« FORET DE MERDE »

Partout dans les médias et dans les rues, on entend clamer que le pin, c’est de la « merde », qu’il faut tous les couper parce que c’est inflammable. Il faudrait même les déraciner parce que cette « merde » repousse comme du chiendent, une vraie plaie. La faute aux incendies, c’est les pins, alors débarrassons nos collines de tous ces résineux proliférants qui propulsent leurs cônes enflammés jusque dans les jardins, après, on sera tranquille.

On tente alors de se rassurer que nous, ici, on a une belle futaie d’acacias, des feuillus qui font barrière au feu. Ils rétorquent si sec que l’acacia, c’est un parasite de « merde », que ça envahit tout, qu’il faut tout abattre et tout dessoucher, parce que cette « merde » repousse comme du chiendent, une vraie plaie…

Je leur explique qu’ici ça stabilise les terrils en étouffant toute reprise incandescente, que les robiniers fertilisent la terre quand leurs feuilles tombent puisque ce sont des légumineuses. Mais non, ils crient que cette « merde » envahissante prolifère sournoisement et qu’il faut tout abattre pour récupérer les bûches, puis ils écrasent la terre noire pleine de compost avec des engins qui arrachent tout. Un désastre, comme en forêt communale de Besseges où le maire, qui m’a affirmé en 2021 ne rien connaître à la forêt et n’y jamais mettre les pieds, a signé un permis de catastrophe au mépris de toute procédure légale.

Suite à l’incendie de juillet 2022, les 650 hectares des collines au Nord de Besseges sont livrées aux machines pour raser les pins. Tandis qu’est éventré sous nos yeux notre paysage familier, notre colline Sud épargnée par les flammes, où s’étalent les 108 hectares de forêt communale, est étripée par une bande de bûcherons illégaux violents, n’hésitant pas à agresser tous ceux qui osent demander où disparaît le bois. Les randonneurs, les riverains, les promeneurs, les écoliers, les naturalistes ont beau se désoler, rien n’arrête le massacre ? Si, nous, le 4C , le Collectif Citoyen Cévennes Cèze! Notre Collectif ne supporte plus les dérapages répétés, le hors-la-loi éhonté des autorités locales, et l’anéantissement de notre cadre de vie.

Profitant de la frénésie d’abattage camouflée sous prétexte anti-incendie, ils emportent dans leurs camions ces « merdes » d’acacias revendues sous le manteau au prix fort, blanchissant ainsi l’argent soutiré au bien communal.

Ce même jour de 2021 où le maire m’avait accordé un entretien dans son bureau, il avait déploré que faire « gérer » la forêt communale par l’ONF ne lui rapportait rien. Confondant, comme trop souvent, sa propriété personnelle avec la propriété collective, cet ancien banquier avait déjà fait valoir auprès du conseil municipal en avril 2019 que le produit des coupes de bois engrangé par l’ONF sur « Sa » forêt devait atterrir non pas dans la poche de ce service public comme c’est habituel, mais dans celle de la Commune. À ce même conseil, il a fait voter la soumission de ces coupes à appels d’offres, comme la loi l’y oblige. Alors pourquoi s’est-il empressé de détourner la loi et la décision qu’il a lui-même fait voter en attribuant les coupes d’acacias de 2021et 2022 sur territoire communal à un particulier non déclaré massacrant tous les arbres sans aucun contrôle ? Et les emportant par camions entiers pour un profit masqué ? Pourquoi refuse-t’il de présenter aux citoyens les autorisations qu’il a signées et les documents administratifs que la CADA saisie a décrétés communicables ?

Nous émettons l’hypothèse qu’outre le gain immédiat de ces coupes sauvages, il s’agit d’ouvrir un accès direct pour tous les bûcherons envoyés voler les bois convoités, dont le produit financier doit tomber dans les bonnes poches.

La dessus, selon le consensus de bistrot où le maire tient ses quartiers, est abruptement affirmé qu’il faut abattre tous les châtaigniers parce qu’ils sont malades. Sont visés évidement les châtaigniers de la forêt communale sur son versant Nord. C’est vrai, ils souffrent de trois maladies depuis la désertion de ceux qui les cultivaient. C’était l’arbre de la résistance, le pain du pauvre qui assurait les hivers, que la politique agricole a laissé dépérir en Cévennes pour privilégier les plus grosses exploitations des plaines, au détriment de toute auto-subsistance montagnarde, jugée trop dangereuse par les successifs pouvoirs hégémoniques. Ils ont implanté des résidences secondaires à la place, vides quasiment toute l’année, histoire d’empêcher toute graine révolutionnaire chez des gens qui auraient envie de se suffire et de s’auto-organiser en complétude avec leur terroir. Des incontrôlables à surveiller, dont quelques survivants réfugiés qui habitent trop près des forêts désormais interdites à la plèbe, des écologistes de « merde » qui risquent de prévenir de ce qui s’y passe.

Des drones espions capables de scanner entièrement une forêt, qui enferment les forestiers dans des bureaux d’où rien ne leur échappe, sont envoyés débusquer ces engeances suspectes, violant toutes frontières privées. Aucun animal, aucun humain, aucun végétal ne doit échapper aux rayons émis par le laser du système embarqué qui criblent la canopée jusqu’au sol. Ainsi numérisée aux algorithmes et modélisée en 3D, au nom de l’efficacité et de la sécurité pour l’inventaire des bois et des espèces sauvages, le mystère de la forêt et l’intimité de ceux qui y vaquent sont anéantis. Les techniciens déplorent cependant que les résineux fassent obstacles aux lasers qui traversent mieux les feuillus. Donc on abat les feuillus parce qu’ils sont de meilleure qualité et rentabilité, et on abat les résineux parce qu’ils brûlent trop facilement et qu’ils empêchent la surveillance des vivants au sol. Il y aura toujours une bonne raison pour tout abattre, c’est imparable.

Ainsi, on rase les pins, les acacias et les châtaigniers, les essences majoritaires de nos Cévennes, tous de la « merde ».

Leur rêve d’une forêt rasée où foncent les motos cross sur les pistes damées par les bulldozers s’accomplit sous nos yeux. Ils ne pensent que bruit et fureur contre tous ces arbres juste bons à s’enflammer s’ils ne sont pas vite marchandisés en stères. Ils veulent couper et empocher, après eux, le déluge. C’est à peu près comme si un grand malade sous assistance débranchait le respirateur qui le maintient en vie. C’est suicidaire.

Pour diffuser et faire accepter leur politique de gestion militaire, pour se débarrasser de ce qui est naturellement résilient dans nos bois, il faut diffamer gravement le pouvoir de la forêt. Les envahisseurs, ce sont les arbres, les sauveurs, ce sont les aménageurs avec leurs machines géantes et leurs bûcherons hors sol.

Ce qu’ils veulent, en engloutissant l’intuition fraternelle entre humains et sauvages, en reniant l’autonomie salutaire réparatrice des écosystèmes, ce qu’ils veulent du haut de leur arrogance de démiurge, c’est choisir eux-mêmes qui a le droit d’exister sous leur emprise, de la molécule à l’étoile. Le droit de vivre sous leur tutelle idolâtre ne peut être accordé qu’à des plantes et des arbres génétiquement modifiés, alignés, gorgés de produits chimiques arrosés, vidés de leur substance vitale jugée chaotique. Ils s’approprient tout droit génératif en produisant des fantômes végétaux rentables et pas emmerdants, des animaux cernés et prisonniers faciles à abattre à la chaîne, des humains cloués aux écrans.

Ils vomissent la naturalité, et tout ce qui n’a pas besoin d’eux pour aller bien : la forêt naturelle, capable de se régénérer en autarcie, qui vieillit longtemps en enrichissant les milieux, qui s’est toujours bien mieux débrouillée sans eux ; les derniers animaux sauvages, la plupart décrétés nuisibles, qui vivent dans nos ultimes cathédrales de verdure, ces forêts défendues par des écoterroristes rebelles à leur haine du vivant, où ils massacrent chaque année en France entre 30 et 40 millions d’animaux survivants innocents.

Ils refusent d’admettre que l’acacia pionnier prépare le terrain en amendant le sol et offrant une ombre salutaire. Que le pin est l’essence la plus adaptée à une rapide couverture du sol et capable de survivre au réchauffement climatique sous nos températures en déroute. Que le châtaigner dépérit par abandon de sa culture, comme n’importe quel verger non soigné, parce que les jardiniers séculaires ont déserté au profit des mirages industriels et que les jeunes qui veulent reprendre le flambeau en sont empêchés par l’accaparement des nantis.

Comme ils ne font rien pour replanter après la dévastation des pins, des acacias et des châtaigniers, qu’ils recoupent à peine les taillis lignifiés, il ne reste sur les ravinements et l’érosion que le maquis, des buissons rachitiques de genêts et des asphodèles, marqueurs d’un sol dégradé et stérilisé, le minéral à vif.

Se justifiant ainsi de couper toute cette « merde », feuillus et résineux, ils ont toujours raison et la nature a toujours tort. Ils accusent le réchauffement climatique d’appauvrir le sol et provoquer des cataclysmes, ils utilisent les incendies qu’ils ont provoqué pour abattre encore plus, alors qu’ils sont entièrement responsables du désastre.

On se trouve là face à une haine viscérale de la nature, juste bonne à faire du fric en la violant jusqu’à la lie. Après eux, rien ne repousse. Imaginer qu’on peut tout détraquer sans jamais payer la note, prendre sans s’excuser, sans demander pardon, sans compenser, c’est s’exposer à la Nemesis primordiale, la vengeance de la nature. Mais ce sont les plus relégués, les plus pauvres, le peuple de base, la majorité des vivants qui payent le déséquilibre et les dégâts, pas eux. Et nous, doit-on juste pleurer devant cette terre nue, ces collines indécentes, ces pentes martyrisées, ces bois troués, ces versants décapités, que la première tempête va écrouler ?

« Ben tu sais, j’enfouis des glands à chaque balade en forêt, comme ça, y aura des chênes !

– Tu plaisantes, les chênes, c’est de la « merde » !

– Ah bon ?! C’est l’arbre roi quand même ! Et son bois est génial !

– Oui, mais ça met cent ans à en faire dix centimètres, et les jeunes chênes, c’est comme si tu suçais les os d’un piaf !

– Tu manges des moineaux ?!

– Ben non , juste je les tire. Tu crois pas que je vais me faire chier à dépiauter des moineaux, y a rien dessus.

– Ben alors, pourquoi tu les tires ?

– C’est mieux que d’aller tirer des cartons à la foire et moins dangereux que les sangliers !

– C’est juste pour le plaisir alors ?

– Ben oui. Y a pas de mal à se faire du bien ! D’ailleurs, c’est dommage qu’on puisse plus les tirer à la sortie de cages d’élevage, là au moins, on peut faire des cartons vivants ! Non, les chênes, c’est de la « merde », ça pousse trop lentement, je vais pas récolter quand je serais mort ! Ce qu’il faut, c’est planter massivement du Douglas, ça fait de belles planches en quarante ans, voilà !

– Et y aura plus d’oiseaux.

– Ben si, on va en faire en OGM tiens ! Et autant qu’on en veut ! 

– Ah bon. Alors, en attendant, on va faire un tour dans notre forêt de « merde » ?

Pas maintenant, j’ai pas mon fusil ! »

Si tu n’as pas de fusil, alors voici une invitation à visiter notre forêt :

Le 4C, Collectif Citoyen Cévennes Cèze, appelle à mobilisation citoyenne, à Besseges, Dimanche 5 février 2023, pour un pique nique partagé et, à partir de 14 H une balade forestière guidée à travers le bois communal, mis en péril et dévasté par des coupes sauvages illégales. Avec interventions in situ et suivi d’un débat sur l’usage citoyen et la préservation écologique des forêts.

Fléchage à partir de l’ancienne gare SNCF de Besseges située à la sortie du premier pont traversant la Cèze direction Genolhac, puis pendre la première route à gauche et monter jusqu’à la centrale électrique. Parking juste avant, puis monter à pied la piste à droite de la Centrale. Journée reportée en cas d’intempéries.

Sylvie Barbe

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