Reprendre la Terre aux machines

L’Atelier Paysan est une coopérative qui conçoit et fabrique du matériel agricole dans une logique d’autonomie par l’entraide, et de rupture avec l’agriculture « industrielle ». Les machines sont conçues par des paysan.ne.s, construites lors d’ateliers collectifs, et sont faites pour s’adapter aux besoins spécifiques de chaque ferme et pour être réparées facilement. Pendant le confinement du printemps 2020, leurs activités étant mises en suspens, une poignée de membres en a profité pour écrire un « manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire » intitulé Reprendre la Terre aux machines (collection Anthropocène – Seuil). Merci le confinement, car ce livre est un bijou ! Concis mais complet, facile à lire, il éclaire l’évolution historique de l’agriculture, les (des)équilibres actuels, et les pistes de transformation.

Les « alternatives » ne suffisent pas

L’agriculture et l’alimentation « modernes » ont une responsabilité importante dans la dégradation des écosystèmes et de notre santé. Emissions de gaz à effet de serre, dégradation des sols et de la biodiversité, pollution des eaux, tout cela pour fournir de la nourriture ultra-transformée, trop grasse, sucrée ou salée, provocant diabètes, obésité ou cancers. Et parallèlement, la souffrance des agricultrices et agriculteurs est immense, avec un taux de suicide supérieur de presque 30 % aux autres professions. Tout cela a déjà bien été documenté, et ce livre ne revient pas dessus en détail.

Partant de ce constat, de nombreux.ses paysan.ne.s et consommateurs et consommatrices ont fait le choix de développer d’autres formes de production et de consommation, comme l’agriculture biologique ou les circuits courts. Dans ce mouvement des alternatives, dans lequel se situe l’Atelier Paysan, il y a souvent l’espoir de servir d’exemple à la population et aux décideurs, ce qui permettrait à terme de généraliser ces alternatives. Mais l’Atelier Paysan considère aujourd’hui que « ces alternatives ne constituent pas un projet politique en elles-mêmes, et ne mettent pas en danger l’agriculture industrielle ». Ainsi, les ventes de pesticides ont augmenté de 22 % entre 2009 et 2018, les terres arables continuent de reculer au profit du béton à raison d’un département français moyen tous les dix ans, des dizaines de fermes disparaissent chaque semaine, et « ceux qui restent travaillent sur des exploitations toujours plus capitalistiques : de plus grosses machines, des surfaces plus grandes, avec des bâtiments plus chers et des dettes plus pesantes ».

Pour comprendre pourquoi le système reste figé dans sa logique destructrice, il faut déjà décortiquer et comprendre son fonctionnement. C’est l’objet d’une bonne partie de ce livre, qui revient sur les mécanismes historiques, technologiques, sociologiques et économiques ayant conduit à la situation actuelle. Cela permet notamment de replacer la responsabilité : pour l’Atelier Paysan, les agriculteurs et agricultrices en « conventionnel » sont trop souvent désigné.e.s comme responsables des conséquences écologiques et sanitaires néfastes du secteur, alors qu’ils et elles sont plutôt victimes d’un système qui les emprisonne dans ce rôle.

Les verrous de la modernisation

La plupart des exploitant.e.s agricoles ne sont aujourd’hui que de simples rouages dans la machine agro-alimentaire, produisant des matières premières pour l’industrie de la transformation et la grande distribution, sans véritable contrôle sur leur outil de production. C’est le résultat de la « modernisation » de l’agriculture, entamée dès le XIXe siècle, accélérée après la deuxième guerre mondiale et toujours à l’œuvre aujourd’hui. Elle est le fruit de l’idéal de progrès de la civilisation occidentale, et du mépris des classes dominantes pour les paysan.ne.s et le travail de la terre. Le « progrès » permettait alors de se débarrasser des labeurs agricoles répugnants, et de « civiliser » les paysan.ne.s. Mais la modernisation répond aussi au besoin du capitalisme de produire de la nourriture bon marché, pour dégager une plus grande part du revenu des ménage à l’achat de biens de consommation issus de l’industrie.

L’Atelier Paysan décrit plusieurs « verrous » qui permettent à cette modernisation de poursuivre sa logique malgré ses effets délétères. D’abord un verrou politico-économique, avec les accords de libre échange internationaux et le marché unique européen institué dans les années 1990. Ces accords permettent aux produits agricoles et alimentaires de circuler librement, tirent donc les prix vers le bas, et font disparaître les producteurs et productrices des pays où le travail est mieux rémunéré et protégé. La France, qui était autosuffisante en fruits et légumes au début des années 1990, ne produit aujourd’hui que la moitié de ce qu’elle consomme, pendant que l’Espagne s’est imposée comme un exportateur majeur de produits agricoles.

Un autre verrou finement décrit par l’Atelier Paysan est le poids de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. La FNSEA est omniprésente dans le monde agricole : chambres d’agriculture, assurances, banques, MSA (la sécu agricole), formation professionnelle, etc. Depuis toujours, elle organise avec l’État la modernisation de l’agriculture, qui profite à ses dirigeant.e.s pleinement intégré.e.s à l’agriculture capitaliste. Et alors même que ses orientations font disparaître plus de 200 fermes par semaine, elle se pose parallèlement comme protectrice de la filière et de l’identité agricole, notamment face aux « attaques » de celles et ceux qui voudraient changer le modèle agricole. Selon l’Atelier Paysan, cette imposture fonctionne grâce à la difficulté pour les agricultrices et agriculteurs de reconnaître que tout ce qu’on leur a fait faire depuis des décennies était une erreur. Le syndicat joue alors sur la peur qu’un changement de modèle agricole fasse disparaître les exploitations agricoles « modernes » auxquelles les exploitant.e.s vouent leur vie.

Le livre décortique aussi le verrou technologique, en mettant en évidence que « la technologie n’est pas neutre : elle est une force de transformation du monde – du monde sensible et du monde social ; elle est porteuse de logiques de séparation et de domination, de pertes de savoir-faire et d’autonomie » Elle façonne les paysages et les vies. Ainsi le tracteur, source d’immenses gains de productivité, pousse à agrandir les surfaces et arracher les haies pour faciliter son utilisation. Les machines poussent aussi à la spirale de l’endettement, qui permet de se moderniser sans cesse pour ne pas couler, mais qui emprisonne dans l’exigence de rentabilité pour rembourser les emprunts. C’est ainsi que l’endettement moyen d’un.e exploitant.e agricole était de 160 000€ en 2010, et même 200 000€ pour les moins de 40 ans ! Cette spirale accroit aussi la dépendance aux industries (pétrole, engrais, semences), censées fournir les moyens de la rentabilité.

Les moyens du changement

Pour faire sauter tous ces verrous, l’Atelier Paysan appelle à un vaste mouvement visant l’installation d’un million de paysan.ne.s en dix ans. Sacrée inversion de tendance, puisqu’il n’y en a plus que 400 000 aujourd’hui, contre 5,1 millions en 1954 ! Un tel mouvement se baserait sur trois piliers : le rapport de force, les alternatives et l’éducation populaire, et aurait trois revendications principales. D’une part, des « prix minimum d’entrée » pour les importations, pour rompre avec le libre échange sans tomber dans un protectionnisme « souverainiste ». En effet, ce mécanisme ne pousserait pas les exportateurs des autres pays à baisser leurs prix, au contraire il les forcerait à les augmenter. Cela pourrait permettre l’émergence de mouvements sociaux locaux réclamant une meilleure rémunération du travail agricole. D’autre part, la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, basée sur les trois piliers de la sécu : universalité, cotisations sociales et conventionnement. Ainsi, chaque citoyen.ne cotiserait pour avoir ensuite accès à une certaine quantité de nourriture produite par des paysan.ne.s conventionné.e.s selon des critères choisis démocratiquement. Enfin, une désescalade technologique, avec la généralisation de technologies qui émancipent, contrairement aux technologies actuelles qui emprisonnent.

La richesse des réflexions sur ces propositions est extrêmement stimulante, et représente encore un argument pour (s’)offrir ce super bouquin pour Noël. Elle donne aussi envie de pousser la réflexion pour d’autres secteurs d’activités, car il n’y a pas que l’agriculture à transformer ! [Joce]

Posted in General | Comments Off on Reprendre la Terre aux machines

A la frontière de l’inhumanité

Ce n’est pas nouveau, mais ne faut-il pas se le rappeler régulièrement : des milliers de réfugiés meurent aux frontières de l’Europe, et… en Europe. Lorsque le 24 novembre, 27 d’entre eux se noient quasiment sous nos yeux à quelques encablures de Calais, les politiques versent des larmes de crocodiles pendant 24h pour passer rapidement à l’ordre du jour et réfléchir aux moyens de stopper leur venue. Dorénavant, Frontex, l’agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes, survolera jour et nuit la Manche pour empêcher les traversées.

Lorsque plusieurs milliers d’exilés, souvent en famille, sont bloqués à la frontière polonaise placée sous état d’urgence, dans une jungle marécageuse, par un froid glacial, sans accès à de l’eau potable ni à de la nourriture, sous prétexte que le dirigeant biélorusse les instrumentalise, on oublie de dire que ces réfugiés fuient la guerre ou des conflits armés en Irak, Syrie, Libye et Yémen dans lesquels des Etats européens sont directement ou indirectement impliqués.

Quand chaque semaine des dizaines de personnes s’échappant de l’enfer libyen périssent en Méditerranée, une mer de plus en plus militarisée, on nous raconte que la fameuse agence Frontex, forte de 2000 agents et d’un budget constamment augmenté, est « engagée à sauver des vies en mer, en étroite coopération avec tous les acteurs opérationnels ». Or la réalité est toute autre : elle ne sauve pas de vies et n’informe pas les ONG présentes en mer des chaloupes à la dérive. Au contraire, elle collabore avec les garde côtes libyens qui traquent les réfugiés et les ramènent brutalement vers la Libye. Ses membres n’hésitent pas à effectuer eux-mêmes des renvois illégaux (pushback) d’embarcations de réfugiés tentant de franchir la mer entre la Turquie et la Grèce. Sans oublier que les navires de secours, s’ils ne sont bloqués à quai pour des raisons factices, sont souvent contraints d’errer avec à bord des centaines de réfugiés parmi lesquels des malades, des femmes enceintes, des personnes traumatisées, quémandant parfois pendant des semaines le droit d’accoster.

Tandis que les Européens font mine de s’offusquer du projet de mur de Trump à la frontière mexicaine, la forteresse Europe s’érige inexorablement avec des barrages appelés cyniquement « murs anti-migrants ». Il en existerait à l’heure actuelle onze, soit 1200 km de barbelés tranchants et de murs en béton ! Le plus ancien, séparant l’Afrique de l’Europe, se situe à Ceuta et Melilla. En Bulgarie, 176 kilomètres de clôtures de barbelés marquent la frontière avec la Turquie. La Hongrie a dès 2015 réalisé à la frontière avec la Serbie et la Croatie 175 kilomètres de clôtures de barbelés de quatre mètres de haut. Une autre existe entre la Grèce et la Turquie et d’autres à la frontière de la Lituanie, de la Lettonie, de l’Autriche. La Pologne projette quant à elle la mise en place d’un mur la séparant de la Biélorussie; sans oublier la barrière de Calais de 4 m de hauteur et long d’un kilomètre, financé par la Grande-Bretagne.

Les murs ne pouvant que freiner l’arrivée de réfugiés sans la stopper, un maillage de centres, véritables camps d’internement pour certains, est en cours de réalisation avec des fonds européens. Des Etats proches ou plus lointains du pourtour méditerranéen bloquent les passages de telle sorte que les réfugiés sont parqués dans des camps officiels comme au Niger, en Turquie et en Grèce mais souvent informels comme au Maroc ou à Calais. Le nouveau camp pour demandeurs d’asile inauguré en septembre 2021 sur l’île de Samos en Grèce est décrit comme une véritable « prison à ciel ouvert » par Médecins sans frontières. Ce centre moderne, isolé, ultra-sécurisé sert de pilote pour les futurs camps.

Les dirigeants européens violent un principe fondamental : Toute personne cherchant protection a le droit de demander l’asile dans l’espace Schengen. Une grande partie des personnes cherchant l’asile pourrait l’obtenir si ce principe était respecté. L’équation est donc simple : Conserver le droit d’asile sans avoir à l’appliquer. Il faut en conséquence empêcher les réfugiés d’entrer en Europe pour ne pas avoir à leur garantir cette protection. Les responsables européens considèrent qu’il est nécessaire de resserrer les mesures d’exclusion et c’est pourquoi un nouveau « pacte sur la migration et l’asile » a été présenté en automne 2020 pour « mettre en place un système de gestion de la migration prévisible et fiable » dans la continuité des conventions de Dublin.

Ce nouveau pacte – en voie d’adoption – prévoit par différents moyens de réduire le nombre de réfugiés en Europe : Afin de désaturer les camps aux frontières européennes, de nouveaux accords de réadmission seront signés avec des Etats dans lesquels il sera également possible de réaliser une « procédure frontière » ou « accélérée » pour demandeurs d’asile, lesquels se verraient d’emblée déboutés notamment s’ils sont originaires de pays dont moins d’un cinquième des demandes d’asile sont acceptées. Comble de cynisme, des centres dans lesquels sera réalisée la « procédure frontière » pourront également être installés au sein même de l’Union européennes tout en étant considérés comme extraterritoriaux. Les personnes demandant l’asile y seront enfermées puis déportés sans qu’officiellement elles aient foulé le sol européen.

Ce petit tour d’horizon non exhaustif de mesures de plus en plus policières à l’encontre de personnes en recherche de protection s’accompagne d’une répression accrue pour les solidaires, ceux et celles qui tentent de soutenir les exilés. Des centaines de personnes en Europe sont traînées devant la justice pour leur engagement. Ainsi, un procès s’est ouvert le 24 novembre à Lesbos contre Sarah Mardini et Seán Binder, deux jeunes vingtenaires, qui avec d’autres ont participé à des opérations de recherche et de sauvetage de chaloupes à la dérive. Accusés de «trafic humain», de «blanchiment d’argent», de «fraude», «espionnage», ou encore d’appartenir à une «organisation criminelle», ils sont passibles de 25 années de prison.

Tant que des guerres seront entretenues notamment par des ventes d’armes, que des régimes liberticides seront soutenus pour des intérêts géopolitiques et économiques, que les environnements écologique et socio-économique seront détruits au profit de multinationales, des femmes et des hommes continueront de prendre le chemin de l’exil, pour la majorité d’entre eux vers les pays voisins où ils sont accueillis par millions. Quant aux Etats européens, ils bafouent systématiquement leurs propres principes : Le droit d’asile devrait rester inaliénable, le brader c’est sacrifier toute humanité. [Tissa]

Posted in General | Comments Off on A la frontière de l’inhumanité

Épisode cévenol n°24

Cliquez sur l’image pour accéder au numéro complet. Bonne lecture !

Posted in General | Comments Off on Épisode cévenol n°24

Eric Zemmour : Marionnette ou Epouvantail

Eric Zemmour, présent depuis plus de 20 ans dans les médias français, a eu le temps d’affûter ses armes comme chroniqueur au Figaro, pamphlétaire et polémiste quotidien sur CNews, chaîne télévisée appartenant à Vincent Bolloré, milliardaire, devenu magnat des médias. Depuis plus de deux mois, il sillonne le pays, menant une campagne électorale toujours pas officielle, et ses thèses inquiétantes notamment sur les Musulmans, les Noirs et les femmes sont propagées dans quasi tous les médias. Et pourtant il se présente et est présenté comme un personnage antisystème, s’attribuant une aura d’opposant subversif. En réalité, il courtise le monde politique, financier et médiatique dont il maîtrise les codes.

D’aucuns disent qu’il ne s’agit que d’un phénomène éphémère, un feu de paille, dont il ne faudrait pas amplifier l’importance, d’autres le considèrent comme une menace. Quoi qu’il en soit, ses positions racistes ont permis d’enfoncer certaines digues et de renforcer et radicaliser le discours dominant préexistant autour du triptyque obsessionnel de la droite et de l’extrême droite : l’immigration, l’insécurité et l’Islam. Entre-temps presque toute la classe politique reprend avec une certaine délectation ces thèmes déclinés dans toute leur laideur, au prix d’une compromission coupable. On se souvient du fameux rassemblement organisé en mai 2021 par des syndicats de police devant le Parlement où fascistes étaient réunis avec des communistes en passant par des sociaux-démocrates et des verts autour du thème de l’insécurité.

Une idéologie source de graves menaces

L’idéologie raciste de Zemmour est aussi primitive qu’opérante d’autant plus qu’elle se construit sur un fond vieux de plus d’un siècle de propagande antisémite. Le cœur de son discours s’articule autour du mythe d’un complot islamique (il y a cent ans c’était le complot juif) qui menacerait la France. Le « grand remplacement », théorisé par Renaud Camus, viserait à assujettir la France et à détruire la civilisation européenne. Ainsi, Zemmour affirme dans l’émission C à vous en septembre 2016 : « Nous vivons depuis trente ans une invasion, une colonisation, qui entraîne une conflagration », anticipant ni plus ni moins une « guerre civile ». Le tueur de Christchurch en Nouvelle-Zélande, lui aussi adepte du « grand remplacement », a franchi le pas en mettant en pratique cette idéologie meurtrière : le 15 mars 2019, Brenton Tarrant, terroriste australien, massacre 51 personnes dans une mosquée.

Zemmour persiste dans ses divagations paranoïaques quand en septembre 2019 lors de la Convention de la droite, il martèle qu’« En France, comme dans toute l’Europe, tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration : école, logement, chômage, déficits sociaux, dette publique, ordre public, prisons, qualifications professionnelles, urgences aux hôpitaux, drogue. Et tous nos problèmes aggravés par l’immigration, sont aggravés par l’islam. C’est la double peine. » Voilà qui, en guise de programme politique, est tranché : Zéro immigration, zéro Islam et tous les problèmes des Français seraient résolus !

Le non-candidat ressasse que l’Islam ne serait « pas compatible avec la République » car « en Islam il n’y a pas de musulmans modérés ». Alors, faut-il les déporter ? lui demande le journaliste du Corriere della Sera le 30 octobre 2014. Il répond : « Je sais, c’est irréaliste mais l’Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 que un million de Pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d’Algérie pour revenir en France ? Ou bien qu’après la guerre, 5 ou 6 millions d’Allemands auraient abandonné l’Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? ».

Quoi faire, si ce n’est d’organiser la déportation des « intrus » qu’il appelle « remigration ». En janvier 2021, il explique sur C News : « Vouloir la remigration, ce n’est pas être raciste. C’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France, ça pose un vrai problème d’équilibre de démographie et identitaire (…). La France est en danger. » Le décor est planté, la réponse clairement exprimée.

Zemmour a bien d’autres obsessions dont celle des femmes n’est pas des moindres. Ses propos se suffisent à eux-mêmes. Dans son livre Le Premier sexe (2006), il affirme que « la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant ». Et décrivant un film des années 1970, il regrette amèrement cette époque où les femmes étaient plus complaisantes. « Quand le jeune chauffeur de bus glisse une main concupiscente sur un charmant fessier féminin, la jeune femme ne porte pas plainte pour harcèlement sexuel. La confiance règne. » Zemmour, machiste proclamé, est ainsi confronté à plusieurs plaintes de femmes pour harcèlement sexuel.

Des réseaux de soutien importants

Zemmour qui semblait agir en électron libre en tant que polémiste et pamphlétaire dispose de fait de puissants réseaux de soutien. Non seulement il provoque d’importants clivages au sein du Rassemblement national mais également du parti Les Républicains, lui permettant ainsi de siphonner de plus en plus de cadres et de militants, d’autant plus qu’il peut compter sur de nombreux groupes fascistes, en particulier les monarchistes de l’Action française.

Selon les enquêtes de Médiapart, ses comités de soutien locaux sont composés d’anciens du mouvement de Bruno Mégret, de membres de l’Action française, de la Ligue du Midi ou de Génération identitaire qui assurent notamment le service d’ordre, sans oublier des catholiques ultra-conservateurs, des anciens de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) et d’autres nostalgiques de l’Algérie française. Les réseaux de la Manif pour tous lui seraient également d’une grande utilité. Et l’agitateur néo-libéral tenterait à présent une jonction avec des Gilets jaunes pour parer à sa réputation de représentant des riches.

Ces comités s’activent frénétiquement alors même que sa candidature n’est pas encore annoncée. Ils organisent ses tournées en France, les meetings et les déambulations, les rencontres de personnalités politiques, arrangent des levées de fonds et récoltent des parrainages d’élus. Les réseaux sociaux sont un outil auquel ont très largement recours ses lieutenants qui se recrutent souvent parmi des jeunes de Génération Z.

Si la vente des livres de Zemmour et ses conférences payantes lui rapporte des revenus substantiels, elles ne suffisent pas à financer la machine de propagande nécessaire pour le propulser au-devant de la scène. Mais surtout sans soutien d’hommes d’affaires influents, point de candidature. Charles Gave, financier, gestionnaire de fonds, serait prêt selon Médiapart à le soutenir financièrement mais surtout à lui ouvrir son carnet d’adresses, notamment dans les milieux financiers londoniens, tandis que plusieurs jeunes banquiers l’accompagnent déjà dans sa conquête de l’électorat.

Pour accéder à cette notoriété, Zemmour, contrairement à l’image de victime de la censure qu’il renvoie et sur laquelle il s’auto-apitoie volontiers, peut compter sur une grande partie des médias. Tout d’abord ceux de Vincent Bolloré, homme d’affaires associé à la françafrique ayant racheté journaux et chaînes de TV pour servir la cause de l’extrême droite notamment à l’occasion de la campagne électorale. Cet oligarque l’a propulsé en lui ouvrant les plateaux de sa chaîne Cnews. Mais il n’est pas le seul, tout le spectre des médias d’extrême droite se repaît de ses propos fascistes, racistes et misogynes tandis que les autres courent après lui pour ramasser quelques miettes d’audimat supplémentaires.

Marionnette de Macron ?

Penser que cette propagande est marginale et ne serait que le produit d’un cerveau retors, ne prend pas la mesure de l’effondrement sociétal et de la crise du capitalisme. Zemmour n’est pas isolé dans ses égarements, la classe politique dans sa quasi-totalité l’accompagne dans cette dérive. Si un gouvernement Macron sous couvert de lutte contre le séparatisme fait la chasse aux Musulmans et interdit des associations de lutte contre l’islamophobie, si un Darmanin tire sur tout ce qui ne fait pas allégeance à une notion tronquée et étriquée de la République, ne préparent-ils pas le terrain d’un régime autoritaire ? Zemmour pourrait facilement être exclu du champ politique d’autant plus qu’il a déjà été condamné pour provocation à la haine raciale. Pour le moment il semble servir les desseins d’Emmanuel Macron. Mais ces calculs électoraux biaisés qui consistent à autoriser le durcissement de l’extrême droite pour qu’elle s’étripe et emporte la droite dans ses divisions afin de ramasser la mise électorale est un jeu dangereux.

La configuration à laquelle nous faisons face aujourd’hui évoque celle des années 1930 lorsque des riches industriels et financiers, ainsi que les médias et les politiques qui les servaient, brandissaient le complot juif pour installer un pouvoir fasciste et instrumentaliser les mouvements populaires. Comme le constate l’historien Enzo Traverso, la représentation de l’islam en tant que menace pour la culture européenne et les identités nationales sert à souder par la peur une communauté nationale socialement et économiquement fracturée. Cette stratégie politique réactionnaire a été développée aux XIXe et XXe siècles avec l’antisémitisme pour détourner l’opinion des thématiques autour de la précarisation des couches défavorisées et du creusement des inégalités. L’analogie avec l’actualité est frappante…

La montée du fascisme dans les années 1930 sur fond de crise systémique du capitalisme a exacerbé la propagande antisémite jusqu’à considérer les juifs responsables du marasme européen et justifier leur extermination. Ne l’oublions pas. [Tissa]

Posted in General | Comments Off on Eric Zemmour : Marionnette ou Epouvantail

Chronique d’une lutte permanente

La haine et la violence dirigées contre les exilés ne s’expriment pas que sur les plateaux télés. L’actuelle banalisation des discours xénophobes, si elle prolifère aussi aisément que dangereusement en cette période pré-électorale, s’inscrit dans un contexte de rejet migratoire déjà largement ancré en Europe. Les théoriciens du mythe de la « peur de l’étranger » ou du « grand remplacement » bénéficient à la fois d’un terrain propice pour répandre leurs idées, mais également, apportent une caution idéologique au durcissement des politiques migratoires mené depuis des années. Ainsi, la pratique alimente le discours, et le discours légitime la pratique. La boucle est quasiment bouclée, et il ne reste plus aux gouvernants que de pointer du doigt, quand ce n’est réprimer, les initiatives de soutien et de luttes solidaires, celles pourtant les plus directement à même de contrer cette logique infernale.

30 septembre 2021, Riace. La justice italienne condamne Domenico Lucano, ancien maire de la petite ville de Riace, à une peine de treize ans et deux mois de prison, assortie d’une amende de 750 000 euros. C’est une peine démesurée qui est infligée à celui qui depuis des années organisait dans son village l’accueil de dizaines d’exilés débarqués sur les côtes de Calabre. Alors que la politique d’accueil unique et exemplaire menée à Riace avait fait du village et de son maire les symboles d’un projet de société alternative fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes. L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes. Cette condamnation est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste.

7 octobre, Montpellier. Huit jeunes Africains sans-papiers sont arrêtés sur le quai de la gare quelques heures avant le début du contre-sommet Afrique-France organisé par un collectif d’organisations locales et nationales. La préfecture de police et le Ministère de l’intérieur ont été prévenus bien en amont de cet événement et n’ont interdit ni les réunions, ni les manifestations au programme. Pourtant le matin du 1er jour de ce contre-sommet, la préfecture a envoyé des policiers procéder à des arrestations ciblées et discriminatoires sur le quai de la gare. Seul ce groupe de Maliens, de Sénégalais et d’Ivoiriens, qui avait pris le train au sein d’une délégation de 24 membres de différents collectifs de la région parisienne, a été arrêté et emmené en garde à vue. Ils ont été contrôlés au faciès parce qu’ils étaient Africains, venus contester en groupe et de manière organisée, et jeter la lumière sur la face cachée du « Nouveau Sommet Afrique-France » et la politique du gouvernement. Deux d’entre eux ont été transférés en centre de rétention avant d’être enfin libérés 5 jours plus tard grâce entre autres à une riposte et une mobilisation rapides qui ont commencé le jour-même devant le commissariat de Montpellier. Cinq autres sont sortis des locaux de la police avec OQTF (Obligation de quitter le territoire français) assortie d’une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français) plusieurs heures après leur arrestation. Ces derniers sont convoqués au Tribunal Administratif de Montpellier le jeudi 18 novembre 2021 où leurs recours doivent être examinés.

11 octobre, Calais. Face aux conditions de vie indignes des personnes exilées à Calais, trois militants, Anaïs Vogel, Ludovic Holbein, et le père Philippe Demeestère, âgé de 72 ans, entament une grève de la faim à l’église Saint-Pierre pour réclamer l’arrêt de la maltraitance des personnes exilées dans le Calaisis. Comme les autres personnes engagées dans diverses associations intervenant à Calais, ils dénoncent les traitements inhumains perpétrés à l’encontre des exilés dans la région. Leurs revendications sont pourtant loin d’être extravagantes : Suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements durant la trêve hivernale, arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées, ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées. Anaïs Vogel déclare aux médias : « On ne sait pas jusqu’où on va devoir aller. On nous a dit que c’était fou de devoir faire une grève de la faim pour demander que des gens ne se fassent pas détruire leurs affaires ». Le 2 novembre, après plus de trois semaines de grève de la faim, les revendications ne sont toujours pas entendues. Didier Leschi, Directeur de l’Ofii (Office Français de l’immigration et de l’intégration) et chargé de la médiation entre le gouvernement et les grévistes, concède deux maigres alternatives : que cessent les évacuations par surprise, que les personnes soient prévenues avant la destruction de leur camp et qu’elles disposent de 45 minutes pour ramasser leurs effets personnels, et propose un hébergement pour les délogés, mais seulement en dehors de Calais… Les propositions sont refusées, la grève se poursuit.

24 octobre, Briançon. L’association Refuges Solidaires décide d’arrêter momentanément et symboliquement son activité en raison du nombre important de personnes qui menacent la sécurité et l’accueil digne des exilés. Alors que le lieu est initialement prévu pour accueillir 80 personnes, plus de 200 s’y trouvaient la veille. Les arrivées depuis la frontière sont en augmentation depuis le printemps et la prise en charge est assurée depuis 5 ans uniquement par les bénévoles, alors qu’il s’agit d’une obligation de l’État. Les militants exigent des autorités la mise en place de solutions d’hébergements complémentaires dans les plus brefs délais afin que le refuge puisse de nouveau accueillir les exilés dans de bonnes conditions. Pour appuyer ces revendications, les exilés, accompagnés de quelques bénévoles, se rendent alors à la gare pour y passer la nuit et dans le but de partir dès le lendemain. La mairie condamne cette action et demande des renforts au Ministère de l’Intérieur. Deux escadrons de CRS rejoignent dès le 25 octobre la ville de Briançon. Par peur d’une potentielle intervention des forces de l’ordre qui auraient menacé le droit des exilés, et à la demande des associations, un accueil provisoire est trouvé à l’église Sainte-Catherine. Toujours en attente de solutions pérennes et sans nouvelles des pouvoirs publics, samedi 31 octobre, une tentative de mise à l’abri d’urgence dans l’ancien centre de vaccination du Prorel échoue au vue du dispositif policier en place. Les bénévoles se mobilisant pour un accueil digne et inconditionnel obtiennent pour toute réponse un tweet du maire de Briançon, Arnaud Murgia : « Cette stratégie du harcèlement des pouvoirs publics ne trouvera qu’une seule réponse : la fermeté. » Entre temps des dizaines d’exilés ne savent pas où se mettre à l’abri.

[Cévennes Sans Frontières]

Pour plus d’infos, voir notamment :

– « Domenico Lucano : quand accueillir dignement devient un délit » – https://www.gisti.org/, 15 octobre 2021

– « Sommet Afrique-France : Liberté pour les 7 de Montpellier ! Appel à manifester les vendredi 15 et 22 octobre à Paris » – https://survie.org/, 15 octobre 2021

– « 150 associations soutiennent les revendications des grévistes de la faim à Calais », https://www.lacimade.org/, 26 octobre 2021

– « Communiqué de presse », https://www.facebook.com/tousmigrants/, 2 novembre 2021

Posted in General | Comments Off on Chronique d’une lutte permanente

Nuc en plus

Nous sommes gâtés nous baignons dans le progrès,

Nous sommes gâtés, nous bénéficions déjà dans notre région du Bas-Rhône de plusieurs centres nucléaires qui nous permettent d’accéder au rang de l’une des zones européennes les plus nucléarisées. Jugez-en, Marcoule dans le Gard sur la rive droite du Rhône, on y travaille entre autres le plutonium (la pire saleté issue de l’industrie humaine) pour le combustible appelé MOX (comme mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium) ; de l’autre coté du Rhône le Tricastin qui outre 4 vieux réacteurs qui fuient et se fissurent accueille aussi « l’enrichissement » de l’uranium pour alimenter tout le parc atomique du pays ; en amont du Rhône nous avons Cruas avec ses 4 vieux réacteurs aussi déglingués que ceux du Tricastin ; plus loin à l’est, Cadarache en Provence abrite de multiples activités dont la construction d’Iter qui promet d’être le prochain fiasco du glorieux nucléaire national ; enfin au sud-ouest Malvesi qui accueille et affine tout l’uranium importé dont le pays a besoin à la grande joie des narbonnais qui en reçoivent les suaves émanations.
Si on ajoute à tout ça que nous vivons dans une zone à risque sismique élevé : Cela est dû à la pression de la plaque tectonique Afrique (encore eux, ils se rapprochent de 1 cm par an !) sur la plaque Europe. Cette pression active 3 grandes failles qui de la méditerranée remontent vers la Scandinavie, et des failles latérales. Le dernier grand séisme étant celui dit de 1907 à Lambesc en proche Provence ; et le plus récent est celui du Teil (nov 2019), et là c’est carrément chez nous. On frémit d’avoir la chance de vivre au cœur de ce cocktail détonant.

Et une grosse louche de nucléaire en plus ! Dans sa vision du pays comme une start-up nation développant ses technologies « d’excellence » au mépris de la dérive climatique, le monarque va distribuer 6 nouveaux EPR dans le pays, et il semblerait que deux d’entre eux soient destinés au bassin fluvial du Rhône, soit au Bugey, soit au Tricastin. Nos élus soucieux du bien être de la population se sont précipités pour demander qu’ils soient construits au Tricastin!

Mais des grincheux, sans doute des amichs qui ne croient même pas au progrès i-radieux, regroupés dans un collectif portant le doux nom de Chang (Collectif Halte Aux Nucléaires Gard) se sont permis d’interpeller les élus du département (sénateurs, députés, conseillers généraux) pour s’étonner de leur démarche à ce sujet.
Et ces mêmes râleurs qui ne comprennent rien, sont allés participer aux rassemblements de Montélimar fin juin, et de Bugey le 3 octobre pour s’opposer justement à ces constructions et appeler à l’Arrêt du nucléaire. Ce sont vraiment des irresponsables qui n’ont rien compris au réchauffement climatique et qui en sont encore à croire que le nucléaire tue alors que les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima sont maintenant tombées dans l’oubli…. En attendant la prochaine?

Bien au contraire, nos chers élus du peuple ont visiblement été séduits par la brillante réussite que l’on sait des EPR, bien qu’à Flamanville et en Finlande les coûts et les délais aient été multipliés par quatre ; et bien que soit apparu un grave défaut générique dans l’un des deux EPR Chinois où le tritium fuit allègrement à travers les barrières de confinement censées protéger l’environnement contre les contaminations…

Mais ce n’est pas tout, notre généreux président nous annonce la possibilité de construire aussi des « petits réacteurs modulaires »** (c’est doux et gentil comme appellation n’est-ce pas). Leur puissance serait quand même du dixième du fameux réacteur EPR et cela permettrait de disperser encore plus le risque atomique (vous en prendrez bien un chez vous?), avec rejets et déchets radioactifs à la clé, sauf que le prix de revient du Kwh serait encore plus élevé.
Et il serait même question de reprendre des études sur les réacteurs dits de 4 ième génération, au plutonium donc, et Marcoule serait bien sûr privilégié avec le projet Astrid dans les cartons. Elus et syndicats locaux s’en frottent déjà les mains !

Comme chacun sait on n’arrête pas le progrès et tant pis pour les préoccupations écologiques, sociales et démocratiques.

*Fuite de gaz rares de l’EPR chinois, défaut lourd de conséquences pour EDF
https://apag2.wordpress.com/2021/08/22/fuite-radioactive-dans-un-epr-chinois/

** En langage sérieux on les appelle « SMR » ce qui signifie pour les nuls « Small Modular Reactors ».

 A. et P.

Contact : chang@ouvaton.org

Posted in General | Comments Off on Nuc en plus

Épisode cévenol n°23

Cliquez sur l’image pour accéder au numéro complet. Bonne lecture !

Posted in General | Comments Off on Épisode cévenol n°23

De quoi le pass est-il le nom ?

En pandémie, il est nécessaire de prendre des mesures qui peuvent sembler contraignantes. Mais en premier lieu, les pouvoirs publics doivent assurer la protection de toutes et tous en mettant en place une stratégie cohérente faisant appel aux compétences et à la responsabilité de tout un chacun. Or, depuis le début, la gestion est chaotique, incompréhensible et comme beaucoup le disent, infantilisante.

Ne revenons pas en détail sur les points suivants que nous avons déjà évoqués amplement dans nos précédents numéros : L’absence de masques et de tests qui un coup ne servaient à rien puis sont devenus indispensables ; le manque de suivi des cas d’infection parce que le personnel n’a jamais été recruté pour le faire (qu’est devenue la fameuse limite des 5000 infectés qu’il ne fallait pas dépasser ?) ; l’hôpital public exsangue et le déficit de soins pourvus aux malades à domicile (combien sont morts parce qu’ils n’ont pas été pris en charge, on se souvient du fameux : « restez à la maison et prenez du doliprane ») .

N’insistons pas non plus sur le fait que Macron – qui décide tout seul – n’a pas voulu de confinement fin janvier 2021 mais a quand même du s’y résoudre début avril au prix de 14 000 morts. Si d’autres mesures avaient été prises ou reconduites, peut être qu’encore plus de décès, de cas graves et le confinement auraient pu être évités.

Mais qu’importe le passé ! N’avons nous pas depuis le fameux discours de Macron le 12 juillet enfin la solution ? La vaccination pour toutes et tous au dessus de 12 ans. Que nous importent les contradictions dans l’approche du gouvernement : Pendant des mois, on nous rabâchait qu’il ne fallait pas infantiliser les gens et multiplier les restrictions, qu’il fallait vivre (et donc mourir) avec le virus, aujourd’hui, la vaccination est quasi-imposée et il faut montrer patte blanche pour retrouver l’illusion d’une normalité.

Quelles que soient les demi-vérités qu’on nous assène sur la protection vaccinale, la contagiosité, l’immunité collective, etc., l’establishment et une bonne partie de la population s’imaginent en sécurité grâce à la vaccination. Le pass sanitaire imposé au prix d’un contrôle strict de la population ne serait que le moindre mal face à la liberté recouvrée.

Il ne s’agit pas ici de s’opposer à la vaccination mais de montrer qu’encore et toujours nous sommes confrontés à un autoritarisme qui nous impose sa solution du moment sans hésiter à sanctionner. La gestion policière de l’épidémie depuis les premiers mois (contrôle des autorisations de sortie, couvre-feux) perdure et s’appuie aujourd’hui sur des supplétifs civils dans les vérifications du pass.

Cette dérive est d’autant plus à prendre au sérieux que la servitude volontaire à produire aujourd’hui son autorisation pour par exemple aller au restaurant risque de tendre vers une acceptation progressive d’une surveillance plus intrusive demain. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) alerte sur « le risque d’accoutumance et de banalisation de tels dispositifs attentatoires à la vie privée et de glissement, à l’avenir, et potentiellement pour d’autres considérations, vers une société où de tels contrôles deviendraient la norme et non l’exception »1

On nous rétorquera que nous sommes déjà traqués par le biais de nos cartes bancaires, de nos téléphones portables, les caméras, les drones, sans oublier l’internet où nous laissons des traces qui permettent le profilage de nos activités et de notre personnalité. Alors pourquoi s’ériger contre le pass, qui ne livre que peu d’informations et surtout ne serait pas destiné à durer ?

Le pass sanitaire introduit des dimensions supplémentaires dans la régulation de l’espace public. Il permet le contrôle physique avec des moyens technologiques de la quasi entière population, ce qui représente un saut qualificatif dans la gestion de celle-ci. Le contrôle nécessite également de fournir une pièce d’identité ce qui exclut d’emblée certaines catégories de personnes, notamment des sans-papiers.

La vérification du pass n’incombe pas seulement à des personnels habilités mais à des « contrôleurs » qui subitement acquièrent un pouvoir duquel ils peuvent abuser ou qui leur permet d’obtenir des informations sur notre identité. Ainsi un jeune ayant voulu boire une bière dans un bistrot en a été interdit, le serveur ayant constaté qu’il n’avait pas 18 ans.

Moins anecdotique est la possibilité pour des personnes malintentionnées d’accéder facilement aux données personnelles intégrées aux QR Code, c’est à dire de savoir si une personne a été vaccinée une fois ou deux donc si elle a déjà contracté la maladie ou dans le cas d’un test d’apprendre qu’elle n’a pas été vaccinée. Le produit injecté est également signalé, ce qui pourrait, au moment de la remise en question de l’un d’entre eux – comme c’est le cas pour le vaccin Janssen actuellement – entraîner une nouvelle exclusion.

A l’origine, l’introduction du pass ne devait servir qu’à des évènements réunissant plus de 1000 personnes. Aujourd’hui il est exigé jusque dans les hôpitaux pour une consultation médicale. Qui nous dit qu’il ne sera pas adopté à long terme et inclura de nouvelles informations ? Une fois accepté plus largement pourquoi ne pas prévoir son extension ?

En présentant cet outil comme un moyen de protéger de la maladie et de juguler la pandémie, de nouvelles formes de contrainte et de dépendance sont introduites à grande échelle. La technologie génétique (les autres vaccins sont délaissés) d’une part et la technologie numérique de l’autre nous promettraient le salut.

Or un changement de paradigme est urgent. Rares sont les faiseurs d’opinions qui s’intéressent aux origines des nouvelles pandémies et aux moyens de les éviter. Il faudrait pour cela développer une stratégie de préservation de l’humain et de l’environnement qui remette sérieusement en question les modes de production actuels.

PS : Voilà que Macron – encore lui – laisse entrevoir la possibilité d’alléger le pass sanitaire. Une nouvelle fois, on est en droit de s’interroger sur la stratégie du « monarque ». Quelle violence à l’égard de ces soignantes et ces pompiers pour lesquels les sanctions sont tombées à partir de 15 septembre !

[Tissa]

1https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043915894

Posted in General | Comments Off on De quoi le pass est-il le nom ?

S’opposer au passe sanitaire, et plus encore… ???

Il existe de multiples et bonnes raisons de s’opposer au passe sanitaire. Pour autant, les revendications émergeant des mobilisations hebdomadaires initiées durant l’été pour faire face à cette mesure peinent globalement à gagner en clarté et en lisibilité. Sarticulant pour l’essentiel autour d’une vision ambiguë et étriquée de la notion de liberté, les récupérations politiques peuvent dans un tel contexte aisément prendre le devant de la scène, au dépend de la construction d’une réflexion critique plus approfondie sur les enjeux politiques et sanitaires actuels.

Quel sens donner au slogan de « liberté » tant clamé au sein du mouvement anti-passe ? La notion de liberté a été souvent revendiquée au cours du temps, et a pu prendre des significations bien différentes selon le contexte, et le point de vue de qui l’a emplo. L’on peut penser aux paysans zapatistes de la révolution mexicaine au début du siècle dernier qui autour du mot d’ordre « Tierra y libertad » (« Terre et liberté ») se sont opposés de façon nette à l’exploitation exercée par une oligarchie fortunée s’accaparant l’essentiel des terres cultivables du pays. Ou encore aux réfugiés stoppés aux frontières de l’Europe inscrivant sur des banderoles les mots « Hurriya » ou « Azadi » (« Liberté », en arabe et en perse) afin de dénoncer les restrictions à la liberté de circulation leur étant faite. Mais encore, l’on peut se référer aux théoriciens du néolibéralisme qui ont justifié leur doctrine de développement économique et de libre échange hégémonique au nom de la protection de la liberté de l’individu.

Dans le cadre d’un mouvement socialement et politiquement aussi hétérogène que celui s’opposant au passe sanitaire, brandir une telle revendication sans autre forme d’argumentation ne peut au mieux que révéler une impuissance à formuler collectivement un message politique cohérent et pertinent. Au pire, laisser le champ libre à des courants politiques pourtant peu habitués à promouvoir une défense des droits sociaux fondamentaux, et leur permettre d’occuper le terrain à peu de frais grâce à des slogans vidés leur substance. Marine Le Pen d’ailleurs ne s’y est pas trompée, en lançant sans ironie la campagne présidentielle du Rassemblement National sur le thème de « Libertés, libertés chéries ». Le docteur Louis Fouché non plus, en se faisant l’apôtre de la non-vaccination et du non-port du masque à travers sa vulgate de « ré-information », tout en prêchant la liberté de ne pas se prémunir…

L’écueil semble ainsi difficilement franchissable, et il s’avère laborieux de dépasser les oppositions stériles et stéréotypées fleurissant dans les réseaux sociaux ou dans les sondages médiatiques. Ceux-ci nous retrancheraient dans une vision manichéenne laissant pour seul choix : soit d’« accepter parfois de réduire nos libertés, parce que la priorité c’est de se protéger contre la maladie », soit, à l’inverse, de considérer que « rien n’est plus important que les libertés individuelles, même notre santé et celle des autres » (Sondage Elabe 19-20 août). Pour le dire autrement, faudrait-il acter que les impératifs de santé publique ne peuvent plus s’envisager en dehors de la coupe sécuritaire ?, ou, d’une autre manière, que toute opposition aux mesures abusives prises en temps de pandémie implique la déconsidération des questions de soin ?

Face à ce dilemme abrutissant, il importe de ré-ouvrir la voie à un discours tangible permettant à la fois de se réapproprier les enjeux sanitaires actuels, mais également de s’opposer aux politiques sécuritaires et excluantes. En cela, des exemples de luttes vont dans ce sens : personnels soignants manifestant contre l’obligation vaccinale et contre les restrictions budgétaires dont souffre le système de soin depuis des années (tarification à l’acte, réduction des personnels, dégradation des conditions de travail, fermeture des lits…), employés de médiathèques refusant d’endosser le rôle d’auxiliaires de police et de restreindre l’accès de la culture pour tous (et notamment aux personnes y ayant le moins accès), travailleurs soumis au passe sanitaire se mobilisant afin de ne pas perdre leur emploi ou leur salaire et ainsi payer les pots cassés d’une gestion de crise catastrophique…

Porter une critique du passe sanitaire qui se limiterait au seul biais de la défense des libertés individuelles, c’est à dire privilégiant le libre arbitre face à l’intérêt commun, s’avérerait être au final une attaque fort peu dérangeante pour le système, car parfaitement en phase avec l’idéologie individualiste du chacun pour soi. Cela voudrait également dire renoncer à la conception d’une société égalitaire dans la prise en considération des droits à la santé de chacun. Élargir la problématique à d’autres enjeux, tels le poids des laboratoires pharmaceutiques et de leur course au gain, la levée des brevets, les inégalités Nord-Sud dans l’accès aux médicaments, ou la participation de tous dans les politiques sanitaires, instaureraient au contraire des perspectives sociales et solidaires plus conséquentes.

De surcroît, les amalgames grossiers et abjectes assimilant de facto cette mesure à des drames historiques tels la Shoah ou l’apartheid, ou érigeant ses opposants comme des « résistants » à la dictature ou au fascisme, ne peuvent que, par la tendancieuse minimisation des réalités qu’ils sous-tendent, accréditer les courants d’extrême droite déjà fortement présents. Si le caractère autoritaire et intrusif du passe sanitaire est avéré et reste à dénoncer, il ne peut s’exclure du contexte répressif actuel mené pour la sauvegarde du système néolibéral, et donc d’une critique plus large1. L’opposition au passe sanitaire, pour s’inscrire dans une continuité de luttes émancipatrices, ne peut ainsi manquer aux exigences de justice sociale revendiquées lors d’un précédent mouvement…

[Fred]

1 Après la loi « pour une sécurité globale préservant les libertés » du 25 mai 2021 et celle « relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » du 30 juillet, et la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République », le projet de loi « relatif à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure » actuellement en discussion est le quatrième grand texte sécuritaire fourre-tout de cette seule année 2021.

Posted in General | Comments Off on S’opposer au passe sanitaire, et plus encore… ???

Épisode cévenol n°22

Cliquez sur l’image pour accéder au numéro complet. Bonne lecture !

Posted in General | Comments Off on Épisode cévenol n°22