Quel scénario pour 2050 ?

Comment vivra-t-on en 2050 ? Aurons-nous des voitures volantes autonomes propulsées par des mini moteurs nucléaires ? Ou serons-nous « revenus à la bougie » suite à un effondrement de notre société incapable de s’adapter aux catastrophes environnementales ? Et plus concrètement, pourrons-nous encore prendre notre voiture quand il nous chante pour aller voir un spectacle à Alès ?
Ces dernières années, plusieurs scénarios ont été avancés pour tenter d’apporter des réponses à ces questions. Le dernier est sorti en février, publié par le cabinet de conseil The Shift Project. D’autres sont le fruit d’associations (Greenpeace, NégaWatt), ou encore d’organismes publics (l’Ademe). Il s’agit d’études prospectives qui modélisent des données sur l’énergie, les transports, l’agriculture etc., pour réfléchir à ce que pourrait être la société en 2050 si nous voulons maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C d’ici 2100, comme le prévoit l’Accord de Paris au niveau international. Et il est maintenant bien établi que cet objectif nécessite immédiatement des transformations majeures dans nos modes de consommation et de production.

Des hypothèses lourdes de conséquences

L’une des idées principales de ces scénarios est la neutralité carbone, qui consiste à n’émettre qu’une faible quantité de gaz à effet de serre, qui pourra être « capturé » et ainsi ne pas aggraver le réchauffement climatique. Cette capture peut être naturelle, puisque les végétaux absorbent du C02 et recrachent de l’oxygène, ou artificielle, avec des systèmes qui pourraient soit recycler le CO2, soit le stocker. Ce concept fait débat, car il peut être défini, interprété et utilisé de multiple façons, avec des implications fortes en terme d’efficacité et de justice sociale. Par exemple les industries polluantes comptent beaucoup sur la capture artificielle de CO2, car elles pourraient ainsi ne pas trop réduire leurs émissions, tandis que les associations environnementales considèrent que ces technologies n’ont pas fait leurs preuves et qu’il ne faut donc pas compter dessus. Chaque partie va donc retenir une « hypothèse » différente sur la capture de CO2, orientée par sa vision du monde et ses intérêts.

D’autres hypothèses sont structurantes et lourdes de conséquences pour l’avenir. Certaines sont « clivantes », par exemple le nucléaire, avec certains scénarios qui comptent dessus, d’autres qui considèrent que l’on peut très bien s’en passer. Ou encore l’agriculture, certains scénarios tablant sur une agriculture entièrement biologique en 2050, avec des fermes plus petites et beaucoup plus d’emplois agricoles. Pourtant nous sommes peu nombreux à vouloir devenir paysans vu la difficulté du métier.
Une hypothèse est assez consensuelle, mais tout aussi lourde de conséquences, c’est l’abandon total ou quasi-total des énergies fossiles. Cela serait possible grâce à trois éléments. D’une part la « sobriété » : consommer moins d’énergie. D’autre part l’efficacité : réduire le gaspillage, et baisser la consommation pour un même usage. Enfin le développement des autres sources d’énergie : seulement les renouvelables pour certains, avec en plus le nucléaire pour d’autres, et avec des différences d’approche pour des énergies qui commencent juste à se développer comme le biogaz ou l’hydrogène.

Chacune des hypothèses mérite des analyses et réflexions fouillées, car elles impliquent de grands changements dans nos modes de vie, et peuvent structurer différemment le tissu productif et logistique de la société de demain. Malheureusement, ces réflexions sont totalement absentes du débat démocratique. Macron, sans aucun débat, décide de relancer un programme nucléaire qui coûtera des milliards d’euros que nous pourrions mettre ailleurs. Les voitures « thermiques » seront interdites à la vente en 2035, là encore sans aucun débat sur les alternatives pour la mobilité. Et de façon générale, s’il faut changer nos modes de production et de consommation, il s’agit bien de transformer la société. N’aurions-nous pas toutes et tous notre mot à dire sur un sujet aussi important ?

Liberté, Égalité… Sobriété

Si nous voulons éviter une catastrophe écologique brutale, un profond changement culturel doit advenir dans les prochaines années. Car à de nombreux niveaux, il s’agit de rompre avec des habitudes et des visions fortement ancrées dans nos structures sociales. Diviser par 3 notre consommation d’énergie (scénario Négawatt) remet en question les notions de croissance, de progrès technique continu et d’abondance matérielle. Pourtant l’économie, et souvent la socialisation des personnes, sont basés sur ces éléments. Notre mobilité sera aussi transformée, puisque nous n’aurons plus, ou beaucoup moins, accès à des voitures individuelles. Notre sociabilité va donc se resserrer autour de notre lieu de vie, limitant ainsi nos activités « à l’extérieur », ou les visites chez nos proches qui habitent loin. Bien sûr dans le même temps la vie locale sera redynamisée, mais sommes-nous prêt.e.s pour ces changements, surtout en milieu rural où nous utilisons autant la voiture ? Et comment nous y préparons-nous, pour que cela ne soit pas subi et source de frustrations ?
Et en fait, concrètement, qu’est-ce qui nous empêchera de faire ci ou de faire ça ? Qu’est-ce qui garantira que nous consommons de façon raisonnable ? Serons-nous obligés de limiter nos déplacements ou de recycler nos plastiques, avec ce que cela pose en terme de liberté individuelle ? Ou certains aspects seront-ils régulés par les prix de marché, par exemple l’accès à la mobilité avec des prix de carburant si élevés qu’il sera difficile de se déplacer ? Avec dans ce cas la question de la justice sociale, les pauvres étant plus touchés par ce type de mécanisme que les riches. Et comment limiter nos utilisations du numérique dont l’empreinte écologique augmente dangereusement, alors que nous sommes drogués à l’internet illimité et aux réseaux sociaux ?
Toutes ces questions sont bien des enjeux démocratiques majeurs, qui ne peuvent pas rester des scénarios techniques dans les mains des spécialistes. Car pour appliquer les changements nécessaires, nous devons les accepter et y contribuer activement, ce qui est plus facile quand nous les comprenons et participons à leur conception ! Si les changements sont imposés et subis, ils généreront des tensions sociales importantes nuisant à leur application, et débouchant sur une dérive autoritaire des institutions.

Une croissance verte, vraiment ?

Quand les scientifiques et les rapports internationaux parlent de changements de modes de production et de consommation, chacun.e peut l’interpréter selon ses idées politiques. Les défenseurs du capitalisme tablent ainsi sur la « croissance verte » et l’innovation, sans remettre en question les structures des pouvoirs économiques et politiques actuelles. Pourtant, cela fait maintenant des décennies que la sonnette d’alarme écologique a été tirée, mais les actions enclenchées en France et ailleurs ne permettent toujours pas de respecter les objectifs de l’accord de Paris. Et quand on voit l’ampleur des actions à mettre en œuvre selon les scénarios pour 2050, on peut douter que nous y arrivions vu le peu que nous avons fait jusqu’à présent.

Il faut dire qu’il y a une contradiction majeure entre le capitalisme et les besoins de notre époque. Le capitalisme se base sur la croissance et la concurrence. Une entreprise qui ne vend pas, ou moins que les autres, risque de disparaître. La publicité, l’obsolescence programmée, la réduction des coûts, sont donc intrinsèques au capitalisme, sous une forme ou une autre, malgré leurs effets néfastes aux niveaux écologique et social. Nous pourrons toujours tenter d’encadrer et réguler le capitalisme, cette tension entre la dynamique du système et les besoins de la société n’est pas vraiment constructive.
En plus, la concurrence du capitalisme s’exerce à tous les niveaux de la société : entre les entreprises, mais de plus en plus aussi entre les universités, les hôpitaux, et même entre les individus à l’école ou sur le marché du travail. Mais dans des moments de crise et de changement majeur avec beaucoup d’incertitude, la concurrence est-elle vraiment adaptée ? Ne risque-t-elle pas de dégénérer en violence, chacun.e tentant de se protéger face à ses « concurrent.e.s » ? Ne faudrait-il pas plutôt privilégier la coopération, se serrer les coudes, partager ce que l’on a ? L’immense élan de solidarité avec l’Ukraine fait chaud au cœur, et montre la spontanéité de ce sentiment. Pourquoi ne pas étendre ce genre d’attitude à l’ensemble de nos interactions, y compris avec les autres éléments de nos écosystèmes (animaux, végétaux, minéraux, etc.) ?
Alors, peut être nos changements de mode de vie passent-ils aussi par un changement d’organisation sociale, économique, politique ?… Il y a du pain sur la planche. On ne sera pas trop nombreux. [Joce]

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