Ukraine : Quid des négociations ?

Le 24 février, les troupes russes envahirent l’Ukraine. Choc… sidération! L’inconcevable est arrivé. Une agression dont on saisit instantanément et instinctivement la portée : Elle peut entraîner une guerre globale et devenir nucléaire.

L’invasion de l’armée russe dont on n’évalue pas encore l’ampleur de la destruction a été largement condamnée dans le monde. Elle représente une grave violation du droit international. En représailles, des mesures drastiques d’ordre économique et financier mais également militaire ont été déployées par l’Occident dont on ne connaît pas encore les effets à moyen et long terme pour la Russie mais également pour l’Europe et les pays du Sud.

Est ce qu’une guerre, si terrible soit-elle, nous exempte de la nécessité d’en rechercher les causes et surtout de se demander comment la stopper le plus rapidement possible ? Comprendre ne signifie pas justifier. L’émotion que suscite le sort des victimes en Ukraine est immense et compréhensible mais ne doit pas nous voiler le regard face à l’engrenage déjà ancien qui risque aujourd’hui de nous mener vers une guerre globale. Il est encore temps de pousser les protagonistes à sortir de l’escalade et à emprunter la voie des négociations.

Pourquoi les dirigeants russes ont-ils décidé d’envahir l’Ukraine ? Malgré les dizaines de milliers de soldats stationnés aux frontières, malgré les attaques incessantes de l’armée ukrainienne dans le Donbass sécessionniste considérées par la direction russe comme des provocations inacceptables, personne n’a cru qu’une telle agression allait être lancée. Pourtant on savait qu’elle observait avec grande inquiétude depuis les années 2000 l’intégration progressive à l’OTAN des pays de l’ex-pacte de Varsovie et des anciennes Républiques de l’Union soviétique et ce malgré les garanties – orales – de non-expansion formulées par les responsables occidentaux au moment de sa chute. Cette évolution lui fait craindre qu’avec une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’alliance atlantique, les troupes américaines soient présentes directement à ses frontières. C’est la raison pour laquelle elle exige de plus en plus expressément des « garanties de sécurité » et préconise la neutralité de son voisin ukrainien.

L’Ukraine qui faisait partie intégrante de l’URSS a acquis son indépendance en 1991. Pendant des années elle a su conserver un équilibre entre forces pro-occidentales et pro-russes et une intégration à l’OTAN n’était pas à l’ordre du jour. Avec « la révolution du Maïdan » en 2014, fortement soutenue par les occidentaux, s’impose un régime nationaliste qui veut en découdre avec l’influence russe. Cette nouvelle donne provoque de vives protestations dans de nombreuses régions, notamment la sécession de la Crimée qui lors d’un référendum décide son rattachement à la Russie. Dans le Donbass, dont une partie est russophone, l’armée ukrainienne mène une guerre qui dure à ce jour et a causé la mort d’environ 14 000 civils. Les régions sécessionnistes sont quant à elles soutenues par la Russie. Les accords de Minsk de 2015 qui devaient permettre un règlement de ce conflit n’ont jamais été respectés par les dirigeants de Kiev qui vont jusqu’à signer le 10 novembre 2021 une Charte américano-ukrainienne de partenariat stratégique. Cet accord entérine l’alliance militaire offensive des deux pays et l’objectif d’adhésion à l’OTAN, déjà inscrit dans la constitution ukrainienne depuis 2019. Cet enchaînement d’événements explique-t-il la décision d’envahir l’Ukraine ? Certainement mais il ne la justifie pas, et les victimes premières de cette offensive sont des civils.

De nombreux politiques et analystes1 parmi lesquels Henry Kissinger, qui ne peut être soupçonné de sympathie avec le régime russe, avertissent qu’un tel déploiement étatsunien remet en question un équilibre précaire. L’ancien secrétaire d’État américain de 1973 à 1977 écrivait en mars 2014: « si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste d’une des parties contre l’autre – elle doit fonctionner comme un pont entre elles. (…) Poutine devrait se rendre compte que, quels que soient ses griefs, une politique d’imposition militaire entraînerait une nouvelle guerre froide. Pour leur part, les États-Unis doivent éviter de traiter la Russie comme [un Etat] anormal auquel il faut apprendre patiemment les règles de conduite établies par Washington2. » Kissinger conseille que l’Ukraine ne devrait pas intégrer à l’OTAN mais adopter une position de neutralité comparable à celle de la Finlande.

Sans surprise, cette analyse ne s’est pas imposée et rien n’a été entrepris pour freiner les provocations des responsables ukrainiens notamment dans le Donbass. Au contraire, l’attitude belliciste des Etats-Unis a exacerbé le conflit entre les deux Etats. Après des années d’appels et de mises en garde, les décideurs du Kremlin ont fini par opté pour une action militaire et personne ne sait jusqu’où ils peuvent aller. L’armée russe encerclent des villes, les bombardements sont réguliers depuis près de trois semaines, tandis que l’armée et les milices ukrainiens ripostent. Conséquences de cette guerre : Des centaines de civils meurent, des milliers sont blessés et des millions fuient leurs domiciles.

Comment réagissent les Etats occidentaux, en particulier ceux membres de l’OTAN ? Ils décident au lendemain de l’invasion d’armer et de financer davantage l’armée ukrainienne et de lui transmettre des informations militaires. Mais surtout ils imposent à la Russie des sanctions jusque là inédites alors qu’il est connu qu’elles n’ont jamais fait infléchir les gouvernants concernés. Celles-ci s’étendent non seulement à l’économie, la finance mais également au sport, à l’art etc. quitte à ce que les propres intérêts des Européens en soient gravement et durablement affectés. Les Etats-Unis ont décidé un embargo sur le pétrole russe qui les touche peu mais leur permet de faire pression sur l’Europe qui en dépend fortement. Il est à craindre que les retombées des sanctions auront des répercussions dans le monde entier. Déjà les prix des matières premières explosent et celui du blé entraînera forcément des famines.

N’est-il pas temps de mener des négociations ? Ne faut il pas trouver un moyen de rompre cette logique de guerre en prenant en compte les intérêts des deux parties ? Plusieurs Etats (Turquie, Chine…) ont d’ores et déjà proposé leur médiation. Alors, il est vrai que les dirigeants russes maintiennent leurs exigences tout en continuant leur avancée militaire. Mais ils acceptent tout de même d’échanger et participent à des rencontres avec des responsables ukrainiens qui, si elles n’ont pas encore abouti à des résultats concrets, ont le mérite d’avoir lieu. Par contre l’action des Européens est équivoque et peu constructive dans la mesure où les entretiens des hommes d’Etat (notamment Macron et Scholz) avec Vladimir Poutine semblent avoir pour unique objectif de le contraindre à revenir sur sa position sans proposition de sortie. Quant aux responsables étatsuniens, ils campent dans un rapport de force destructeur entraînant les Européens dans leur sillage. Pourtant s’ils décidaient que des négociations étaient nécessaires immédiatement une avancée notable s’ensuivrait. L’heure est grave et nous sommes tous et toutes concernés. Un véritable mouvement pour la paix ne peut soutenir une partie du conflit mais doit exiger que tous les protagonistes s’installent autour d’une table de négociations. [Tissa]

1Noam Chomsky présente dans une interview du 4 mars 2022 les avis de divers spécialistes de la Russie  : https://www.revue-ballast.fr/ukraine-le-regard-de-noam-chomsky/

2Henry A. Kissinger, Henry Kissinger: To settle the Ukraine crisis, start at the end, 5 mars 2014, https://www.washingtonpost.com/opinions/henry-kissinger-to-settle-the-ukraine-crisis-start-at-the-end/2014/03/05/46dad868-a496-11e3-8466-d34c451760b9_story.html

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