Article paru dans l’Épisode cévenol numéro 21.
Mille chemins mènent à La Borie et pour l’avoir oublié des bulls se sont enflammés.
Ce lundi 14 mai 1990 à 5 heures du matin, après avoir bloqué la route, les forces de l’ordre (sic !) croyaient avoir isolé le site. Pourtant quelques minutes à peine après l’arrivée des engins une centaine de personnes étaient déjà sur place, venues de toutes parts à travers chemins et sentiers.
Sur le livre d’or, placé sur la table du mas occupé, depuis le 1 juillet de l’année d’avant, ces mots avaient été écrits « Désormais La Borie tu n’es plus seule, tu nous appartiens ».
La Borie devenait à cette occasion un bien commun, ainsi en avait décidé un « collectif » composé de Saint-Jeannais, des communes de St Jean, Mialet, Saint Etienne, et bien d’autres communes de France, d’associations, de sympathisants, d’élus, d’anonymes ou de célébrités…
Sur un des panneaux composant le grand NON qui avait été tendu au milieu de la vallée quelqu’un avait écrit « A la Borie, il y a de la place pour tous, les gros, les minces, les petits, les grands, les habillés et les tout nus, les sans lunettes ou avec grosses loupes, les intellos, les manuels, les branchés et les débranchés, les babas cools et les complètement coulés »
Un bien commun ouvert à tous.
La lutte fut difficile, malgré la victoire de l’abandon du projet de barrage en 1992. Une lutte bariolée où chacun retrouvait sa force ou sa passion faite de musique, de peinture, de rencontre, de création d’un journal (« Sauve Gardon La Borie)…. et de beaucoup de moments festifs.
Il faut dire que les publicistes, que nous n’avions pas invités, avaient prédit que nous avions tout faux ! On ne mobilise pas sur un NON, il faut être positif. Le sigle ne convenait pas. Jamais de triangle c’est connoté religieux et un castor en plus en colère ce n’est pas « porteur ». Mais ceux de La borie étaient un peu sourds. Un peu sourds à ceux qui disaient que le pot de terre se fracasse invariablement sur le pot de fer. Sourds à ceux qui accordaient la légitimité des décisions aux élus au détriment de la volonté exprimée par la population (l’enquête publique avait rejeté le projet de barrage à 86,64% et un referendum d’initiative populaire avait montré un même rejet à 90,78%).
La Borie devint l’affaire de tous, partageant joies, craintes, fatigues, énergie, découragement, colère ou apaisement.
Une lutte exemplaire parce qu’elle fut menée avec imagination et partage, exemplaire aussi car elle amena défaites et victoires, réussites et erreurs. Elle est l’Histoire d’un temps très défini (1989-1992). On ne refait pas une époque.
Et puis…
Une fois le site préservé comment faire vivre un bien commun ?
Diverses tentatives eurent lieu : Création de l’ association AFPE La Borie (Association pour la Formation d’un Projet d’Ecosite), puis de l’Ecosite La Borie, constitué sous la forme d’une SCIC ( Société Coopérative d’Intérêt Collectif), ensuite arrivées et installations de divers groupes.
Nous allions tous à La Borie, pour nous promener, nous baigner, rencontrer des amis, organiser des fêtes ou des animations. Nous prenions soin collectivement de ce lieu.
A côté de ceux qui, de longue date, y avaient légitimement trouvé refuge, notre présence restait collective. Nous allions à La Borie, fallait-il l’habiter ?
Hérite-t-on des erreurs et des victoires ? Pour les erreurs chacun s’y reconnaîtra
La victoire ce fut celle de La Borie décrétée bien commun ouvert à tous.
Aujourd’hui « la propriété de La Borie est à vendre »
La Borie, bien commun, ne peut appartenir ni à une entreprise, une start-up, un groupe, un conseil municipal. On ne peut y dresser un mur.
Mille chemins mènent à La Borie, certains l’avaient oublié. Aujourd’hui le temps est venu de retrouver ces chemins, nos chemins, multiples, complexes, parfois contradictoires pour retourner à La Borie.
Mais pour cela il faut se mettre à l’œuvre pour trouver, comme ce fut le cas en 1989, ce qui fait commun. Cela passe forcément pas des plaies à panser, des efforts d’écoute, de l’amitié trouvée ou retrouvée, de la confiance, de l’engagement, le refus de l’entre-soi.
C’est certainement utopique. Raison de plus pour se mettre au travail. La Borie en vaut bien la peine. [Jacques Verseils]