S’opposer au nucléaire, et vite !

Nous vivons une époque trépidante. A peine encaissé le choc d’une pandémie mondiale venant remettre en cause le fonctionnement de nos sociétés, qu’une nouvelle déflagration vient encore assombrir les maigres perspectives d’un avenir planétaire plus radieux. Les combats actuellement livrés en Ukraine font ressurgir le spectre presque oublié d’un possible conflit généralisé entre nations, et avec lui, en plus de toutes les violences indissociables à une guerre, revient également au devant de la scène le risque nucléaire.

Une menace, elle aussi presque tombée dans l’oubli, à en croire la récente réhabilitation du nucléaire civil par certaines instances (et même par certains écologistes!) qui n’hésitent pas à présenter l’énergie atomique comme élément clé de la lutte contre le réchauffement climatique. La Commission européenne a dans ce sens adopté au mois de février dernier le projet de “label vert” pour le nucléaire. Celui-ci permet de reconnaître son utilité pour réduire l’émission de gaz à effet de serre, et ainsi de mobiliser des fonds privés et de bénéficier d’autres avantages liés à la croissance verte. Le gouvernement français a quant à lui annoncé un plan de relance avec la construction d’au moins 6 nouvelles centrales EPR d’ici 2035 (et 8 supplémentaires en « option ») pour répondre aux enjeux de la transition énergétique, mais sans pour autant revenir sur les déboires que connaît la filière depuis des années…

Cette promotion de l’énergie nucléaire n’est pourtant pas nouvelle et remonte même à ses débuts dans les années 50, où l’argumentation justifiant une action contre le réchauffement était généralement couplée avec celle de la demande d’énergie croissante et celle de l’épuisement prochain des ressources fossiles. Rien de nouveau donc depuis plus de 70 ans, mis à part que le monde est toujours plus chaud, et plus nucléarisé… Ainsi, les promoteurs de cette énergie « propre » que serait le nucléaire jouent facilement sur le fait, qu’effectivement, le fonctionnement d’un réacteur n’émet pratiquement pas de gaz carbonique. Mais ils évitent généralement de s’aventurer plus en détail sur l’ensemble des impacts en amont et en aval de la production, pourtant fortement générateurs de pollutions. De surcroît, les nombreuses impasses qui demeurent à ce jour irrésolues par les adeptes de cette technologie ne permettent pas d’envisager une solution réaliste et souhaitable à la question climatique.

En effet, la construction des réacteurs, l’extraction du minerai d’uranium dans des pays tiers, son transport, son affinement et son enrichissement consomment beaucoup d’énergie fossile et de matières telles le béton et l’acier. Il n’existe par ailleurs aucune solution opérationnelle et sûre dans aucun pays pour gérer les déchets, tous les projets restent au mieux expérimentaux, ou se sont avérés défaillants. La solution sans garantie envisagée par les plus gros pays producteurs de déchets reste tout bonnement d’enfouir leurs déchets pour 100.000 ans en couche profonde, sachant que certains des déchets les plus dangereux dureront des millions d’années. Ce traitement représente un coût énergétique carboné incalculable et des installations gigantesques nécessitant d’énormes travaux. Sans compter la sécurité liée aux modalités de stockage et aux risques géologiques pouvant entraîner des contaminations et qui constitue par ailleurs un immense fardeau laissé aux générations futures. Ainsi la création contestée d’un immense centre de stockage souterrain (Cigéo) à Bure dans la Meuse nécessiterait des travaux pharaoniques pendant des dizaines d’années, et « même si l’installation s’avérait fonctionnelle, elle n’a été dimensionnée que pour accueillir les déchets des centrales existantes, soit 85 000 m. Si la France devait construire de nouvelles centrales nucléaires, comme l’ont proposé Emmanuel Macron et de nombreux autres candidats à la présidentielle française de 2022, il faudrait donc lancer la création d’un nouveau chantier d’enfouissement. »1 Enfin, le démantèlement à venir des centrales nécessitera des travaux importants qui poseront des problèmes difficiles à résoudre. La question est pourtant essentielle, mais reste sans réponse. La centrale de Brennilis en Bretagne, mise à l’arrêt en 1985, n’est toujours pas démantelée 35 ans plus tard, et représente un surcoût financier colossal, évalué à au moins celui de la construction, si ce n’est le double.

D’autre part, les engagements pris pour respecter l’Accord de Paris et éviter une dégradation plus importante du climat impliquent de diviser par deux les émissions de CO2 fossiles d’ici 2030 et de parvenir à zéro carbone fossile en 2050. Ils nécessitent donc une action immédiate : « Le premier objectif de 2030 devrait être une priorité absolue, sachant que la plupart des experts s’accordent à dire que l’on évitera difficilement un réchauffement de +1,5°C à cette échéance et que l’on risque un point de non-retour d’emballement climatique à partir de la deuxième moitié des années 2030. » Or, là encore, le nucléaire ne répond pas au défi. Les délais envisagés par EDF pour la construction des 6 nouveaux EPR permettraient au plus tôt une mise en service d’ici 2035. Mais la capacité de l’opérateur historique et de ses sous-traitants à tenir leurs délais laissent présager des retards importants. La centrale de Flamanville prévue pour 2012 n’est toujours pas opérationnelle 10 ans plus tard, et l’EPR construit par AREVA en Finlande a connu 12 ans de retard. On peut légitimement s’interroger sur l’objectif de 2035, qui est de toute façon bien trop tardif pour apporter une influence significative sur la réduction des émissions de carbone.

D’autres arguments viennent encore mettre en doute la capacité du nucléaire à incarner une alternative crédible aux énergies fossiles. En France, pays pourtant fortement nucléarisé, le nucléaire représente, comme on l’entend souvent, environ 70 % de l’électricité, mais seulement 17 % de son énergie globale. Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) représentent ainsi quant à elles près de 70 % de la consommation française. Ces chiffres laissent entrevoir les conséquences et les limites qu’une substitution entraînerait : « Si la France voulait remplacer sa consommation d’énergie fossile par du nucléaire, notamment pour promouvoir la voiture électrique, elle devrait construire de l’ordre de 200 à 250 nouveaux réacteurs selon les normes actuelles. » Au niveau mondial, le nucléaire ne représentait en 2020 qu’une part très minime de l’énergie consommée sur Terre, de l’ordre de 2,3 %. Selon l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), la filière ne « disposerait de réserves d’uranium à un coût acceptable d’un point de vue énergétique et financier que pour moins de 100 ans, sachant qu’au-delà de 2040 il faudrait de très lourds investissements. Si la production nucléaire devait doubler, pour approcher 5 % de l’énergie mondiale, cela signifierait la construction de 450 nouveaux réacteurs, mais aussi une division équivalente des réserves, soit moins de 50 ans. Si le nucléaire devait remplacer le seul charbon (environ 21 % de l’énergie mondiale), il resterait moins de 10 ans de réserves de combustible, avant de devoir fermer toutes les centrales. Et si le nucléaire devait remplacer l’ensemble des énergies fossiles, il y aurait moins de 3 ans de réserves. »

Dès lors, il est assez évident de s’apercevoir que les choix de maintien ou de relance du nucléaire ne sont pas déterminés dans le but d’apporter une réponse effective au réchauffement climatique, et que les intérêts les motivant dépassent de loin la question environnementale. Le contexte géopolitique actuel nous rappelle très clairement que l’utilisation du nucléaire civil ne peut être dissocié de son rôle stratégique militaire. A l’heure où de fortes tensions entre grandes puissances ressurgissent, la menace de l’utilisation de l’arme nucléaire et la question de l’approvisionnement énergétique sont autant de facteurs pouvant déterminer l’issue d’un conflit. La centrale de Tchernobyl, près de 35 ans après l’explosion liée au dysfonctionnement de l’un de ses réacteurs, et aujourd’hui privée de système d’alimentation et de contrôle, porte à la fois le symbole du risque structurel inhérent à cette technologie, mais aussi celui du bouleversement extérieur venant accroître des potentialités d’accident déjà très fortes. Aussi, l’ironie du sort veut que ceux qui prétendent agir pour sauver la planète nous confronterons dans un futur proche à un risque accru, car les sécheresses, canicules, tempêtes ou séismes annoncés de manière plus fréquente et virulente en raison du réchauffement climatique constituent dès lors une menace supplémentaire et certaine dans un monde encore plus nucléarisé. N’oublions pas que la catastrophe de Fukushima est survenue à la suite d’un tsunami… Pour autant, des solutions pour sortir de l’impasse atomique existent, et certains pays renoncent d’ores et déjà à cette énergie incontrôlable et mortifère. Des alternatives appelant à plus de sobriété, à repenser nos modes de production, et à développer de réelles énergies renouvelables contrecarrent et permettent de s’opposer au caractère inéluctable de la doctrine nucléariste du « jusqu’ici, tout va bien ». [Fred]

1Voir l’article de Frédéric Durand : « Nucléaire, une fausse solution pour le climat? », Revue Terrestres, 16 février 2022. Les citations suivantes sont extraites du même article. https://www.terrestres.org/2022/02/16/nucleaire-une-fausse-solution-pour-le-climat/

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Quel scénario pour 2050 ?

Comment vivra-t-on en 2050 ? Aurons-nous des voitures volantes autonomes propulsées par des mini moteurs nucléaires ? Ou serons-nous « revenus à la bougie » suite à un effondrement de notre société incapable de s’adapter aux catastrophes environnementales ? Et plus concrètement, pourrons-nous encore prendre notre voiture quand il nous chante pour aller voir un spectacle à Alès ?
Ces dernières années, plusieurs scénarios ont été avancés pour tenter d’apporter des réponses à ces questions. Le dernier est sorti en février, publié par le cabinet de conseil The Shift Project. D’autres sont le fruit d’associations (Greenpeace, NégaWatt), ou encore d’organismes publics (l’Ademe). Il s’agit d’études prospectives qui modélisent des données sur l’énergie, les transports, l’agriculture etc., pour réfléchir à ce que pourrait être la société en 2050 si nous voulons maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C d’ici 2100, comme le prévoit l’Accord de Paris au niveau international. Et il est maintenant bien établi que cet objectif nécessite immédiatement des transformations majeures dans nos modes de consommation et de production.

Des hypothèses lourdes de conséquences

L’une des idées principales de ces scénarios est la neutralité carbone, qui consiste à n’émettre qu’une faible quantité de gaz à effet de serre, qui pourra être « capturé » et ainsi ne pas aggraver le réchauffement climatique. Cette capture peut être naturelle, puisque les végétaux absorbent du C02 et recrachent de l’oxygène, ou artificielle, avec des systèmes qui pourraient soit recycler le CO2, soit le stocker. Ce concept fait débat, car il peut être défini, interprété et utilisé de multiple façons, avec des implications fortes en terme d’efficacité et de justice sociale. Par exemple les industries polluantes comptent beaucoup sur la capture artificielle de CO2, car elles pourraient ainsi ne pas trop réduire leurs émissions, tandis que les associations environnementales considèrent que ces technologies n’ont pas fait leurs preuves et qu’il ne faut donc pas compter dessus. Chaque partie va donc retenir une « hypothèse » différente sur la capture de CO2, orientée par sa vision du monde et ses intérêts.

D’autres hypothèses sont structurantes et lourdes de conséquences pour l’avenir. Certaines sont « clivantes », par exemple le nucléaire, avec certains scénarios qui comptent dessus, d’autres qui considèrent que l’on peut très bien s’en passer. Ou encore l’agriculture, certains scénarios tablant sur une agriculture entièrement biologique en 2050, avec des fermes plus petites et beaucoup plus d’emplois agricoles. Pourtant nous sommes peu nombreux à vouloir devenir paysans vu la difficulté du métier.
Une hypothèse est assez consensuelle, mais tout aussi lourde de conséquences, c’est l’abandon total ou quasi-total des énergies fossiles. Cela serait possible grâce à trois éléments. D’une part la « sobriété » : consommer moins d’énergie. D’autre part l’efficacité : réduire le gaspillage, et baisser la consommation pour un même usage. Enfin le développement des autres sources d’énergie : seulement les renouvelables pour certains, avec en plus le nucléaire pour d’autres, et avec des différences d’approche pour des énergies qui commencent juste à se développer comme le biogaz ou l’hydrogène.

Chacune des hypothèses mérite des analyses et réflexions fouillées, car elles impliquent de grands changements dans nos modes de vie, et peuvent structurer différemment le tissu productif et logistique de la société de demain. Malheureusement, ces réflexions sont totalement absentes du débat démocratique. Macron, sans aucun débat, décide de relancer un programme nucléaire qui coûtera des milliards d’euros que nous pourrions mettre ailleurs. Les voitures « thermiques » seront interdites à la vente en 2035, là encore sans aucun débat sur les alternatives pour la mobilité. Et de façon générale, s’il faut changer nos modes de production et de consommation, il s’agit bien de transformer la société. N’aurions-nous pas toutes et tous notre mot à dire sur un sujet aussi important ?

Liberté, Égalité… Sobriété

Si nous voulons éviter une catastrophe écologique brutale, un profond changement culturel doit advenir dans les prochaines années. Car à de nombreux niveaux, il s’agit de rompre avec des habitudes et des visions fortement ancrées dans nos structures sociales. Diviser par 3 notre consommation d’énergie (scénario Négawatt) remet en question les notions de croissance, de progrès technique continu et d’abondance matérielle. Pourtant l’économie, et souvent la socialisation des personnes, sont basés sur ces éléments. Notre mobilité sera aussi transformée, puisque nous n’aurons plus, ou beaucoup moins, accès à des voitures individuelles. Notre sociabilité va donc se resserrer autour de notre lieu de vie, limitant ainsi nos activités « à l’extérieur », ou les visites chez nos proches qui habitent loin. Bien sûr dans le même temps la vie locale sera redynamisée, mais sommes-nous prêt.e.s pour ces changements, surtout en milieu rural où nous utilisons autant la voiture ? Et comment nous y préparons-nous, pour que cela ne soit pas subi et source de frustrations ?
Et en fait, concrètement, qu’est-ce qui nous empêchera de faire ci ou de faire ça ? Qu’est-ce qui garantira que nous consommons de façon raisonnable ? Serons-nous obligés de limiter nos déplacements ou de recycler nos plastiques, avec ce que cela pose en terme de liberté individuelle ? Ou certains aspects seront-ils régulés par les prix de marché, par exemple l’accès à la mobilité avec des prix de carburant si élevés qu’il sera difficile de se déplacer ? Avec dans ce cas la question de la justice sociale, les pauvres étant plus touchés par ce type de mécanisme que les riches. Et comment limiter nos utilisations du numérique dont l’empreinte écologique augmente dangereusement, alors que nous sommes drogués à l’internet illimité et aux réseaux sociaux ?
Toutes ces questions sont bien des enjeux démocratiques majeurs, qui ne peuvent pas rester des scénarios techniques dans les mains des spécialistes. Car pour appliquer les changements nécessaires, nous devons les accepter et y contribuer activement, ce qui est plus facile quand nous les comprenons et participons à leur conception ! Si les changements sont imposés et subis, ils généreront des tensions sociales importantes nuisant à leur application, et débouchant sur une dérive autoritaire des institutions.

Une croissance verte, vraiment ?

Quand les scientifiques et les rapports internationaux parlent de changements de modes de production et de consommation, chacun.e peut l’interpréter selon ses idées politiques. Les défenseurs du capitalisme tablent ainsi sur la « croissance verte » et l’innovation, sans remettre en question les structures des pouvoirs économiques et politiques actuelles. Pourtant, cela fait maintenant des décennies que la sonnette d’alarme écologique a été tirée, mais les actions enclenchées en France et ailleurs ne permettent toujours pas de respecter les objectifs de l’accord de Paris. Et quand on voit l’ampleur des actions à mettre en œuvre selon les scénarios pour 2050, on peut douter que nous y arrivions vu le peu que nous avons fait jusqu’à présent.

Il faut dire qu’il y a une contradiction majeure entre le capitalisme et les besoins de notre époque. Le capitalisme se base sur la croissance et la concurrence. Une entreprise qui ne vend pas, ou moins que les autres, risque de disparaître. La publicité, l’obsolescence programmée, la réduction des coûts, sont donc intrinsèques au capitalisme, sous une forme ou une autre, malgré leurs effets néfastes aux niveaux écologique et social. Nous pourrons toujours tenter d’encadrer et réguler le capitalisme, cette tension entre la dynamique du système et les besoins de la société n’est pas vraiment constructive.
En plus, la concurrence du capitalisme s’exerce à tous les niveaux de la société : entre les entreprises, mais de plus en plus aussi entre les universités, les hôpitaux, et même entre les individus à l’école ou sur le marché du travail. Mais dans des moments de crise et de changement majeur avec beaucoup d’incertitude, la concurrence est-elle vraiment adaptée ? Ne risque-t-elle pas de dégénérer en violence, chacun.e tentant de se protéger face à ses « concurrent.e.s » ? Ne faudrait-il pas plutôt privilégier la coopération, se serrer les coudes, partager ce que l’on a ? L’immense élan de solidarité avec l’Ukraine fait chaud au cœur, et montre la spontanéité de ce sentiment. Pourquoi ne pas étendre ce genre d’attitude à l’ensemble de nos interactions, y compris avec les autres éléments de nos écosystèmes (animaux, végétaux, minéraux, etc.) ?
Alors, peut être nos changements de mode de vie passent-ils aussi par un changement d’organisation sociale, économique, politique ?… Il y a du pain sur la planche. On ne sera pas trop nombreux. [Joce]

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Épisode cévenol n°25

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Un monde à changer ?

L’histoire de la crise environnementale et climatique est souvent racontée comme le fait d’une prise de conscience soudaine des erreurs commises « dans le passé ». Il y aurait un avant, sorte de période obscure où l’être humain ignorait les conséquences de ses actes, et un après où il dispose de savoirs modernes et ne peut plus ignorer les effets de ses activités. Tout irait pour le mieux, car celui-ci, dorénavant averti et résolument déterminé à racheter sa mauvaise conduite antérieure, ne serait plus qu’à un doigt de sauver la planète !

Ce récit optimiste, aux allures de fable pour enfants, accrédite l’idée d’une conception linéaire du progrès où l’innovation technologique n’aurait de cesse d’amener l’humanité vers un stade plus avancé et favorable à son développement. Il limite ainsi la résolution des enjeux écologiques contemporains au seul domaine techno-scientifique, et exclu tout autre champ de réflexion, notamment socio-économique et politique. De ce fait, il contribue à la dépolitisation des débats environnementaux en masquant les antagonismes qui mettent en valeur les liens pourtant indissociables entre la poursuite du « business-as-usual », l’accroissement des inégalités, et la destruction du monde vivant.

Le mythe du progrès en question

Les historiens des sciences, des techniques et de l’environnement l’ont pourtant bien montré : les savoirs qui ont existé concernant le changement climatique remontent au moins au XVIe siècle1. La question du lien entre déboisement et changement climatique est par exemple très présente à la fin du XVIIIe siècle. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les arguments liant l’environnement à la santé sont omniprésents dans les plaintes et les procès contre les usines polluantes. Les connaissances scientifiques sont déjà suffisamment élaborées pour analyser sérieusement les conséquences de l’activité humaine sur la planète : Joseph Fourier théorise l’effet de serre en 1824, Svante Arrhenius affirme dès 1896 que la combustion des matières fossiles peut avoir comme conséquence une augmentation du réchauffement global. Le mythe de « la prise de conscience soudaine » ne résiste donc pas à l’étude historique : le risque technologique et les limites physiques des capacités terrestres ont été conceptualisés et considérés par les économistes et les dirigeants dès l’époque moderne et durant toute la période industrielle. Il n’a pas fallu attendre le premier rapport du GIEC de 1990 où le sommet de la Terre des Nations Unies tenu à Rio deux années plus tard pour que des alertes et des oppositions soient lancées !

Ainsi, si les controverses environnementales sont contemporaines de l’utilisation massive des nouvelles ressources énergétiques et technologiques employées durant cette période, pourquoi, leur nocivité étant alors avérée, celles-ci n’ont-elles pas été stoppées ? C’est à ce niveau qu’il faut s’attaquer à un deuxième mythe : celui de la transition énergétique. Ce concept voudrait associer à l’abandon d’une ressource son remplacement par une autre plus efficiente ou moins polluante. C’est ainsi qu’à l’utilisation du bois aurait succédé celle du charbon, et qu’au pétrole succéderait les énergies dites renouvelables. Or, là encore, le raisonnement ne tient pas face à un examen critique : « Il n’y a pas de transitions énergétiques à l’échelle globale, mais uniquement des additions ; à chaque fois qu’une nouvelle source d’énergie devient dominante, ce n’est pas en vertu d’une qualité intrinsèque supérieure ou d’un coût inférieur, mais parce qu’elle favorise un bloc social particulier, un système socio-économique ou une configuration géopolitique. L’histoire matérielle des sociétés modernes est fondamentalement cumulative » 2. Les exemples de la déforestation en Amazonie ou de l’ouverture de faramineuses mines de charbon en Australie illustrent parfaitement cette thèse. La consommation de matières premières est en constante augmentation depuis les débuts de l’ère industrielle et aucune n’a connu à ce jour de baisse significative, excepté durant la mise à l’arrêt d’une partie de l’économie en 2020 lors la pandémie de Covid-19… La société ne se décarbone pas – loin de là – et n’est pas en voie de le faire, malgré les promesses de transition largement mises en avant par le discours dominant.

Tous responsables ?

Le constat est alarmant, chacun le sait. L’humanité n’est pas confrontée à une simple crise environnementale passagère, mais est entrée, du fait de son activité insensée, dans une nouvelle ère géologique nommée anthropocène. Ce terme caractérise l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, dépassant les forces géophysiques. Si le concept a le mérite de donner une importance certaine à la gravité de la situation, « il a toutefois la fâcheuse tendance d’unifier l’humanité de manière indifférenciée : désigner l’espèce humaine comme responsable de la crise environnementale, c’est oublier les rapports économiques, sociaux et coloniaux qui, sous l’effet de la classe dominante, ont conditionné le changement climatique »3. En effet, des études récentes sur les inégalités mondiales montrent que la carte de la pollution par le carbone se confond parfaitement avec celle des disparités économiques. Les 10% les plus riches de la population mondiale émettent près de 48% des émissions mondiales – les 1% les plus riches en produisant 17% du total – tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 12%. Des richesses générées ces dernières années dans le monde, 82 % ont profité aux 1 % les plus riches, alors que les 3,7 milliards de personnes qui forment la moitié la plus pauvre de la planète n’en ont rien vu.

Mais au delà d’exemples chiffrés, c’est bien les causes structurelles – que sont le capital, le productivisme, la colonisation, la guerre, le patriarcat, l’idéologie du progrès, le consumérisme, etc. – qu’il faut identifier comme source du problème, et non rester figé dans le cadre d’analyse sectoriel et techniciste imposé par les tenants d’une croissance à tout prix. Autrement dit, « quand on parle d’agir pour le vivant, on devrait commencer par prendre conscience de qui agit contre le vivant »4. Le discours dominant est au contraire celui d’un dépassement de la politique classique par la question écologique où il faudrait avancer ensemble au-delà des clivages, pourtant :  « il est important de réaliser qu’il n’y aura jamais de consensus écologique, car il ne peut pas y en avoir un : nous devons choisir entre des politiques environnementales pour la majorité ou pour une riche minorité, et il n’y aura probablement jamais consensus autour d’une de ces deux options »5. Il importe de s’extraire du faux débat posé sur la question technologique et la notion de progrès laissant comme seule alternative le retour à la bougie ou la 5G, mais plutôt comprendre qu’avec le dérèglement climatique et la destruction du vivant, il n’y a seulement que des gagnants et des perdants. Des pays comme la Russie et la Chine pourront profiter des larges réserves d’hydrocarbures en arctique rendues disponibles par la fonte des glaces, d’autres pays industrialisés tels l’Allemagne ou la France investiront dans le développement du photovoltaïque ou de l’éolien, et les communautés autochtones des pays du sud n’auront qu’à subir les conséquences de l’extractivisme et des monocultures destinées au captage du carbone pour compenser les industries polluantes des pays riches…

Et maintenant ?

Les décisions et accords pris lors des sommets internationaux sont symptomatiques des quelques éléments de réflexion énoncés brièvement ci-dessus. Un article scientifique récent montre que la majeure partie de toutes les réserves énergétiques connues doivent être laissées dans le sol pour qu’il y ait au moins une chance infime d’éviter un réchauffement de plus de 1,5 °C6. Pour être plus précis, d’ici 2050, il faudrait laisser intact environ 90 % du charbon, 60 % du pétrole, 60 % du gaz et 99 % du pétrole non conventionnel. Inutile de préciser que le compte n’y est pas. Et pour l’heure, le seul consensus réellement établi est celui de privilégier des choix à court terme qui ne remettent en cause ni les objectifs de croissance économique, ni les modes de production et de vie dictés par le capitalisme. Les orientations vont dans le sens promu par les multinationales depuis plusieurs décennies, à savoir, un engagement volontaire du secteur privé dans le développement durable et la financiarisation de la nature, plutôt qu’une intervention des gouvernements par le biais de réglementations contraignantes7. Nul ne s’étonnera donc que les mesures de protection de l’environnement soient élaborées selon les intérêts propres au marché, et que le développement des énergies dites renouvelables et des biotechnologies soit pensé comme source de profits colossaux. Le Fond Monétaire International ne s’y trompe pas en prévoyant un surcroît d’investissements à hauteur de 20 000 milliards de dollars sur les deux prochaines décennies afin de faciliter une « transition réussie vers une économie verte » !

Les engagements pris par les instances décisionnelles au niveau mondial ont déjà largement montré leurs insuffisances et leurs effets délétères, mais surtout leur capacité à faire diversion face à la nécessité d’une action réelle. Au lendemain de la Cop 26, l’entreprise Airbus décrochait un méga-contrat de plus de 30 milliards de dollars au salon de l’aéronautique de Dubaï, la politique agricole commune (PAC) reconduite en Europe privilégiait comme à son habitude l’agro-industrie polluante, la France annonçait sa relance du nucléaire, et l’administration Biden organisait la plus grande vente aux enchères fédérale de forage en mer de l’histoire des États-Unis… Les revendications de justice sociale et environnementale émises dans les rues de Glasgow lors du contre-sommet restaient quant à elles lettre morte, tandis que les lobbys pro-énergies fossiles avaient leur place bien au chaud auprès des dirigeants. Pour autant, des solutions existent, et ce qu’il faudrait faire, au moins dans un premier temps, reste assez évident : « mater les lobbys et les entreprises polluantes et extractivistes, laisser le carbone dans le sol, stopper l’agriculture industrielle, mettre en place un rationnement écologique (sur le CO2 par exemple), changer le système fiscal, changer les modes de transport et d’alimentation, punir avec une égale sévérité les atteintes à l’environnement et les atteintes aux biens et personnes »8. Mais pour cela, c’est tout un monde qu’il faut changer…

[Fred]

1« Les Révoltes du ciel – Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle » – Jean-Baptiste Fressoz, Fabien Locher – Éditions Seuil – Octobre 2020

2« Combien pour sauver la Planète ? La fuite en avant des investissements verts » – Nelo Magalhães – Revue Terrestres – Février 2020, voir également : « Carbon Democraty, Le pouvoir politique à l’ère du pétrole » – Timothy Mitchell – Éditions La découverte – Octobre 2013

3« Désintellectualiser la critique est fondamental pour avancer » – Jean Baptiste Fressoz – Revue Ballast – Juin 2018

4Intervention d’une personne présente dans le public lors du Festival « Agir pour le vivant » à Arles en août 2020

5« Les nouveaux marchés financiers sur la nature expliqués à ma grand-mère » – Frédéric Hache – Rapport du Green Finance Observatory – Octobre 2021

6« Unextractable fossil fuels in a 1.5 °C world » – Paul Ekins, James Price, Steve Pye, Dan Welsby & – Revue Nature – Septembre 2021

7« Nature, Le nouvel eldorado de la finance » – Sandrine Feydel, Christophe Bonneil – Éditions La découverte – Mai 2015

8« Désintellectualiser la critique est fondamental pour avancer » – Jean Baptiste Fressoz – Revue Ballast – Juin 2018

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Reprendre la Terre aux machines

L’Atelier Paysan est une coopérative qui conçoit et fabrique du matériel agricole dans une logique d’autonomie par l’entraide, et de rupture avec l’agriculture « industrielle ». Les machines sont conçues par des paysan.ne.s, construites lors d’ateliers collectifs, et sont faites pour s’adapter aux besoins spécifiques de chaque ferme et pour être réparées facilement. Pendant le confinement du printemps 2020, leurs activités étant mises en suspens, une poignée de membres en a profité pour écrire un « manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire » intitulé Reprendre la Terre aux machines (collection Anthropocène – Seuil). Merci le confinement, car ce livre est un bijou ! Concis mais complet, facile à lire, il éclaire l’évolution historique de l’agriculture, les (des)équilibres actuels, et les pistes de transformation.

Les « alternatives » ne suffisent pas

L’agriculture et l’alimentation « modernes » ont une responsabilité importante dans la dégradation des écosystèmes et de notre santé. Emissions de gaz à effet de serre, dégradation des sols et de la biodiversité, pollution des eaux, tout cela pour fournir de la nourriture ultra-transformée, trop grasse, sucrée ou salée, provocant diabètes, obésité ou cancers. Et parallèlement, la souffrance des agricultrices et agriculteurs est immense, avec un taux de suicide supérieur de presque 30 % aux autres professions. Tout cela a déjà bien été documenté, et ce livre ne revient pas dessus en détail.

Partant de ce constat, de nombreux.ses paysan.ne.s et consommateurs et consommatrices ont fait le choix de développer d’autres formes de production et de consommation, comme l’agriculture biologique ou les circuits courts. Dans ce mouvement des alternatives, dans lequel se situe l’Atelier Paysan, il y a souvent l’espoir de servir d’exemple à la population et aux décideurs, ce qui permettrait à terme de généraliser ces alternatives. Mais l’Atelier Paysan considère aujourd’hui que « ces alternatives ne constituent pas un projet politique en elles-mêmes, et ne mettent pas en danger l’agriculture industrielle ». Ainsi, les ventes de pesticides ont augmenté de 22 % entre 2009 et 2018, les terres arables continuent de reculer au profit du béton à raison d’un département français moyen tous les dix ans, des dizaines de fermes disparaissent chaque semaine, et « ceux qui restent travaillent sur des exploitations toujours plus capitalistiques : de plus grosses machines, des surfaces plus grandes, avec des bâtiments plus chers et des dettes plus pesantes ».

Pour comprendre pourquoi le système reste figé dans sa logique destructrice, il faut déjà décortiquer et comprendre son fonctionnement. C’est l’objet d’une bonne partie de ce livre, qui revient sur les mécanismes historiques, technologiques, sociologiques et économiques ayant conduit à la situation actuelle. Cela permet notamment de replacer la responsabilité : pour l’Atelier Paysan, les agriculteurs et agricultrices en « conventionnel » sont trop souvent désigné.e.s comme responsables des conséquences écologiques et sanitaires néfastes du secteur, alors qu’ils et elles sont plutôt victimes d’un système qui les emprisonne dans ce rôle.

Les verrous de la modernisation

La plupart des exploitant.e.s agricoles ne sont aujourd’hui que de simples rouages dans la machine agro-alimentaire, produisant des matières premières pour l’industrie de la transformation et la grande distribution, sans véritable contrôle sur leur outil de production. C’est le résultat de la « modernisation » de l’agriculture, entamée dès le XIXe siècle, accélérée après la deuxième guerre mondiale et toujours à l’œuvre aujourd’hui. Elle est le fruit de l’idéal de progrès de la civilisation occidentale, et du mépris des classes dominantes pour les paysan.ne.s et le travail de la terre. Le « progrès » permettait alors de se débarrasser des labeurs agricoles répugnants, et de « civiliser » les paysan.ne.s. Mais la modernisation répond aussi au besoin du capitalisme de produire de la nourriture bon marché, pour dégager une plus grande part du revenu des ménage à l’achat de biens de consommation issus de l’industrie.

L’Atelier Paysan décrit plusieurs « verrous » qui permettent à cette modernisation de poursuivre sa logique malgré ses effets délétères. D’abord un verrou politico-économique, avec les accords de libre échange internationaux et le marché unique européen institué dans les années 1990. Ces accords permettent aux produits agricoles et alimentaires de circuler librement, tirent donc les prix vers le bas, et font disparaître les producteurs et productrices des pays où le travail est mieux rémunéré et protégé. La France, qui était autosuffisante en fruits et légumes au début des années 1990, ne produit aujourd’hui que la moitié de ce qu’elle consomme, pendant que l’Espagne s’est imposée comme un exportateur majeur de produits agricoles.

Un autre verrou finement décrit par l’Atelier Paysan est le poids de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. La FNSEA est omniprésente dans le monde agricole : chambres d’agriculture, assurances, banques, MSA (la sécu agricole), formation professionnelle, etc. Depuis toujours, elle organise avec l’État la modernisation de l’agriculture, qui profite à ses dirigeant.e.s pleinement intégré.e.s à l’agriculture capitaliste. Et alors même que ses orientations font disparaître plus de 200 fermes par semaine, elle se pose parallèlement comme protectrice de la filière et de l’identité agricole, notamment face aux « attaques » de celles et ceux qui voudraient changer le modèle agricole. Selon l’Atelier Paysan, cette imposture fonctionne grâce à la difficulté pour les agricultrices et agriculteurs de reconnaître que tout ce qu’on leur a fait faire depuis des décennies était une erreur. Le syndicat joue alors sur la peur qu’un changement de modèle agricole fasse disparaître les exploitations agricoles « modernes » auxquelles les exploitant.e.s vouent leur vie.

Le livre décortique aussi le verrou technologique, en mettant en évidence que « la technologie n’est pas neutre : elle est une force de transformation du monde – du monde sensible et du monde social ; elle est porteuse de logiques de séparation et de domination, de pertes de savoir-faire et d’autonomie » Elle façonne les paysages et les vies. Ainsi le tracteur, source d’immenses gains de productivité, pousse à agrandir les surfaces et arracher les haies pour faciliter son utilisation. Les machines poussent aussi à la spirale de l’endettement, qui permet de se moderniser sans cesse pour ne pas couler, mais qui emprisonne dans l’exigence de rentabilité pour rembourser les emprunts. C’est ainsi que l’endettement moyen d’un.e exploitant.e agricole était de 160 000€ en 2010, et même 200 000€ pour les moins de 40 ans ! Cette spirale accroit aussi la dépendance aux industries (pétrole, engrais, semences), censées fournir les moyens de la rentabilité.

Les moyens du changement

Pour faire sauter tous ces verrous, l’Atelier Paysan appelle à un vaste mouvement visant l’installation d’un million de paysan.ne.s en dix ans. Sacrée inversion de tendance, puisqu’il n’y en a plus que 400 000 aujourd’hui, contre 5,1 millions en 1954 ! Un tel mouvement se baserait sur trois piliers : le rapport de force, les alternatives et l’éducation populaire, et aurait trois revendications principales. D’une part, des « prix minimum d’entrée » pour les importations, pour rompre avec le libre échange sans tomber dans un protectionnisme « souverainiste ». En effet, ce mécanisme ne pousserait pas les exportateurs des autres pays à baisser leurs prix, au contraire il les forcerait à les augmenter. Cela pourrait permettre l’émergence de mouvements sociaux locaux réclamant une meilleure rémunération du travail agricole. D’autre part, la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, basée sur les trois piliers de la sécu : universalité, cotisations sociales et conventionnement. Ainsi, chaque citoyen.ne cotiserait pour avoir ensuite accès à une certaine quantité de nourriture produite par des paysan.ne.s conventionné.e.s selon des critères choisis démocratiquement. Enfin, une désescalade technologique, avec la généralisation de technologies qui émancipent, contrairement aux technologies actuelles qui emprisonnent.

La richesse des réflexions sur ces propositions est extrêmement stimulante, et représente encore un argument pour (s’)offrir ce super bouquin pour Noël. Elle donne aussi envie de pousser la réflexion pour d’autres secteurs d’activités, car il n’y a pas que l’agriculture à transformer ! [Joce]

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A la frontière de l’inhumanité

Ce n’est pas nouveau, mais ne faut-il pas se le rappeler régulièrement : des milliers de réfugiés meurent aux frontières de l’Europe, et… en Europe. Lorsque le 24 novembre, 27 d’entre eux se noient quasiment sous nos yeux à quelques encablures de Calais, les politiques versent des larmes de crocodiles pendant 24h pour passer rapidement à l’ordre du jour et réfléchir aux moyens de stopper leur venue. Dorénavant, Frontex, l’agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes, survolera jour et nuit la Manche pour empêcher les traversées.

Lorsque plusieurs milliers d’exilés, souvent en famille, sont bloqués à la frontière polonaise placée sous état d’urgence, dans une jungle marécageuse, par un froid glacial, sans accès à de l’eau potable ni à de la nourriture, sous prétexte que le dirigeant biélorusse les instrumentalise, on oublie de dire que ces réfugiés fuient la guerre ou des conflits armés en Irak, Syrie, Libye et Yémen dans lesquels des Etats européens sont directement ou indirectement impliqués.

Quand chaque semaine des dizaines de personnes s’échappant de l’enfer libyen périssent en Méditerranée, une mer de plus en plus militarisée, on nous raconte que la fameuse agence Frontex, forte de 2000 agents et d’un budget constamment augmenté, est « engagée à sauver des vies en mer, en étroite coopération avec tous les acteurs opérationnels ». Or la réalité est toute autre : elle ne sauve pas de vies et n’informe pas les ONG présentes en mer des chaloupes à la dérive. Au contraire, elle collabore avec les garde côtes libyens qui traquent les réfugiés et les ramènent brutalement vers la Libye. Ses membres n’hésitent pas à effectuer eux-mêmes des renvois illégaux (pushback) d’embarcations de réfugiés tentant de franchir la mer entre la Turquie et la Grèce. Sans oublier que les navires de secours, s’ils ne sont bloqués à quai pour des raisons factices, sont souvent contraints d’errer avec à bord des centaines de réfugiés parmi lesquels des malades, des femmes enceintes, des personnes traumatisées, quémandant parfois pendant des semaines le droit d’accoster.

Tandis que les Européens font mine de s’offusquer du projet de mur de Trump à la frontière mexicaine, la forteresse Europe s’érige inexorablement avec des barrages appelés cyniquement « murs anti-migrants ». Il en existerait à l’heure actuelle onze, soit 1200 km de barbelés tranchants et de murs en béton ! Le plus ancien, séparant l’Afrique de l’Europe, se situe à Ceuta et Melilla. En Bulgarie, 176 kilomètres de clôtures de barbelés marquent la frontière avec la Turquie. La Hongrie a dès 2015 réalisé à la frontière avec la Serbie et la Croatie 175 kilomètres de clôtures de barbelés de quatre mètres de haut. Une autre existe entre la Grèce et la Turquie et d’autres à la frontière de la Lituanie, de la Lettonie, de l’Autriche. La Pologne projette quant à elle la mise en place d’un mur la séparant de la Biélorussie; sans oublier la barrière de Calais de 4 m de hauteur et long d’un kilomètre, financé par la Grande-Bretagne.

Les murs ne pouvant que freiner l’arrivée de réfugiés sans la stopper, un maillage de centres, véritables camps d’internement pour certains, est en cours de réalisation avec des fonds européens. Des Etats proches ou plus lointains du pourtour méditerranéen bloquent les passages de telle sorte que les réfugiés sont parqués dans des camps officiels comme au Niger, en Turquie et en Grèce mais souvent informels comme au Maroc ou à Calais. Le nouveau camp pour demandeurs d’asile inauguré en septembre 2021 sur l’île de Samos en Grèce est décrit comme une véritable « prison à ciel ouvert » par Médecins sans frontières. Ce centre moderne, isolé, ultra-sécurisé sert de pilote pour les futurs camps.

Les dirigeants européens violent un principe fondamental : Toute personne cherchant protection a le droit de demander l’asile dans l’espace Schengen. Une grande partie des personnes cherchant l’asile pourrait l’obtenir si ce principe était respecté. L’équation est donc simple : Conserver le droit d’asile sans avoir à l’appliquer. Il faut en conséquence empêcher les réfugiés d’entrer en Europe pour ne pas avoir à leur garantir cette protection. Les responsables européens considèrent qu’il est nécessaire de resserrer les mesures d’exclusion et c’est pourquoi un nouveau « pacte sur la migration et l’asile » a été présenté en automne 2020 pour « mettre en place un système de gestion de la migration prévisible et fiable » dans la continuité des conventions de Dublin.

Ce nouveau pacte – en voie d’adoption – prévoit par différents moyens de réduire le nombre de réfugiés en Europe : Afin de désaturer les camps aux frontières européennes, de nouveaux accords de réadmission seront signés avec des Etats dans lesquels il sera également possible de réaliser une « procédure frontière » ou « accélérée » pour demandeurs d’asile, lesquels se verraient d’emblée déboutés notamment s’ils sont originaires de pays dont moins d’un cinquième des demandes d’asile sont acceptées. Comble de cynisme, des centres dans lesquels sera réalisée la « procédure frontière » pourront également être installés au sein même de l’Union européennes tout en étant considérés comme extraterritoriaux. Les personnes demandant l’asile y seront enfermées puis déportés sans qu’officiellement elles aient foulé le sol européen.

Ce petit tour d’horizon non exhaustif de mesures de plus en plus policières à l’encontre de personnes en recherche de protection s’accompagne d’une répression accrue pour les solidaires, ceux et celles qui tentent de soutenir les exilés. Des centaines de personnes en Europe sont traînées devant la justice pour leur engagement. Ainsi, un procès s’est ouvert le 24 novembre à Lesbos contre Sarah Mardini et Seán Binder, deux jeunes vingtenaires, qui avec d’autres ont participé à des opérations de recherche et de sauvetage de chaloupes à la dérive. Accusés de «trafic humain», de «blanchiment d’argent», de «fraude», «espionnage», ou encore d’appartenir à une «organisation criminelle», ils sont passibles de 25 années de prison.

Tant que des guerres seront entretenues notamment par des ventes d’armes, que des régimes liberticides seront soutenus pour des intérêts géopolitiques et économiques, que les environnements écologique et socio-économique seront détruits au profit de multinationales, des femmes et des hommes continueront de prendre le chemin de l’exil, pour la majorité d’entre eux vers les pays voisins où ils sont accueillis par millions. Quant aux Etats européens, ils bafouent systématiquement leurs propres principes : Le droit d’asile devrait rester inaliénable, le brader c’est sacrifier toute humanité. [Tissa]

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Épisode cévenol n°24

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Eric Zemmour : Marionnette ou Epouvantail

Eric Zemmour, présent depuis plus de 20 ans dans les médias français, a eu le temps d’affûter ses armes comme chroniqueur au Figaro, pamphlétaire et polémiste quotidien sur CNews, chaîne télévisée appartenant à Vincent Bolloré, milliardaire, devenu magnat des médias. Depuis plus de deux mois, il sillonne le pays, menant une campagne électorale toujours pas officielle, et ses thèses inquiétantes notamment sur les Musulmans, les Noirs et les femmes sont propagées dans quasi tous les médias. Et pourtant il se présente et est présenté comme un personnage antisystème, s’attribuant une aura d’opposant subversif. En réalité, il courtise le monde politique, financier et médiatique dont il maîtrise les codes.

D’aucuns disent qu’il ne s’agit que d’un phénomène éphémère, un feu de paille, dont il ne faudrait pas amplifier l’importance, d’autres le considèrent comme une menace. Quoi qu’il en soit, ses positions racistes ont permis d’enfoncer certaines digues et de renforcer et radicaliser le discours dominant préexistant autour du triptyque obsessionnel de la droite et de l’extrême droite : l’immigration, l’insécurité et l’Islam. Entre-temps presque toute la classe politique reprend avec une certaine délectation ces thèmes déclinés dans toute leur laideur, au prix d’une compromission coupable. On se souvient du fameux rassemblement organisé en mai 2021 par des syndicats de police devant le Parlement où fascistes étaient réunis avec des communistes en passant par des sociaux-démocrates et des verts autour du thème de l’insécurité.

Une idéologie source de graves menaces

L’idéologie raciste de Zemmour est aussi primitive qu’opérante d’autant plus qu’elle se construit sur un fond vieux de plus d’un siècle de propagande antisémite. Le cœur de son discours s’articule autour du mythe d’un complot islamique (il y a cent ans c’était le complot juif) qui menacerait la France. Le « grand remplacement », théorisé par Renaud Camus, viserait à assujettir la France et à détruire la civilisation européenne. Ainsi, Zemmour affirme dans l’émission C à vous en septembre 2016 : « Nous vivons depuis trente ans une invasion, une colonisation, qui entraîne une conflagration », anticipant ni plus ni moins une « guerre civile ». Le tueur de Christchurch en Nouvelle-Zélande, lui aussi adepte du « grand remplacement », a franchi le pas en mettant en pratique cette idéologie meurtrière : le 15 mars 2019, Brenton Tarrant, terroriste australien, massacre 51 personnes dans une mosquée.

Zemmour persiste dans ses divagations paranoïaques quand en septembre 2019 lors de la Convention de la droite, il martèle qu’« En France, comme dans toute l’Europe, tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration : école, logement, chômage, déficits sociaux, dette publique, ordre public, prisons, qualifications professionnelles, urgences aux hôpitaux, drogue. Et tous nos problèmes aggravés par l’immigration, sont aggravés par l’islam. C’est la double peine. » Voilà qui, en guise de programme politique, est tranché : Zéro immigration, zéro Islam et tous les problèmes des Français seraient résolus !

Le non-candidat ressasse que l’Islam ne serait « pas compatible avec la République » car « en Islam il n’y a pas de musulmans modérés ». Alors, faut-il les déporter ? lui demande le journaliste du Corriere della Sera le 30 octobre 2014. Il répond : « Je sais, c’est irréaliste mais l’Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 que un million de Pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d’Algérie pour revenir en France ? Ou bien qu’après la guerre, 5 ou 6 millions d’Allemands auraient abandonné l’Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? ».

Quoi faire, si ce n’est d’organiser la déportation des « intrus » qu’il appelle « remigration ». En janvier 2021, il explique sur C News : « Vouloir la remigration, ce n’est pas être raciste. C’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France, ça pose un vrai problème d’équilibre de démographie et identitaire (…). La France est en danger. » Le décor est planté, la réponse clairement exprimée.

Zemmour a bien d’autres obsessions dont celle des femmes n’est pas des moindres. Ses propos se suffisent à eux-mêmes. Dans son livre Le Premier sexe (2006), il affirme que « la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant ». Et décrivant un film des années 1970, il regrette amèrement cette époque où les femmes étaient plus complaisantes. « Quand le jeune chauffeur de bus glisse une main concupiscente sur un charmant fessier féminin, la jeune femme ne porte pas plainte pour harcèlement sexuel. La confiance règne. » Zemmour, machiste proclamé, est ainsi confronté à plusieurs plaintes de femmes pour harcèlement sexuel.

Des réseaux de soutien importants

Zemmour qui semblait agir en électron libre en tant que polémiste et pamphlétaire dispose de fait de puissants réseaux de soutien. Non seulement il provoque d’importants clivages au sein du Rassemblement national mais également du parti Les Républicains, lui permettant ainsi de siphonner de plus en plus de cadres et de militants, d’autant plus qu’il peut compter sur de nombreux groupes fascistes, en particulier les monarchistes de l’Action française.

Selon les enquêtes de Médiapart, ses comités de soutien locaux sont composés d’anciens du mouvement de Bruno Mégret, de membres de l’Action française, de la Ligue du Midi ou de Génération identitaire qui assurent notamment le service d’ordre, sans oublier des catholiques ultra-conservateurs, des anciens de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) et d’autres nostalgiques de l’Algérie française. Les réseaux de la Manif pour tous lui seraient également d’une grande utilité. Et l’agitateur néo-libéral tenterait à présent une jonction avec des Gilets jaunes pour parer à sa réputation de représentant des riches.

Ces comités s’activent frénétiquement alors même que sa candidature n’est pas encore annoncée. Ils organisent ses tournées en France, les meetings et les déambulations, les rencontres de personnalités politiques, arrangent des levées de fonds et récoltent des parrainages d’élus. Les réseaux sociaux sont un outil auquel ont très largement recours ses lieutenants qui se recrutent souvent parmi des jeunes de Génération Z.

Si la vente des livres de Zemmour et ses conférences payantes lui rapporte des revenus substantiels, elles ne suffisent pas à financer la machine de propagande nécessaire pour le propulser au-devant de la scène. Mais surtout sans soutien d’hommes d’affaires influents, point de candidature. Charles Gave, financier, gestionnaire de fonds, serait prêt selon Médiapart à le soutenir financièrement mais surtout à lui ouvrir son carnet d’adresses, notamment dans les milieux financiers londoniens, tandis que plusieurs jeunes banquiers l’accompagnent déjà dans sa conquête de l’électorat.

Pour accéder à cette notoriété, Zemmour, contrairement à l’image de victime de la censure qu’il renvoie et sur laquelle il s’auto-apitoie volontiers, peut compter sur une grande partie des médias. Tout d’abord ceux de Vincent Bolloré, homme d’affaires associé à la françafrique ayant racheté journaux et chaînes de TV pour servir la cause de l’extrême droite notamment à l’occasion de la campagne électorale. Cet oligarque l’a propulsé en lui ouvrant les plateaux de sa chaîne Cnews. Mais il n’est pas le seul, tout le spectre des médias d’extrême droite se repaît de ses propos fascistes, racistes et misogynes tandis que les autres courent après lui pour ramasser quelques miettes d’audimat supplémentaires.

Marionnette de Macron ?

Penser que cette propagande est marginale et ne serait que le produit d’un cerveau retors, ne prend pas la mesure de l’effondrement sociétal et de la crise du capitalisme. Zemmour n’est pas isolé dans ses égarements, la classe politique dans sa quasi-totalité l’accompagne dans cette dérive. Si un gouvernement Macron sous couvert de lutte contre le séparatisme fait la chasse aux Musulmans et interdit des associations de lutte contre l’islamophobie, si un Darmanin tire sur tout ce qui ne fait pas allégeance à une notion tronquée et étriquée de la République, ne préparent-ils pas le terrain d’un régime autoritaire ? Zemmour pourrait facilement être exclu du champ politique d’autant plus qu’il a déjà été condamné pour provocation à la haine raciale. Pour le moment il semble servir les desseins d’Emmanuel Macron. Mais ces calculs électoraux biaisés qui consistent à autoriser le durcissement de l’extrême droite pour qu’elle s’étripe et emporte la droite dans ses divisions afin de ramasser la mise électorale est un jeu dangereux.

La configuration à laquelle nous faisons face aujourd’hui évoque celle des années 1930 lorsque des riches industriels et financiers, ainsi que les médias et les politiques qui les servaient, brandissaient le complot juif pour installer un pouvoir fasciste et instrumentaliser les mouvements populaires. Comme le constate l’historien Enzo Traverso, la représentation de l’islam en tant que menace pour la culture européenne et les identités nationales sert à souder par la peur une communauté nationale socialement et économiquement fracturée. Cette stratégie politique réactionnaire a été développée aux XIXe et XXe siècles avec l’antisémitisme pour détourner l’opinion des thématiques autour de la précarisation des couches défavorisées et du creusement des inégalités. L’analogie avec l’actualité est frappante…

La montée du fascisme dans les années 1930 sur fond de crise systémique du capitalisme a exacerbé la propagande antisémite jusqu’à considérer les juifs responsables du marasme européen et justifier leur extermination. Ne l’oublions pas. [Tissa]

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Chronique d’une lutte permanente

La haine et la violence dirigées contre les exilés ne s’expriment pas que sur les plateaux télés. L’actuelle banalisation des discours xénophobes, si elle prolifère aussi aisément que dangereusement en cette période pré-électorale, s’inscrit dans un contexte de rejet migratoire déjà largement ancré en Europe. Les théoriciens du mythe de la « peur de l’étranger » ou du « grand remplacement » bénéficient à la fois d’un terrain propice pour répandre leurs idées, mais également, apportent une caution idéologique au durcissement des politiques migratoires mené depuis des années. Ainsi, la pratique alimente le discours, et le discours légitime la pratique. La boucle est quasiment bouclée, et il ne reste plus aux gouvernants que de pointer du doigt, quand ce n’est réprimer, les initiatives de soutien et de luttes solidaires, celles pourtant les plus directement à même de contrer cette logique infernale.

30 septembre 2021, Riace. La justice italienne condamne Domenico Lucano, ancien maire de la petite ville de Riace, à une peine de treize ans et deux mois de prison, assortie d’une amende de 750 000 euros. C’est une peine démesurée qui est infligée à celui qui depuis des années organisait dans son village l’accueil de dizaines d’exilés débarqués sur les côtes de Calabre. Alors que la politique d’accueil unique et exemplaire menée à Riace avait fait du village et de son maire les symboles d’un projet de société alternative fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes. L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes. Cette condamnation est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste.

7 octobre, Montpellier. Huit jeunes Africains sans-papiers sont arrêtés sur le quai de la gare quelques heures avant le début du contre-sommet Afrique-France organisé par un collectif d’organisations locales et nationales. La préfecture de police et le Ministère de l’intérieur ont été prévenus bien en amont de cet événement et n’ont interdit ni les réunions, ni les manifestations au programme. Pourtant le matin du 1er jour de ce contre-sommet, la préfecture a envoyé des policiers procéder à des arrestations ciblées et discriminatoires sur le quai de la gare. Seul ce groupe de Maliens, de Sénégalais et d’Ivoiriens, qui avait pris le train au sein d’une délégation de 24 membres de différents collectifs de la région parisienne, a été arrêté et emmené en garde à vue. Ils ont été contrôlés au faciès parce qu’ils étaient Africains, venus contester en groupe et de manière organisée, et jeter la lumière sur la face cachée du « Nouveau Sommet Afrique-France » et la politique du gouvernement. Deux d’entre eux ont été transférés en centre de rétention avant d’être enfin libérés 5 jours plus tard grâce entre autres à une riposte et une mobilisation rapides qui ont commencé le jour-même devant le commissariat de Montpellier. Cinq autres sont sortis des locaux de la police avec OQTF (Obligation de quitter le territoire français) assortie d’une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français) plusieurs heures après leur arrestation. Ces derniers sont convoqués au Tribunal Administratif de Montpellier le jeudi 18 novembre 2021 où leurs recours doivent être examinés.

11 octobre, Calais. Face aux conditions de vie indignes des personnes exilées à Calais, trois militants, Anaïs Vogel, Ludovic Holbein, et le père Philippe Demeestère, âgé de 72 ans, entament une grève de la faim à l’église Saint-Pierre pour réclamer l’arrêt de la maltraitance des personnes exilées dans le Calaisis. Comme les autres personnes engagées dans diverses associations intervenant à Calais, ils dénoncent les traitements inhumains perpétrés à l’encontre des exilés dans la région. Leurs revendications sont pourtant loin d’être extravagantes : Suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements durant la trêve hivernale, arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées, ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées. Anaïs Vogel déclare aux médias : « On ne sait pas jusqu’où on va devoir aller. On nous a dit que c’était fou de devoir faire une grève de la faim pour demander que des gens ne se fassent pas détruire leurs affaires ». Le 2 novembre, après plus de trois semaines de grève de la faim, les revendications ne sont toujours pas entendues. Didier Leschi, Directeur de l’Ofii (Office Français de l’immigration et de l’intégration) et chargé de la médiation entre le gouvernement et les grévistes, concède deux maigres alternatives : que cessent les évacuations par surprise, que les personnes soient prévenues avant la destruction de leur camp et qu’elles disposent de 45 minutes pour ramasser leurs effets personnels, et propose un hébergement pour les délogés, mais seulement en dehors de Calais… Les propositions sont refusées, la grève se poursuit.

24 octobre, Briançon. L’association Refuges Solidaires décide d’arrêter momentanément et symboliquement son activité en raison du nombre important de personnes qui menacent la sécurité et l’accueil digne des exilés. Alors que le lieu est initialement prévu pour accueillir 80 personnes, plus de 200 s’y trouvaient la veille. Les arrivées depuis la frontière sont en augmentation depuis le printemps et la prise en charge est assurée depuis 5 ans uniquement par les bénévoles, alors qu’il s’agit d’une obligation de l’État. Les militants exigent des autorités la mise en place de solutions d’hébergements complémentaires dans les plus brefs délais afin que le refuge puisse de nouveau accueillir les exilés dans de bonnes conditions. Pour appuyer ces revendications, les exilés, accompagnés de quelques bénévoles, se rendent alors à la gare pour y passer la nuit et dans le but de partir dès le lendemain. La mairie condamne cette action et demande des renforts au Ministère de l’Intérieur. Deux escadrons de CRS rejoignent dès le 25 octobre la ville de Briançon. Par peur d’une potentielle intervention des forces de l’ordre qui auraient menacé le droit des exilés, et à la demande des associations, un accueil provisoire est trouvé à l’église Sainte-Catherine. Toujours en attente de solutions pérennes et sans nouvelles des pouvoirs publics, samedi 31 octobre, une tentative de mise à l’abri d’urgence dans l’ancien centre de vaccination du Prorel échoue au vue du dispositif policier en place. Les bénévoles se mobilisant pour un accueil digne et inconditionnel obtiennent pour toute réponse un tweet du maire de Briançon, Arnaud Murgia : « Cette stratégie du harcèlement des pouvoirs publics ne trouvera qu’une seule réponse : la fermeté. » Entre temps des dizaines d’exilés ne savent pas où se mettre à l’abri.

[Cévennes Sans Frontières]

Pour plus d’infos, voir notamment :

– « Domenico Lucano : quand accueillir dignement devient un délit » – https://www.gisti.org/, 15 octobre 2021

– « Sommet Afrique-France : Liberté pour les 7 de Montpellier ! Appel à manifester les vendredi 15 et 22 octobre à Paris » – https://survie.org/, 15 octobre 2021

– « 150 associations soutiennent les revendications des grévistes de la faim à Calais », https://www.lacimade.org/, 26 octobre 2021

– « Communiqué de presse », https://www.facebook.com/tousmigrants/, 2 novembre 2021

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Nuc en plus

Nous sommes gâtés nous baignons dans le progrès,

Nous sommes gâtés, nous bénéficions déjà dans notre région du Bas-Rhône de plusieurs centres nucléaires qui nous permettent d’accéder au rang de l’une des zones européennes les plus nucléarisées. Jugez-en, Marcoule dans le Gard sur la rive droite du Rhône, on y travaille entre autres le plutonium (la pire saleté issue de l’industrie humaine) pour le combustible appelé MOX (comme mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium) ; de l’autre coté du Rhône le Tricastin qui outre 4 vieux réacteurs qui fuient et se fissurent accueille aussi « l’enrichissement » de l’uranium pour alimenter tout le parc atomique du pays ; en amont du Rhône nous avons Cruas avec ses 4 vieux réacteurs aussi déglingués que ceux du Tricastin ; plus loin à l’est, Cadarache en Provence abrite de multiples activités dont la construction d’Iter qui promet d’être le prochain fiasco du glorieux nucléaire national ; enfin au sud-ouest Malvesi qui accueille et affine tout l’uranium importé dont le pays a besoin à la grande joie des narbonnais qui en reçoivent les suaves émanations.
Si on ajoute à tout ça que nous vivons dans une zone à risque sismique élevé : Cela est dû à la pression de la plaque tectonique Afrique (encore eux, ils se rapprochent de 1 cm par an !) sur la plaque Europe. Cette pression active 3 grandes failles qui de la méditerranée remontent vers la Scandinavie, et des failles latérales. Le dernier grand séisme étant celui dit de 1907 à Lambesc en proche Provence ; et le plus récent est celui du Teil (nov 2019), et là c’est carrément chez nous. On frémit d’avoir la chance de vivre au cœur de ce cocktail détonant.

Et une grosse louche de nucléaire en plus ! Dans sa vision du pays comme une start-up nation développant ses technologies « d’excellence » au mépris de la dérive climatique, le monarque va distribuer 6 nouveaux EPR dans le pays, et il semblerait que deux d’entre eux soient destinés au bassin fluvial du Rhône, soit au Bugey, soit au Tricastin. Nos élus soucieux du bien être de la population se sont précipités pour demander qu’ils soient construits au Tricastin!

Mais des grincheux, sans doute des amichs qui ne croient même pas au progrès i-radieux, regroupés dans un collectif portant le doux nom de Chang (Collectif Halte Aux Nucléaires Gard) se sont permis d’interpeller les élus du département (sénateurs, députés, conseillers généraux) pour s’étonner de leur démarche à ce sujet.
Et ces mêmes râleurs qui ne comprennent rien, sont allés participer aux rassemblements de Montélimar fin juin, et de Bugey le 3 octobre pour s’opposer justement à ces constructions et appeler à l’Arrêt du nucléaire. Ce sont vraiment des irresponsables qui n’ont rien compris au réchauffement climatique et qui en sont encore à croire que le nucléaire tue alors que les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima sont maintenant tombées dans l’oubli…. En attendant la prochaine?

Bien au contraire, nos chers élus du peuple ont visiblement été séduits par la brillante réussite que l’on sait des EPR, bien qu’à Flamanville et en Finlande les coûts et les délais aient été multipliés par quatre ; et bien que soit apparu un grave défaut générique dans l’un des deux EPR Chinois où le tritium fuit allègrement à travers les barrières de confinement censées protéger l’environnement contre les contaminations…

Mais ce n’est pas tout, notre généreux président nous annonce la possibilité de construire aussi des « petits réacteurs modulaires »** (c’est doux et gentil comme appellation n’est-ce pas). Leur puissance serait quand même du dixième du fameux réacteur EPR et cela permettrait de disperser encore plus le risque atomique (vous en prendrez bien un chez vous?), avec rejets et déchets radioactifs à la clé, sauf que le prix de revient du Kwh serait encore plus élevé.
Et il serait même question de reprendre des études sur les réacteurs dits de 4 ième génération, au plutonium donc, et Marcoule serait bien sûr privilégié avec le projet Astrid dans les cartons. Elus et syndicats locaux s’en frottent déjà les mains !

Comme chacun sait on n’arrête pas le progrès et tant pis pour les préoccupations écologiques, sociales et démocratiques.

*Fuite de gaz rares de l’EPR chinois, défaut lourd de conséquences pour EDF
https://apag2.wordpress.com/2021/08/22/fuite-radioactive-dans-un-epr-chinois/

** En langage sérieux on les appelle « SMR » ce qui signifie pour les nuls « Small Modular Reactors ».

 A. et P.

Contact : chang@ouvaton.org

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