La violence en question

Une violence peut-elle en cacher une autre ? Le récent déferlement médiatique orchestré autour de la mobilisation contre la méga-bassine de Sainte-Soline et des affrontements qui ont eu lieu entre manifestants et forces de l’ordre pourraient le laisser croire. De l’interdiction préfectorale préalable de la manifestation, du déploiement d’un dispositif policier inédit, de l’usage d’une phraséologie stigmatisante (« casseurs venus tuer du flic », « écoterroristes », « ultra-gauche »), à la tentative de dissolution de l’un des collectifs organisateurs, ou encore des menaces proférées par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de la Ligue des Droits de l’homme, aucun détail n’a été laissé au hasard afin de discréditer le mouvement d’opposition au projet en le qualifiant de « violent ».

Pour autant, peut-on réellement croire que ce sont les quelques centaines d’« éléments radicaux » surveillés par les renseignements généraux que le gouvernement redoutait tant ? Ceux qui auraient pu s’en prendre à un trou creusé dans la terre défendu par 3200 gendarmes armés ? Ou pourrait-on y voir là plus largement une subtile méthode de retournement des valeurs permettant d’occulter des questions bien plus fondamentales telles la remise en cause d’un système productiviste souhaitant maintenir à tout prix son hégémonie ? Celui là même qui piétine nos derniers acquis sociaux et dévaste chaque jour un peu plus l’environnement ?

Il est ainsi vertigineux de voir à quel point le bris d’une vitrine de permanence électorale ou un jet de peinture sur la devanture d’une banque peuvent si aisément prendre le dessus sur les violences structurelles que nous sommes des millions à subir chaque jour. Comme si les souffrances au travail, la précarité, l’exclusion, le racisme, le patriarcat, la compétitivité, la destruction du vivant n’étaient pas des violences suffisamment graves pour être combattues et dénoncées amplement. Comme si le nombre de personnes mourant chaque année faute de logement, à cause de maladies professionnelles ou pour avoir voulu traverser la méditerranée n’étaient pas le reflet d’une société profondément violente. Comme si le monopole de la violence, assumé par l’État, lui permettait d’éborgner, de mutiler, d’emprisonner, ou de tuer, en toute impunité.

Étrangement, lorsque le maire de Saint-Brévin démissionne de ses fonctions après plusieurs menaces de morts et l’incendie d’une partie de son domicile pour avoir voulu accueillir des exilés dans sa commune, le gouvernement en place n’a pas crié au terrorisme ni tenté de dissoudre quelque groupe d’extrême-droite prônant la haine des étrangers. Quand le vice-président du conseil départemental de Mayotte déclare « qu’il faudrait peut-être en tuer quelques uns » en faisant référence aux immigrés comoriens, celui-ci ne s’est pas non plus insurgé contre l’« ultra-droite radicale » infiltrée au sein de l’instance publique.

Derrière le discours dominant sur la violence disparaît le fait qu’une minorité au pouvoir défend ses intérêts et privilèges. Cette instrumentalisation pernicieuse rempli à merveille la fonction d’absorber toute remise en cause des inégalités et met dangereusement sur le même plan tout type d’actes violents en les vidant de leur sens. Questionner la violence, ce qu’elle signifie, et comment elle est créée, devient alors un premier pas pour lutter contre.

[Fred]

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