A la marge de la marge

La récente médiatisation de la mobilisation contre l’implantation d’une nouvelle « méga-bassine » à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres le 29 octobre dernier montre une fois encore la volonté étatique de criminalisation des luttes politiques. Derrière la sensationnelle qualification d’« écoterroriste » utilisée par le ministre de l’Intérieur pour désigner une partie des opposants au projet, c’est bien une stratégie de longue date qui est mise en œuvre pour tenter de briser tout mouvement contestataire prenant de l’ampleur.

L’idée n’est pas nouvelle en effet : désigner parmi les opposants une « minorité violente » censée s’être immiscée « en marge » d’une mobilisation, et justifier ainsi de mesures de répression qui toucheront l’ensemble du mouvement, est une technique largement éprouvée. Des Gilets jaunes aux Zadistes, en passant par les écologistes, les sans-papiers, les féministes ou les lycéens, les qualificatifs ne manquent pas pour disqualifier celles et ceux qu’il faut punir en les assimilants à des « casseurs », des « délinquants », des « terroristes »…

Pourtant, la répression n’épargne personne, et il n’y a pas, comme voudrait nous le faire croire schématiquement l’État, de « bons » ou de « mauvais » manifestants, de « bonnes » ou de « mauvaises » méthodes, pour s’opposer à un projet dévastateur ou une loi antisociale. Cette catégorisation présente évidemment des avantages certains pour le pouvoir en place : elle permet d’invisibiliser le caractère politique des actions menées et de nier que ce sont pour leurs idées que des militantes ou militants sont arrêtés, inculpés ou jugés1. Les chefs d’inculpation utilisés n’y trompent pas : « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations » (un an de prison), « participation à une manifestation en étant porteur d’une arme », y compris par destination – c’est-à-dire n’importe quel objet utilisé comme projectile – (trois ans de prison et 45 000 euros d’amende), « participation à un attroupement » dans certaines circonstances (après sommations, en étant porteur d’une arme ou en dissimulant son visage)…

Dans le cadre de la manifestation du 29 octobre à Sainte-Soline, qui fut interdite au préalable par le préfet du département, cinq personnes furent interpellées et ont été jugées par le tribunal correctionnel de Niort ce lundi 28 novembre. L’un de leurs avocats rapporte : « Il y avait des instructions qui avaient été données non seulement au préfet de réprimer sévèrement toute cette manifestation, et ensuite il avait aussi donné instruction au procureur, dès lors qu’il y avait des interpellations, d’envoyer directement ces personnes en comparution immédiate. Et donc là, on a effectivement cinq personnes pour le simple fait d’avoir participé à cette manifestation2 ». Les dispositifs de répression sont élaborés bien en amont des mobilisations et permettent de prévenir toute contestation politique en définissant au préalable le curseur des actions qu’il sera possible de mener ou pas, et donc le « niveau » de répression qui sera privilégié.

Cet acharnement judiciaire est également présent dans bien d’autres luttes. C’est le cas de celle contre l’enfouissement de déchets radioactifs à Bure où de multiples perquisitions ont été menées, une cellule spéciale de gendarmerie a été créée, 16 000 heures d’écoutes réalisées et un million d’euros de procédure mobilisé. Et là encore, les opposants sont criminalisés : les sept d’entre elles/eux qui ont comparu en septembre 2021 devant la cour de première instance de Bar-le-Duc le furent au titre d’« association de malfaiteurs »3, chef d’inculpation habituellement utilisé dans le cadre de la répression du grand banditisme ou du terrorisme dit « islamiste ».

Mais le gouvernement ne s’arrête pas là. Quelques jours seulement après la manifestation dans les Deux-Sèvres, une circulaire « d’exception », signée par le garde des sceaux Dupond-Moretti, a été adressée aux procureurs de France pour les enjoindre à punir de manière expéditive et exemplaire toutes les personnes qui s’en prendrait à des « projets d’aménagements du territoire »4. Le projet de loi Lopmi (Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) en cours d’élaboration prévoit quant à lui toute une batterie de mesures liberticides avec notamment la généralisation des « amendes forfaitaires délictuelles ». Créées en 2016, ces amendes permettent aux forces de l’ordre de prononcer une sanction pénale en-dehors de tout procès en administrant directement et arbitrairement la sanction, sans juge, sans débat, sans possibilité de se défendre. Ces « amendes délictuelles » très lourdes visent les cas de blocages de routes, les entraves à la circulation, où les occupations de lieux d’études (lycées, facs).

Face à la répression croissante et à venir des mouvements sociaux ou écologistes, il importe de casser les processus d’isolement et de marginalisation mis en place afin de diviser nos luttes. Des actions de solidarité et des méthodes de défenses collectives permettent de réaffirmer le caractère politique des causes qui sont défendues pour le bien commun de chacun, non celui d’une minorité s’accaparant le pouvoir et les richesses à la marge de tous les autres. [Fred]

1Voir notamment Vanessa Codaccioni « Répression, L’État face aux constations politiques », Editions Textuel – 2019

2Yannick Falt « Méga-bassines de Sainte-Soline : « Il y a une intention politique de punir ce mouvement », dénonce l’avocat de manifestants jugés à Niort, Franceinfo, 28 novembre 2022

3Deux d’entre furent condamnés en première instance à 12 et 9 mois fermes. Le procès en appel débute le 28 novembre 2022 pour trois jours à la cour d’appel de Nancy.

4Amélie Poinssot et Camille Polloni, « Mobilisation contre les mégabassines, les instructions répressives du garde des Sceaux », Médiapart 15 novembre 2022

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