La Loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »1 a été votée le 19 décembre 2023 au Parlement grâce aux voix du RN qui se réjouit de la voir encore durcie par rapport au projet de loi présenté en conseil des ministres le 1er février 2023 (voir Épisode cévenol n°32 de mars 2023). Si la mouture précédente réduisait déjà fortement les droits des étrangers, celle-ci, retoquée au sénat par la droite dure, renforce la précarité du statut de ces derniers qui très rapidement peuvent basculer dans une marginalisation sociale extrême. Le Conseil constitutionnel doit encore rendre sa décision à la fin du mois de janvier 2024 sur la légalité de cette loi et le président Macron doit ensuite la promulguer. Des mobilisations ont lieu partout en France pour que cette Loi infâme ne soit pas appliquée.
Le texte profondément amendé prévoit de nouvelles dispositions ou le renforcement d’anciennes qui pour certains spécialistes reviennent à appliquer un principe de « préférence nationale » ce qui constitue une violation du principe d’égalité.2 Le conditionnement des prestations sociales à cinq ans de présence régulière en France ou trente mois d’activité professionnelle, et l’octroi des APL sous condition de disposer d’un visa étudiant, de trois mois d’activité professionnelle ou de cinq ans de résidence entraînent une discrimination entre Français et non Français. Cette disposition peut toucher des personnes qui séjournent depuis très longtemps en France car elle impose un séjour régulier en continu. Or des ruptures sont monnaie courante en raison notamment des dysfonctionnements administratifs.
Après un aller-retour entre Parlement et Sénat la question du « droit du sol », principe fondamental depuis le XIVe siècle, a subi de graves atteintes. S’il n’a pas été totalement annulé, le texte prévoit de mettre fin à l’automaticité de l’accès à la nationalité pour un mineur né en France de parents étrangers. Dorénavant, si la loi passe, il devra manifester entre l’âge de 16 ans et 18 ans sa volonté de l’acquérir. S’ajoute à cela que l’accès à la nationalité est également exclu pour des jeunes condamnés à une peine de prison d’au moins six mois. C’est la porte ouverte à l’abolition totale de ce droit dans l’avenir.
Le regroupement familial qui a déjà été fortement durci par le passé sera dans la nouvelle version de la Loi soumis à de nouvelles conditions de ressources financières pour les demandeurs qui doivent de surcroît contracter une assurance maladie pour les proches devant rejoindre la France. Ces derniers doivent justifier d’une connaissance de la langue française leur « permettant au moins de communiquer de façon élémentaire ».
Le rétablissement du délit de séjour irrégulier est de nouveau inscrit dans le texte ce qui en conséquence entraîne la course aux interpellations et aux expulsions. Il sera possible de placer en garde à vue des personnes en situation dite irrégulière. D’autres dispositions restrictives ont été intégrées parmi lesquelles un durcissement de l’accès aux titres de séjour y compris pour les étudiants et les personnes malades ; l’exclusion de l’hébergement d’urgence des sans-papiers visés par une obligation de quitter le territoire (OQTF) ; le renforcement des freins à l’intégration3 ainsi qu’une prise en charge médicale qui ne sera plus que l’ombre de ce qu’est l’Aide médicale d’Etat (AME) qui permet aux sans-papiers un accès aux soins4.
Une partie de ces mesures restrictives et en particulier les OQTF vont toucher ou touchent déjà des milliers de personnes sans papiers qui séjournent en France depuis des années, travaillent, sont logées, ont des enfants scolarisés, etc. sous prétexte qu’elles représentent une « menace à l’ordre public ». La circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l’intérieur demandait déjà aux préfets de « prioriser l’éloignement et les refus et retraits de titres de séjour pour les étrangers dont le comportement représent[ait] une menace pour l’ordre public »5. Or le fait d’utiliser des faux papiers ou ceux d’une autre personne constitue selon la conception du Ministère de l’intérieur une « menace à l’ordre public ». Une demande de régularisation rejetée peut automatiquement être assortie d’une OQTF. Si jusqu’à présent celle-ci était soumise à la discrétion du préfet, dorénavant cette modalité sera inscrite dans la Loi. En fait, peu de concernés peuvent être expulsés mais ce genre de mesures a pour but d’instaurer un climat d’insécurité et de suspicion ainsi qu’une logique de criminalisation des étrangers qui sont systématiquement associés à la délinquance.
Avec ces changements il faut malheureusement s’attendre à voir rapidement de plus en plus de familles jetées à la rue car exclues de toute prise en charge et de possibilité de travail. Même la mesure dite « humaniste » introduite précédemment qui prévoyait d’octroyer un titre de séjour d’un an à quelques milliers de travailleurs précaires dans le nettoyage, la cuisine ou le bâtiment a été extrêmement durcie. De même l’ex-article permettant aux demandeurs d’asile ayant le plus de chances d’obtenir le statut de réfugié de chercher un emploi a été annulé.
La « préférence nationale », conception chère à l’extrême droite, a déterminé les débats et a finalement triomphé. Les macronistes ont suivi et le Rassemblement national jubile. Pourtant il est évident qu’une loi si restrictive et répressive soit-elle ne réduira pas le nombre d’exilés qui chercheront refuge et travail en France. Ceux qui l’ont imposée le savent bien. Le but d’un tel durcissement est multiple : une division du travail qui permet une exploitation extrême de la main d’œuvre dans des conditions de travail que les concernés ne pourront dénoncer ; l’embauche de sans-papiers qui permet de niveler les salaires vers le bas ; un dumping social pour les travailleurs et travailleuses réguliers ; une réduction des frais des prestations sociales ; une répression accrue non contrôlée ; la ségrégation des catégories sociales entraînant plus de concurrence et moins de solidarité ; et enfin, une exacerbation du racisme.
Au moment où en France est votée la Loi d’immigration, est discuté le Pacte migratoire européen qui doit être voté au printemps prochain au Parlement européen. Celui-ci comporte des mesures brutales et inhumaines à l’encontre des exilés, sans garantir de protections efficaces pour les demandeurs d’asile, ce qui traduit l’approche exclusivement sécuritaire de la question des migrations. Sous prétexte de meilleure régulation et répartition des réfugiés susceptibles d’être accueillis dans un pays européen, il s’agit en réalité de renforcer les contrôles aux frontières, d’ériger des murs, d’installer des centres de tri pour organiser une sélection rapide des demandeurs d’asile dans une procédure accélérée et en conséquence de faciliter les expulsions des personnes déboutées en ne les laissant pas entrer en territoire européen. Ils seront enfermés dans des camps à ciel ouverts jusqu’à plusieurs semaines en attente de refoulement. S’ajoute à cela le fait de remettre la gestion des frontières à des pays tiers comme la Tunisie, l’Égypte ou le Maroc. La Grande-Bretagne (non membre de l’UE) négocie avec le Rwanda, prétendument État sûr pour y expulser les réfugiés déboutés.
Nous avons bien vu que l’Europe est capable d’accueillir des réfugiés et des migrants en grand nombre puisqu’en deux ans 10 millions d’Ukrainiens y ont été pris en charge. Il s’agit en fait de procéder à une sélection des réfugiés et d’exclure ceux et celles qui fuient les guerres et les famines en Afrique et en Asie. Nous assistons là aussi à une guerre culturelle.
« Associant « étranger » et « danger », elle instille la haine xénophobe, fragilisant notre tissu social dans son ensemble. Ne nous leurrons pas, la manière dont un État traite « ses » étrangers est un laboratoire pour la société tout entière : la dégradation des droits des étrangers prépare la dégradation des droits de tous et toutes.6 »
[Tissa]