L’expression du fascisme par la violence

La violence est l’une des expressions fondamentale du fascisme. Dès ses débuts, lors de la réunion de fondation des Fasci Italiani di Combattimento – « Faisceaux de Combats », présidée par Mussolini le 23 mars 1919 à Milan, l’apologie de la violence, le nationalisme et le militarisme figurent comme éléments principaux définissant la trajectoire politique de ce mouvement naissant. En effet, les fascistes s’organisent alors en squadre di assalto – « sections d’assaut », composées essentiellement d’anciens combattants de la guerre 14-18 ayant comme objectif de frapper leurs opposants politiques en attaquant leurs sièges et leurs lieux symboliques. Pour mener un raid, des dizaines et des dizaines de miliciens fascistes venant de toute une province et des provinces voisines, se rassemblent puis montent dans de longues colonnes de camions qui les conduisent jusqu’à un village ; ils en descendent armés de bâtons, de revolvers et de grenades et se déchaînent contre les dirigeants syndicaux et les représentants des ligues socialistes, où des organisations paysannes locales, en multipliant les coups et les intimidations1.

Le fascisme né au début du siècle dernier n’a cependant pas été éradiqué à l’issue de la seconde guerre mondiale lors de la victoire des « alliés » sur les régimes fascistes ou nazis, comme souvent on peut le laisser croire. Sans présenter la même ampleur que les mouvements de masses connus lors de l’entre-deux guerre, son idéologie et ses pratiques n’ont cessé de resurgir au cours du temps. La récente recrudescence de l’activité violente des groupes fascistes (dorénavant qualifiés d’« ultra-droite »), la banalisation dans le discours médiatique des propos racistes et xénophobes, et la montée au pouvoir des partis politiques d’extrême-droite sont autant de signaux préoccupants.

Rien que ces derniers mois en France, il serait difficile de recenser le nombre d’attaques effectuées par des groupuscules d’extrême-droite. Ce sont des élus de gauche, militants antiracistes ou écologistes, syndicalistes, minorités de genre ou personnes cataloguées comme « étrangères » qui sont les premières cibles. Rappelons à la volée l’incendie du domicile du maire de Saint-Brevin voulant accueillir un centre de demandeurs d’asile en juin dernier, l’attaque avec une bouteille explosive du centre LGBTI de Touraine au mois de mai, ou encore les descentes de « brigades anti-casseurs » armées et cagoulées venues réprimer les personnes sortant dans les rues cet été pour dénoncer la mort de Nahel et les violences policières dans des villes telles que Lyon, Chambéry, Angers ou Lorient2.

La nébuleuse d’« ultra-droite » compterait à ce jour plus d’un millier de membres actifs et violents, répartis dans une centaine de groupes implantés dans de nombreuses villes en France. Chaque année également, des attentats terroristes sont commis (ou déjoués) par des adorateurs du IIIème Reich, du Ku Klux Klan ou des nostalgiques de l’Algérie Française entraînés à manipuler les armes et les explosifs3. Le procès en début d’année de plusieurs membres des « Barjols » projetant divers attentats, dont celui du président Macron, et prônant la haine des étrangers, n’en est qu’un exemple.

Cette recrudescence peut notamment s’expliquer par l’éviction des groupuscules les plus radicaux par Marine Le Pen lors de son arrivée au pouvoir au sein du Front national (puis du Rassemblement national) afin de gagner la « respectabilité » nécessaire à sa conquête institutionnelle du pouvoir. Ces divers groupes ont ainsi pu regagné une autonomie qu’ils avaient perdu depuis le Front national de Jean-Marie Le Pen. Les oppositions réactionnaires lors des Manifs pour tous ont permis à certains d’entre eux de se rapprocher, notamment certaines des franges catholiques traditionalistes et des identitaires jusque-là opposées entre elles. Enfin, la campagne présidentielle d’Eric Zemmour de 2022 supportée par ces groupes radicaux, ainsi que le fait que la candidate d’extrême-droite puisse devenir gagnante, leur a donné un regain supplémentaire, ceux-ci entendant bien peser dans les débats en cas de victoire4.

Plus largement, le fascisme ne peut s’implanter que dans un terreau propice. C’est celui laissé par des décennies de casse sociale et de mécontentements généralisés engendrés par un capitalisme de de classe de plus en plus débridé, mais aussi autoritaire. La promulgation des états d’urgences, les intempestives lois sécuritaires votées ces dernières années, l’affaiblissement des contres-pouvoirs face à un régime présidentiel sans cesse plus autocrate, et l’augmentation des violences policières conduisent à un contexte politique où le basculement d’une démocratie vers un régime autoritaire devient envisageable. De plus, les groupuscules radicaux d’extrême-droite bénéficient de soutiens importants – notamment financiers, de la part d’une frange de la haute bourgeoisie, qui, comme dans les années 1920 en Italie, préfère s’accommoder de la montée en puissance du fascisme, plutôt que de voir une gauche forte prendre le pouvoir.

Aussi, l’emprise des médias privés, détenus notamment par l’empire Bolloré (Cnews, Valeurs actuelles, C8, le JDD…), et la forte diffusion des idées d’extrême-droite sur les réseaux sociaux, participent à la fois à une visibilité accrue et à une banalisation des thématiques racistes et xénophobes. Un imaginaire est ainsi créé et permet de définir ce qu’il devient acceptable de dire dans un média. Les mots revêtent alors toute leur importance et véhiculent des idéologies qui peuvent trouver leur consécration dans le champ politique. C’est ainsi que le « problème migratoire » apparu dans les années 1980 laisse aisément la place aujourd’hui à des concepts ouvertement racistes tels que celui du « grand remplacement », auquel nombres de groupuscules se réfèrent avant de passer à l’acte. C’est le cas aussi des expressions telles que le wokisme, l’islamo-gauchisme, l’écoterrorisme, ou le séparatisme qui préfigurent pendant un temps la stigmatisation d’un groupe défini, avant de servir de légitimation à une répression actée dans la sphère juridique et par la suite applicable à toute la population.

Dans le journal personnel qu’il tenait lors de l’avènement du IIIème Reich, Victor Klemperer a su analyser en quoi les mots de la propagande nazie et leur détournement dans la langue allemande se sont immiscés dans les esprits et ont imprégnés les comportements. La violence d’extrême-droite se nourri à la fois d’actes relevant d’une nature terroriste, destinés à intimider ses adversaires, mais aussi de l’assimilation de ses concepts par un plus grand nombre dans une optique de prise de pouvoir institutionnel et d’acceptation. A peine trois ans après la création des Faisceaux de combats italiens et le début de leurs exactions, des milliers de miliciens organisaient les 27 et 28 octobre 1922 la Marche sur Rome qui permit à Mussolini de placer le fascisme au plus haut sommet de l’État italien, et de former un nouveau gouvernement. Si le fascisme actuel n’est comparable ni dans son ampleur, ni dans sa représentation, de nombreux partis d’extrême-droite actuels prennent cependant le pouvoir ou s’ancrent de plus en plus solidement au sein des gouvernements européens, des instances de l’Union européenne, et dans d’autres pays du monde. Cette menace pour celles et ceux qui défendent l’égalité des droits dans une société diverse et plurielle ne peut qu’inciter chacun et chacune à s’opposer et à refuser la violence fasciste sous toutes ses formes. Rappelons-le, le fascisme n’est pas une opinion, mais un crime.

[Fred]

1 Voir « Italie 1919-1922 : La rapide montée du fascisme et la complicité des classes dirigeantes » – L’anticapitaliste – 29 avril 2021

2Voir « Révoltes après la mort de Nahel : la tentation milicienne de l’extrême droite » – Blast – 4 juil. 2023

3Voir « Ils se préparent à la « guerre civile » ou ciblent juifs et musulmans : la menace d’extrême droite qui monte » – Basta ! 21 oct. 2021

4Voir “Les groupuscules d’extrême droite veulent peser en cas de victoire de Marine Le Pen en 2027”, Erwan Lecoeur – RadioFrance – 7 juil. 2023

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