Éradication du virus versus immunité collective

Nous voici donc en mode déconfinement. Enfin, officiellement. Certains diront que pas grand-chose n’a changé. Et pourtant, qui ne se satisfait pas de l’absence de l’auto-autorisation de sortie et des restrictions en termes de temps et de distance ? Et à y regarder de plus près, tout est engagé pour retourner le plus rapidement possible à « la normale », quoi qu’il en coûte. Vive le boulot et vive les vacances !

Dès le 7 mai, avec l’annonce du plan, pratiquement toute la France se trouvait en zone verte, prête à se déconfiner. Quels en étaient les critères ? La disponibilité des tests, moins de 6% d’admissions aux urgences pour Coronavirus et être en dessous de 60% de patients atteints du Covid-19 en réanimation. Pari remporté selon… l’exécutif. Du coup on nous promettait la réalisation de 700.000 tests par semaine alors que jusqu’à cette date, il n’en avait été effectués qu’un peu plus d’un million en deux mois. On nous promettait la distribution de masques chirurgicaux pour tout le monde et de protection FFP2 pour le personnel médical et paramédical. Et on nous promettait que les activités sociales et économiques pourraient reprendre une à une si toutefois le bilan effectué toutes les deux semaines le permettait.

La réalité de la gestion de l’épidémie est finalement tout autre : Ni les tests, ni les masques ne sont disponibles et sans ceux « faits maison », de nombreuses personnes n’en disposeraient toujours pas. Et déconfinement oblige, les écoles sont ouvertes alors que le comité scientifique conseillait d’attendre septembre. Qu’importe ! L’injonction d’aller enfin travailler est lancée, même si elle n’est pas toujours suivie, le licenciement pointant au bout du chômage partiel. Les trains roulent, les avions voleront bientôt, les restaurants vont ouvrir sous peu et les hôtels aussi. On n’attend plus aucun bilan, et ces clusters dans les abattoirs sont vraiment pas-de-chance. On ne va quand même pas les fermer… pour ça !

Changement assumé de doctrine ? Pas sûr. Souvenons-nous, qu’il y a trois mois – une éternité – les spécialistes nous expliquaient que ce coronavirus à l’instar de celui de la grippe, devait, pour être bloqué, se répandre et contaminer 60 % à 70 % de la population afin d’atteindre une immunité collective. Était-on prêt à assumer plusieurs centaines de milliers de morts pour l’atteindre alors qu’en Asie tout était entrepris avec succès pour l’« écraser » ? En France, on a pu pendant un temps espérer que les décideurs allaient s’inspirer des exemples sud-coréen ou singapourien. Sinon pourquoi imposer ce confinement pendant deux mois ?

En fait cette décision a été prise par défaut : Sans tests ni masques, avec un système de santé défaillant, la saturation des hôpitaux et en particulier des réanimations est très vite arrivée. Il a déjà fallu trier et laisser mourir les plus âgés. Et pendant ce temps, tandis que nous étions interdits de sortie, 65 % des activités économiques continuaient d’être assurées par des millions de personnes : Le personnel médical bien sûr, mais aussi tous ces travailleurs issus des quartiers populaires qui ne pouvaient se permettre de rester chez eux. Il n’a jamais été question de protéger tout le monde.

Et si le but du confinement n’était pas tant d’éradiquer le virus mais de le contenir pour que l’hôpital, et en particulier les services de réanimation n’explosent pas ? L’objectif n’est donc pas tant d’éradiquer mais de vivre avec le virus. Et il circule… Encore 300 admissions à l’hôpital quotidiennement. La nouvelle ancienne doctrine ne consiste finalement en rien d’autre qu’à gérer l’épidémie en attendant la fameuse « immunité collective ». Sauf que jusqu’à présent personne ne sait si immunité il y a vraiment, mais qu’importe, l’économie reprend son cours, tandis que nous pansons nos blessures et comptons nos droits bafoués. La mobilisation des personnels de santé est prévue le 16 juin… Transformons nous toutes et tous en blouses blanches ! [Tissa]

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La fin de leur monde

Il est des évidences parfois trompeuses. En cette époque pourtant marquée par une prise de conscience largement perceptible de l’impasse dans laquelle l’humanité semble vouée en poursuivant son irrémédiable course au développement, certaines conceptions la soumettant à cet impératif demeurent curieusement ancrées. Ainsi, il est encore courant dans le langage commun de parler de progrès technologique, de civilisation avancée, ou encore de victoire de l’humain sur la nature de manière admirative, voire élogieuse, sans pour autant émettre le moindre doute quant à ses bien-fondés. Plus surprenant encore, les réflexions proposant un dépassement de cette évolution aux allures pourtant suicidaires seraient taxées d’utopistes, d’idéalistes, et donc de possibles non réalisables, de vaines chimères, où de perspectives déconnectées de toute réalité.

La crise planétaire déclenchée par la propagation du virus Covid-19 semble avoir provoqué une véritable onde de choc dans les consciences. Les principales craintes face à celle-ci ont pu porter sur la peur de la maladie ou de la mort, la privation de liberté liée au confinement massif des populations, les dérives autoritaires et répressives mises en place, l’incompétence et le manque de moyens alloués par les gouvernements pour faire face à une telle situation. La gestion de cette crise a révélé tant les inégalités sociales que les aberrations du système capitaliste privilégiant le profit économique face au bien être humain. Mais pour autant, tout cela est-il une nouveauté ? Les famines, les guerres ne marquaient-elles pas déjà le caractère éphémère du passage de la vie sur terre ? Les sièges de Beyrouth, Sarajevo, Gaza ou Idlib n’imposaient-ils pas une privation de liberté autrement plus effroyable que celle du confinement ? La menace nucléaire ou celle du bouleversement climatique ne faisaient-elles pas rôder une odeur de mort tout autant anxiogène ? Les populations n’étaient-elles pas déjà clivées par des inégalités issues de la division de la société en classes, par l’essor colonialiste, ou par les ségrégations imposées des ghettos sociaux urbanisés ? La crise, de par le fait qu’elle a touché l’ensemble de la planète simultanément, a ainsi révélé de manière frontale un état des lieux alarmant, mais aussi la résignation qui faisait que prises séparément, ces catastrophes avaient tendance à se confondre dans une morne habitude de désolation. Et là où certaines catégories de populations habituellement épargnées par la tourmente se croyaient protégées, un retournement s’est opéré et c’est dans la chair de tous que le malaise se fait sentir profondément.

Si la question n’est pas nouvelle, alors il convient de rechercher plus lointainement les origines qui ont conduit à une telle déferlante destructrice. Que s’est-il passé pour en arriver là ? En 1962, Lewis Mumford, auteur de plusieurs ouvrages sur le développement humain, écrivait déjà : « La civilisation moderne n’est plus qu’un véhicule gigantesque, lancé sur une voie à sens unique, à une vitesse sans cesse accélérée. Ce véhicule ne possède malheureusement ni volant, ni frein, et le conducteur n’a d’autres ressources que d’appuyer sans cesse sur la pédale d’accélération, tandis que, grisé par la vitesse et fasciné par la machine, il a totalement oublié quel peut être le but du voyage. » Là où le terme de civilisation est encore employé de nos jours afin de marquer une opposition à ce que l’on a coutume d’appeler sauvagerie ou barbarie, et serait censé s’accorder avec une vision idéalisée mais pourtant biaisée du progrès, force est de constater que c’est dans la continuité d’un mythe désincarné et totalisant que s’est bâtie la société actuelle. Et sans méconnaître la part non négligeable d’améliorations techniques, culturelles ou scientifiques qu’a pu connaître la condition humaine par rapport à des formes et des normes antérieures de développement, la question ici est de reconsidérer les fondements principaux sur lesquels elle s’appuie et de dénoncer la domination incontestable que s’est assuré l’humain pour régner en maître absolu sur l’ensemble de la planète. Mumford désignait le terme de civilisation comme l’ensemble des institutions étant apparues depuis ses origines et pouvant se caractériser par : « la centralisation du pouvoir politique, la séparation de la société en classes, la division du travail pendant toute la vie, la mécanisation de la production, l’accroissement de la puissance militaire, l’exploitation économique des faibles, l’instauration universelle de l’esclavage et du travail forcé à des fins industrielles et militaires. » Une constante que l’on retrouve à des proportions variables dans chaque société civilisée depuis l’âge des pyramides et les premières cités mésopotamiennes il y a cinq mille ans déjà…

Le constat de cette soumission accablante et sans espoir de l’humanité aux rouages institutionnels, économiques et technologiques dont elle s’est dotée ne doit pas pour autant être considéré avec fatalisme ou venir s’ajouter à l’écrasement induit par la situation actuelle. Au contraire, celui-ci doit faire émerger la nécessité de s’extirper d’une urgence paralysante sans cesse reconduite de crise en crise pour en faire ressortir les éléments néfastes auxquels s’opposer, et ceux sur lesquels s’appuyer. Car la question de remédier à un modèle de développement en usage depuis plusieurs millénaires ne pourra émerger clairement sans avoir pris auparavant le recul nécessaire pour le faire ou être résolue en un seul jour. Et ce n’est pas avec une vision hypertrophiée où réductrice de l’assujettissement de l’homme moderne à un système intenable que la construction de la société libérée de demain pourra s’effectuer. Au contraire, c’est en comprenant toute la dépendance des êtres humains au système qu’ils ont eux-mêmes mis en place et en cherchant d’où proviennent les erreurs et les fautes de direction prises dans le passé qu’il sera possible d’ancrer une nouvelle image intelligible du monde permettant de supplanter les anciens dogmes. Martin Buber, lors de ses recherches sur le socialisme utopique écrivait en 1952 : « Pour atteindre ce à quoi on aspire, on doit maintenant créer l’espace possible, pour qu’il se réalise par la suite. » Il préconisait de chercher dans la société actuelle les matériaux destinés à faire prendre corps à un projet concret qui à la fois valorise l’exigence d’autonomie des individus et leur capacité à s’associer librement, mais résiste également à l’État centralisateur et au capitalisme. C’est en s’appuyant sur des structures communautaires – existantes ou à créer – de voisinage, de travail et d’entraide qu’un tel projet peut s’expérimenter, sans chercher à résoudre tous les problèmes à la fois, ni à proposer de solution définitive ou de vision politique ex-nihilo. Cette régénération de la société n’est ainsi pas issue d’un rêve abstrait, mais bien une possibilité de faire vivre un idéal ici et maintenant. « L’utopie n’est pas au bout du chemin, elle est le chemin. », expliquait-il, et cela semble aujourd’hui encore la manière la plus réaliste d’assister au passage d’une société basée sur les concepts de puissance, de contrôle et de domination à celle menant vers plus de plénitude et d’émancipation.

La crise liée au coronavirus a ainsi révélé et amplifié des tendances déjà présentes dans la société, tout autant qu’elle a entraîné de nombreuses interrogations dont les luttes d’aujourd’hui ne pourront faire l’impasse. L’endurance de l’humain face aux traumatismes qu’il engendre le laisse en proie à l’une de ses principales faiblesses : son accoutumance, qui l’empêche de se projeter au-delà de ses propres limites. Toutefois, sa résilience lui procure la force d’entrevoir d’autres cheminements et avenirs possibles. Tout l’enjeu de cette crise consiste donc bien en la capacité de se saisir de ces potentialités libératrices pour les concrétiser et les généraliser, et ce jusqu’à ce que la fin de leur monde devienne enfin une évidence. [Grenouille]

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Épisode cévenol n°14

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L’art d’avancer en reculant

L’épidémie a fait officiellement plus de 200.000 morts dans le monde en quatre mois, en réalité bien plus. En France, on compte officiellement près de 25.000 morts en un peu plus de 2 mois, sans inclure ceux décédés à leur domicile. Selon une étude des épidémiologistes de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), sans confinement on comptabiliserait 60.000 morts de plus… rien qu’en France ! Ces chiffres donnent le tournis – n’en déplaise à ceux qui continuent de penser que le Covid-19 est comparable à la grippe en terme de dangerosité et de mortalité.

Revenons quelques semaines en arrière. En l’absence d’une véritable stratégie et des moyens nécessaires – tests, masques et isolement des infectés – pour faire face à l’épidémie, les mensonges du gouvernement et de ses scientifiques de service s’accumulent : « Tout est sous contrôle, allez au cinéma, les élections ne posent aucun problème, les masques ne servent à rien, les tests sont exclusivement réservés aux professionnels de la santé, respectez les gestes barrières sinon vous portez la responsabilité d’être contaminés, etc. » et pendant ce temps le nombre d’infections augmente et la courbe des morts amorce son ascension exponentielle. La théorie de l’« immunisation collective », un temps préconisée, ne peut plus être assumée ou alors comment faudra-t-il justifier des dizaines de milliers de morts attendus ? S’il faut sauver des vies comment faire face avec si peu de lits de réanimation, sans masques ni tests ? La réponse : Le confinement… Toute vie sociale doit être interdite tout en maintenant une partie de l’activité économique.

Et nous voici confinés depuis 6 semaines ! L’un des plus stricts du monde, imposé, non par nécessité mais par impéritie et déficience de ceux qui nous gouvernent. Non pas sur la base du volontariat, en faisant montre de souplesse et en prenant en compte les particularités des quartiers, des régions et des groupes sociaux, non, à la française, de façon paternaliste, en infantilisant avec les auto-autorisations de sortie tout en interdisant les visites dans les Ehpad où les personnes âgées paient un très lourd tribut. Ses conséquences sur le plan social et… sanitaire sont désastreuses. La disette s’étend dans les quartiers populaires de nombreuses villes tandis que la police s’en donne à cœur joie contre ses habitants. Les malades autres que ceux du Covid-19 ne sont pas soignés. Quelle preuve d’impuissance ! Si le confinement a été largement suivi ce n’est pas en raison de la répression mais par souci pour nos voisins, familles, amis, collègues, anciens et malades. Quelle preuve d’humanité !

Le confinement doit être levé dans moins de 2 semaines. Quelle doctrine sera mise en pratique ? Celle s’inspirant de Wolfgang Schäuble (ex-ministre des finances allemand qui a imposé à toute l’Europe la politique d’austérité responsable des coupes budgétaires notamment dans le secteur de la santé) qui s’exprime sans équivoque : « Quand j’entends que tout le reste [comprendre l’économique] est subordonné à la protection de la vie, alors je dois dire : ce n’est pas exact dans l’absolu. S’il y a une valeur absolue dans la constitution, c’est bien la dignité humaine. Mais elle n’exclut pas que nous devons mourir » ? Les mesures préconisées en France dans les prochaines semaines en matière de reprise de travail, transports publics, rentrée scolaire, ouverture de magasins, etc., font craindre que la priorité ne sera pas non plus la « protection de la vie » mais plutôt l’économie.

Plus grave encore : comment reprendre toutes ces activités si les outils permettant de faire face à l’épidémie sont insuffisants ou inexistants ? Ne sommes-nous pas revenus à la case départ : Il faut des tests, des masques et isoler les personnes infectées, comme il y a 3 mois ! Mais déjà des voix menacent : Si une deuxième vague nous submerge c’est parce que nous n’avons pas su respecter les gestes barrières. Finalement comme le chantent si bien « Les Goguettes » (en trio mais à quatre) toute la gestion de l’épidémie ne se résume-t-elle pas à l’équation suivante : « Pour pas se contaminer, il faut se confiner. Mais pour se déconfiner, faut être immunisés, pour être immunisés faut se faire contaminer, pour se faire contaminer il faut se déconfiner. C.Q.F.D. » [Tissa]

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Épisode cévenol n°13

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Ils sont en guerre, nous sommes en colère

La guerre contre le Coronavirus a été déclarée par Macron le 16 mars 2020. Comment expliquer alors que le 15 mars les gens aient été envoyés aux élections, un véritable casse-pipe ? Résultat aujourd’hui : des centaines si ce n’est des milliers d’infections qui auraient dû être évitées.

Comment comprendre à la lueur de ce discours que l’épidémie n’ait pas été prise au sérieux tant qu’elle sévissait en Chine, Corée du Sud et… jusqu’en Italie ? Comment alors comprendre qu’on ne dispose ni de masques, de tests, de gel, de thermomètres, de gants, de combinaisons, de respirateurs, de lits, etc. ? Réponse : Il n’y avait plus de stocks, la santé n’étant plus une priorité depuis longtemps. Résultat aujourd’hui : des centaines de milliers de citadins, emportant avec eux le virus, ont été envoyés s’enfermer « volontairement » dans les campagnes, alors qu’il était possible d’éviter ce confinement très lourd de conséquences.

Ne nous leurrons pas : Ce n’est pas le sens de l’éthique qui motive et guide les actions actuelles des gouvernements européens. Non, ce n’est pas de nous qu’ils se soucient, mais de la rentabilité quoi que cela coûte. Dernier exemple en date : les Ehpad. Quelle tragédie ! Le discours larmoyant autour de « nos aînés » qu’il faut protéger est accompagné de leur enfermement dans les institutions alors même que le personnel est dans l’incapacité de s’en occuper. Et voici que 2 semaines après l’hécatombe est dévoilée. Le comble cependant est qu’on a voulu effacer ces morts comme les personnes décédées chez elles en ne les comptant pas.

Macron brandit des milliards d’euros, donnant l’illusion qu’enfin le gouvernement se soucie de nous. Regardons de plus près où doit aller cet argent : Le maintien de l’appareil économique. Quand il promet une prime au personnel soignant, une revalorisation des statuts, etc., il promet une récompense individuelle mais ne se soucie pas du système de santé public.

Le cynisme de cette logique économique fait fi des pertes humaines. La théorie de l’immunité collective admet la mort de centaines de milliers à l’échelle de la France. Si cette stratégie a été non pas abandonnée mais atténuée, la principale contradiction entre l’impératif économique et la santé continue de dicter les décisions.

Aujourd’hui l’heure est à l’organisation collective dans le confinement. Mais la colère est là. Elle était forte avant la crise, elle adopte une courbe exponentielle car chaque mort du Covid 19 est le résultat du cafouillage, de l’incurie et de la désorganisation au sommet de l’Etat. Chaque mort du Covid 19 rappelle que ce sont ces politiques basées sur le profit qui nous tuent. Le gouvernement sait ce qui l’attend. L’heure du bilan va sonner et il ne sera pas que sanitaire ! [Tissa]

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Et ainsi tout recommencera…

« Il n’est jamais trop tard pour s’arrêter », dit-on parfois à des personnes mettant dangereusement en jeu leur santé de par leur incapacité à renoncer à une consommation excessive de produits nocifs tels l’alcool ou le tabac. Cette pathologie consistant à se détruire plus ou moins consciemment à petit feu est souvent considérée sur un plan strictement médico-social et traitée à titre individuel, mais n’est pourtant que très rarement pensée de manière globale. Car si l’addiction peut se caractériser comme l’envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose malgré la conscience des problèmes qu’elle engendre, force serait de constater que les élites mondiales dans leur volonté compulsive de générer toujours plus de profits tomberaient aisément sous le joug de cette définition.

Ainsi, la crise actuelle mondiale liée à la propagation du virus Covid-19, dans tout ce qu’elle peut être révélatrice des incohérences et inégalités portées par le système capitaliste depuis des générations, nous révèle une fois encore comment, même face à la catastrophe, aucune remise en considération ne saurait avoir lieu de la part des gouvernants. Bien au contraire, et au-delà de toute logique rationnelle qui voudrait qu’aux effets on réponde à la cause, ceux-ci prévoient d’ores et déjà de raviver l’incendie en jetant des milliards de dollars, d’euros où de yens dans la fournaise de l’économie mondiale. Celle-là même pouvant pourtant être largement incriminée d’être responsable de la crise, et des multiples maux dont la majorité de la population souffre actuellement dans le monde…

L’origine des propagations virales n’est ainsi plus un mystère pour les épidémiologistes. Ceux-ci s’accordent à en trouver les causes dans les diverses activités humaines issues de la société moderne, telles la perturbation des milieux naturels par la déforestation où l’accaparement des terres pour les besoins de l’agriculture intensive. Si ce fait n’est pas une nouveauté en soi, il a cependant gagné en ampleur en raison de l’intensification des bouleversements pratiqués depuis des décennies, et de la facilitation des moyens de propagation. Si autrefois une bactérie porteuse de maladie mettait des semaines dans un navire pour voyager d’un continent à l’autre, et si la contagion pouvait aussi bien se résorber durant le trajet, celle-ci peut aujourd’hui faire le tour la planète en à peine plus de temps qu’il n’en faut pour remplir le réservoir de kérosène de l’un des nombreux transports maritimes ou aériens sillonnant le monde pour les besoins de la mondialisation. Et une fois arrivée à bon port, celle-ci peut se répandre aisément au sein d’une population dont l’immunité est déjà fragilisée par diverses pollutions industrielles – comme par exemple en Italie du Nord, à cause de la chaîne alimentaire agro-industrielle, ou du fait du manque de moyens apportés par des services de santé déjà mis à genoux par le système libéral.

Mais pour autant, et malgré ce constat flagrant, la charge du naufrage n’est pas imputée à ceux qui l’on causé, et la critique d’un système déjà maintes fois jugé intenable est passée sous silence au nom de l’effort national et de l’urgence prévalant pour résoudre ladite crise. L’ensemble des pots cassés sont ainsi payés par les populations, et particulièrement les plus pauvres, qu’elles soient confinées aujourd’hui, ou pressurisées demain pour rembourser les fonds colossaux distribués aux entreprises du capital pour la relance de l’économie. Car dans cette logique de l’omission, il faut créer le subterfuge, et se prémunir de la contestation. L’état d’urgence sanitaire est ainsi créé et les pleins pouvoirs sont octroyés. Et si la propagation du virus s’amplifie, c’est à la population ne respectant pas sa réglementation qu’en incombe la faute, non aux gouvernants qui tant occupés à voter leurs lois auraient oublié de fournir masques de protection ou tests de dépistage à celle-ci. Le délit de « mise en danger de la vie d’autrui » et les diverses interdictions s’appliquant aujourd’hui aux individus seront très vraisemblablement banalisées demain, tout comme les lois de l’état d’urgence de 2015 censées lutter contre le terrorisme international ont restreint les libertés de chacun avant d’être entérinées en 2016. Et lorsque sonnera l’heure de l’état d’urgence climatique, ce sera une fois encore aux populations de se priver ou d’être sanctionnées au nom du maintien de l’économie et de l’industrie qui l’auront engendré.

La question vient alors de que faire pour briser ce cercle sans fin. Assujettie à un salaire et à des loyers à payer, la majorité de la population se trouve prise dans l’engrenage de la perpétuation du système et contrainte de participer au maintien de cette économie destructrice et assassine. Et faute d’alternative crédible, elle semblerait condamnée à quémander l’aumône d’une réforme où réduite à attendre une miraculeuse et subite prise de conscience des dirigeants proposant quelques mesures-paillettes de l’équivalence d’une goutte dans l’océan… Mais pour stopper la machine, il ne suffit pas d’espérer que la cadence soit réduite, il faut l’arrêter complètement, et s’organiser. Car si l’économie tourne pour l’instant au ralenti, que les transports sont à l’arrêt, que la nature reprend doucement sa place dans ce soubresaut d’accalmie, et que le chant des oiseaux se fait entendre aux fenêtres, celle-ci planifie déjà sur quels rails se remettre en marche et prend de l’avance. La grande distribution, le commerce en ligne ou uberisé augmentent à vue d’œil leurs parts de marché et le patronat se frotte les mains à l’idée des latitudes qui lui seront bientôt offertes… Beaucoup disent que quand tout sera fini, rien ne sera plus comme avant, la formule peut présenter de l’optimisme, mais que cela implique-t-il réellement pour qui désire sincèrement œuvrer vers cet « après » ? De retourner au travail puis d’enfoncer la clé dans le démarreur de son véhicule pour aller faire ses courses en attendant que les choses changent ? Ou de descendre dans le silence de la rue et de marcher vers les lieux de pouvoir où les véritables responsables officient afin de leur signifier que tout est bel et bien fini ? Ces deux options résultent d’un choix, mais il ne faut pas l’oublier, il n’est jamais trop tard pour les arrêter. [Grenouye]

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Épisode cévenol n°12

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Municipalisme participatif : un pas en avant vers l’émancipation sociale ?

Phénomène encore marginal lors des précédentes élections municipales, la constitution de nombreuses listes dites « participatives » ou « citoyennes » pour le scrutin de 2020 marque une tendance semblant ancrer un regain d’intérêt et une reconsidération de la politique à l’échelon local. Souvent présenté comme une volonté de revaloriser la parole des citoyens et de remettre le pouvoir entre les mains des habitants des villes et des communes, le municipalisme participatif serait ainsi une avancée vers une nouvelle manière de gouverner, plus démocratique mais aussi plus respectueuse de valeurs sociales ou environnementales.

L’essor de cette participation citoyenne puiserait son inspiration d’appels multiples à s’emparer du pouvoir local et à dépasser le cadre habituel du modèle représentatif largement décrié pour ses lacunes en terme d’écoute et de prise en considération démocratique. Sont ainsi souvent citées comme références les mouvements assembléistes refusant une hiérarchisation de leur mode de fonctionnement tels ceux des Indignés en Espagne ou d’Occupy Wall Street aux États-Unis, les mouvements français des Nuits debouts ou des Gilets Jaunes avec la tenue des Assemblées des assemblées ou la proposition de Référendums d’Initiative Citoyenne (RIC).

Pour autant, si la prise de conscience que la possibilité d’agir et de changer les choses ne peut vraisemblablement se faire au niveau étatique – le récent passage de la réforme des retraites au 49.3 n’étant que la dernière illustration d’une longue tradition d’autoritarisme et d’abus de pouvoir gouvernemental face aux revendications sociales et populaires – celle de s’organiser au sein même de l’institution peut présenter de sérieuses limites et incohérences. Et malgré l’aspect qui paraîtrait au premier abord plutôt réjouissant de vouloir amener un peu d’air frais au sein de l’instance réputée la plus proche de la population, il importe de creuser plus amplement la question.

Une partie des listes participatives s’est constituée dans le sillage de mouvements horizontaux de contestation large, de luttes locales prenant comme points de départ le refus de projets d’aménagements jugés nuisibles ou la fermeture de services publics, ou plus simplement en opposition à d’inlassables reconductions de mandats et prises de décisions sans concertation issues des précédents conseils. Là où une contestation était présente localement afin de faire pression sur les élus, il s’agit dorénavant de se faire élire soi-même afin de prendre les rênes en main. Le risque ici, en invitant les gens à se réapproprier leur destin par une participation aux rouages institutionnels, est bien de s’assujettir aux exigences et contraintes de ceux-ci pour au final porter plus d’intérêt au rythme des échéances électorales plutôt que d’agir dans la vie quotidienne. De surcroît, et les exemples ne manquent pas, le potentiel de rupture qui pouvait émerger de mobilisations spontanées et auto-organisées, une fois celles-ci tombées dans la normalisation de l’institution, ont dans leur immense majorité vu leurs exigences politiques et leurs revendications s’étouffer.

D’autre part, la nécessité de représentativité inhérente au modèle électoral fait que bon nombre de programmes peuvent se retrouver dès leur élaboration édulcorés – si ce n’est dépolitisés – ou bien même réduits à une simple déclaration de façade participative incitant les citoyens à donner leur avis pour des projets déjà tout tracés. Une liste participative ne peut pourtant faire l’économie d’une critique fondamentale d’un système qui entretient les inégalités et injustices, ni ne s’engager à les combattre. Et la seule garantie de se présenter avec la volonté de recueillir les avis de chacun dans des commissions ou groupes de travail, quand bien même ils seraient pris en compte, ne suffit pas à s’affranchir de reproduire ces dernières une fois élu. Les exemples de la liste participative catalane Barcelona en Comú poursuivant la chasse aux vendeurs immigrés à la sauvette ou celle grenobloise d’Eric Piolle coupant l’eau et l’électricité à des squats hébergeant une population en grande précarité laissent ainsi songeurs…

Et au delà des limites légales imposées par le pouvoir restreint des communes, notamment happées par les communautés d’agglomération, et la faible latitude laissée face à la main mise centralisatrice de l’État, c’est bien le risque de se heurter à une incapacité toute tracée de ne pouvoir réaliser que de maigres avancées et de se retrouver ainsi découragé à poursuivre un engagement plus profond. Les volontés d’installer quelques producteurs bio ou de limiter la production de déchets au niveau d’un village, même si l’on ne doute pas de la pertinence de tels projets, font ainsi bien pâle figure face au changement climatique causé par la dévastation industrielle capitaliste. L’importance du propos ne réside alors pas dans le fait de questionner la pertinence du petit-geste-qui-peut-sauver-la-planète très prôné par certains, mais bien dans celui de ne pas se laisser intégrer dans le fonctionnement et la logique qui la détruisent.

Ainsi, si agir et s’organiser localement de manière large, directe, et horizontale semble une voie primordiale vers la perspective d’une société émancipée, se restreindre à ne pas dépasser le cadre donné, à ne pas porter son action et sa réflexion en dehors, et face à l’institution, ne restera qu’une tentative vaine de réaliser de réels changements. De nombreuses initiatives éparses et contre-pouvoirs existent et restent à consolider afin de développer une forme politique capable de porter chaque individu au-delà des limites du système actuel. Espérons toutefois que les idéaux du municipalisme participatif ne se borneront pas à de simples annonces électorales mais seront réellement expérimentées dans un esprit de rupture et d’innovation.

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Épisode cévenol n°11

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