Histoires d’eaux et d’agriculture – luttes pour l’eau

L’eau, source de vie

Avant l’ère de la « modernité », les communautés indigènes, les peuples nomades, les chasseurs cueilleurs se sont toujours établis près d’une rivière ou près d’une source pour pouvoir vivre, ce qui se perpétue avec le monde paysan et l’installation des villages. L’eau disponible, bien commun, était partagée équitablement entre tou.tes.

En France, la modernité est arrivée en 1778 avec la compagnie des Eaux de Paris et les premières canalisations

Quelques premières modernisations font naître des résistances  :

> En Corse, en fin du XVIIIème siècle, une opposition s’organise contre les moulins « modernes », car ils nécessitaient un système mécanique pour moudre (ne pouvait plus être actionnées par la seule force humaine) et parce qu’ils portaient atteinte à la libre disposition de l’eau par les petits producteurs.

> En 1830 ont lieu des révoltes d’ouvriers agricoles contre les débuts de la mécanisation agricole, en particulier les batteuses, qui détruisait les emplois (comme cela se passe actuellement avec les robots), un mouvement comparable au luddisme dans les usines.1

Après la révolution de 1789, toute législation était soumise aux codes napoléoniens dont un des objectifs principaux était de déterminer les régimes de propriété, « la propriété est un droit de l’homme et qu’elle est absolue, inviolable et sacrée ». La notion de partage équitable de l’eau avait déjà bien disparu,

De nouvelles compagnies de distribution d’eau sont créées dans les grandes villes : en 1853 la Compagnie générale des eaux, en 1867 la Société lyonnaise des eaux.

8 avril 1898 : Première grande loi sur l’eau et création d’une “police des eaux” 2

> Il s’agit de réglementer les usages afin que

– le développement industriel soit compatible avec les impératifs de salubrité

– et que tous les agriculteurs puissent avoir accès à cette ressource.

> C’est pendant cette période de l’après-guerre, que se développe l’agriculture extensive (engagée avec le plan Marshall dont la France a été l’un des plus importants bénéficiaires avec la Grande Bretagne) avec la progression de l’agrobusiness et des technologies agricoles modernes (en 1965 on dénombre 1 200 000 tracteurs et 600 000 chevaux alors qu’au sortir de la guerre, on comptait 1 800 000 chevaux et 100 000 tracteurs).

La Loi d’orientation agricole de 1962 prévoit une agriculture qui doit s’intensifier, se spécialiser, se mécaniser, dopée par les progrès de la pétrochimie.3 Le remembrement agricole, conduit à la disparition de 835 000 kilomètres de talus et de haies alors que c’est ce qui permettait de retenir l’eau dans les champs.

On assiste à la fin des sociétés paysannes, l’émergence d’une agriculture de firme qui a transformé profondément les campagnes et qui a multiplié par 10 les besoins en eau pour sa production.

> Dès les années 50, se développe également le plan de construction de centrales nucléaires, pour l’indépendance énergétique de la France (De Gaulle).

Or, l’activité de production d’électricité nucléaire nécessite des quantités importantes d’eau : en effet, sur les 15 milliards de m³ prélevés annuellement, 800 000 m³ sont consommés, une grande partie s’évapore et le reste est rejeté dans les fleuves et rivières avec des températures la plupart du temps au-delà du seuil permettant de garder un bon équilibre écosystémique.

C’est en 1964 que s’écrit la loi fondamentale sur l’eau du système français : Le territoire français est divisé en six grands bassins hydrographiques, chacun comportant une structure consultative (les comités de bassin composés des représentants de l’État, des collectivités locales et des usagers de l’eau) et un organisme exécutif (les agences de l’eau). 4 Les six bassins : Artois Picardie, Seine Normandie, Rhin Meuse, Loire Bretagne, Adour Garonne, Rhône Méditerranée Corse. La compétence des Agences de l’eau est confiée au premier ministre en 1984.

S’ensuivent de nombreux décrets et circulaires sur les questions de pollution, préservant toujours l’agro-industrie. La question climatique n’est pas plus au centre des débats, et aucune réglementation quant à un partage équitable de l’eau n’est prévue.

Face à ce développement technologique et afin de s’assurer suffisamment de ressource en eau, les projets de grands barrages se multiplient, ce qui provoque d’importantes mobilisations en Franceet dans toute l’Europe

– en Norvège contre le barrage Alta dans le nord du pays, grâce au combat des communautés indigènes sames, dans les années 70,

– en Hongrie-Tchéquie contre un projet sur le Danube,

– en Espagne contre le projet de transfert de l’eau du fleuve Ebre vers la côte méditerranéenne,

– En France l’ambitieux projet , « dompter la Loire », comprend quatre grandes retenues et une centaine de kilomètres de digues (projets déposés en 1986),

Les mobilisations, occupations, manifestations, de 1989 à 1994 ont permis que cinq projets soient annulés, seule a été réalisée l’extension du barrage de Naussac5.

En 1992, la « loi sur l’eau » relance la politique de l’eau désormais reconnue comme « patrimoine commun de la Nation ». L’Union européenne s’inscrit dans cette dynamique en proposant une harmonisation de la gestion de l’eau dans les pays européens en adoptant en 2000 la directive-cadre sur l’eau (DCE).

Les SDAGE ( schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ) et SAGE (schémas d’aménagement et de gestion des eaux), nommés « parlements de l’eau » donnaient compétence aux collectivités locales et incluaient dans leur conseil d’administration des associations représentant les populations.

Ce pourrait être une véritable démocratie,

MAIS, ces différentes structures sont rapidement accaparées par les gros syndicats agricoles majoritaires (FNSEA et JA)6, la présence des associations n’étant que la façade démocratique sans aucun pouvoir de décision.

un petit rappel de ce qu’est la FNSEA :.

La FNSEA est un système tentaculaire qui a verrouillé tous les espaces de décision : elle a pris le pouvoir dans les chambres d’agriculture, dans les coopératives agricoles, dans les SAFER, la Mutualité sociale agricole, les banques (Crédit Agricole), également dans les comités de bassin, les agences de l’eau. Le gouvernement appuie ses décisions concernant la question agricole, prenant un unique avis sur ces instances.

Pour les grands travaux (barrages, bassines), la décision revient au préfet, soit à l’État, et c’est là les syndicats agricoles jouent leur véritable rôle de lobby auprès des gouvernements, quitte à les considérer comme faisant partie du gouvernement, plusieurs exemples en témoignent :

> en 2015, le gouvernement relance la politique des réservoirs pour l’irrigation, pour complaire à la FNSEA, et au mépris de la logique environnementale.7

> en 2021 « aucun gouvernement n’a suivi ou devancé avec une telle constance les desiderata du productivisme agricole »8

Le plan eau du gouvernement, présenté par E. Macron en mars 2023, une semaine avant la mobilisation à Sainte-Soline, n’annonce aucun véritable tournant, mais plutôt des investissements technologiques pour permettre de conserver le même modèle agricole à bout de souffle. En conséquence, les réalisations et projets de méga-bassines ne sont que la suite logique d’un accaparement de l’agriculture par les intérêts financiers des firmes multinationales. Pour maintenir leur niveau de croissance, les semenciers, les producteurs d’oléagineux et de grains pour le bétail nécessitent, outre un usage intensif de pesticides, de très importantes quantités d’eau.

Ces bassines participent à l’assèchement des cours d’eau et à la destruction de leurs éco-systèmes à cause des seuils fixés par la préfecture qui autorise leur remplissage même lorsque la nappe est extrêmement basse.9 L’évolution dramatique du dérèglement climatique ne modifie en rien leurs stratégies, alors qu’il serait urgent de poser et résoudre la question d’un partage équitable de l’eau entre tous les usages essentiels.

Il existe une autre agriculture que celle défendue par les gouvernements et la FNSEA

Ainsi que le demande la Confédération paysanne, la priorisation forte des usages de l’eau au sein de l’agriculture doit se faire vers l’abreuvement du bétail et les productions agricoles qui relocalisent l’alimentation et favorisent les emplois en agriculture, en particulier le maraîchage.

> Pour tout prélèvement d’eau existant ou à venir, le volume accordé doit être plafonné selon le nombre d’actifs sur la ferme et en fonction des productions. Les plafonds doivent être déterminés au niveau local et en fonction des conditions pédo-climatiques et hydro-géologiques du territoire et relativement à des pratiques qui favorisent d’abord les économies d’eau.

> Des financements pour le soutien et le développement de pratiques paysannes qui permettent de retenir l’eau dans les sols, de protéger et d’économiser la ressource en eau.

> Un rééquilibrage du financement du stockage d’eau vers la récupération des eaux de pluie des bâtiments et des stockages d’eau perméables au milieu et qui limitent leurs impacts sur la biodiversité et la ressource en eau.

> La fin des méga-bassines et de leur financement.
> Un équilibrage de la place des différentes parties prenantes dans les espaces de la gestion de l’eau, avec une place plus importante accordée aux citoyen·nes, aux structures qui défendent une agriculture qui protège la ressource et aux paysans et paysannes qui n’irriguent pas.10

[les loriots]

6 La FNSEA – Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – née en 1945, rapidement pilotée par des notables conservateurs s’organise en co-gestion avec le CNJA (centre national des jeunes agriculteurs), issu de la Jeunesse agricole catholique, socialement progressiste, mais séduite par les fermes modèles des Pays-Bas et des Etats-Unis. De fait, FNSEA et JA n’ont jamais défendu les intérêts de tous les agriculteurs et organise la disparition de nombreuses fermes agricoles en faveur du complexe agro-industriel. Voir : Reprendre la terre aux machines – L’Atelier paysan – Anthropocène, Seuil – 2021

9 Eau, l’état d’urgence p.25

10 La gestion quantitative de l’eau en agriculture, p. 71, Confédération Paysanne , 2023

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