jusqu’au génocide en Amérique financé par les banques de Gênes et d’Augsbourg, comme un système animé en dernière instance par la logique de l’accumulation abstraite d’argent dans les grands centres financiers européens. »

En 1453, lorsque les voies commerciales vers l’Asie se ferment avec la prise de Constantinople par les Ottomans, la course de vitesse pour découvrir une route maritime vers les Indes et l’Extrême- orient fut lancée. Elle donna lieu à la découverte des Amériques et à la Conquista, dont le principal moteur fut l’immense demande européenne en métaux précieux. « En 1545, après plus de cinquante ans passés à dévaster la moitié du continent à la recherche de métaux précieux, les Espagnols ont finalement trouvé sur un haut plateau situé à quatre mille mètres d’altitude dans la région de la Bolivie actuelle, une montagne qui allait devenir dans les années suivantes la plus grande mine d’argent du monde : le Cerro Rico. » La proche bourgade de Potosí, devenue en peu de temps l’une des villes les riches du monde, devient plus grande encore que Paris, Rome ou Madrid. L’extraction colossale d’argent était le fruit du travail forcé de 15 000 indiens chaque année, œuvrant dans des conditions effroyables. Pendant les trois siècles où elles ont fonctionné, le nombre total d’être humains morts dans ces mines est estimé à huit millions3. Mais « l’argent ne resta pas en Espagne : il fila des mains de la Couronne dans celles de ces créanciers à Gênes, Augsbourg et Anvers pour servir là bas de carburant à l’économie monétaire en plein boom. Toute la Conquista, y compris le génocide, fut financé à crédit : en fait, c’est la pression des créanciers qui alimentait les fournaises infernales de Potosí. »

La grande accélération du XX° siècle

Les mécanismes d’appropriation des ressources et les investissements financiers à l’étranger soutenus par la puissance des gouvernements ne se sont évidemment pas limités à la conquête des Amériques, mais ont été reproduits à chaque phase de l’expansion coloniale européenne, que ce soit en Asie, au Moyen-Orient, ou en Afrique. Et ils se poursuivent encore de nos jours. L’exportation des capitaux a nécessité l’exportation du pouvoir de l’État, et donc de sa violence matérialisée par sa police et son armée. La guerre a ainsi joué un rôle de définition des rapports économiques et marchands, mais aussi de structuration politique des États. Les avancées technologiques et les besoins en matières premières ont considérablement œuvré dans cette progression. De la découverte des premiers gisements de cuivre, à celle de l’uranium, où pour le dire autrement, de la première épée fabriquée à la bombe atomique, les armements militaires n’ont cessé de se perfectionner et de rendre l’étendue des conflits potentiellement infinie.

Au XX° siècle, les guerres sont devenues plus fréquentes et plus meurtrières, et rapportées à leur puissance destructrice, elles n’ont jamais été aussi bon marché. Les États riches mènent des guerres fondamentalement différentes de toutes celles du passé où sont utilisées « des machines extraordinairement puissantes alimentées par de colossaux système industriels, technologiques et logistiques, des machines de guerre nécessitant des quantités croissantes de matières premières et d’énergie et pesant de manière inédite sur l’environnement. »4 La guerre, avec le développement sans précédent du complexe militaro-industriel au XX° siècle, a laissé une empreinte considérable dans la crise environnementale actuelle.

La Première Guerre mondiale inaugure le premier grand conflit fondé sur le carbone. Les usines fonctionnant au charbon produisirent en quantité énorme des munitions, des armes et des véhicules à moteur qui démultipliaient les capacités destructrices des hommes. Mais également de l’environnement : la guerre de tranchées laissa un sol stérile, truffé de métal, impropre à l’agriculture. On comptabilisera 3,3 millions d’hectares affectés par les combats. La masse de terre retournée par l’artillerie (jusqu’à 2 000 m³/hectare) correspond à 40 000 ans d’érosion naturelle. Mais c’est bien la Seconde Guerre mondiale qui amena une rupture décisive et marqua un saut énergétique sans précédent. Les technologies militaires atteignirent des degrés jusque-là inégalés de consommation énergétique, notamment avec le rôle nouveau de l’aviation accroissant brutalement la demande de carburant. La part de pétrole dévolue à l’armée américaine passa de 1 % avant-guerre à 29 % en 1944, et au sortir de la guerre les États-Unis pouvaient produire 20 millions de tonnes de carburants pour l’aviation.

Entre 1940 et 1944, la production industrielle américaine augmenta plus vite qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire, elle tripla durant cette période, tandis que celle de matières premières s’est accrue de 60 %. L’investissement public dans les structures de production ou de transport atteignirent des sommets, et le problème du devenir des surcapacités productives après guerre fut résolu par leur reconversion au domaine civil. Les infrastructures et les nombreuses technologies développées pour les besoins de l’industrie militaire furent ainsi mises au service de la globalisation économique et de la consommation de masse de la seconde moitié du XX° siècle. La construction de raffineries et de pipelines conçus pour acheminer le pétrole vers les aéroports militaires permirent la massification de l’automobile après guerre. Les ports aménagés dans le monde entier pour recevoir le matériel de guerre américain furent reconfigurés pour les besoins de la marine marchande. Les structures de production de l’aluminium, développées en masse pour les besoins de l’aviation et dont le procédé de fabrication demeure extrêmement polluant, furent réutilisées pour les équipements industriels, l’automobile, les transports, les turbines… Les programmes de recherches sur la bombe atomique furent poursuivis avec plus de 150 explosions à usage civil menées aux États-Unis (programme « Plowshare » de 1953 à 1977) et en Union Soviétique. Les procédés chimiques découverts par la recherche militaire (dont le DDT ou le célèbre « agent orange » de Monsanto utilisé lors de la guerre du Vietnam5) servirent à l’agro-industrie pour ses besoins en pesticides… Ces exemples, bien loin d’être exhaustifs, ne donnent cependant qu’un aperçu limité des conséquences environnementales que les guerres ont engendré.

Vers un sursaut anti-militariste ??

Malgré la puissance destructrice des guerres faisant toujours rage de nos jours, les luttes anti-militaristes s’amenuisent. La dernière grande mobilisation de masse contre la guerre remonte à l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. La violence de la guerre, on l’a vu, est inhérente à la violence capitaliste. La catastrophe écologique en train de se jouer présage des bouleversements importants dans les années à venir, et la gestion des ressources planétaires deviendra vraisemblablement un enjeu majeur sujet à de nouveaux conflits. Dans ce cadre, la jonction des luttes écologistes, anti-capitalistes, et celles œuvrant contre les guerres deviendront peut être le symbole d’une alternative à l’impasse dans laquelle l’humanité semble bloquée aujourd’hui.

[Fred]

1James C. Scott « Homo Domesticus, Une histoire profonde des premiers Etats » – 2019 – Éditions La Découverte

2Fabian Scheilder « La fin de la mégamachine » – 2020 Éditions du Seuil, ainsi que les citations suivantes.

3Eduardo Galeano « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine » – 1981 – Librairie Plon

4Christophe Bonneuil / Jean-Baptiste Fressoz « L’événement Anthropocène » – 2013 – Éditions du Seuil, ainsi que les données chiffrées qui suivent.

5Un autre exemple emblématique est la guerre du Vietnam où la destruction physique de l’environnement de l’ennemi constitua un objectif militaire prééminent : utilisation de bombes incendiaires, de napalm et de défoliants laissèrent des effets mutagènes sur les populations près d’un demi-siècle après la fin des combats. On estime que 70 millions de litres d’herbicides ont été déversé entre 1961 et 1971, que 40% des terres arables ont été contaminées, et que le Vietnam a perdu 23 % de sa superficie forestière.

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Épisode cévenol n°26

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Ukraine : Quid des négociations ?

Le 24 février, les troupes russes envahirent l’Ukraine. Choc… sidération! L’inconcevable est arrivé. Une agression dont on saisit instantanément et instinctivement la portée : Elle peut entraîner une guerre globale et devenir nucléaire.

L’invasion de l’armée russe dont on n’évalue pas encore l’ampleur de la destruction a été largement condamnée dans le monde. Elle représente une grave violation du droit international. En représailles, des mesures drastiques d’ordre économique et financier mais également militaire ont été déployées par l’Occident dont on ne connaît pas encore les effets à moyen et long terme pour la Russie mais également pour l’Europe et les pays du Sud.

Est ce qu’une guerre, si terrible soit-elle, nous exempte de la nécessité d’en rechercher les causes et surtout de se demander comment la stopper le plus rapidement possible ? Comprendre ne signifie pas justifier. L’émotion que suscite le sort des victimes en Ukraine est immense et compréhensible mais ne doit pas nous voiler le regard face à l’engrenage déjà ancien qui risque aujourd’hui de nous mener vers une guerre globale. Il est encore temps de pousser les protagonistes à sortir de l’escalade et à emprunter la voie des négociations.

Pourquoi les dirigeants russes ont-ils décidé d’envahir l’Ukraine ? Malgré les dizaines de milliers de soldats stationnés aux frontières, malgré les attaques incessantes de l’armée ukrainienne dans le Donbass sécessionniste considérées par la direction russe comme des provocations inacceptables, personne n’a cru qu’une telle agression allait être lancée. Pourtant on savait qu’elle observait avec grande inquiétude depuis les années 2000 l’intégration progressive à l’OTAN des pays de l’ex-pacte de Varsovie et des anciennes Républiques de l’Union soviétique et ce malgré les garanties – orales – de non-expansion formulées par les responsables occidentaux au moment de sa chute. Cette évolution lui fait craindre qu’avec une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’alliance atlantique, les troupes américaines soient présentes directement à ses frontières. C’est la raison pour laquelle elle exige de plus en plus expressément des « garanties de sécurité » et préconise la neutralité de son voisin ukrainien.

L’Ukraine qui faisait partie intégrante de l’URSS a acquis son indépendance en 1991. Pendant des années elle a su conserver un équilibre entre forces pro-occidentales et pro-russes et une intégration à l’OTAN n’était pas à l’ordre du jour. Avec « la révolution du Maïdan » en 2014, fortement soutenue par les occidentaux, s’impose un régime nationaliste qui veut en découdre avec l’influence russe. Cette nouvelle donne provoque de vives protestations dans de nombreuses régions, notamment la sécession de la Crimée qui lors d’un référendum décide son rattachement à la Russie. Dans le Donbass, dont une partie est russophone, l’armée ukrainienne mène une guerre qui dure à ce jour et a causé la mort d’environ 14 000 civils. Les régions sécessionnistes sont quant à elles soutenues par la Russie. Les accords de Minsk de 2015 qui devaient permettre un règlement de ce conflit n’ont jamais été respectés par les dirigeants de Kiev qui vont jusqu’à signer le 10 novembre 2021 une Charte américano-ukrainienne de partenariat stratégique. Cet accord entérine l’alliance militaire offensive des deux pays et l’objectif d’adhésion à l’OTAN, déjà inscrit dans la constitution ukrainienne depuis 2019. Cet enchaînement d’événements explique-t-il la décision d’envahir l’Ukraine ? Certainement mais il ne la justifie pas, et les victimes premières de cette offensive sont des civils.

De nombreux politiques et analystes1 parmi lesquels Henry Kissinger, qui ne peut être soupçonné de sympathie avec le régime russe, avertissent qu’un tel déploiement étatsunien remet en question un équilibre précaire. L’ancien secrétaire d’État américain de 1973 à 1977 écrivait en mars 2014: « si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste d’une des parties contre l’autre – elle doit fonctionner comme un pont entre elles. (…) Poutine devrait se rendre compte que, quels que soient ses griefs, une politique d’imposition militaire entraînerait une nouvelle guerre froide. Pour leur part, les États-Unis doivent éviter de traiter la Russie comme [un Etat] anormal auquel il faut apprendre patiemment les règles de conduite établies par Washington2. » Kissinger conseille que l’Ukraine ne devrait pas intégrer à l’OTAN mais adopter une position de neutralité comparable à celle de la Finlande.

Sans surprise, cette analyse ne s’est pas imposée et rien n’a été entrepris pour freiner les provocations des responsables ukrainiens notamment dans le Donbass. Au contraire, l’attitude belliciste des Etats-Unis a exacerbé le conflit entre les deux Etats. Après des années d’appels et de mises en garde, les décideurs du Kremlin ont fini par opté pour une action militaire et personne ne sait jusqu’où ils peuvent aller. L’armée russe encerclent des villes, les bombardements sont réguliers depuis près de trois semaines, tandis que l’armée et les milices ukrainiens ripostent. Conséquences de cette guerre : Des centaines de civils meurent, des milliers sont blessés et des millions fuient leurs domiciles.

Comment réagissent les Etats occidentaux, en particulier ceux membres de l’OTAN ? Ils décident au lendemain de l’invasion d’armer et de financer davantage l’armée ukrainienne et de lui transmettre des informations militaires. Mais surtout ils imposent à la Russie des sanctions jusque là inédites alors qu’il est connu qu’elles n’ont jamais fait infléchir les gouvernants concernés. Celles-ci s’étendent non seulement à l’économie, la finance mais également au sport, à l’art etc. quitte à ce que les propres intérêts des Européens en soient gravement et durablement affectés. Les Etats-Unis ont décidé un embargo sur le pétrole russe qui les touche peu mais leur permet de faire pression sur l’Europe qui en dépend fortement. Il est à craindre que les retombées des sanctions auront des répercussions dans le monde entier. Déjà les prix des matières premières explosent et celui du blé entraînera forcément des famines.

N’est-il pas temps de mener des négociations ? Ne faut il pas trouver un moyen de rompre cette logique de guerre en prenant en compte les intérêts des deux parties ? Plusieurs Etats (Turquie, Chine…) ont d’ores et déjà proposé leur médiation. Alors, il est vrai que les dirigeants russes maintiennent leurs exigences tout en continuant leur avancée militaire. Mais ils acceptent tout de même d’échanger et participent à des rencontres avec des responsables ukrainiens qui, si elles n’ont pas encore abouti à des résultats concrets, ont le mérite d’avoir lieu. Par contre l’action des Européens est équivoque et peu constructive dans la mesure où les entretiens des hommes d’Etat (notamment Macron et Scholz) avec Vladimir Poutine semblent avoir pour unique objectif de le contraindre à revenir sur sa position sans proposition de sortie. Quant aux responsables étatsuniens, ils campent dans un rapport de force destructeur entraînant les Européens dans leur sillage. Pourtant s’ils décidaient que des négociations étaient nécessaires immédiatement une avancée notable s’ensuivrait. L’heure est grave et nous sommes tous et toutes concernés. Un véritable mouvement pour la paix ne peut soutenir une partie du conflit mais doit exiger que tous les protagonistes s’installent autour d’une table de négociations. [Tissa]

1Noam Chomsky présente dans une interview du 4 mars 2022 les avis de divers spécialistes de la Russie  : https://www.revue-ballast.fr/ukraine-le-regard-de-noam-chomsky/

2Henry A. Kissinger, Henry Kissinger: To settle the Ukraine crisis, start at the end, 5 mars 2014, https://www.washingtonpost.com/opinions/henry-kissinger-to-settle-the-ukraine-crisis-start-at-the-end/2014/03/05/46dad868-a496-11e3-8466-d34c451760b9_story.html

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