Sobriété – Décroissance – Quel avenir ?

Le mouvement pour la décroissance, initié dans les années 1960 et largement décrié pendant longtemps, revient sur le devant de la scène face à la surexploitation des ressources et à l’augmentation incessante du coût de la vie, que ce soit celle de l’énergie ou de l’alimentation.

Les recommandations de sobriété du président Macron, des mesurettes pour valider la bonne conscience écologique, nous laissent songeurs tant elles sont éloignées de la réalité de vie de nombreuses personnes. « la sobriété sans égalité, c’est l’austérité pour les plus pauvres » dénonce Maxime Combes1.

Une des raisons principales qui a donné mauvaise presse au mouvement de la décroissance est son nom : décroissance, car celle-ci est assimilée à un refus de la croissance, du progrès, des bienfaits du monde moderne, c’est à dire ce sur quoi se base l’économie des puissants, capitalistes néo-libéraux. Ils nous gouvernent depuis de nombreuses décennies et ne peuvent laisser dire que leurs projets sont néfastes. Décroissance n’est pas récession, mais « aller vers une économie stationnaire en relation harmonieuse avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées » affirme Timothée Parrique2.

  

Examinons d’un peu plus près ce qu’est la croissance, celle que vénèrent nos responsables politiques. C’est l’augmentation « nécessaire » de la valeur économique produite annuellement par un pays. Cette valeur économique est calculée grâce à l’indicateur PIB, produit intérieur brut. Le PIB prétend mesurer la valeur des activités du pays, mais ceci n’est pas vraiment juste, de quelle valeur parle-t-on ? En effet, le PIB :

> exclut les activités bénévoles,

> sous-estime les activités de la sphère publique,

> comptabilise les activités néfastes en positif,

> ne prend pas en compte les processus naturels.

De quel progrès parle-t-on ? Du saccage du vivant ? Des dérèglements climatiques ? Des fermetures des services publics ?

Quid de la qualité de vie ? de l’emploi ? des inégalités ? de la pauvreté ?

De tels autres indicateurs n’intéressent pas les tenants d’un « système qui place la sphère économique comme outil de domination, attribuant un statut d’objet aux dominés » note Alessandro Pignocchi3. Les valeurs sociales, de bien-être, sont réduites à leur seule valeur marchande.

La décroissance s’inscrit, à l’inverse, comme le développement de la société dans un « esprit de justice sociale et de souci du bien-être »4 des vivants, humains et non humains.

Il y a plusieurs chemins pour y parvenir, à commencer par celui de déconstruire le mythe de la croissance, ce mythe inculqué pendant des décennies : la croissance apporte l’abondance…, un confort de vie technologisé et désormais numérisé…, elle nous encourage à suivre les bons conseils de consommation grâce à la publicité…, elle éradiquera la pauvreté…, permettra le plein emploi…, et plus récemment la croissance verte respectera l’environnement…

Tous ces arguments sont faux, l’actualité nous le démontre chaque jour.

Décroître, c’est « Déserter le capitalisme sans attendre les politiques », nous dit clairement Timothée Parrique. Vu l’urgence qui se joue, la résolution des catastrophes ne peut attendre le temps du politique. Quel qu’en soit le gouvernement, notre pays ne peut pas, à ce jour, prendre des décisions fortes seul : il est en effet lié par une quantité d’accords, tant avec l’Union européenne pour la politique agricole commune par exemple, qu’au niveau international à l’Organisation mondiale du commerce par les nombreux accords de libre-échange signés en tant que pays membre de l’UE.

Les diverses négociations dans ces cénacles ne doivent pas pour autant être abandonnées, mais elles sont et seront toujours insuffisantes. Prenons l’exemple des négociations COP : celles-ci sont incapables de s’opposer à la croissance économique et financière mondialisée débridée, principale cause du dérèglement climatique. Pourtant tout le monde s’accorde pour affirmer qu’il est urgent de prendre des mesures pour réduire et même arrêter de produire des énergies fossiles, principales responsables de la catastrophe climatique. Mais comme aucun débat n’a eu lieu sur cette question dans les COP (excepté la COP 26 à Glasgow), « la seule issue est de reterritorialiser la question climatique. Chaque gouvernement, région et ville doit s’atteler à implanter des politiques climatiques … largement débattues et socialement justes … la sobriété ne peut plus être considérée comme liberticide et punitive »5. La seule issue pour ne plus dépendre de la croissance, c’est de reterritorialiser la politique par une sobriété choisie au service du vivant.

Toutes ces raisons nous amènent à penser qu’il est indispensable d’organiser dès maintenant les luttes localement pour une autonomie territoriale. Se réapproprier les moyens de production6 énergétique et alimentaire avec sobriété et égalité est à ce niveau encore possible. Les territoires en lutte le démontrent. [Jacqueline]

1In Nature et Progrès n° 140 – Maxime Combes – la sobriété sans égalité, c’est l’austérité pour les plus pauvres

2Timothée Parrique – Ralentir ou Périr -Le Seuil – 2022

3Philippe Descola – Alessandro Pignocchi -Ethnologie des mondes à venir – Le Seuil – Anthropocène – 2022

4Timothée Parrique – Ralentir ou Périr – Le Seuil – 2022

5https://tinyurl.com/27wayf7j

6Bertrand Louart – Réappropriation, jalons pour sortir de l’impasse industrielle” (La Lenteur, 2022)

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