Une petite histoire de tunnels

La mobilisation en Maurienne contre le projet de tunnel ferroviaire Lyon Turin, les 17 et 18 juin derniers, s’est tenue avec 5000 participants : le samedi, une manifestation réprimée, et pourtant hors périmètre d’interdiction du Préfet (à 50 km du lieu initialement prévu, près des travaux actuels). Le camp des manifestants était accueilli sur un terrain communal, l’une des deux seules mairies de la vallée soutenant l’opposition au projet de tunnel.

Le lendemain plusieurs interventions, échanges nous ont renforcés dans nos convictions.

En particulier, François Jarrige, historien, nous a raconté l’histoire des tunnels, ces infrastructures du capitalisme.

A partir de 1820, le développement du capitalisme imposait d’intensifier les échanges de marchandises. Il faut alors accélérer les modes de communication : pour cela, on met en place un vaste réseau de chemin de fer. Il y a alors nécessité de creuser des tunnels pour franchir les montagnes.

C’est ainsi qu’en 1842, l’État décide de prendre en charge la construction des tunnels et de les financer : c’était à l’époque des tunnels de 4 à 5 km, creusés à la main. Pour permettre le développement économique et plus de rapidité, il a fallu détourner des cours d’eau, expulser des paysans, embaucher en masse sur des chantiers mortifères… Mais l’histoire, écrite par des ingénieurs, a masqué tout cela : les luttes paysannes contre les expulsions ont été invisibilisées.

Dans la 2ème moitié du 19ème siècle, les tunnels sont devenus un véritable symbole du génie humain : cette idéologie naissante encourage à poursuivre leur construction. C’est ainsi que le 1er grand tunnel, celui du Fréjus a été construit ente 1865 et 1871 pour joindre la France à l’Italie.

Jusqu’en 1914 plusieurs autres grands tunnels sont créés, nous sommes en plein euphorie productiviste qui accompagne l’intensification du commerce. Ainsi s’affirme la puissance politique.

Cependant, deux projets de tunnels, sous la Manche et sous Gibraltar, sont abandonnés car jugés « pas raisonnables ».

Entre les deux guerres, plusieurs projets de tunnels ferroviaires sont également abandonnés car c’est l’époque du développement de l’automobile et des routes, et dorénavant ce sont des tunnels routiers qui sont creusés de toute part.

A partir de 1970, c’est l’explosion du développement économique, de la modernisation des infrastructures et la relance des grands projets : le tunnel sous la Manche et le Lyon-Turin sont à l’ordre du jour. La mondialisation promet une croissance infinie des flux de marchandises, c’est un changement d’échelle. Ces projets peuvent atteindre jusqu’à 50 km.

Le projet Lyon-Turin est celui d’un TGV, ce qui nécessite un parcours plat, avec une prévision de doubler le trafic et les quantités de marchandises. Le lancement du projet de tunnel se fait en 1993-1994 et inaugure ainsi le développement de l’économie européenne entre nouvelles mégapoles.

Aujourd’hui, 20 ans après le lancement du projet, la situation climatique a bien évolué : l’argument de la société TELT, qui porte le projet, est désormais que le fret devienne une substitution durable à la route.

En réalité, il faut savoir que le fret, sous le tunnel existant, reliant déjà la Maurienne au Val d’Aoste, a chuté de 10 à 3,3 millions de tonnes. La ligne actuelle est sous utilisée : 128 trains par jour en 1998, 26 trains en 2016

Or la construction de ce tunnel entraînera :

> l’artificialisation de 1500 ha de zones agricoles et naturelles,

> le drainage chaque année de 100 millions de m³ d’eau souterraine: le tunnel croise des nappes phréatiques et les siphonne, faisant couler l’eau dans les galeries latérales creusées à cet effet. Ainsi, tout ce qui est au dessus du tracé, montagnes et communes, sont asséchées.

> un coût de 30 milliards minimum (l’équivalent de la construction de 1000 lycées, ou de 400 hôpitaux, ou de la réouverture de 10 000 km de petites lignes ferroviaires).

> une véritable catastrophe climatique : un rapport de 2020 de la Cour des comptes européenne estime un bilan carbone désastreux : les travaux de ce tunnel nécessiteront plus de 45 ans pour récupérer le coût carbone.

Et cerise sur le gâteau, le Conseil d’Orientation des Infrastructures, organe étatique, recommande, dans ses rapports de 2018 et 2023, l’usage de la ligne existante. En effet, la totalité des marchandises transportées entre France et Italie stagne actuellement.

De plus, 3 jours après la mobilisation des 17-18 juin, la Commission intergouvernementale France Italie pour le Lyon-Turin a annoncé qu’elle proposait de renforcer la ligne existante pour mieux l’exploiter, solution apparemment plus sage que de construire une foultitude de tunnels supplémentaires (Belledonne, Chartreuse, Glandon, …).

Seul 10 % de ce tunnel ont été creusés actuellement, principalement des galeries de reconnaissance, il est encore temps qu’une décision responsable soit prise pour l’abandon de ce projet. Si rien ne le stoppe, ce seront 15 à 20 années de travaux et une mutilation irréversible du territoire.

Espérons que l’avis de la commission intergouvernementale France-Italie sera suivie d’une décision des deux gouvernements, sachant toutefois qu’ils auront d’importantes pénalités à payer, vu les contrats signés avec les sociétés qui ont pris en main les travaux. Un rapport de force est essentiel à maintenir.

[J et P]

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Épisode cévenol n°34

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De la boue et des bleus

Les Soulèvements de La Terre ont appelé à la constitution de comité locaux pour répondre à la menace de dissolution du ministre de l’Intérieur. Très vite, la carte de France s’est constellée de points représentant l’émergence de ces comités et, surprise – ou pas, la Terre se soulève beaucoup dans les villes : Lyon, Marseille, Toulouse, Rennes, Nantes…

L’alliance est solide entre des urbains, pourtant accusés d’être « porteurs d’une écologie médiatique et punitive », mais vivifiés par l’émergence de la génération climat, et des ruraux, paysan.nes ou habitant.es qui vivent déjà, au quotidien, les conséquences des choix politiques du pouvoir en place.

L’adoption du bleu de travail comme « costume » pour les mobilisations des SLT est porteuse de sens à plusieurs titres.

Ce vêtement renvoie au peuple des travailleur.ses des usines et aux luttes sociales menées aux XIXème et XXème siècles.

Il a été également adopté par les Rosies, militantes féministes qui animent les manifestations surtout dans les grandes villes, et devient symbole du travail féminin peu ou pas rémunéré, peu ou pas considéré et, partant, de la lutte contre le patriarcat.

Le bleu de travail se trouve alors être le trait d’union de toutes ces remises en cause du système capitaliste, générateur des dominations de classe et de genre comme de la domination de l’homme sur le vivant.

Le bleu de travail est aussi l’emblème de l’attachement au travail dans ce qu’il a de fier, de digne lorsqu’il est source de subsistance et/ou de soin aux vivants.

Un travail, qui a peu à voir avec les politiques de l’emploi et trouve plus facilement à se réaliser dans le monde rural où les relations non marchandisées sont nombreuses : les échanges de services comme les dons et contre dons de produits des jardins ou des élevages sont pratiqués largement et contribuent à créer ou entretenir les liens interpersonnels. Marcel Mauss, l’un des pères de l’anthropologie, l’a théorisé : « L’économique n’a de sens que comme une traduction du social »

C’est ce qu’exprimait en 2016 la CGT de Vinci dans un communiqué, dont le contenu est repris par la suite par la fédération de la CGT de la construction : « Nous, travailleurs de ces entreprises, nous ne travaillerons pas pour le chantier de Notre Dame des Landes. Nous voulons bien effectivement construire des écoles. Nous voulons bien participer à des chantiers qui sont utiles aux populations. Nous nous arrêterons désormais de travailler pour des grands chantiers qui sont nuisibles à la population Et nous appelons désormais quiconque travaillant, soit pour Vinci, soit pour des entreprises prestataires de Vinci qui participeraient aux travaux, à faire appel à son droit de retrait et à refuser de travailler pour ce type de chantier »1.

A l’inverse, l’anthropologue américain David Graeber, dans son livre « Bullshit jobs »2 (boulots à la con), dénonce le non-sens de nombreux emplois générés par l’économie néolibérale dominante. L’expression désigne selon lui « une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien »3

David Graeber est une figure du mouvement « Occupy Wall Street » (2011), contemporain de celui des indignés en Espagne, et précurseur, en France, de Nuit debout (2016, suite à la lutte contre la loi travail El Khomry). Ces mouvements sont éminemment urbains. Ils ont privilégié des modes d’organisation horizontale, sans leader, restant délibérément indépendants des partis politiques.

Eux n’ont pas tout à fait réussi à soulever le goudron, mais ils ont fait germer et cultiver une nouvelle manière de penser l’action politique :

« L’un des accomplissements importants de Sainte-Soline réside dans la convergence d’acteurs aux histoires et stratégies militantes différentes : élus de gauche et écologistes, ONG et associations locales, syndicats paysans, mouvements de désobéissance civile et militants autonomes. »4

Dit autrement par Corinne Morel Darleux lors de la mémorable soirée de soutien aux SLT organisée le 12 avril dernier :

«(…) l’émergence des SLT est pour moi une des meilleures nouvelles de la décennie (…) parce qu’on y oppose pas le cerveau et les mains, la lutte et la joie, la théorie et la pratique… », « (…) les SLT font, sans plus attendre, ce qui doit être fait »

Et voilà donc de nombreux militants urbains en bleu de travail, courant dans la boue pour soulever la terre…

Alain Damasio, lors de la même soirée du 12 avril :

« (le capitalisme) Il fait feu pour nous faire taire, nous on fait terre… autant qu’on peut »

Il s’agit bien là de donner un autre sens aux fameuses racines dont l’extrême droite a fait l’étendard de son obsession identitaire.

Et un autre avenir à la terre que celui de Futura Gaïa, projet ultime et mortifère de l’économie startupière, qui consiste à subventionner grassement (comme les bassines) « une usine verticale automatisée de production de fruits et légumes hors sol et hors saison » !

Alain Damasio, ce même 12 avril, a une formule fulgurante pour mettre au jour le lien entre ces deux visions de la ruralité (la nationaliste et la néolibérale) :

« FNSEA, c’est 3 lettres de trop »

Notre quotidien régional organisait justement il y a peu une semaine spéciale « J’aime ma ruralité » avec l’ambition de donner la parole aux habitants lors d’émissions de débats. Il fut beaucoup question « de combat pour davantage de services publics, de transports, de médecins, d’enseignants dans les écoles… », ce qui est juste, mais jamais, ou presque, de la terre et du vivant, ni de l’eau, ni des paysan.nes. Comme si la ruralité se réduisait au « cadre de vie », expression qui sert malheureusement d’intitulé à une délégation d’élus dans de nombreuses communes. Un cadre de vie pour ceux qui iront travailler plus loin, en ville, patienter dans les encombrements et perdre leur vie dans un bullshit job, ou ne pas la gagner dans un métier pourtant beau et utile…

La bergère qui est venue récemment à l’AMAP nous présenter ses produits éclatait de fierté en parlant de son travail, de ses brebis, de ses projets…

Rien à voir avec l’emploi mal payé qui consiste à mettre en rayon, à l’heure où il n’y a personne dans le magasin pour en parler, des yaourts qui ont parcouru des milliers de kilomètres pour être fabriqués à partir du lait de vaches malheureuses, emballés dans des matières qui étouffent la vie et aromatisés aux paradis artificiels.

Alain Damasio, encore :

« Vous les productivistes, vous êtes la nature qu’on défonce… »

Si 30 000 personnes sont allées mettre les pieds dans la boue, et en sont revenues avec des bleus pour beaucoup, bien pire pour certains, auxquels nous pensons toujours très fort, c’est que nous ne pouvons plus « nous considérer « maîtres et possesseur de la nature », selon la formule de Descartes, mais « vivants parmi les vivants », selon celle du philosophe Baptiste Morizot. »5

Alain Damasio, toujours : « La seule croissance que nous supporterons sera celle des arbres et des enfants ».

[Marie Motto-Ros]

2 Graeber, David (trad. de l’anglais), Bullshit Jobs, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2018, 416 p

3 Idem p 37

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La violence en question

Une violence peut-elle en cacher une autre ? Le récent déferlement médiatique orchestré autour de la mobilisation contre la méga-bassine de Sainte-Soline et des affrontements qui ont eu lieu entre manifestants et forces de l’ordre pourraient le laisser croire. De l’interdiction préfectorale préalable de la manifestation, du déploiement d’un dispositif policier inédit, de l’usage d’une phraséologie stigmatisante (« casseurs venus tuer du flic », « écoterroristes », « ultra-gauche »), à la tentative de dissolution de l’un des collectifs organisateurs, ou encore des menaces proférées par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de la Ligue des Droits de l’homme, aucun détail n’a été laissé au hasard afin de discréditer le mouvement d’opposition au projet en le qualifiant de « violent ».

Pour autant, peut-on réellement croire que ce sont les quelques centaines d’« éléments radicaux » surveillés par les renseignements généraux que le gouvernement redoutait tant ? Ceux qui auraient pu s’en prendre à un trou creusé dans la terre défendu par 3200 gendarmes armés ? Ou pourrait-on y voir là plus largement une subtile méthode de retournement des valeurs permettant d’occulter des questions bien plus fondamentales telles la remise en cause d’un système productiviste souhaitant maintenir à tout prix son hégémonie ? Celui là même qui piétine nos derniers acquis sociaux et dévaste chaque jour un peu plus l’environnement ?

Il est ainsi vertigineux de voir à quel point le bris d’une vitrine de permanence électorale ou un jet de peinture sur la devanture d’une banque peuvent si aisément prendre le dessus sur les violences structurelles que nous sommes des millions à subir chaque jour. Comme si les souffrances au travail, la précarité, l’exclusion, le racisme, le patriarcat, la compétitivité, la destruction du vivant n’étaient pas des violences suffisamment graves pour être combattues et dénoncées amplement. Comme si le nombre de personnes mourant chaque année faute de logement, à cause de maladies professionnelles ou pour avoir voulu traverser la méditerranée n’étaient pas le reflet d’une société profondément violente. Comme si le monopole de la violence, assumé par l’État, lui permettait d’éborgner, de mutiler, d’emprisonner, ou de tuer, en toute impunité.

Étrangement, lorsque le maire de Saint-Brévin démissionne de ses fonctions après plusieurs menaces de morts et l’incendie d’une partie de son domicile pour avoir voulu accueillir des exilés dans sa commune, le gouvernement en place n’a pas crié au terrorisme ni tenté de dissoudre quelque groupe d’extrême-droite prônant la haine des étrangers. Quand le vice-président du conseil départemental de Mayotte déclare « qu’il faudrait peut-être en tuer quelques uns » en faisant référence aux immigrés comoriens, celui-ci ne s’est pas non plus insurgé contre l’« ultra-droite radicale » infiltrée au sein de l’instance publique.

Derrière le discours dominant sur la violence disparaît le fait qu’une minorité au pouvoir défend ses intérêts et privilèges. Cette instrumentalisation pernicieuse rempli à merveille la fonction d’absorber toute remise en cause des inégalités et met dangereusement sur le même plan tout type d’actes violents en les vidant de leur sens. Questionner la violence, ce qu’elle signifie, et comment elle est créée, devient alors un premier pas pour lutter contre.

[Fred]

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« Numérique, robotique, génétique » : tels sont les piliers de la « troisième révolution agricole » évoquée par Emmanuel Macron par le biais du plan de relance France 2030.

Dans ce registre, il n’est pas nécessaire d’attendre un futur lointain, que ce soit dans les « fermes » hi-tech ou dans les usines de production « alimentaire » avec presque plus de paysan-nes dans les premières et plus du tout dans les secondes.

Les « fermes » hi-tech, toujours plus grosses, car elles absorbent les fermes voisines, font baisser le nombre d’agriculteurs sur le territoire. Si la ferme en France est en moyenne de 136 ha, certaines d’entre elles sont souvent détenues par des sociétés à capitaux, quelquefois étrangers, et peuvent atteindre plusieurs milliers d’hectares.

Dans ce contexte où le profit doit être maximum, la main d’œuvre est le point noir qu’il faut absolument limiter. Il n’est pas rare d’y voir des tracteurs pilotés sans chauffeur, grâce à l’association de cartes parcellaires et de GPS de haute précision. (Ainsi nous comprenons bien que les haies ne soient pas les bienvenues et que la taille de la parcelle ait son importance!). À l’aide d’images satellitaires et de drones qui permettent de repérer les couleurs des végétaux en besoin d’azote ce tracteur automatique épandra le dosage nécessaire pour combler de manque.

Et que fait « l’agri-manager » pendant ce temps là ? : il suit sur son ordinateur les cours de la bourse des céréales pour vendre ses stocks au plus haut prix. Il y suit aussi son dossier PAC (Politique agricole commune), l’Europe favorisant ce modèle agricole par le biais de subventions à l’hectare, lui assurant dans certains cas l’essentiel de ses revenus !

Et pour compléter la trilogie, prenons par exemple la variété de colza utilisée qui n’est pas un OGM, interdit en France (smile), mais issue de la mutagenèse ce qui la rend résistante au Roundup et permet de pulvériser la dose maximum d’herbicide. Ce colza résistant à l’herbicide (VRTH), mais aussi hybride stérile, rend l’agriculteur dépendant de la firme semencière qui du coup lui fournit le pack complet. Macron aurait pu rajouter « médicale » à la trilogie car ce sont les même firmes qui fournissent les pesticides mais aussi les médicaments pour tenter de soigner les cancers qu’ils causent par ailleurs.

Avec les usines de production « alimentaire », nous sommes au sommet du futurisme macronien, qu’entrevoyait déjà le film Soleil vert sorti en 1973, et l’on peut sans peine imaginer que ce second modèle va tout faire pour supplanter le premier, même hi-tech. Il s’agit ni plus ni moins de se passer du soleil, du climat et de ses affres, du sol, des fermes et de ses paysan-nes : tout devient contrôlable. L’idéal capitaliste !

Surfant sur la notion de souffrance animale (notion bien réelle pour ce qui concerne les élevages industriels, à nuancer de mon point de vue pour les élevages fermiers… Peut être faudrait-il y consacrer un autre article ?), l’agro-industrie et ses lobbys nous proposent déjà de la viande de synthèse produite à partir de cellules souches. Donc de la « vraie » viande, sans animaux, ni paysan-nes bien sûr.

Quant aux végétaux, on « déguste » déjà depuis quelques années les fraises magnifiques, proposées tout l’hiver, cultivées en hydroponie, c’est à dire dans un bloc de laine de roche alimenté d’engrais chimique avec l’eau d’arrosage, installé dans une serre chauffée au gaz et avec une bonne dose de lumière artificielle pour faire croire au printemps. Le robot cueilleur qui vient de sortir cet hiver met les fraises en barquettes (en bois, bien sûr !). La boucle est bouclée, les travailleurs ramasseurs marocains peuvent rester chez eux .

Et le summum, c’est le projet pilote Futura Gaïa (https://futuragaia.com) installé tout près de chez nous dans le Gard, à Rodilhan. Onze million d’euros d’investissements, dont des fonds issus du plan Macron France 2030, de la Région Occitanie et de notre « banque verte » le Crédit Agricole. Des hangars seront livrés clefs en main pour la culture urbaine, au fond d’un hypermarché ou à Rungis, assistance à distance, pilotable depuis un bureau à Paris.

On y cultive salades, plantes aromatiques et bientôt des tomates. Hangars stériles, tenues de chirurgiens, les végétaux poussent dans des cylindres métalliques qui tournent en permanence, lumière 100% artificielle, CO2 adapté à chaque plante, de même que l’alimentation chimique, une mini motte pour ne pas faire penser à du hors sol total, pas de traitement car tout est aseptisé. Voilà la « ferme 3.0 ». Pour un vaisseau spatial pour Mars peut être, mais pour la salade quotidienne ça ne fait pas rêver !

Pas rêver ? Mais si !! car la com est là, copiée sur le discours de « l’ultra-gauche » paysanne cévenole : « Proposer des produits sains, à haute valeur nutritive et à la traçabilité garantie, éviter le gaspillage et garantir des prix abordables et stables toute l’année, produire en local et sans chimie pour un impact environnemental limité ». Une première action contre Futura Gaïa a eu lieu le 15 avril à l’appel de la Confédération paysanne, de Terres Vivantes en Cévennes, d’Attac et d’autres organisations

Vigilance ! L’avenir que certains nous préparent est de moins en moins radieux. L’État et l’Europe font tout pour maintenir l’agriculture paysanne ou biologique dans sa niche, subventionnant massivement des pratiques mortifères, valorisant le capital, alors que cette agriculture paysanne est la seule à même de relever les défis à venir et de maintenir les gens dans les campagnes avec de nombreux-ses paysan-nes.

[Hervé]

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Épisode cévenol n°33

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« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »

« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur

A l’ombre des débats autour des retraites un projet de loi pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »1 a été présenté en conseil des ministres le 1er février. En trente ans plus de vingt textes sur l’asile et l’immigration ont été promulgués, le dernier en 2018, réduisant à chaque fois un peu plus les droits des migrants et réfugiés. Ces catégories sont les premières à faire les frais d’une politique néolibérale de plus en plus ouvertement raciste mais, dans le fond, une même logique sous-tend toutes les dernières attaques du gouvernement contre les acquis sociaux (retraite, assurance chômage, logement, santé, école, asile etc.). G. Darmanin a su synthétiser cette orientation par une formule des plus infâmes visant ces personnes exilées : « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent ». Et justement du travail, il y en a. Dans tous ces secteurs aux salaires de misère, aux conditions de travail pénibles, et à la durée du travail exténuante qui produisent les morts que le gouvernement ne veut pas voir. La nouvelle loi propose généreusement la possibilité d’embaucher des étrangers mais… sous conditions…

Régularisations dans des secteurs de « haute exploitation »

Le volet concernant l’embauche connaîtra certainement un durcissement à l’issue d’un deal autour de la réforme des retraites pour laquelle Macron cherche encore le soutien de la droite. Le sujet de « discorde » porte sur les régularisations de sans-papiers travaillant dans un « métier en tension » que la droite redoute massives. Mais G. Darmanin rassure : « Cette crainte est infondée », et il explique que « pour bénéficier de ce titre, il faut trois ans de vie sur le territoire national (…). Il a une validité de seulement un an, qui n’ouvre pas de droit au regroupement familial »2. S’ajoute à cela qu’il faut également être salarié depuis au moins huit mois. « Cette régularisation ne serait pas valable si le métier en tension était exercé avec un titre de séjour étudiant, saisonnier ou demandeur d’asile. Telle que formulée, cette mesure ne concernerait en réalité qu’un très petit nombre de personnes »3. En fait, il s’agit de métiers dans lesquels travaillent déjà les sans-papiers et pour lesquels la situation ne s’améliorera pas si le titre délivré n’est pas « de plein droit », c’est-à-dire n’est pas soumis au pouvoir discrétionnaire du préfet. Cela signifie qu’il faudrait « des critères de régularisation établis et que si ces critères ne sont pas appliqués, on peut se retourner en justice contre la préfecture »4. Pour le moment les modalités d’embauche restent vagues. Voilà pour le côté « accueillant » de la loi. Passons à ses aspects moins bienveillants.

Étranger = ennemi intérieur ?

Comme le met en évidence Patrick Henriot, membre du Syndicat de la Magistrature, « l’un des axiomes de la politique migratoire de la France » est la référence à la notion d’« ordre public »5. Force est de constater que Darmanin, s’il n’en est pas le concepteur, en fait un usage obsessionnel. Concevoir les « étrangers » par ce prisme mène à des raccourcis amalgamant immigration et délinquance ce que Cnews assène quotidiennement à ses téléspectateurs. Or cette stigmatisation ne touche pas seulement les demandeurs d’asile et les sans-papiers mais tous les segments de la migration : Tout étranger, du fait de son statut précaire d’étranger, peut potentiellement être considéré par les autorités comme un « ennemi intérieur » qui constitue une menace pour l’ordre public.

Un des cas emblématiques de cette conception est celui de l’imam Hassan Iquioussen, né en France, âgé de 58 ans, de nationalité marocaine, pour lequel Darmanin a signé en juillet 2022 un arrêté ministériel d’expulsion (AME) vers le Maroc en application de la « loi séparatisme ». Le tribunal administratif saisi par le concerné a déploré l’absence d’éléments probants et suspendu l’arrêté. Le Conseil d’État annule l’ordonnance administrative suspendant l’AME. En fuite en Belgique, il finira par être expulsé vers le Maroc. Cette décision largement critiquée, montre les dérives d’un appareil administratif et judiciaire qui ne respecte plus le droit6. Le ministre de l’Intérieur aimerait aller encore plus loin et pouvoir déchoir de leur nationalité française les binationaux considérés comme une menace afin de pouvoir les expulser.

Entre temps, il a prévu la réintroduction d’une mesure de la « loi séparatisme » censurée en 2021 par le Conseil constitutionnel, permettant de « rendre possible le refus, le retrait ou le non renouvellement de certains titres de séjour » notamment une carte de résident d’une durée de dix ans ou la carte pluriannuelle en cas de non-respect des « principes de la République », dont l’égalité femmes-hommes et la liberté d’orientation sexuelle ou encore des symboles de la République7.

Objectif : enfermer et expulser

Le nouveau projet de loi porte en lui une forte charge de dissuasion tant les obstacles et les difficultés d’entrée sur le territoire français sont multipliés et les garanties de protection altérées. Il promet une intensification des contrôles aux frontières, un durcissement des conditions d’octroi de titres de séjour et une réduction des recours possibles. Darmanin ne cache pas vouloir faire du chiffre et promet d’« expulser encore plus d’étrangers délinquants sans leur trouver d’excuses juridiques »8. Ils pourront après leur peine de prison être refoulés plus facilement s’ils ont commis des « infractions graves » ou fait l’objet d’une condamnation pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement. Il s’agit ni plus ni moins de renforcer la « double peine » en abrogeant certaines protections qui empêchaient l’expulsion, par exemple, d’une personne arrivée en France avant l’âge de treize ans ou résidant en France depuis au moins vingt ans.

Un autre volet essentiel prévoit une « réforme structurelle du système d’asile ». Il s’agit de décentraliser les procédures d’asile avec l’ouverture sur l’ensemble du territoire français de pôles territoriaux dénommés « France asile ». C’est à ce niveau que seront regroupées les demandes, effectués les entretiens et prises les décisions par un agent de l’office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). La crainte justifiée des ONG de défense des droits humains est que la procédure pourrait être placée sous l’autorité des préfets. « Son indépendance concernant l’instruction des demandes d’asile, garantie par la loi, serait ainsi remise en cause »9. S’ajoute à cela que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), chargée d’étudier les recours des demandeurs d’asile statuera désormais par décision d’un juge unique alors qu’ils sont à ce jour trois parmi lesquels une personne qualifiée nommée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Il faut craindre un traitement administratif au rabais des demandes d’asile dont l’objectif est prioritairement l‘expulsion, d’autant plus qu’il serait envisagé la remise d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire) après le rejet de la première demande sans respecter le droit de recours.

La mesure phare du projet de loi est la délivrance des OQTF que Darmanin voudrait accélérer et faciliter en supprimant des recours. Il annonce : « Nous allons désormais inscrire toutes les OQTF au fichier des personnes recherchées, le FPR. Il ne s’agit pas de rétablir le délit de séjour irrégulier mais de pouvoir constater que la personne repart (…) et ainsi de compter tous les départs d’étrangers »10. Les personnes frappées d’une OQTF se verront refuser un visa si celle-ci n’a pas été exécutée dans les délais de départ volontaire. N’est-ce pas une forme de rétablissement du délit de séjour irrégulier ?

Harkis d’hier et d’aujourd’hui…

On se souvient du traitement réservé aux harkis, ces supplétifs de l’armée française, une fois celle-ci évacuée d’Algérie. Les harkis rapatriés ont été parqués dans des camps qui pour certains avaient servi auparavant à l’internement de réfugiés espagnols républicains, juifs, tziganes et prisonniers de guerre allemands. On peut imaginer leurs conditions de vie déplorables. Or aujourd’hui une autre catégorie de « harkis » est apparue : les supplétifs civils et militaires afghans abandonnés par les armées occidentales après leur retrait. Cette fois-ci, ils ne sont même pas parqués dans des camps mais abandonnés à la rue qu’ils soient demandeurs d’asile ou déboutés.

A Paris, sous le métro aérien entre les stations Barbès et Stalingrad, des centaines d’entre eux bravent le froid, la saleté et le bruit en attendant leur mise à l’abri par les autorités. Celles-ci ne leur offrent aucune solution pérenne. Les hébergements ne sont que de courte durée et ils se retrouvent à nouveau au même endroit en quête de solidarité et d’entraide mais également à la merci des harcèlements des policiers et des gendarmes. Quotidiennement ces derniers viennent les déloger, leur arrachent tentes et duvets et les chassent sans ménagement. Pourtant, à la porte de la Villette le Paris Event Center qui accueillait des réfugiés ukrainiens « a fermé ses portes en décembre, faute de personnes à secourir ». L’association Médecins du monde (MDM) qui s’est adressée au Conseil d’État pour exiger la mise à disposition du lieu pour d’autres réfugiés a été déboutée de sa demande. Pour Paul Alauzy, employé de MDM, « l’État assume devant les tribunaux de traiter les Ukrainiens différemment des autres nationalités »11

Les réfugiés afghans, réduits objectivement à la condition d’infrahumains ne peuvent espérer « rapiner » alors imaginer qu’ils pourraient « bosser » relève de l’utopie…

[Tissa]

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Et au milieu coulait une rivière…

L’eau est un bien précieux. Si précieux même, qu’il est, avec le soleil et la terre, à la base de toute forme de vie. Pourtant, son équilibre est menacé. Le dérèglement climatique, d’une part, annonce un bouleversement inquiétant de la répartition des quantités d’eau disponibles pour le vivant et les écosystèmes, notamment avec l’élévation des températures et la fréquence accrue des périodes de sécheresse. D’autre part, les besoins insensés exigés au nom d’un développement industriel sans limite préfigurent une raréfaction et un accroissement des inégalités dans l’accès des populations à l’eau.

Le dérèglement climatique, des effets inquiétants sur l’eau

Le constat est édifiant : la température moyenne sur la planète a déjà augmenté de 1,09° C par rapport à l’époque préindustrielle (1850-1900)1. Le dérèglement climatique affecte aujourd’hui toutes les régions habitées de la planète, et la moitié de l’humanité souffre d’un manque d’eau au moins un mois chaque année. Les conséquences sur son cycle naturel sont multiples. En premier lieu, elles concernent la variabilité des précipitations ainsi que les épisodes météorologiques et climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, inondations…). De plus en plus fréquents et déjà largement ressentis, ces phénomènes vont s’amplifier dans le futur proche. Si la masse d’eau totale présente sur le globe n’est pas à proprement parler en diminution, c’est sa répartition dans le temps et dans l’espace qui s’en trouve bouleversée : des épisodes pluvieux plus concentrés et plus intenses succèdent à des périodes plus longues sans précipitations, les niveaux de pluviométrie évoluent selon les régions et les latitudes. L’augmentation de la température provoque une évaporation accrue, réduit la quantité d’eau de surface disponible, et en altère sa qualité (notamment avec l’élévation de la température des cours d’eau lors des périodes d’étiages).

Mais le dérèglement climatique a également pour conséquence la fonte des glaces sur les pôles et des glaciers. L’influence humaine est le principal facteur du recul des glaciers à l’échelle planétaire depuis les années 1990. Ceux-ci jouent pourtant un rôle essentiel en captant de l’eau douce qui est ensuite restituée graduellement aux écosystèmes pendant la période sèche : plus de 1/6ème de la population mondiale dépend de l’eau douce apportée par les glaciers durant cette saison. Avec la disparition de l’effet tampon exercé par les glaciers et le manteau neigeux, l’eau s’écoule ainsi plus vite, avec des débits plus importants en hiver, et les écosystèmes s’en trouvent modifiés. D’autre part, l’élévation du niveau des mers et des océans, en grande partie liée à la fonte des glaces, vient renforcer le phénomène de salinisation de l’eau douce. Ces réserves n’étant pas isolées de l’eau de mer, en raison d’une porosité des roches et par effet de vase communiquant, le prélèvement en eau douce se traduit par sa contamination par l’eau de mer. La moitié de la population mondiale vivant à moins de 60 kilomètres des côtes et 8 des 10 plus grandes villes de la planète situées sur le littoral en dépendent et seront prochainement concernées par ces incursions maritimes.

 

De la destruction des écosystèmes et de la biodiversité

Contrairement à une idée assez répandue, le bouleversement du cycle de l’eau n’est pas uniquement lié à l’évolution du système climatique. Les conséquences de la présence des gaz à effet de serre dans l’atmosphère viennent en fait s’ajouter à des conditions déjà amplement défavorables où le rôle de régulation des écosystèmes a été largement détruit2. Il faut donc, avant toute chose, et afin de bien cerner le problème, considérer plusieurs décennies de saccage des milieux naturels par l’essor du modèle capitaliste industriel venant altérer leur fonctionnement. Partout dans le monde, les sols, rivières, nappes phréatiques, forêts ont été exploités par les partisans de la pleine croissance comme des « ressources » librement appropriables, vision tant court-termiste qu’anthropocentrée, où le respect de la nature et du vivant s’efface derrière les besoins économiques du développement humain.

Ce constat s’illustre pleinement dans le cas du modèle agricole dominant, où dès les années cinquante «  l’assainissement des terres agricoles pour accompagner le développement d’une agriculture industrielle a été organisée : arrachage des haies, drainage généralisé des terres, assèchement des zones humides, effacement des cultures en terrasses, rectification des cours d’eau (entraînant une déconnexion avec la nappe de rechargement) »3. Tout a été fait pour que l’eau s’évacue au plus vite afin de faciliter le travail mécanisé des sols en hiver et gagner en productivité, quitte à entraîner les processus d’érosion, d’imperméabilité (battance des sols) et de ruissellement. A cela se rajoute l’utilisation massive des intrants chimiques (pesticides, herbicides, engrais de synthèse,…) venant ravager la faune du sol et ainsi faire disparaître la biomasse. Il est pourtant établi qu’un faible taux de matière organique dans les sols (humus) diminue la capacité de rétention d’eau, la résilience des cultures en cas de sécheresse, et réduit le taux de carbone qui peut être capté par ceux-ci.

Ainsi, la majorité des eaux de pluie qui ruissellent en surface rejoignent bien trop rapidement les cours d’eau puis les océans, au lieu de s’infiltrer dans les écosystèmes naturels. Le cycle de l’eau est considérablement accéléré, le risque d’inondation est accru ainsi que l’érosion, et les nappes phréatiques se rechargent plus difficilement en hiver. Celles-ci ne pourront ainsi pas être en capacité de restituer l’eau dans les milieux naturels à la saison sèche. Le problème est d’ailleurs amplifié par l’artificialisation des sols liée à l’urbanisation. Les épisodes de sécheresse que nous connaissons actuellement résultent bien de deux facteurs conjugués qui s’alimentent mutuellement : celui du dérèglement climatique et celui de la destruction des écosystèmes.

D’autre part, les conséquences dramatiques de la déforestation montrent également l’importance des relations entrecroisées entre couvert végétal, précipitations et réchauffement climatique. Près de la moitié des forêts du monde ont disparu depuis le début de l’agriculture (la majeure partie de la déforestation s‘est produite après 1950) et ont été converties en champs beaucoup moins végétalisés. Or, ces changements de couverture des sols ont une influence majeure sur les cycles de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Une étude récente du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) l’explique : « Chaque arbre d’une forêt peut être considéré comme une fontaine d’eau, qui aspire l’eau du sol par ses racines, la pompe à travers le tronc, les branches et les feuilles, et la libère sous forme de vapeur d’eau dans l’atmosphère à travers les pores de son feuillage. »4 À l’échelle mondiale, 40 à 60 % de la pluie tombant sur terre provient de l’humidité générée par l’évapotranspiration terrestre, principalement par la transpiration des arbres, transportée ensuite par les vents. La disparition des forêts entraîne des diminutions significatives de la couverture nuageuse locale et donc des précipitations, mais aussi participe au réchauffement climatique5. « Considérer que le rôle de la forêt dans le changement climatique est de stocker du carbone est vrai, mais cela oublie l’essentiel : la forêt génère la pluie, elle permet la vie, sans les forêts nous ne serions pas là, et si nous les abattons nous ne serons plus là. 6»

La destruction continue des forêts, la détérioration des sols, l’urbanisation, la perte subséquente du stockage de l’eau dans les sols et la réduction de la rétention d‘eau dans les espaces naturels perturbent la circulation de l’eau dans et à travers l’atmosphère. L’évolution du système climatique ne peut pas être comprise uniquement sur la base des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, d’autres processus sont impliqués au niveau du cycle de l’eau. Celui-ci est essentiel pour comprendre l’évolution du climat.

Du gigantisme industriel

Malheureusement, le secteur agro-industriel et celui de l’exploitation forestière ne sont pas les seuls à exercer une influence désastreuse sur le cycle de l’eau. Il est primordial de rappeler que l’eau est nécessaire à chacune des activités humaines. L’ensemble des biens de consommation qui sont produits en quantités exponentielles dans les sociétés industrialisées font payer un lourd tribu à la biodiversité et aux écosystèmes.

C’est le cas notamment de l’industrie minière en pleine expansion qui fournit les minerais nécessaires à l’ensemble de nos technologies. L’eau est la « première victime de la mine » peut-on lire dans un rapport concernant l’extractivisme7. L’impact de cette industrie est aussi bien quantitative, compte tenu des besoins en eau importants pour le traitement des minerais (une mine d’or moyenne consomme autant d’eau que 80 000 habitants par an en France), que qualitative : avec les ruissellements et infiltrations des eaux au niveau des dépôts de stériles miniers, les déversements de déchets et de produits chimiques contaminant les rivières… Il n’est d’ailleurs pas rare que les populations vivants à proximité de sites miniers se voient contraintes de fuir leurs habitats du fait de l’accaparement et de la contamination des eaux souterraines et de surface par ce type de projets prédateurs.

Mais c’est le cas également du secteur énergétique : pour l’extraction et le traitement du charbon (principal consommateur d’eau), la production d’agro-carburants (secteur en pleine expansion), l’extraction du gaz de schiste (fracturation hydraulique), du nucléaire (évaporation liée aux circuits de refroidissement des réacteurs, rejet d’eau chaude pour diluer les résidus polluants dans le lit des fleuves en période d’étiage),… L’ensemble des autres secteurs industriels, dont il serait difficile de dresser une liste exhaustive, sont également concernés : industrie du tourisme avec l’implantation de complexes démesurés (stations balnéaires ou de sports d’hiver créées ex-nihilo sans considération des impacts sur les milieux) et la prolifération d’usages inconsidérés (l’enneigement artificiel nécessite en moyenne 4 000 m³ d’eau à l’hectare8), l’industrie numérique (refroidissement des centres de données, boom de l’extraction de minerais rares et pollutions), ou encore l’industrie textile (rappelons-nous la disparition de la mer d’Aral), …

Selon une étude des Nations Unies9, la consommation d’eau a augmenté plus de deux fois plus rapidement que la population au cours du siècle dernier. Il n’est pas difficile de comprendre qu’à un tel rythme, les besoins sans cesse accrus inhérents au maintien de l’économie capitaliste entraînent l’humanité vers une situation qui deviendra très prochainement insoutenable si aucune action n’est mise en place au plus vite pour stopper cette ascension vertigineuse.

Eau : source de vie, pas de profits !

Face à ce constat alarmant, il peut apparaître illusoire de stopper la machine, tant l’imprégnation du complexe industriel et des besoins matériels sont ancrés dans les sociétés, tant la domination par les lois du marché semblent immuables. Les pouvoirs en place participent pleinement de ce sentiment d’impuissance en détournant du regard les réels enjeux et en masquant les solutions concrètes existantes. Leurs politiques se fondent à la fois sur un illusoire solutionnisme technologique, le mythe qu’une transition énergétique puisse être réalisée sans remise en cause des niveaux et méthodes de productions, et une focalisation sur les responsabilités individuelles évinçant ainsi toute approche critique systémique. L’acceptation des populations à ce que rien ne change est soigneusement préparée, on le répète sans cesse, il faut « s’adapter » pour vivre « avec » la catastrophe.

La raréfaction de l’eau laisse présager une augmentation des conflits d’usage dans un futur proche, avec pour probable conséquence une aggravation des inégalités déjà existantes face à l’accès vital des populations à ce bien. Ces distorsions sont déjà considérables tant dans les responsabilités (à qui profite le développement ?) que dans les effets (où sont produites les nuisances ?) Pourtant, des résistances sans cesse plus actives s’organisent partout dans le monde et permettent de dénoncer la question centrale de l’accaparement d’un bien commun par des intérêts privés marchands. Celles-ci peuvent prendre la forme d’une opposition directe à des projets destructeurs (luttes contre les méga-bassines en France, la destruction de la forêt de Hambach en Allemagne, la présence d’une mine de lithium dans la région désertique d’Atacama au Chili…), ou encore, une opposition à la main-mise des multinationales de l’eau s’exprimant par le refus de la privatisation des services de distribution et pour le retour à une gestion locale et publique.

De multiples initiatives très diverses existent et se mettent en place afin de proposer des alternatives concrètes au modèle de développement dominant, celles-ci posent des jalons vers d’autres possibles : réalisation à Košice en Slovaquie de dizaines de milliers de petits ouvrages de retenue pour ralentir l’eau et l’infiltrer dans des vallons où de forts ruissellements avaient été constatés (il a été observé un évitement des crues et que la végétation y avait été favorisée), replantation de la forêt le long du Rio Doce au Brésil à la place de prairies dégradées et ravinées qui avaient été créées après une déforestation (les sources autrefois taries et la biodiversité sont revenues),… Des associations mutualisent savoirs-faire et expériences afin de proposer des modèles coopératifs permettant de retrouver des forêts vivantes et habitées10. D’autres promeuvent des techniques « low-tech » basées sur les critères d’utilité, d’accessibilité et de durabilité11, quand des expérimentations locales sont menées en matière de cultures vivrières associant les principes de l’agroforesterie ou du respect des sols vivants12.

Ainsi, toutes les agricultures n’ont pas les mêmes besoins en eau, toutes les forêts ne sont pas gérées de la même façon, et tous les usages ne sont pas forcement considérés comme aussi utiles du point de vue de la société. Face aux choix qu’il est aujourd’hui nécessaire d’opérer, le débat sur la redéfinition des conditions permettant d’entrevoir un monde viable et désirable semble une étape essentielle à mettre en place si l’on souhaite encore dans le futur voir couler l’eau au milieu des rivières qui nous entourent.

[Fred]

1 Selon le sixième rapport du Giec en date de février 2022

2 Série radio « Sos H2O – Eau Secours ! » – Polemix et la voix off

3 Confédération paysanne, Supplément à Campagnes Solidaires n°365 – Octobre 2020

4 « Travailler avec les plantes, les sols et l’eau pour refroidir le climat et réhydrater les paysages de la Terre », Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Unep) – Juillet 2021

5 Entre 1950 et 2000, la température de surface a augmenté de 0,3°C à l’échelle mondiale en raison des changements de la couverture des sols. Une étude de plus d’une vingtaine de chercheurs des cinq continents, en 2017, montre, au contraire, comment l’évapotranspiration des forêts contribue à rafraîchir le climat.

6 « Les « rivières volantes », acteurs essentiels du climat mondial », Daniel Hofnung, Coordination Eau Île-de-France, Mars 2023

7 « Controverses minières – Pour en finir avec certaines contrevérités sur la mine et les filières minérales », Systext, Rapport d’Étude – novembre 2021

8 « Enneigement artificiel, Les canons à l’assaut des cimes » – Moutain Wilderness – Novembre 2010

9 « Décennie Internationale de l’action : L’eau, source de vie – 2005 – 2015 » – Département des affaires économiques et sociales des Nations unies

10 Réseau pour les Alternatives Forestières, https://www.alternativesforestieres.org/

11 Low-tech Lab, https://lowtechlab.org/fr, L’atelier paysan, https://www.latelierpaysan.org/

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Ruralité : des racines ou des ailes

La ruralité en tant que catégorie particulière d’espaces géographiques, récemment redéfinie par l’INSEE(1), porte une charge symbolique extrêmement forte, sans rapport avec son poids économique ou démographique. La France fournit presque un cinquième de la production agricole européenne. Elle a été longtemps peuplée de paysans alors que l’Angleterre, par exemple, était industrialisée dès la fin du XVIIIème siècle

Une large part de la population française a encore dans son histoire personnelle des attaches profondes avec la campagne et les manières de vivres paysannes.

La ruralité est ainsi devenue un objet politique, et médiatique, comme point de crispation : les polémiques sur la chasse et sur la corrida en sont l’emblème. Le terme « ruralité » est utilisé dans le débat public pour opposer deux catégories de Français : les urbains (accusés d’être porteurs d’une « écologie médiatique » et « punitive »(2)) et les ruraux censément dépositaires d’un héritage civilisationnel.

Elle percute alors les enjeux importants de l’époque que sont la souveraineté par la question de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, la propriété par la question des communs et des usages des milieux naturels, la démocratie par la question de l’organisation du territoire et de la décision politique et la question identitaire par les différentes manières d’habiter un territoire.

Les crises multiples ont montré à quel point nous sommes devenus dépendants des chaînes de valeurs internationales, y compris pour ce qui concerne notre alimentation. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de retrouver de la souveraineté et de cultiver la résilience des territoires.

Sur la manière d’y parvenir, deux visions, au moins, s’affrontent.

La technocratie néo-libérale au pouvoir, incapable de repenser son modèle productiviste, ne jure que par les solutions technologiques, l’augmentation de la production et la concurrence entre les territoires.

HECTAR(3), projet financé par des multinationales et par de l’argent public dessine un monde où caméras, capteurs, robots et tracteurs connectés remplaceraient les paysan·nes. On croit rêver à la lecture des ambitions des porteurs du projet : « utiliser des outils numériques et digitaux au service de la transition », dans l’objectif de « reconnecter les nouvelles générations à la nature et au vivant ».

Dans le même temps, se perpétuent toutes les politiques publiques qui font disparaître les terres nourricières (20 000 hectares artificialisés chaque année en France).

On assiste enfin à une nouvelle appropriation des terres par des grands groupes français ou étrangers en capacité d’acheter les propriétés et de les exploiter au service de l’industrie agroalimentaire. Le récent rapport publié par Terres de Liens montre l’évolution inquiétante de ce mouvement qui contribue à entraver des projets d’installation de plus petite taille, adaptés aux besoins de la population locale.

C’est sur ce terrain et pour ces terres que se mène un combat partagé de plus en plus largement par toutes celles et tous ceux qui veulent lutter contre cette vision de la ruralité : à Fournès, à Montaren, à Saint Jean du Gard, comme à Notre Dame Des Landes, les luttes cherchent à empêcher la disparition de vies possibles autrement que sur le modèle productiviste et consumériste.

Elles rassemblent des acteurs divers, depuis les habitants « historiques » des lieux concernés, jusqu’aux militants urbains conscientisés sur ces problématiques, en passant par les « néo-ruraux » très présents en Cévennes. Toutes et tous ont en ligne de mire une tout autre pensée de la ruralité irriguée de façon plus ou moins explicite par celle de Philippe Descola (et d’autres) sur la relation des humains avec l’ensemble du vivant.

Ce mouvement d’appropriation illégitime des terres va de pair avec ce qu’il faut bien appeler désormais « la guerre de l’eau ». Là aussi, des sociétés aux moyens financiers puissants, notamment ceux de mobiliser beaucoup d’argent public, s’arrogent le droit de pomper littéralement des réserves d’eau dont les sécheresses chaque année plus importantes devraient pourtant garder l’usage pour le bien commun.

Les méga-bassines en Poitou et en Charentes sont la partie visible et le support de luttes contre un phénomène qui recouvre d’autres aberrations telles que le stockage d’eau pour alimenter en neige des pistes de ski !!!

De la même façon, la nécessaire évolution de notre mix énergétique suscite des appétits qui conduisent les collectivités locales à accepter des projets d’implantation de parcs photovoltaïques y compris sur des terres agricoles et qui consistent à capter l’énergie solaire (gratuite) pour la revendre (de plus en plus cher) aux habitants du lieu… Le tout sans débat réel et dans une opacité complète des prises de décisions.

D’autres organisations sont pourtant possibles comme le montrent les expérimentations de projets à taille humaine qui permettent aux habitants de maîtriser le mode de production et leur facture énergétique avec l’autoconsommation collective, comme dans le Tarn (Pousse Pisse) ou à Rennes.

Devenue pour certain.es le lieu de l’enracinement et de la préservation artificielle de « traditions » qui n’ont jamais été figées, la ruralité abrite pourtant les expérimentations les plus audacieuses, les formes de luttes les plus radicales ayant pour effet de renverser les mécaniques de l’anthropocène.

Elle abrite et permet des modes de vie et d’organisation collective qui empêchent, au moins partiellement, au moins idéologiquement, le rouleau compresseur néolibéral de mener à bien son projet ultime de mise à sac des dernières ressources à partager entre les êtres vivants sur cette planète.

Elle est, surtout, le lieu de vie de celles et ceux qui se lèvent chaque matin et ont pour premier geste de regarder le temps qu’il fait, pas pour prévoir tel ou tel vêtement ou protection, mais surtout pour estimer ce que ce soleil ou cette pluie feront à la terre, aux plantes et aux bêtes.

Jean Giono, en 1935, disait ce désir de commun, de collectif, et d’horizon. Il pensait encore le monde centré autour de l’homme, mais la puissance de ses mots perpétue l’espoir d’un autre avenir :

« On ne dira plus ni mes arbres, ni mon champ, ni mon blé, ni mon cheval, ni mon avoine, ni ma maison. On dira notre. On fera que la terre soit à l’homme et non plus à Jean, Pierre, Jacques ou Paul. Plus de barrières, plus de haies, plus de talus. Celui qui enfoncera le soc à l’aube s’en ira droit devant lui à travers les aubes et les soirs avant d’arriver au bout de son sillon. Ce sillon ne sera que le commencement d’un autre : Jean à côté de Pierre, Pierre à côté de Jacques, Jacques à côté de Paul, Paul à côté de Jean. Tous ensemble. Chevaux, charrues, jambes, bras, épaules, en avant, tous ensemble, pour tous. » Jean Giono, Que ma joie demeure.

[Marie Motto-Ros]


  1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030
  2. https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/05/le-rn-face-au-defi-du-renouvellement-de-sa-pensee-ecologiste_6153011_823448.html
  3. https://www.pressenza.com/fr/2023/02/hectar-vers-une-agriculture-4-0/
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Épisode cévenol n°32

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