FERMES TROP CHÈRES SAFER, À QUOI TU SERS ?

Ce slogan a fleuri ce printemps pendant la lutte contre l’implantation de la Légion étrangère à Saint Jean du Gard.

En effet, la Légion a acheté la ferme de Bannière le 7 juillet 2022 à un prix inaccessible à tout paysan : la SAFER n’a pas joué le rôle pour lequel elle a été créée.

Les SAFER, sociétés anonymes sans but lucratif, sous tutelle des ministères de l’agriculture et des finances, ont été créées en 1960 par la loi d’orientation agricole1 pour, réorganiser les exploitations agricoles, dans le cadre de la mise en place d’une agriculture plus productive, et à installer des jeunes, avec la volonté de nourrir les français au lendemain de la guerre.

Elles ont un double rôle : celui d’opérateur foncier et d’attribution de biens, et expert en observation foncière via le suivi des marchés ruraux en particulier.

Elles ont quatre missions : dynamiser l’agriculture et la forêt, accompagner le développement local, participer à la protection de l’environnement et assurer la transparence du marché foncier rural. L’aménagement local étant une des missions souvent contradictoire avec la protection des espaces agricoles.

Elles ont un droit de préemption : La loi donne aux SAFER la possibilité de disposer d’un droit de préemption, afin de leur permettre de mener une action cohérente dans le cadre de leurs missions. Depuis le 2 août 2017, la SAFER Occitanie dispose de ce droit : elle est systématiquement informée des projets de vente de biens ruraux par les notaires et peut acheter prioritairement le bien en lieu et place de l’acquéreur initial. But : revendre à un autre attributaire, choisi par la commission locale de la SAFER, dont le projet répond mieux aux enjeux d’aménagement locaux.

Cependant, la lutte contre la spéculation foncière, définie dans le code rural, reste trop souvent lettre morte : les SAFER préfèrent privilégier des opérations rentables, au détriment d’une vraie politique d’installation.

En 1995, 2013 et 2014, les rapports de la Cour des comptes ont pointé les dysfonctionnements des SAFER, soulignant le fait que celles-ci avaient perdu de vue les missions d’intérêt général dont elles étaient investies et ont recommandé, sans succès, aux SAFER de se recentrer sur leur mission première2. En 2012, sur 88 000 hectares rétrocédés, seulement 2 761 hectares concernent la première installation de jeunes agriculteurs.

Leur rôle d’intermédiaire dans les transactions – elles perçoivent au passage une commission de l’ordre de 5 % – permet à certaines SAFER de dégager des résultats financiers de l’ordre de 8 %. La redistribution de ces résultats à certains salariés ainsi que l’emprise excessive du syndicalisme agricole (FNSEA), a poussé le gouvernement à annoncer qu’il allait renforcer le contrôle de l’État sur les SAFER3.

Par ailleurs, les compétences des SAFER sont remises en question à la suite des vides juridiques exploités par des investisseurs chinois afin d’acquérir des centaines d’hectares de terre sans que l’organisme ne puisse agir4. À noter que la SAFER a elle-même publié des flyers proposant ses services aux investisseurs chinois5.

La loi Sempastous du 1er décembre 2021, proposée pour réguler l’accès au foncier agricole par un contrôle des parts des sociétaires, n’a pas rempli son rôle : de fait, elle facilite l’achat de très grandes parcelles par une seule société, c’est le cas de LVMH qui s’approprie une majeure partie de vignobles du Var.6

Un exemple parlant : En pleine torpeur estivale, la Confédération paysanne a découvert sur le site internet de la SAFER Nouvelle-Aquitaine un appel à candidature publié le 30 juillet (avec retour des candidatures avant le 20 août) pour une vente peu banale.
Le syndicat dépose un dossier de candidature :
« Il concerne la vente indissociable, un terme qui nous a fait bondir, de la plus grosse ferme du département (2.121 hectares) sous la forme de cession de parts de sociétés, indique Jacques Pasquier, représentant du syndicat, à la sortie d’un rendez-vous à la SAFER. La holding comprend 12 sociétés agricoles, une Cuma, un GIE, un groupement d’employeurs, avec 11 salariés, et des parts dans un méthaniseur. »
L’intervention de la SAFER dans cette vente de parts sociales nous interpelle compte tenu de la dimension des installations. Le montant de la transaction s’établit à 10,39 millions d’euros. On est clairement dans un modèle industriel, très financier, en contradiction avec les missions de la SAFER. » Trois autres dossiers de candidature seraient déjà déposés, la Confédération paysanne ajoute le sien, à travers « une candidature collective d’achat, mais réunir cette capacité financière va être compliquée ».
« Ce qu’on aurait souhaité, ajoute Jacques Pasquier, c’est que ces douze sociétés puissent être cédées séparément pour faire 21 fermes de 100 ha ou 105 fermes de 20 ha selon les projets. »7

A Bannière, le prix trop élevé des terres pour être achetées par un agriculteur, aurait dû alerter la SAFER afin qu’elle cherche une solution adaptée au besoin impératif d’installation de jeunes paysans. La Légion a été une solution de facilité pour tout vendre d’un coup.

Au vu des dysfonctionnements avérés des SAFER, plusieurs évolutions, proposées par la Confédération Paysanne, sont indispensables :

> donner un statut public à la SAFER et des moyens budgétaires propres,

> associer la SAFER et les collectivités dans les décisions du devenir des terres agricoles,

> mettre en place des comités locaux fonciers et d’installation, ouverts aux acteurs non agricoles pour avis consultatif,

> à l’échelle locale, rendre obligatoire un document politique d’orientation définissant les usages du sol répondant aux enjeux territoriaux.

Dans l’attente de ces évolutions, plusieurs moyens ont été identifiés, par des acteurs associatifs et citoyen.nes du territoire, pour geler les terres :

& constituer un comité de veille sur l’ensemble des transmissions de terres agricoles, les veilles foncières à l’échelle d’une commune étant plus faciles car les informations circulent principalement par le bouche à oreille, il ne faut pas oublier que « Le foncier c’est une histoire de familles ». C’est pas tant par les outils que par le maillage territorial qu’on a une bonne connaissance des transactions foncières.

& créer une foncière de territoire afin d’acheter le foncier à l’échelle d’un bassin de vie, et se lier à des structures territoriales d’aide à l’installation, telles les ADEAR, pour organiser la redistribution à de futurs projets agricoles – la difficulté étant qu’il faut une levée de fonds importante. [Jacqueline]

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