Parlons de l’apartheid israélien

Le 18 mai 2021 une grève générale en Israël, en Cisjordanie et Gaza a montré au monde l’unité des Palestiniens, et ce pour la première fois depuis des décennies. Les forces de répression israéliennes ont été particulièrement féroces parce que quoi de plus menaçant qu’une jonction entre populations que le pouvoir israélien a toujours voulu séparer les unes des autres ? Le système de discrimination ethnique mis en place par le pouvoir israélien distingue les Israéliens des Palestiniens mais instaure également une fragmentation entre Palestiniens avec des régimes juridiques distincts. Il ne peut se maintenir que par la force et le soutien complice d’États peu soucieux du droit. Pour qualifier cette politique d’Israël la notion d’apartheid s’impose de plus en plus.

La Nakba continue

Entre 1947 et 1949, les milices sionistes puis l’armée israélienne ont conquis la Palestine. La Nakba (la catastrophe) a jeté près de 800 000 Palestiniens (les deux tiers de la population) sur les routes. Des villages entiers sont anéantis, des villes vidées, des populations massacrées, un véritable nettoyage ethnique se poursuit. Les populations chassées du territoire qui deviendra Israël cherchent refuge dans les pays voisins mais également en Cisjordanie et à Gaza (et ailleurs dans le monde). Des centaines de milliers s’entassent depuis dans des camps insalubres, dépendant de l’aide internationale qui s’amenuise d’année en année.

La Cisjordanie avec Jérusalem-Est et Gaza, occupés par Israël, représentent aujourd’hui près de 15 % de la Palestine historique qui devaient selon les accords d’Oslo de 1993 constituer le futur État palestinien. Les autorités israéliennes avec leurs bras armés et civils, les colons, font tout pour l’empêcher d’exister et continuent d’annexer les terres. L’autorité palestinienne quant à elle est pratiquement dépouillée de toutes les compétences dont dispose un État : les lois militaires israéliennes régissent tous les aspects de la vie des Palestiniens.

La ségrégation géographique

Les Palestiniens sont séparés en cinq entités géographiques distinctes (Israël, Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza et la diaspora). La Cisjordanie sans Jérusalem est entourée à partir de 2002 d’une clôture de séparation annexant au passage 10 % de plus de la Cisjordanie. Celle-ci est coupée en trois zones aux statuts différents (accords d’Oslo), entourées ou traversées de colonies rattachées à Israël par un réseau routier interdit aux Palestiniens. Ces derniers ne peuvent pas circuler librement sur leur territoire et sont contraints de passer par des centaines de check-points militaires et à faire de longs détours. Pour accéder à leurs terres agricoles situées derrière la clôture de séparation ainsi qu’à Jérusalem-Est, il leur faut des autorisations spéciales. Pour les Israéliens par contre, la colonisation a créé une continuité géographique qui leur permet d’atteindre chaque parcelle de la Cisjordanie.

En Israël, la majeure partie des Palestiniens est quasi consignée dans 139 villes et villages densément peuplés subissant des discriminations en matière d’aménagement du territoire, de services notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, des transports. La bande de Gaza est bouclée sans aucun contact avec le reste de la Palestine depuis plus de 15 ans.

Atteindre l’hégémonie démographique

Les méthodes sont restées les mêmes depuis 80 ans : annexion, colonisation, bombardements, exécutions sommaires, arrestations de masse, démolition de maisons et des cultures, accaparement de terres et de l’eau, discrimination administrative, juridique et politique, privation de droits et fragmentation géographique. Avant la création d’Israël en 1948, les Palestiniens représentaient 70 % et les Juifs, pour la plupart récemment immigrés, 30 % de la population. Les premiers possédaient 90 % des terres et les seconds 6,5 %. Aujourd’hui, en Israël, la population palestinienne ne représente que 20 % des 9,5 millions d’habitants.

L’objectif démographique n’étant pas encore atteint, les juifs du monde entier sont invités à s’établir dans la région tandis que des colonies sont implantées dans les quartiers palestiniens de Jérusalem, les familles spoliées et chassées, et des terres usurpées en Cisjordanie. Près de 700 000 colons israéliens se sont illégalement installés en Cisjordanie dont près de 220 000 à Jérusalem-Est et leur nombre augmente chaque jour. Les Palestiniens ne sont plus qu’environ 320 000 à Jérusalem et les responsables israéliens ne dissimulent pas leur intention de les priver de leurs droits socio-économiques dans le but de les chasser de la ville. Dans le reste de la Cisjordanie, la population palestinienne dépasse les 3 millions et les 2 millions à Gaza. Quant aux réfugiés hors des frontières, ils compteraient plus de 5 millions de personnes mais sont interdits de rentrer chez eux alors que leur droit au retour est consacré par la résolution 194 de l’ONU.

La ségrégation par le droit

Le système d’oppression et de domination à l’œuvre depuis la création d’Israël s’est vu réaffirmé par la loi sur l’État-nation de 2018, qui consacre la suprématie des juifs et justifie toute discrimination juridique et administrative. Ainsi, l’État d’Israël est défini comme «  l’État-nation du peuple juif » tandis que le droit à l’autodétermination n’est réservé qu’« au peuple juif ». La loi définit également Jérusalem comme « capitale complète et unie » d’Israël en violation avec le droit international et confère à la langue arabe, jusque là langue d’État, au même titre que l’hébreu, un « statut spécial » indéfini. La colonisation est justifiée puisque « l’État considère le développement de l’implantation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ».

Les Palestiniens d’Israël sont citoyens israéliens mais ne bénéficient pas de la nationalité ce qui les distingue juridiquement des juifs et les prive de nombreux droits et prestations. Ceux de Jérusalem-Est illégalement annexée ne sont pas citoyens israéliens mais régis comme ceux d’Israël par le droit civil israélien. Par contre ne bénéficient d’un statut précaire de résidence permanent que les Jérusalémites enregistrés en 1967 et leurs descendants et seulement à condition que la ville soit leur « principal lieu de vie » et qu’ils y soient nés. Les autres Palestiniens sous occupation ne peuvent s’y établir et même son accès leur est très souvent interdit. La « fermeture de Jérusalem » est imposée à coups d’ordres militaires, de cartes magnétiques, d’autorisation d’entrer, de check-points et du mur.

Les Palestiniens de Cisjordanie (sans Jérusalem) vivent une fragmentation en trois zones sous régime militaire israélien strict1. Plus de 1800 ordonnances militaires organisent leur vie : le statut administratif, l’état civil, les déplacements, l’accès aux terres et autres ressources, les moyens de subsistance, le commerce, les banques, etc. Ils n’ont aucune citoyenneté et sont considérés comme apatrides. S’ajoute à cela que depuis 2002 le regroupement familial avec des Palestiniens d’Israël ou Jérusalem est interdit.

Le système judiciaire est militaire. Plus de 800 000 personnes ont été arrêtées depuis 1967 en Cisjordanie et Gaza pour la plupart condamné par cette juridiction. Il faut en particulier relever la pratique des arrestations arbitraires, y compris d’enfants, de la torture et de la détention administrative arbitraire.

La bande de Gaza d’une superficie de 360 km 2 est une véritable prison pour plus de 2 millions d’habitants. Sous contrôle total israélien, elle subit un blocus aérien, maritime et terrestre illégal depuis plus de15 ans tout en faisant régulièrement l’objet de bombardements meurtriers qui détruisent toute l’infrastructure civile : maisons, hôpitaux, écoles, réseaux électrique et d’assainissement, stations d’épuration. Israël a également unilatéralement modifié la démarcation de la zone côtière maritime de Gaza afin de s’accaparer des gisements gaziers. L’effondrement économique a entraîné une dépendance à l’aide internationale pour 80 % de la population… qui ne peut s’en échapper.

Ces fragmentations territoriales, les restrictions de circulation, et la violation systématique des droits socio-économiques ont de graves répercussions sur l’économie des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza mais également en Israël. La dépendance à Israël est totale dans tous les cas.

Une campagne contre l’apartheid israélien

Amnesty International dans son rapport l’apartheid israélien envers le peuple palestinien constate :

« L’ensemble du régime de lois, politiques et pratiques décrites (…) démontre qu’Israël a instauré et perpétué un régime institutionnalisé d’oppression et de domination contre la population palestinienne, mis en œuvre au profit de la population juive israélienne – un système d’apartheid – sur tous les territoires où le pays exerce un contrôle sur la vie des Palestinien.ne.s depuis 1948. »

De plus en plus de voix s’élèvent, parmi lesquelles des israéliennes, pour alerter sur cette situation. Une campagne internationale est lancée pour la reconnaissance du crime d’apartheid et pour imposer des sanctions à Israël. En France, une « proposition de résolution condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a été déposée à l’assemblée nationale en juillet 2022. Elle doit être débattue au printemps 2023 au Parlement. Une occasion de lancer plus largement le débat sur l’apartheid et renforcer la campagne menée dans de plus en plus de pays par le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) et les organisations de soutien au peuple palestinien. [Tissa]

1 La zone A qui comprend les 7 grandes villes, théoriquement sous contrôle palestinien (sécurité et administration), B les autres localités, sous contrôle mixte et C sous contrôle total israélien.

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