Aux mêmes maux, les mêmes remèdes ?

Se pencher sur des projets de développement territorial n’est jamais chose évidente. Au premier abord, les dossiers de présentation les mettant en valeur sont toujours très soignés et prometteurs, mais une fois passé le cap de la première lecture, et une fois les artifices du langage institutionnel mis à nu, on se demande souvent si leurs contenus exhaussent vraiment les espoirs suscités… Ainsi, lorsque que le Maire de la commune de Saint Jean du Gard informe ses administrés dans un entretien accordé au Midi Libre le 26 décembre dernier que le village allait adhérer au programme “Petites villes de demain”, nous avons eu envie d’en savoir un peu plus et de défaire les rubans de cet intrigant présent tombant à point nommé.

Le programme « Petites villes de demain » est piloté par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), une instance gouvernementale récemment créée en janvier 2020. Il vise à donner « aux élus des villes et leurs intercommunalités de moins de 20 000 habitants exerçant des fonctions de centralités et présentant des signes de fragilité les moyens de concrétiser leurs projets de revitalisation ». Il ambitionne de répondre à l’émergence des nouvelles problématiques sociales et économiques, et de participer à l’atteinte d’objectifs larges et variés de transition écologique, démographique, numérique et de développement. Selon Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, ce programme « cousu-main » s’appuierait sur deux piliers : « la transition écologique et la résilience ». En tout, 1 000 communes sont sur le point d’être sélectionnées par les préfets de département et seront accompagnées sur un programme national d’une durée de six ans.

Il semble important, dans un premier temps, de comprendre de quelle manière ce type de projet s’inscrit dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire menées ces dernières décennies afin de mieux en saisir les enjeux. La notion de centralité, qui va permettre de définir les communes bénéficiaires de ce programme, est un concept qualifiant la capacité d’action d’un élément sur sa périphérie1. Il s’agit dans le cas présent de s’intéresser aux petites communes situées en zone rurale ou péri-urbaine, et caractérisées par la concentration et le caractère structurant des commerces, services et équipements fréquentés par leur population, mais également par les habitants des communes voisines qui ne possèdent pas d’équipements de proximité sur place. Seront donc pris en considération les ressources propres à la commune, mais également l’aire d’influence et l’attractivité de ses fonctions économiques exercées sur celles avoisinantes.

Se dresse alors le constat que ces petites centralités doivent faire face à de nombreuses difficultés liées à une perte de croissance démographique et économique. En effet, de profondes mutations de la société ont entraîné une dévitalisation de ces territoires dont les causes sont aussi larges que variées : fermeture des bassins miniers et industriels entraînant un départ des populations, développement des zones périurbaines captant les classes moyennes, les commerces et les entreprises au détriment des centre-villes, aménagement de zones touristiques attirant les résidences secondaires… Mais ce sont aussi l’hyper-mobilité, la déconnexion entre lieux de vie et de travail, ainsi que l’évolution des modes de vie et de consommation (société des loisirs, individualisation des pratiques, etc.) qui ont favorisé l’émergence de polarités telles que les centres commerciaux, les gares les voies urbaines, et qui, en exerçant un effet d’entraînement sur d’autres activités, remettent en question la centralité exercée par un centre-ville historique sur sa périphérie.

Le soutien à la revitalisation des centres villes constituerait alors une des priorités du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Cet intérêt pour la question n’est pourtant pas nouveau, car depuis près de 50 ans, les pouvoirs publics s’attachent précisément à cet objectif On pourra citer notamment la politique des contrats de pays mis en place 1975 par l’État afin d’enrayer le dépérissement de certaines zones rurales et de répondre aux besoins de proximité immédiate, les lois Pasqua (1995) et Voynet (1999) qui à l’échelle des bassins de vie ou d’emploi proposaient des cadres de coopération entre acteurs publics et privés, leur permettant d’élaborer des projets locaux de développement, ou plus récemment en 2014 le programme national pour la revitalisation des centres-bourgs dont l’objectif global est de conforter un maillage équilibré du territoire par la présence de centres-villes vivants et animés.

Mais c’est dans le rapport de la « Mission prospective sur la revitalisation des centres-villes » figurant en référence du programme « Petites villes de demain » que nous percevons l’esprit général semblant guider les orientations du projet. Rédigé en 2018, celui-ci dresse le constat que les politiques en faveur des centres-villes ne peuvent se contenter d’aborder comme auparavant la question sous les seuls angles du commerce ou de l’habitat. C’est la « cohérence d’un projet à 360° mixant commerces, services, habitat, déplacements qui sera de nature à créer l’attractivité commerciale de demain. » Le rapport insiste sur la nécessité de volontés politiques fortes, au niveau national afin de donner « la priorité aux mesures concrètes permettant de rétablir l’attractivité », et au niveau local, « en intégrant pleinement le centre-ville comme espace de projet et d’implantation des commerces mais aussi des services non-marchands dont les services publics. »

Il est intéressant de noter à ce niveau que les principaux missionnaires de ce rapport, qui apportent donc leur expertise et leurs recommandations pour la définition des axes des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire, occupent, dans la majorité des cas, des fonctions de direction dans des organismes promouvant le commerce et la grande distribution tels que : la CCI France (Chambre de Commerce et d’Industrie), la FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution), le SCC (Shopping Center Company), le CNCC (Conseil national des centres commerciaux), FNH (Fédération nationale de l’habillement), CDCF (Conseil du commerce de France). Les objectifs de transition écologique, de cohésion sociale ou d’implantation de services à destination des populations sont donc à comprendre à travers ce prisme là, celui de la nécessité de relancer le commerce dans des zones en perte de vitesse économique.

Armés de ces quelques éléments de compréhension globale, nous pouvons maintenant nous intéresser plus précisément aux offres proposées par le programme « Petites Villes de demain », élaboré, nous le rappelons, dans le but de « constituer un outil de la relance au service des territoires ». Ce sont ainsi plus d’une soixantaine de mesures qui sont mises à la disposition des élus des communes concernées et qui vont leur permettre d’être accompagnés tout au long de la conceptualisation et de la définition d’un projet adapté à leur localité.

Parmi celles-ci, nous pouvons citer, outre le financement de postes de « chef de projet » ou de « manager de centre-ville » destinés à la conduite du projet, la possibilité de bénéficier de divers modules thématiques permettant notamment : d’intégrer le numérique dans le quotidien des artisans, de mobiliser les outils et ressources développés dans le cadre de la démarche EcoQuartier, d’accueillir une association locale promouvant les métiers manuels et du patrimoine et les liens intergénérationnels ou encore, d’obtenir un financement et une expertise pour construire un projet de territoire appuyé sur une démarche paysagère… Est aussi planifiée au niveau national la création de 200 « Fabriques du territoire », structures regroupant des services liés au numérique (télétravail, ateliers partagés…) profitant à l’ensemble du territoire, de 500 « Micro-Folies », dispositif permettant un accès numéri à la culture, et celle de 800 « France Services », relais destinés à permettre à chaque citoyen, quel que soit l’endroit où il vit, d’accéder aux services publics et d’être accueilli dans un lieu unique pour effectuer ses démarches du quotidien.

Ainsi, à travers tout ce bric-à-brac de mesurettes institutionnelles se côtoient pêle mêle toutes les dernières orientations gouvernementales du moment, c’est bien l’approche libérale qui prédomine largement et créé la cohérence de l’ensemble. Le développement du tout-numérique apparaissant en filigrane dans la quasi-totalité du programme est en parfaite adéquation avec la généralisation de la couverture en fibre optique prévue d’ici 2025 sur tout le territoire, le déploiement de la 5G, et les colossaux marchés privés qui y sont liés. La transition écologique vue par le biais de la rénovation énergétique, de la création de labels écocertifiés, ou de la valorisation de savoirs-faire et du patrimoine est l’outil idéal de la relance économique. L’optimisation des lieux de télétravail, l’accès regroupé et numérisé des services aux publics et celui des lieux de culture permettent cyniquement de pallier à moindre frais à l’insuffisance des implantations sociales détruites au fil des réformes des trente dernières années2.

Le travail de privatisation entamé sous l’égide du développement moderne capitaliste s’octroie aujourd’hui encore un peu plus d’espace avec une imbrication de plus en plus prégnante au sein de tous les pans de la vie sociale. Sans trop de surprise, la relance au service des territoires, telle que promue de la sorte, est bien celle des intérêts marchands, et fort est à parier que dans six ans encore, aux mêmes questions seront apportées les même réponses. Nos écoles, bibliothèques, bureaux de poste, associations culturelles et de quartier n’auront qu’à pendant ce temps poursuivre leur dépérissement en silence. Ainsi, loin de satisfaire les exigences légitimes d’un réel changement lié aux enjeux sociaux et environnementaux actuels, gageons que les initiatives locales se construisant en dehors et en opposition aux politiques utilitaristes se consolident et viennent remédier aux maux que nous subissons.

[Grenouille]

1 Concernant les notions de centralité et de politiques d’aménagement du territoire abordées dans ce paragraphe et les suivants, nous nous basons sur l’étude « Petites centralités, Entre desserrement urbain et dynamiques macro-régionales » publiée en mai 2019 par le CGET.
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Épisode cévenol n°17

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De la violence en ordre de marche…

Article paru dans l’Épisode cévenol numéro 16.

Il est des réalités qui ne trompent pas. Pourtant, dans l’esprit d’un trop grand nombre de nos dirigeants politiques, l’art de maîtriser le discours médiatique semblerait suffire à pouvoir passer outre la véracité de certains faits. Ainsi, lorsque le plus haut représentant de l’État français déclare solennellement sur un plateau de télévision en mars 2019, en plein mouvement des Gilets jaunes : « Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. », le constat pourtant indéniable des milliers d’arrestations et des centaines de blessés comptés parmi les manifestants est alors bafoué, et toute observation critique de la question est coupée court. Mais plus inquiétante encore est la propension de ce type d’injonction a être reprise et banalisée au sein des classes politiques et des médias. Celle-ci conférerait alors paradoxalement une certaine dose d’authenticité à ces contrevérités en poussant l’opinion publique à accepter et à se conformer à ce martelage en boucle.

Le déni de la répression politique et des violences policières est une tradition bien ancrée au pays des droits de l’homme, et la véracité, comme le disait une célèbre philosophe, n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques… Le récent passage de la loi dite de « sécurité globale » à l’hémicycle de l’assemblée nationale, pourtant entaché dans la même période par plusieurs agressions policières révoltantes, ne semble pour l’heure changer que peu de choses à cet omerta. Ce sont maintes légitimations qui ont au contraire abondé pour tenter de justifier des actes inexcusables. De la mise en tension permanente des forces de sécurité depuis 2015 entraînant des difficultés dans l’exercice du maintien de l’ordre, aux comportements violents de certains manifestants nécessitant une réponse proportionnée, de l’irresponsabilité de l’extrême gauche tentant de piéger le gouvernement à un moment inopportun afin de servir son projet politique, chaque tabassage trouve aisément sa raison d’être. Tout au plus, ce sont les responsabilités individuelles de certains fonctionnaires de police qui sont pointées du doigt – ceux qui auraient « déconné », mais qui de fait laissent la part belle à l’ensemble de la profession, tel l’illustre le ministre de l’Intérieur en assénant son « soutien sans faille aux policiers ».

Et là où le discours dominant utilisait autrefois l’euphémisme de « bavure policière » pour couvrir un agent de la paix dont l’arme aurait déversé quelques balles dans le dos d’un suspect, c’est maintenant celui de « brebis galeuse » qui est employé pour cautionner un passage à tabac trop visible et encombrant. Évidemment, du point de vue du capitaine, mieux vaut blâmer un matelot que saborder le navire… Mais si la gravité des actes individuels ne sauraient être remise en question, c’est bien le caractère systémique de cette violence qu’il faut également – et surtout – remettre en cause. Car comment imaginer un seul instant que les ordres donnés par le préfet de police de Paris pour évacuer les campements de migrants du centre de la capitale, tel celui de la République les 23 et 24 novembre dernier, n’ait pas obtenu l’assentiment de l’Intérieur ? Comment ne pas faire le lien pourtant évident entre les tabassages de nombreux journalistes et les entraves faîtes à l’exercice de leur métier lors de manifestations avec le vote de l’article 24 interdisant de filmer les représentants de l’ordre public en action ? Comment ne pas constater la recrudescence des contrôles de routine exercés avec une violence exacerbée depuis la mise en application de l’état d’urgence sanitaire et celui entériné précédemment par la loi renforçant la sécurité intérieure ?

Si, afin de préserver leurs acquis, les syndicats policiers font aujourd’hui bloc derrière leurs collègues montrés du doigt par le gouvernement dans l’esprit corporatiste qui leur est coutumier, il ne faut pas oublier qui leur a lâché la bride jusqu’à aujourd’hui. Du principe de légitime défense accordant toute latitude à leurs agissements à celui d’un service d’inspection de la police dont la partialité pose intrinsèquement question, l’impunité judiciaire est bien ancrée dans l’institution. Et ce ne sont pas les soi-disant expertises qui dans l’immense majorité des cas confortent les acquittements lors de rares procès de policiers mis en cause qui contrediront cette réalité. Cette inégalité de traitement, les proches de victimes d’Adama Traoré, de Cédric Chouviat ou de Zineb Redouane et de nombreux Gilets jaunes l’ont bien comprise… La justice à deux vitesses n’est désespérément plus à démontrer, et il n’est pas difficile de comprendre que gouvernement et représentants des forces de l’ordre ont des intérêts communs à défendre.

La couverture médiatique actuelle des violences policières peut s’expliquer par le fait que plusieurs vidéos, dénonçant de manière incontestable certains de ces abus, ont pu être largement diffusées sur les réseaux sociaux alors que le vote de nombreuses lois liberticides amenant justement ces images à être censurées est en cours. De manière générale, c’est également le climat sécuritaire ambiant et l’arsenal législatif mis en place depuis quelques années afin de parer à l’effervescence de la contestation sociale qui rend l’enjeu du sujet d’autant plus bouillonnant. Ainsi, la tentative d’étouffement idéologique qui l’accompagne n’a en soit rien d’étonnant, car en affirmant que les violences policières n’existent pas, ce ne sont pas seulement les policiers qui sont mis hors de cause, mais ce sont bien les victimes de leurs abus qui disparaissent, et avec elles, tout le contexte social qui l’accompagne. Et c’est bien là l’un des dangers de cette politique totalisante qui voudrait effacer une réalité trop dérangeante et porteuse des germes d’une opposition dont le message ne peut que prendre de l’ampleur. En cela, si chaque jour la possibilité de parler de répression ou de violences policières est restreinte un peu plus, c’est certainement que le passage d’un État de droit à celui d’un État policier suit son cours, mais également qu’un mouvement émancipateur le précède.

Grenouille

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Un pouvoir aux abois montre ses dents

Article paru dans l’Épisode cévenol numéro 16.

Depuis quelques années, le pouvoir est sur la défensive. « Pardon », direz vous, sur la défensive ? Qu’en est-il de ces lois liberticides, ces mesures anti-sociales et de la répression tous azimuts ? Absurde, cette affirmation au vu des derniers développements en particulier depuis l’avènement de l’ère Macron ?

Le jeune président « moderne », startuper dynamique, partisan du « en même temps » ni de gauche, ni de droite culbute dans un autoritarisme qui ravirait pour ne pas dire séduirait l’extrême droite. D’aucuns disent que le motif de ce revirement (en est-il un?) serait motivé par la soif de pouvoir à 18 mois des prochaines présidentielles. Il lui avait fallu dompter la gauche pour ratisser ensuite à droite et très à droite. Il miserait sur le duel avec Le Pen. Cependant, cette assertion n’explique pas tout. Pourquoi prendre le risque de créer le vide à gauche qui pourrait être comblé, notamment par un Mélenchon ? Pourquoi se mettre à dos de plus en plus de « marcheurs » qui ne le suivent plus dans sa dérive autoritaire? Pourquoi provoquer l’ire de tous les croyants quel qu’en soit le culte avec la fameuse loi sur le « séparatisme » ?

Rappelons que suite aux attentats de janvier 2015, les dispositions de l’état d’urgence sécuritaire largement inspirées de la loi de 1955 édictée durant la guerre d’Algérie, ont été intégrées dans le droit commun (restriction de la circulation, fouilles et palpations sur instruction du préfet ; fermeture des lieux de culte ; assignation à résidence ; perquisitions administratives ; surveillance des déplacements et des communications ; etc.). L’exception a été érigée en norme. Avec la pandémie, un nouvel état d’urgence, cette fois-ci appelé sanitaire, est imposé. Prorogé plusieurs fois, cet état se banalise, notamment en matière de restrictions de mouvements (autorisations de sortie, couvre-feu,…).

Mais comme si cette situation d’exception ne suffisait pas, une batterie de lois accompagne un discours de plus en plus ouvertement autoritaire et raciste. La dernière en date, la loi dite de sécurité globale n’était pas encore passée devant le parlement que les flics se sont vu poussés des ailes et s’en sont donné à cœur joie lors du démantèlement d’un camp symbolique de migrants sur la place de la République à Paris ou contre un producteur de musique noir, tabassé pendant de très longues minutes dans son studio. Son calvaire n’aura pas été vain, la scène, filmée, a suscité un tel tollé que la fameuse loi pourrait être retoquée, en particulier l’article 24 qui de facto interdit de filmer les forces de l’ordre en pleine action. Il va sans dire que le droit commun regorge de suffisamment de dispositions protégeant les flics. En fait cette loi n’est rien d’autre qu’une garantie supplémentaire pour ceux qui vont être amenés à intervenir de plus en plus souvent face aux luttes sociales à venir.

Si la répression touche tout autant les gilets jaunes, les soignants, les syndicalistes et les journalistes, ceux qui subissent systématiquement violences et discriminations (policières, administratives, etc.) – dans une effrayante continuité coloniale – sont les Noirs et les Arabes, les Musulmans ou perçus comme tels. L’ennemi intérieur étant désigné, le cadre idéologique planté lors des discours de Mulhouse le 18 février et aux Mureaux le 2 octobre, il reste à l’ancrer dans un socle juridique : un projet de loi contre le « séparatisme » (rebaptisée loi « confortant les principes républicains ») a été présenté en conseil des ministres le 9 décembre, jour anniversaire de la loi de 1905 ! Le Chef du gouvernement, Jean Castex, tout en se défendant de promulguer une loi « séparatiste » affirme le jour même que « L’ennemi de la République, c’est une idéologie politique qui s’appelle l’islamisme radical » 1.

Toutefois, comme le précise un responsable de la Fédération protestante de France : « Avec ce projet, on est en train de passer d’une laïcité de principe et de droit à une laïcité de combat et d’idéologie » 2. Car si ce sont les Musulmans qui sont prioritairement ciblés, les autres communautés religieuses s’inquiètent à raison. « En touchant à pas moins de quatre lois fondamentales aux libertés publiques, celles de 1881 (liberté de la presse), 1882 (instruction primaire obligatoire), 1905 (séparation de l’Église et de l’État) et 1907 (exercice public des cultes), en renforçant la police des cultes, en étendant les motifs de fermeture des espaces religieux et en alourdissant les régimes de sanctions à l’encontre des associations loi 1901 et 1905, le projet en cours se présente comme l’une des plus importantes tentatives de refonte de la loi de séparation de l’Église et de l’État » 3.

Quant à un politique comme Jean-Luc Mélenchon, qu’on ne peut soupçonner d’affinité religieuse, il met en garde le parlement lors de la présentation du projet de loi : « Vous visez l’Islam et vous le faites sans discernement, en ne tenant pas compte de ce qu’est l’histoire profonde de la France (…) La guerre de religion ne vaudra jamais rien à la France. Trois siècles de guerre entre catholiques et protestants après mille ans de mauvais traitements à l’égard des juifs. Où tout cela nous a mené ? Nulle part ! Jusqu’à la grande loi de 1905 qui dit la seule chose qui vaille : L’Etat ne reconnaît aucune religion ! » 4.Mais voilà que ce fervent adepte de la laïcité se voit aujourd’hui traité d’islamo-gauchiste en résonance à l’infâme formule antisémite de judéo-bolchéviste.

Macron a clairement énoncé aux Mureaux en quoi consiste le séparatisme : « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste. (…) Et il y a dans cet islamisme radical, puisque c’est le cœur du sujet, abordons-le et nommons-le, une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle, complet celui-ci. Et c’est ce qui fait qu’on en vient ainsi progressivement à rejeter la liberté d’expression, la liberté de conscience, le droit au blasphème »5. Avec ces propos se profile la thèse du « grand remplacement » chère à de nombreux extrémistes de droite ! Et Darmanin de renchérir : « l’idée était bien de lutter contre le séparatisme principal qu’est l’islam radical »6 . Voilà un glissement sémantique dangereux passant de « séparatisme islamiste » à « islamisme radical » puis « islamisme » et «Islam politique» ou « radical » pour finalement cibler l’Islam. Le Président n’a-t-il pas prétendu que « l’Islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui » ? Avant même que la loi ne soit promulguée, plusieurs associations ont d’ores et déjà été dissoutes, parmi lesquelles le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), tandis qu’une « action massive et inédite » est lancée contre 76 mosquées soupçonnées de « séparatisme » et menacée de fermeture sans que les critères ne soient explicités.

Que nous répète-t-on ? Attention, la République est en danger ! D’où viendrait la menace ? D’un conglomérat aussi diffus que mouvant constitué de tous les mouvements qui mettraient à mal les fondements de la République « impériale » : les groupes antiracistes, anticolonialistes, Black lives Matter, les islamo-gauchistes, les manifestations contre l’islamophobie et les violences policières et pire ! Imaginez une convergence de ces causes avec d’autres luttes sociales, écologiques, féministes ! L’heure pour l’Etat est au rassemblement républicain autour d’un laïcisme hégémonique et belliqueux. C’est pourquoi dans ce même discours Macron annonce en grande pompe une « reconquête » – qui fait étrangement écho à la Reconquista – des espaces dominés par les Musulmans : « C’est la République qui revient et qui reprend un sens ce qu’on a fait avec les quartiers de reconquête républicaine, avec la police de sécurité du quotidien. » Et la boucle est bouclée, nous revoilà face à la loi de « sécurité globale » qui doit notamment renforcer cette même police. La réponse ne peut être qu’un refus de la politique « séparatiste » que nous impose ce gouvernement et un appel aux convergences de luttes pour nos droits et notre dignité.

Tissa


1. Le Monde, 9 décembre 2020.

2. Lou Syrah, Loi «séparatisme»: un piège pour tous les cultes, Médiapart, 4 décembre 2020

3. Idem.

4. Vous ciblez ENCORE l’islam : hypocrites de la laïcité ! https://www.youtube.com/watch?v=GgAP7wox7Cg

5. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes

6. Le Parisien, 6 octobre 2020

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« C’est du mépris » – interview avec une institutrice

Entretien paru dans l’Épisode cévenol numéro 16.

La rentrée scolaire de la Toussaint s’est déroulée dans un contexte de vif émoi et de tensions avec d’un côté la mise en place improvisée du processus « renforcé » de lutte contre la pandémie du Covid-19 et de l’autre l’hommage national au professeur Samuel Paty organisé en grande hâte par le gouvernement. Nous avons souhaité nous entretenir avec Anna, institutrice dans un quartier populaire d’Alès, afin de revenir sur quelques-unes des nombreuses questions que la situation suscite.

 

Peux-tu nous présenter en quelques mots l’école dans laquelle tu enseignes et quels étaient les principaux ressentis que tu as pu percevoir lors de cette rentrée ?

Je travaille dans une petite école d’un quartier pauvre d’Alès. L’équipe est soudée et bien investie auprès des familles du quartier et des enfants qu’on accueille. Au moment de cette rentrée le ressenti était amer : après nous avoir fait miroiter une rentrée décalée pour que nous ayons le temps de parler, d’échanger et d’exprimer nos ressentis quant à l’assassinant de Samuel Paty, aux difficultés que ça soulève et à comment nous pourrions l’aborder, rien de tout ça n’a été finalement possible. On nous a averti au dernier moment que la rentrée se faisait comme prévu à 8:20 et que donc nous n’échangerions pas au préalable. Nous avons dû faire chacun.e comme on a pu, car nous n’étions pas préparé.e.s à ça, et seul.e.s face à nos élèves ça n’a pas le même sens que lorsqu’on prépare quelque-chose ensemble. On a été choqué.e.s aussi par rapport au collègue assassiné, car c’était une commémoration au rabais. Une minute de silence et la lecture de la lettre de Jaurès aux instituteurs dont une partie a été modifiée. Il nous était aussi demandé de faire une heure de cours sur la laïcité avant la fin du mois….

De nombreux appels à la grève ont été lancés par les syndicats de l’enseignement dans les jours qui ont suivi la rentrée, notamment pour exiger le recrutement de plus de personnels et le dédoublement des classes. Comment toi et tes collègues vous êtes-vous positionnés dans un contexte où le manque de moyens accordé à l’éducation nationale depuis des années tend à rendre illusoire les possibilités de mise en place de mesures effectives de précautions sanitaire ? Quelles étaient vos principales revendications ?

Nous sommes dans un moment de mutation au niveau de l’éducation nationale comme dans tous les services publics. Et même dans ce contexte sanitaire, il n’y a pas de déblocage de moyens pour faire face. Au contraire il y a toujours moins de remplaçant.e.s. Dans l’école, nous avons tou.te.s posé notre préavis de grève de la rentrée dernière jusqu’aux vacances prochaines. Nos revendications, c’était plus de moyens humains, des protections (nous n’avons reçu que des masques en tissu dont les premiers contenaient des agents toxiques). Pour ma part je trouve dommage qu’il n’y ait pas eu au niveau national un mouvement massif pour réclamer des meilleures conditions d’accueil pour les élèves. Mais cela vient en grande partie selon moi du mythe des enfants non contagieux.

Pour ce qui est de la mise en place du protocole, ce que nous avons mis en place à la rentrée était assez proche de ce que nous faisions déjà : nous avions gardé des groupes classes séparés, et une circulation dans l’école qui évite les brassages. Il n’y avait pas de protocole clair d’aération au niveau national, contrairement à ce qui s’est fait dans certains pays voisins : de ce coté là les décisions étaient prises classe par classe, par les enseignant.e.s. Au final, je dirais qu’au niveau sanitaire ce qui a été mis en place a été fortement variable en fonction des écoles, de l’investissement ou non des enseignant.e.s sur ces questions, du nombre d’élèves, des possibilités d’aération, de la disponibilité ou non de savon… Il me semble difficile de dire qu’il y ait eu, à la rentrée, une réponse nationale très claire, anticipée et structurée de ce coté là : nous étions plus dans une forme de bricolage, d’adaptation avec les moyens du bord, notamment avec l’absence d’anticipation sur les questions de la propagation des aérosols et donc, de l’aération.

Le ressenti collectif plus général, c’est à mon sens celui d’être méprisé.e.s, de ne pas être protégé.e.s, que ce soit par rapport à l’épidémie, par rapport aux agressions diverses dont les enseignant.e.s peuvent être l’objet. Pour autant nous n’avons pas fait grève longtemps, car dans le contexte actuel, nous savons à quel point les élèves ne pouvaient pas ne pas être accueilli.e.s dans de bonnes conditions. Le service minimum porte bien son nom… Actuellement – et c’est le cas sur plusieurs écoles -, les instits peuvent ne pas être remplacés pendant plus d’une semaine, et il peut y avoir plusieurs absents par école en même temps. Quand c’est le cas, on nous demande d’ accueillir les élèves, donc de brasser les groupes, ce qui n’a pas de sens au niveau sanitaire. Mais on n’est pas à une incohérence près…

Il y a une déconnexion saisissante entre la posture gouvernementale qui a placé subitement sur un piédestal les personnels soignants ou enseignants durant cette période de crise et le fait qu’aucune de leurs revendications ne semble avoir réellement abouti à ce jour. De quelle manière ressens-tu ce mépris à peine voilé ?

C’est tout à fait ça, c’est du mépris à peine voilé. Heureusement qu’on sait pourquoi et pour qui on fait ce métier. Je crois que tout ça n’est pas nouveau et que si la crise actuelle fait ressortir de tels écarts entre les besoins sur le terrain, ce que promet le gouvernement pour garder la face et satisfaire l’opinion publique ET ce qu’il met réellement en place, tout cela n’est ni nouveau, ni spécifique à ces quelques mois. Il s’agit en fait à mon sens d’un projet néo-libéral bien ficelé depuis plusieurs années. Blanquer s’était publiquement félicité de l’augmentation d’ouvertures d’écoles privées…

Une grande partie de l’attention et des critiques a été focalisée sur le manque de temps alloué aux enseignants afin de préparer correctement l’hommage à Samuel Paty. Pour autant, le fait que le fond du débat ait été largement instrumentalisé par le gouvernement pour son agenda politique a été plus largement occulté. Comment parler sereinement de laïcité ou de valeurs républicaines dans un contexte où la liberté d’expression semble réduite à la nécessité de pouvoir publier les caricatures islamophobes de Charlie Hebdo ?

Oui, c’est un vaste problème et il est difficile de parler de laïcité si on relie forcément cela aux caricatures de Charlie Hebdo (d’autant plus que des élèves de confession musulmane peuvent prendre celles-ci comme une offense personnelle et une attaque à leur religion, puis cela pose d’autres questions, par exemple « est-ce que la liberté d’expression ça veut dire qu’on peut se moquer d’une religion mais pas d’une couleur de peau? »…). A l’école on demande aux élèves de se respecter les uns les autres, de ne pas se moquer des particularités, des différences, du handicap.

Le fait de forcément lier liberté d’expression et laïcité peut être problématique. La liberté d’expression c’est bien plus que de dire : « oui on a le droit en France de caricaturer la religion des autres » ! De plus, ce « droit » est relatif, et il y a certaines limites à ne pas dépasser : la liberté d’expression est liée à un certain cadre, un certain contexte social. Avec des élèves plus âgé.e.s, il peut être très intéressant d’interroger ces limites, ce cadre… Face aux forces de l’ordre, par exemple, est-on vraiment libre de dire ce que l’on veut? Quel est le lien entre ce que l’on peut dire et ce que l’on peut (ou ne peut pas) faire ? Après, dans l’élémentaire, les enfants ont entre 6 et 11 ans. On peut aborder ces questions, et notamment celle de la laïcité d’une façon plus simple. Personnellement, j’ai plutôt abordé le sujet à travers l’idée qu’à l’école on accueille tous les enfants, quelles que soient leur origine, leur religion (ou non-religion), leurs particularités physiques, leurs difficultés…

Le contexte sécuritaire n’épargne plus le milieu scolaire. On l’a vu avec les violences commises par les forces de l’ordre sur des lycéens revendiquant de meilleurs moyens pour se protéger face au Covid-19, avec le projet de loi visant à restreindre leurs possibilités de se mobiliser, mais aussi par les centaines de signalements et poursuites judiciaires pour apologie du terrorisme. De quelle manière penses-tu que cela puisse affecter la confiance des élèves envers l’institution ? Comment le ressens-tu dans ton école en particulier ? Quelles possibilités subsistent t-il aux enseignants afin de maintenir des liens avec des publics se sentant exclus ?

Dans mon école on a cherché à expliquer, on a surtout laissé la parole aux élèves qui avaient des choses à dire. Bien sûr il y a eu des questions, des remarques, mais l’idée n’était pas de traquer la moindre remarque qui n’irait pas dans le cadre. Dans ma classe il n’y a pas eu de soucis à ce niveau là, et puis nous mettons l’accent sur l’expression libre des enfants, sur les explications. Comment leur parler de liberté d’expression si on ne les laisse pas libres de parler et qu’on les épingle en cas de remarque jugée “contraire aux principes de laïcité” ?

La laïcité c’est l’idée que l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Ce n’est pas un principe qui doit servir à traquer des paroles d’enfants au sujet de choses qu’ils n’ont en fait pas bien comprises et qui permettrait d’enquêter sur leur famille… L’école doit permettre aussi aux enfants de s’émanciper dans tous les sens du terme, de se faire leur opinion. Nous n’avons pas la vérité, nous aidons les enfants à la trouver par eux-mêmes, avec tout le chemin et le temps que cela suppose.

Propos recueillis par Fred

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Épisode cévenol n°16

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“Racisme systémique”, dites-vous ?

“[…] je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau. C’est un fait. […] A un moment il faut envoyer un signe à un peuple. Il y a des hommes noirs et des femmes noires, il y a des hommes arabes et des femmes arabes qui se font contrôler quotidiennement, qui se font fracasser aujourd’hui en confinement. C’est pas possible !”

Ces propos fermes et audacieux prononcés par Camélia Jordana le 23 mai 2020 sur le plateau de “On n’est pas couché” n’ont pas été entendus. La classe politico-médiatique s’est braquée sur le terme “massacrer” pour discréditer le message et légitimer l’absence d’une quelconque empathie pour les concernés, une fois de plus invisibilisés. Puisqu’ils n’existent pas pourquoi montrer un signe… de solidarité ?

Savons-nous vraiment ce qu’ont vécu les habitants des quartiers populaires durant le confinement ? Ceux et celles qui tous les jours intégraient les rouages de la machine France. 65 % de l’économie a continué de tourner grâce à ceux et celles qui n’avaient pas le privilège de choisir de rester à la maison. Et ceux dont le petit boulot précaire avait disparu n’ont pas forcément été aidés et ont frôlé pour beaucoup la faim.

Savons-nous vraiment ce que ces personnes ont subi quotidiennement durant le confinement ? Selon les statistiques du gouvernement, jusqu’à fin avril, dans le seul département de Seine-Saint-Denis (93), la police a procédé à 220.000 contrôles soit plus du double de la moyenne nationale, et 17 % des personnes contrôlées ont été verbalisées, près du triple de la moyenne nationale. Est-ce un hasard ?

Mais ces chiffres ne nous disent pas que ce sont majoritairement les personnes noires et arabes, les racisées, adultes et mineurs, qui ont subi systématiquement les contrôles musclés au faciès : amendes injustifiées, verbalisations à répétition, insultes racistes, coups, étranglement, utilisation de gaz lacrymogène ou de Taser, tir de LBD (!). Le nombre de blessés est inconnu mais les témoignages sont poignants.

Et combien de personnes ont été tuées par la police durant le confinement ? Entre 12 et 14 ! Plusieurs en cellule de dégrisement ! Que leur est-il arrivé ?

Le message de Camélia Jordana est à situer dans ce contexte. Puis est survenue la mort de George Floyd, deux jours plus tard, à Minneapolis, étranglé, asphyxié pendant huit très longues minutes par un policier et ce sentiment habituel d’impuissance s’est transformé en volonté de s’affirmer : “Les vies des noirs comptent” ! En France aussi la police tue par étranglement. C’est ce qui explique notamment l’ampleur des manifestations contre le racisme et les violences policières.

En France, le maintien de l’ordre est une affaire de police et de gendarmerie, donc pour cette dernière de l’armée. Elles savent de quoi tenir : Par le passé lors de l’esclavage puis des guerres coloniales comme aujourd’hui avec l’immigration et le “terrorisme”, “l’ordre sécuritaire” est fondé sur l’imagi­naire de la défense contre un “ennemi extérieur” venant perturber le “corps national”. Alors que les expressions “racisme institutionnalisé”, “structurel” sont admises quand il est question des Etats-Unis, en France elles sont malvenues car, nous dit-on, l’histoire serait autre, les inégalités de nature différentes. Les devises “Egalité”, “Fraternité” préserveraient la nation et ses institutions de tout “racisme systémique” nous explique-t-on. Cette conception qui a forgé les institutions et l’idéologie françaises est profondément raciste en ce qu’elle ne tolère qu’un seul et unique narratif. Les antiracistes et décoloniaux racisés qui prétendent le contraire seraient des “communautaristes” et des “séparatistes” qu’il faut éliminer. La charge est tout simplement inversée. On n’est plus face à un enfermement dans le déni mais une offensive frontale des élites et des pouvoirs publics.

Macron s’en fait le porte-parole belliciste lors de son dernier discours du 14 juin : “Je vous le dis très clairement […], la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, […] avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. […] Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité, ni liberté. Cet ordre, ce sont les policiers et les gendarmes sur notre sol qui l’assurent.”

Les descendants d’esclaves et de colonisés n’acceptent plus d’être traités comme des hommes et des femmes de seconde zone. Ils revendiquent haut et fort la reconnaissance de leur part de l’Histoire. Ils exigent du respect. Et aux agressions racistes ils répondent “Pas de justice, pas de paix !”. Pour combien de temps encore ? 1 [Tissa]
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1 Raoul Peck, J’étouffe : https://le1hebdo.fr/journal/jetouffe/301/1/article/j-touffe-3898.html

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Des arbres et des fruits à la tronçonneuse

Préparer un programme électoral municipal, c’est un peu comme faire son ménage de printemps. On sort du placard tous nos vieux bibelots qui n’ont pas servi depuis des lustres, on les époussette, puis on les replace sur une étagère bien en vue le temps qu’elles se recouvrent de poussière à nouveau. Il en va ainsi des domaines de la culture, du lien social, de l’écologie ou du sport – dont les activités sont habituellement exercées par le secteur associatif, où force est de constater que bien souvent, le grand déballage n’est fait qu’une fois
tous les six ans, lorsque le besoin de légitimité sociale et d’atteindre un électorat le plus large possible se fait sentir.

En effet, quelle liste oserait de nos jours se présenter à une élection sans gribouiller quelques lignes sur le fait qu’elle accordera une attention toute particulière à la valorisation de la culture, du vivre ensemble et du tissu associatif local ? Qu’elle engagera tous ses efforts pour œuvrer au développement durable dans le respect de la transition énergétique et de la biodiversité ? Et quel candidat se priverait d’une opportunité inespérée de défendre une cause populaire surgissant à l’approche du scrutin ?

A Saint-Jean du Gard comme malheureusement dans bien d’autres villages, nos politiques ne différent pas de telles convenances. Aux beaux discours des jours flatteurs de campagnes électorales où le renouveau promet d’éclore par les urnes telles des orchidées fleurissant dans nos jardinières à la sortie de l’hiver, s’oppose une réalité, parfois toute autre. La nouvelle récente arrivée jusqu’à nos oreilles que l’association organisatrice de la renommée fête de l’Arbre et du Fruit jetterait l’éponge si l’équipe municipale sortante était réélue en dit long sur le traitement qu’ont pu recevoir les associations durant ce dernier mandat. Elle ne laisse nul besoin de démonter plus amplement les promesses faites pour le prochain… Et si l’éventualité que la commune puisse perdre l’un de ses événements annuels majeur offre au camp adverse une belle occasion de parader, son engagement dépassera-t-il le cap du dépouillement des votes ? De quoi vraisemblablement faire grincer les dents de bon nombre d’acteurs rencontrant le même type de difficultés avec ces élus peu scrupuleux et espérant trouver la place qui leur est due dans le cadre d’une véritable politique municipale associative. [Grenouille]

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La vraie fausse pandémie est terminée

Voilà ce que j’ai pu lire, affiché sur un mur, en terminant mon pèlerinage au temple local de la marchandise. J’ai été surpris : comment ce message de la droite dure américaine se retrouvait-il affiché ici ? Elon Musk, le patron charismatique de Tesla, SpaceX et Starlink contraint d’attendre plus qu’il ne le souhaitait avant de pouvoir rouvrir son usine de Californie, aurait-il été invité par le maire à transférer son centre de recherche à Saint-Jean ? Bolsonaro et Trump se seraient-ils donné rendez-vous dans le secteur, afin de partir en randonnée ou de se faire une petite tournée des vignobles ? Durant quelques instants, je me suis vu retrouver le chemin de la respectabilité : ouvrier voire même technicien dans une des entreprises du milliardaire américain, actif digne, participant avec vigueur au désastre de l’économie marchande globalisée. Au bout de quelques jours il m’a pourtant fallu me rendre à l’évidence : si Elon traînait dans le coin, j’en aurais probablement entendu parler. Je me suis alors rabattu sur l’espoir d’un partage viril de postillons avec Jair ou Donald, voire d’un échange de verre dans une cave obscure. Encore en vain. Ma perplexité en est sortie renforcée : comment ce message était-il arrivé jusqu’ici ?

Et puis un soir, peinant à trouver le sommeil, quelques bribes de conversations me sont revenues, quelques phrases entendues pendant le confinement quand, entre deux quintes de toux, j’avais cédé à l’appel de la rue et étais sorti prendre l’air : “Ce virus n’existe pas” “Ce n’est qu’une grippe” “C’est un complot”. Sur le coup, je n’avais pas prêté grande attention à ce discours pourtant assez présent. A le voir surgir sur les murs aujourd’hui, et alors que le taux de propagation de l’épidémie semble baisser de jour en jour dans le pays, il me semble qu’il peut être intéressant d’y consacrer quelques lignes.

Tout d’abord, il est indéniable que la gestion étatique de l’épidémie a été pathétique, mais peut-on sérieusement considérer qu’il s’agissait d’une “vraie fausse pandémie” et que celle-ci est “terminée” ?

Sur le premier point, il est probable qu’il soit plus facile d’y “croire” dans certains quartiers de banlieue parisienne durement touchés que par ici. Il est vrai que les médias dominants ont su montrer leur servilité dans cet épisode comme dans les mois le précédant et qu’un certain scepticisme ne puisse être que salutaire. Pourtant, peut-on ignorer complètement la parole du personnel médical dans des hôpitaux parfois saturés ? Que penser des pays qui n’ont aucun intérêt à ajouter une crise sanitaire à une situation déjà compliquée (Iran, Argentine, Venezuela…) et qui pourtant ne font pas entendre de voix dissonantes ? L’enjeu est-il vraiment uniquement celui d’un “test d’obéissance” comme l’affirme cette affiche ? Ne peut-on rien percevoir d’autre, si l’on accepte de prendre un peu de recul ?

Il est facile de nier l’existence d’une crise sanitaire depuis une région peu touchée, elle-même dans un des pays les plus riches et les mieux équipés médicalement du monde. A ce titre il peut s’avérer fécond de s’interroger sur l’origine réelle de la richesse qui finance à peu près tout le “social” ici : Sécu, Retraites, RSA… Qu’on prenne une perspective historique, ou plus contemporaine, il semble que les travailleurs du Sud global ne sont pas pour rien dans le bon tiers de PIB qui finance le confort (certes, aliéné et aliénant) dont nous pouvons faire l’expérience par ici1. Quelques questions se posent alors : parce qu’il n’y a pas de cadavres dans les rues ici, peut-on considérer qu’il n’y a pas eu d’épidémie tout court ? Ce lien avec les ouvriers du Sud, qui travaillent “pour” nous, qu’on le veuille ou non, ne nous oblige-t-il pas à une vision plus globale, à sortir le nez de ces rues épargnées, non sans raison ?

Il est évident qu’une épidémie de ce type se propage avant tout là où les hommes circulent le plus, le plus rapidement, et s’entassent dans des salles fermées ou des métros bondés. Cela explique sa propagation rapide dans le Nord de l’Italie comme en région parisienne, l’explosion à New York2 ; c’est aussi ce qui (avec d’autres facteurs) explique la relativement faible diffusion de celle-ci dans certains départements ou pays. C’est justement sur ce point qu’il me semble indécent d’affirmer que “la vraie fausse pandémie est terminée”. Car s’il semble possible que le virus circule peu ici et maintenant, ce n’est pas forcément le cas partout, et dans la pratique, c’est surtout dans les pays pauvres que les gens vont morfler, quand bien même un redémarrage de l’épidémie ici n’est pas impossible. De fait, la crise économique qui s’annonce y sera plus violente qu’ici, mais surtout, une propagation plus lente du virus n’y implique en rien que le pire y soit passé.

Cette affirmation ne peut en effet que sonner douloureusement faux dans de nombreuses localités du Brésil, au Chili, et même aux États-Unis, où rien n’est “terminé” et où de nombreux travailleurs se retrouvent endettés à vie pour financer les frais médicaux liés à leur maladie. Et si l’on tourne les yeux vers l’Asie du Sud, où le virus semble progresser et plusieurs morgues saturer, et où des millions de personnes sont sous alimentées et vivent à plusieurs générations sous le même toit, on se demande qui peut bien affirmer sérieusement que “la vraie fausse pandémie est terminée…”

Affirmer cela, n’est-ce pas en effet cracher à la gueule des vieux et affamés du Sud, de ces infirmières et ouvriers d’abattoir malades, des travailleurs pauvres des grandes métropoles, comme les sans-papiers d’Elmhurst enterrés dans les fosses communes de Hart Island, et de tant d’autres ? Si l’on considère qu’ici comme ailleurs, c’est globalement les plus pauvres – souffrant souvent de malnutrition ou de problèmes de santé préexistants –, les travailleurs “illégaux” et certaines minorités (indigènes…) qui ont souffert, souffrent ou vont souffrir plus de la Covid-19, on comprend peut-être que ce n’est pas pour rien que de l’autre côté de l’Atlantique, ce discours est celui d’une partie de la bourgeoisie – souhaitant relancer au plus vite la machine économique – comme des suprémacistes blancs… [Aygret]

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Épisode cévenol n°15

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