Justice pour Nahel

Le 27 juin, Nahel, un jeune de 17 ans, qui conduisait une voiture a été tué lors d’un contrôle policier à Nanterre où il habitait. Les images de la scène et les témoignages saisissants de son ami présent ne laissent place à aucune équivoque. Le flic l’a froidement abattu et cherchait manifestement à « casser du bougnoule ». Le policier qui a fait usage de son arme a été placé en détention provisoire. Qu’en est-il du deuxième agent complice, celui qui l’a encouragé à tirer ?

Nahel n’est que la dernière d’une longue liste de victimes de crimes racistes commis par des policiers. La différence entre ce meurtre et ceux qui l’ont précédé est que celui-ci a été filmé. Pendant plusieurs jours le pays a été secoué par des révoltes de jeunes exigeant « Justice pour Nahel ».

On ne peut comprendre ces mises à mort, ces exécutions sommaires, que si elles sont replacées dans le contexte colonial. Comme l’exprime avec clarté la romancière et sociologue Kaouthar Harchi, « Avant que Nahel ne soit tué, il était donc tuable. Car il pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. Il pesait sur Nahel le racisme. Il y était exposé. Il courait ce risque d’en être victime. La domination raciale tient tout entière en ce risque qui existe. »1

Ce risque, aggravé par la loi de 2017 qui institue un véritable « permis de tuer » au prétexte de « refus d’obtempérer » lors d’un contrôle policier est le point culminant d’une ségrégation qui organise la relation entre blancs d’un côté et « arabes » et « noirs », le plus souvent musulmans, de l’autre. Les quartiers populaires sont gérés comme des lieux extérieurs à la société «normale », des gisements de main-d’œuvre bon marché, entre ghettos et réserves. Ses habitants sont perçus comme une masse indisciplinée, violente, dangereuse, ne bénéficiant pas, de facto, des mêmes droits que les autres. Comme au temps des colonies, les « indigènes » sont en permanence contrôlés, bousculés, harcelés, insultés par des policiers qui selon deux de leurs plus importants syndicats annoncent vouloir combattre les « nuisibles » et les « hordes sauvages ». Ils se considèrent être en guerre et vont jusqu’à menacer l’État : « Demain nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience ».

Que ce discours ne soit pas sanctionné montre l’emprise de ces syndicats factieux sur les institutions de l’État. Souvenons-nous qu’ils s’étaient permis de les défier aux abords de l’Assemblée lors d’un rassemblement en 2021 sous les applaudissements des médias d’extrême droite et – plus grave encore – avec la participation de représentants de presque toute la classe politique, PS, PCF et les Verts compris, à l’exception notable de la FI. Ces tendances séditieuses relèvent d’une longue tradition jamais reconnue ni assumée qui est celle de l’OAS (Organisation armée secrète) qui – faut-il le rappeler – s’est bien implantée dans la police métropolitaine après sa déconfiture en Algérie et dont les héritiers idéologiques perpétuent l’esprit de revanche au sein de différents corps armés (deux-tiers des policiers votent Le Pen ou Zemmour).

Si la police a une telle emprise sur l’État, c’est qu’elle apparaît très visiblement comme le bras armé d’un système néolibéral de plus en plus décrié au sein de la population comme l’ont montré les différentes séquences de révoltes de ces dernières années. Les récentes expressions massives de ce rejet, mouvements des gilets jaunes, opposition à la réforme de la retraite et mobilisation contre l’installation de méga-bassines ont été brutalement réprimées. Par certains aspects, la répression policière et judiciaire rappelle celle que viennent de subir les jeunes révoltés des quartiers populaires. Une répression qui a causé au moins un mort, 7 blessés dont cinq éborgnés et fait condamner des centaines de personnes à de lourdes peines de prison.

Les révoltes des jeunes qui ont suivi l’assassinat de Nahel, quoiqu’en disent la plupart des médias et des politiques qui les réduisent à une éruption de violence apolitique, aveugle et criminelle, est avant tout une rébellion contre le (dés)ordre établi. En effet, l’ordre imposé par le système néolibéral installe leur assujettissement par ses inégalités, son exploitation et son injustice. Il s’agit d’un système qui impose aux populations marginalisées, une éducation et une santé au rabais, les soumet à une justice arbitraire, leur vole leur espace, démantèle les services publics et les transports et, par le mépris au quotidien, finit par confisquer leur dignité.

L’administration, l’école, la justice les broient et la police les humilie, les blesse, les tue. Quand cette jeunesse ose se révolter, il n’est que de l’écraser. Et, dans une pure répartition coloniale des rôles, les politiques et les médias se chargent de lui ôter son humanité en la diabolisant, la « décivilisant ». Pourtant, ces jeunes des quartiers populaires, loin d’être des « sauvageons » de caricature néofasciste, encaissent les coups mais se rebiffent, ils investissent « les beaux quartiers » signifiant à ses habitants leur présence, leur existence. Nourdine Bara, écrivain et habitant de la Paillade à Montpellier, y voit une belle lueur d’espoir quand il écrit : « Une idée grandit vis-à-vis de cette jeunesse : elle serait nihiliste, détachée de tout projet de société. Or, ce que je vois dans le chaos et la fureur, c’est justement l’expression d’un refus de la violence, contre-intuitivement. Par cette violence, la jeunesse refuse la violence la plus dévastatrice : celle du mépris et de l’indifférence2. »

Ce mépris – la hogra -, se retourne contre ceux qui l’infligent à cette jeunesse et en cela leur révolte rejoint celle des autres segments réprimés de la société. Une jonction entre les combats des perdants et des exclus du système, de ceux et celles qui mènent les luttes des gilets jaunes ou se battent pour les acquis sociaux, les luttes anti-racistes des quartiers populaires auxquelles s’ajoutent dorénavant les luttes du mouvement écologiste radical, est le cauchemar de l’oligarchie qui règne et gouverne. Cette confluence politique dont on a entrevu le potentiel lors de la marche organisée suite à la mort de Nahel, tétanise le pouvoir et ses appareils. À nous de faire en sorte que cette convergence s’amplifie, balaie ce régime moribond et jette les bases d’un monde plus juste.

[Tissa]

2. https://www.mediapart.fr/journal/france/290623/la-mort-de-nahel-c-est-l-etincelle-les-raisons-de-la-colere

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