Nos Cévennes comme “désert militaire”*

Oui, nos belles et paisibles Cévennes, nos Cévennes des valats, des gours et des Gardons capricieux, nos Cévennes aux vallées sombres, nos Cévennes aux bancels construits avec opiniâtreté, à la force des bras, au fil des siècles , nos Cévennes aux laborieuses fileuses de soie…Nos Cévennes de résistance…”Al sourel de la liberta”.

“Désert militaire”, il en faut du culot pour évoquer le “désert” aux descendants des Huguenots réduits à la clandestinité, persécutés après la Révocation de l’Edit de Nantes ! Ou bien une ignorance crasse, un mépris total du passé résistant des Cévenols et de sa spécificité. Et comme si cela ne suffisait pas, la formule accrédite l’idée que la puissance militaire se doit d’être présente partout, et qu’il est dès lors légitime, voire nécessaire d’investir les lieux “oubliés”.

Ainsi l’armée a jeté son dévolu sur Saint-Jean-du-Gard. Sous couvert de “maison de repos pour légionnaires fracassés” se cache un tout autre projet puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un déploiement explicitement destiné à des pratiques militaires en zone boisée et escarpée, une préparation dont la finalité est la guerre, soyons clairs.

Nous sommes consternés, atterrés, car comme tant d’autres, si nous nous sommes installés entre pentes et escaliers de pierre, dans ce petit concentré de Cévennes, si nous avons choisi de vivre ici, pestant parfois contre les sangliers qui ont saccagé le jardin, si nous nous sommes émerveillés à écouter la hulotte la nuit, tout près de la fenêtre, ou à surprendre le vol d’un merle à l’aube, c’est précisément parce que l’élément militaire y est absent.

Si nous avons posé nos valises à Saint-Jean-du-Gard, c’est parce que nous avons été séduits par l’ambiance bon enfant qui y régnait: les cafés, le marché, les rives du Gardon, les bois, le silence, sans oublier les fêtes… Nous avons été touchés par cette admirable tradition de solidarité toujours prégnante dans ce gros village, où jadis la vie fut rude, marquée par d’âpres luttes pour défendre sa liberté de conscience ! Et maintenant nous nous sentons trahis par cette atteinte portée à nos Cévennes qu’il faut considérer comme notre bien commun..”Al sourel de la liberta”.

Aujourd’hui, me voilà tentée d’établir un parallèle (tout relatif et prudent, bien sûr ) entre le débarquement de troupes royales au début du XVIIIe siècle et le déploiement de la Légion étrangère dans notre village. La légion s’impose dans nos vallées, s’infiltre dans nos forêts, et par son implantation menace de détruire l’image tranquille et harmonieuse des Cévennes, image si chère aux amoureux de randonnées, de paysages sauvages, de vues grandioses.

Au hasard des conversations, j’ai parfois entendu dire que nous étions envahis par les touristes. Peut-être… mais chacun sait que l’économie locale ne peut se passer du tourisme. Chacun peut comprendre aussi que le nouvel envahisseur lui, bien visible et en nombre, portera képi, fusil et treillis, et qu’il risque fort de faire fuir le précédent. Qui peut raisonnablement croire que l’installation de la légion va apporter “un surcroît de tourisme”*? De qui se moque-t-on ?

La légion, c’est ni ici ni ailleurs. Nous refusons le bruit des bottes, les tirs d’artillerie, les régiments marchant au pas, le son du clairon qui viendrait troubler le chant des oiseaux. Nous ne voulons pas au détour d’un sentier tomber nez-à-nez avec la soldatesque en exercice. Nous ne voulons pas être complices des entraînements dégradants qui visent à réduire l’individu, à le soumettre, à l’endurcir pour lui permettre de supporter l ‘horreur.

Alors qu’une guerre dévastatrice fait rage à nos portes, que la course aux armements s’amplifie en Europe et ailleurs sur la planète, nous faudra-t-il subir le lamentable spectacle de la glorification du combat et des armes meurtrières ? Devrons-nous voir sous nos yeux, défiler, fleur au fusil, des jeunes malchanceux formatés pour tuer leurs frères, et voués à mourir aux premières lignes dans des conflits sanglants initiés et entretenus par les grandes puissances de ce monde ? Faudra-t-il applaudir ? Ou bien pleurer ? “Al sourel de la liberta”.

[Edwige]

*”C’est d’ailleurs au cours de cette présentation qu’on a parlé de l’achat d’une ferme sur la commune de Saint-Jean-du-Gard, actuel désert militaire et terrain très adapté pour le combat par le 2ième REI”. Colonel Geoffroy Desprées du Loù. Objectif Gard. 8 mars 2022.

*Le même: Objectif Gard. 4 avril 2022.

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