« Je ne suis pas sur terre pour tuer des pauvres gens » (Boris Vian)

De crise en crise… Depuis ce fatidique jour de mars 2020 où le président déclara, voix de circonstance à l’appui, sur des antennes télévisées que nous évitions depuis longtemps, « nous sommes en guerre », on pourrait se demander « mais qu’est-ce ce qui va encore nous tomber sur la tête » ? Et nul ne peut nier, à commencer par lui, le président, qu’ on a pas mal dégusté depuis quatre ans. Mais là n’est pas mon sujet…

« Quel est votre sujet ? » Direz-vous. La macération. La macération qui s’opère dans les esprits, plus précisément.

Ce lent processus de ramollissement, de dégradation, de miasmes et d’émanations, cet affaissement dans lequel le dur écrase le mou, le liquide attaque le solide, l’arôme se mue en effluve nauséabonde. Les composants s’y fondent les uns dans les autres, sans consistance, sans résistance, sous l’influence conjuguée du temps et des éléments ambiants.

« Vous tenez des propos barbares ». Direz-vous. Mais non, depuis quelques mois Macron ne parle que d’armes, de guerre, de défense militaire, de réarmement. Récemment, il a évoqué l’urgence d’un « réarmement démographique », là, pour le coup, c’était barbare.

Le président affectionne les termes guerriers lorsqu’il s’adresse à ses concitoyens. Il nous assène qu’il faut « réarmer ». Même pour les femmes, il faut réarmer. Plaît-il ? Prendre les armes ? Avoir des enfants ? L’utérus serait devenu un fusil qu’il faut recharger ? Infâme. Ah, c’était une image, suis-je bête ! Une image Innocente ? Les images ne sont jamais innocentes. S’il faut comprendre que les femmes devraient avoir plus d’enfants dans notre pays, lui, ne peut pas ignorer que la maternité ou la non – maternité (à l’exception des cas pathologiques), relève d’un choix éminemment personnel, que son injonction civique, patriotique, politique, ou autre, est scandaleuse. De plus, à vouloir attribuer la baisse de natalité en France aux seuls problèmes de stérilité (« infertilité » dit-il gentiment), il tente d’en occulter les causes profondes. Précarité, plans sociaux en cascade, coupes budgétaires, système éducatif dégradé, fractures et clivages multiples, guerres à l’horizon. Tout individu normalement constitué réfléchirait à trois fois avant de se lancer dans l’aventure procréatrice. Faire des enfants pour trimer, la corde au coup, afin de les élever dignement, pour en faire des esclaves du capital, pour constituer un vivier de petits soldats disponibles pour une guerre qui lui semble désormais envisageable, voire inévitable. Non merci, monsieur le président.

La sémantique médiatisée est l’outil idéal, rien de tel pour préparer les esprits. Chaque mot compte, aucun ne peut être considéré comme anodin. Qui peut prétendre échapper à cet insidieux travail sur les consciences ? Ça macère, la guerre est en cours de macération, le processus semble bien avancé même. L’industrie française de l’armement se porte comme un charme. La production d’obus bat son plein apprend-t-on (1). La forte demande extérieure a propulsé la France au deuxième rang mondial des vendeurs d’armes, derrière les États-Unis. Parallèlement le pays s’est mis sur le pied de guerre. Souveraineté d’une part et juteux marchés de l’autre… La guerre en Ukraine a joué le rôle d’accélérateur d’ un mouvement enclenché en 2019, avec depuis une hausse de 47% du budget de l’armée (1). A cet arsenal meurtrier s’ajoute notre super joujou, l’aboutissement de notre technologie, notre fierté nationale, l’arme nucléaire, le fin du fin, fatale, létale , définitive. Le président promoteur de guerre gonfle ses muscles et menace même de l’utiliser contre Poutine. Comme si Nagasaki et Hiroshima n’avaient pas suffi.

La guerre c’est une affaire qui marche. Les armes représentent un marché florissant, avec un rapport de 1,8 € pour chaque euro investi selon les spécialistes qui se réjouissent de la bonne santé de notre industrie militaire (1). Celle qui crée des emplois et sème la mort. Outre les avions « Rafale », notre fleuron, nos canons « Caesar » constituent le « système le plus redouté et celui qui fait le plus de mal » (2), entendre de morts. Partout sur cette sanglante planète, de l’Ethiopie à la Syrie, du Yémen à la Palestine, de l’Ukraine au Soudan, de la Birmanie à la Somalie, partout règne la terreur, les grandes puissances se livrent à des guerres par procuration, sur les territoires des peuples innocents.

C’est acquis depuis longtemps, la mort des populations, quelles qu’elles soient, est actionnée par les dirigeants, ces «  messieurs qu’on nomme grands » (3). Ceux qui ont le pouvoir de juguler l’information, d’exalter des idéaux patriotiques, d’attiser la haine et semer la confusion, ont pris soin de placer leurs propres enfants à l’abri des combats et des bombes. Les familles endeuillées, elles, recevront des cercueils parsemés de quelques misérables fleurs, assisteront, pitoyables, à des cérémonies orchestrées, et auront droit à une dérisoire médaille à deux sous. Puis, l’Histoire les oubliera. Tandis que les tyrans sanguinaires mourront de leur belle mort, couverts d’honneurs.

Albert Einstein écrivait « les masses ne sont jamais avides de faire la guerre aussi longtemps qu’elles ne sont pas empoisonnées par la propagande ». Or, nous le sommes. De gauche comme de droite… Crédité de 13 % des intentions de votes aux élections européennes, Raphaël Glucksmann, candidat « de gauche », prône sans vergogne la mise en place d’« une économie de guerre », en phase parfaite avec Macron sur ce point. En apparence ce projet fait consensus, en apparence seulement. Il ne fait pas de doute que les voix de la paix sont étouffées par le discours dominant belliciste. En France, comme à l’étranger, il faut descendre dans la rue pour se faire entendre. Y compris en Israël, où des mouvements pacifistes, certes fort minoritaires, manifestent pour arrêter le carnage à Gaza, à contre- courant du rouleau compresseur génocidaire conduit par Netanyahou.

Chez nous, réclamer un cessez-le-feu, c’est suspect en soi. Cela signifie ne pas adhérer au principe du droit à la légitime défense d’Israël, principe intégré dans la position officielle de la France. Macron a attendu début mars pour réclamer un cessez-le-feu, et encore, seulement pour laisser passer l’aide humanitaire. Autrement dit : «  distribuez de la nourriture avant de continuer à tuer ». Ceux qui plaident pour la paix (hormis le RN par opportunisme ), deviennent aux yeux d’une opinion poreuse à l’influence des médias, au mieux des rêveurs arriérés, au pire des traîtres prêts à de honteuses compromissions, des « munichois » (bien que le rapprochement avec le traité de Munich ait ses limites), et enfin, paradoxalement, des soutiens du terrorisme.

Quand je pense à Gandhi, à Martin Luther King, assassinés pour avoir milité en faveur de la paix, quand je pense à Albert Einstein, Nelson Mandela, Stefan Zweig, et tant d’autres que je ne peux citer, tant la liste serait longue, je me dis qu’il faut un sacré courage pour défendre la paix. [Danielle]

1- France 24, 8 janvier 2024.

2- Revue Meta-Défense, avril 2024.

3-Boris Vian, Le déserteur.

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L’« apologie du terrorisme », une arme de criminalisation massive

La répression qui s’abat sur le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien est sans précédent. Depuis l’offensive sanglante de l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie qui perdure depuis plus de sept mois, le nombre de signalements et plaintes pour « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine raciale » a explosé. Selon le ministère de la Justice, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 20241. Depuis, des dizaines de nouvelles convocations ont été adressées à des personnes qui ont condamné l’agression israélienne ou exprimé leur soutien au peuple palestinien. En même temps, politiques et médias mènent une campagne nauséabonde pour discréditer quiconque replace l’attaque du 7 octobre des groupes armés palestiniens et la réponse israélienne dans un contexte historique, qualifie les massacres à Gaza de génocide et exige un cessez le feu immédiat. La liberté d’expression se trouve fortement entravée notamment depuis la circulaire du ministre de la justice du 10 octobre 2023 qui prévoit que « la tenue publique de propos vantant les attaques (…) en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de message incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique (…) devront ainsi faire l’objet de poursuites »2.

En dépit de l’injonction de se conformer au vocabulaire autorisé qualifiant notamment les organisations Hamas et Djihad islamique d’« organisations terroristes » faut-il rappeler que des organismes comme l’AFP, la BBC ou Amnesty international n’utilisent pas ce terme qu’ils considèrent comme trop imprécis. Faut il également rappeler que seuls l’Union européenne et les USA ont classé ces organisations ainsi que d’autres partis politiques palestiniens, notamment de gauche, comme « terroristes » tandis que le reste du monde et l’ONU ne le font pas. Me Elsa Marcel qui défend M.Makni (voir ci-dessous) a souligné dans une plaidoirie : « Si on condamne des gens parce qu’ils refusent d’utiliser le mot de “terrorisme” pour les attaques du 7 octobre, est-ce que demain on va condamner les historiens, les chercheurs, les rapporteurs de l’ONU ou encore l’Agence France-Presse, qui refusent d’employer ce terme (…) ? Ce qui se joue ici, c’est la sauvegarde de la liberté du débat public. »3

 

Un des cas emblématique à ce jour d’une criminalisation abusive est celui de Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de la CGT du Nord qui a été condamné le 18 avril pour « apologie du terrorisme » à une peine de prison d’un an avec sursis par le tribunal correctionnel de Lille en raison de la diffusion d’un tract. Celui-ci faisait l’effort de replacer l’attaque du 7 octobre dans un contexte historique. Rappelons également la condamnation le 26 avril 2024 de Mohamed Makni, élu socialiste d’Échirolles depuis 2001, à quatre mois de prison avec sursis pour avoir retweeté une phrase d’un ex-ministre tunisien des affaires étrangères qualifiant l’action du Hamas d’« acte de résistance »4. Il est de surcroît exclu du parti socialiste et perd sa délégation d’adjoint au maire. Des centaines de personnes sont convoquées par la police des mois après leurs publications et les procédures restent en suspens. Elles ne savent pas si elles seront poursuivies ou si l’affaire sera classée. Cette épée de Damoclès fait craindre aux mis en cause une condamnation en cas de « récidive ».

Se déploie en France une forme spécifique de maccarthysme mêlant l’accusation d’« apologie du terrorisme » et islamophobie, assimilant la critique du sionisme à de l’antisémitisme qui serait particulièrement virulent chez les musulmans. Le rôle que joue la Palestine dans le débat politique et médiatique extrême-droitisé est résumé par Edwy Plenel: « La Palestine sert ici d’énième prétexte pour banaliser ces thématiques discriminantes en assumant l’importation en France d’un conflit de civilisation, où Israël serait une bastille occidentale face au péril islamiste »5.

Sans caractériser la situation dans laquelle vivent les Palestiniens depuis des décennies de coloniale, sans prendre en compte l’apartheid, la dépossession, les destructions de maisons, les transferts de population, le siège de la Bande de Gaza, les assassinats et détentions administratives, etc. il n’est pas possible d’analyser l’action des groupes armés palestiniens. Sans connaître la genèse de la création d’Israël et le rôle de l’idéologie sioniste, il n’est pas possible de comprendre l’offensive israélienne. Toute lecture anticoloniale et antisioniste juive ou non juive des évènements est discréditée et poursuivie, en France et en Allemagne encore plus qu’aux États-Unis ou en Grande Bretagne. Les étudiants juifs décoloniaux prennent une part très active dans les occupations d’universités pour dénoncer le génocide à Gaza.

Comment occulter le fait que la réaction du régime israélien est d’une violence incommensurable tout en étant accompagnée d’un discours raciste et déshumanisant à l’égard de tous les Palestiniens. Yoav Gallant, ministre de la défense les considère être des « animaux humains » tandis que le général de division Ghassan Alian ajoute que « les bêtes humaines sont traitées en conséquence ». Benjamin Netanyahou de son côté estime qu’« il s’agit d’une guerre entre les fils de la lumière et les fils des ténèbres »6. Pourtant, les médias et politiques français, à quelques exceptions près, ne s’indignent pas de ce genre de propos mais au contraire les reproduisent sans crainte d’être poursuivis pour « haine raciale » à défaut de l’être pour « apologie de génocide ». Nous assistons à longueur de journée sur les plateaux de télévision à des débats hors sol dont le but est de détourner l’attention de ce que subissent réellement les Palestiniens et de participer à la criminalisation du mouvement de solidarité. Est ce que des responsables syndicaux et politiques qui réclament un arrêt des ventes d’armes à Israël font de l’« apologie du terrorisme » ? Est ce qu’une conférence sur la Palestine peut susciter « un trouble à l’ordre public » ? Est ce que brandir des mains rouges est de l’antisémitisme ?

Il n’a pas fallu attendre l’offensive militaire israélienne sur Gaza et la Cisjordanie pour que la répression frappe durement en France. Le mouvement social (Gilets jaunes, mobilisation contre la réforme des retraites,…), écologique (Soulèvement de la terre…) ou internationaliste connaît des restrictions et interdictions dans son expression depuis des années et des associations ont été menacées et certaines dissoutes à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Mais depuis plus de sept mois nous assistons à une violation du droit d’expression comme jamais auparavant, accompagnée d’un discours islamophobe des plus inquiétant. Pendant des semaines de très nombreux préfets ont interdit les manifestations. Tout récemment encore Laurent Nunez, préfet de police de Paris, a interdit la manifestation « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection des enfants » du 21 avril sous prétexte quelle pourrait « porter en son sein des slogans antisémites ». Jamais autant de conférences n’ont été interdites, de militants associatifs, syndicalistes et politiques n’ont été interpellés ou poursuivis pour « apologie du terrorisme » ou « incitation à la haine raciale ».

Concluons avec l’avocat Raphaël Kempf qui rappelle judicieusement qu’en 2014 déjà, la loi initiée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve décrétait que l’apologie du terrorisme a pour but de « sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ». Puis en 2015, la circulaire signée par Christine Taubira demandait aux procureurs de poursuivre les auteurs présumés d’apologie du terrorisme avec « rigueur et fermeté », de façon « systématique », au besoin en comparution immédiate7. En conséquence, remarque-t-il, « on réprime donc la liberté d’expression pour éviter des attentats terroristes. Selon cette logique, si Mathilde Panot et Rima Hassan8 sont convoquées pour apologie du terrorisme, ce serait pour éviter la réitération des crimes du 7 octobre. L’argument confine à l’absurde et montre le danger de cette infraction9. »

Nous assistons à une dérive de l’État entamée il y a plus d’une décennie vers un autoritarisme de plus en plus décomplexé. Si le Rassemblement national devait un jour arriver au pouvoir, il remerciera la gauche et la droite au pouvoir depuis plusieurs mandatures pour un arsenal liberticide qu’il n’aura plus à imposer. Il est plus que jamais nécessaire de dénoncer ces politiques répressives et d’organiser une riposte contre la montée du fascisme.

[Tissa]

8 Respectivement Présidente du groupe parlementaire La France insoumise et candidate LFI aux européennes.

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“Terre et Liberté” – Entretien avec Aurélien Berlan

Aurélien Berlan était présent à Anduze le 28 avril dernier pour présenter son ouvrage « Terre et Liberté – La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance » paru aux Éditions La Lenteur. Nous avons souhaité nous entretenir avec lui…

– Tu vis aujourd’hui dans le Tarn après avoir passé une partie de ta vie en ville, notamment à Paris. Qu’est-ce qui t’as poussé à quitter le milieu urbain et que recherchais-tu à la campagne ?

Au début des années 2000, je me suis engagé dans le mouvement altermondialiste. J’ai alors compris qu’il y avait quelque chose de pourri dans le mode de vie que je menais et auquel j’étais, comme tous les gens autour de moi, condamné par l’organisation sociale. Ce mode de vie, on peut le définir, par analogie avec les notions de chasseur-cueilleur ou de paysan-artisan, comme celui de salarié-consommateur-électeur. Qu’on le veuille ou non, il repose sur l’exploitation brutale de la nature et des humains, même si l’on ne participe pas directement à cette exploitation : tout ce que je consommais (nourriture, vêtements, etc.) était produit dans des conditions inacceptables. Et même pour celles et ceux qui, comme moi, profitaient de cette exploitation en tant que citoyens des pays riches, il suppose une bonne dose de domination au travail, d’aliénation en tant que consommateur et de manipulation comme électeur. De sorte que j’avais une vie schizophrénique : je manifestais le samedi contre le système qui me faisait vivre toute la semaine. C’était insupportable, et je voyais bien que j’allais finir par devenir cynique si je ne parvenais pas à ne serait-ce qu’atténuer cette dissonance cognitive. J’ai eu alors l’impression qu’en vivant à la campagne, je pourrais desserrer un peu l’étau des contraintes me rendant totalement dépendant du système capitaliste, et donc atténuer la contradiction. Je n’en fais pas une stratégie politique ni une injonction morale, car desserrer l’étau n’est pas renverser le système (ce à quoi j’aspire), et que tout le monde n’a pas les moyens pour faire ce pas de côté. C’est un choix personnel qui explique en partie les questions que je me suis ensuite posées, et auxquelles j’ai tâché de répondre dans mon livre.

– La notion de liberté est un terme qui a été utilisé au cours du temps par de nombreux courants de pensées, parfois antagonistes. Tu montres qu’elle a souvent été assortie du désir de délivrance des tâches nécessaires à la vie quotidienne, peux-tu nous en dire un peu plus ?

La liberté est un idéal qui est au cœur de notre civilisation (sans que cette dernière n’en ait le monopole) et que je partage, si du moins on entend par là l’absence de domination sociale et politique (c’est le noyau dur et originel de la notion). Or, tout en s’en revendiquant bruyamment, notre civilisation n’a pas dépassé la domination. Bien au contraire, elle l’a exacerbée et globalisée, en se livrant à une exploitation inouïe des humains et de la nature (les deux plans étant reliés). J’ai voulu saisir l’origine de ce paradoxe en cherchant à identifier la composante précise qui, dans notre conception occidentale de la liberté, posait problème. Et je l’ai trouvée dans l’idée qu’être libre suppose d’être « délivré » des nécessités de la vie, c’est-à-dire des tâches liées à la subsistance, jugées en général pénibles et ennuyantes : produire sa nourriture, se procurer de quoi se chauffer et se loger, faire le ménage et la lessive, s’occuper de personnes dépendantes, etc. On n’est vraiment libre que lorsqu’on est libéré de ces « nécessités », au sens relatif de « choses à faire » tellement constitutives de notre mode de vie qu’on ne voit pas comment s’en passer.

Cette idée de délivrance est sous-jacente à la plupart des conceptions occidentales de la liberté, qu’elles soient antiques ou modernes, libérales ou socialistes. Force est de reconnaître qu’elle nous traverse toutes et tous, à divers degrés. Pourtant, cette aspiration si commune pose problème. Car pour être exonéré des contraintes du quotidien, il n’y a que deux solutions : s’en décharger sur d’autres personnes, ou bien sur des machines et des robots. Or, toutes deux ont de lourdes implications sociopolitiques et écologiques.

Si la liberté suppose de se décharger sur d’autres des nécessités de la vie, pour se consacrer à des activités jugées plus intéressantes ou réjouissantes, alors elle repose en fait sur la domination. Car il faut alors faire faire à d’autres ces tâches nécessaires qu’on ne veut pas assurer soi-même. Or, « faire faire » est la formule même de la domination sociale, qui repose toujours sur la séparation entre les exécutants qui font et les dirigeants qui disent à leurs subordonnés ce qu’ils doivent faire. L’histoire montre en effet que les dominants se sont toujours défaussés d’un certain nombre de tâches liées à la subsistance sur les groupes qu’ils dominaient, qu’il s’agisse des femmes, des esclaves, des serfs ou des ouvriers. Mais elle montre aussi qu’il y a plusieurs manières de s’y prendre, plus ou moins direct(iv)es et violentes, selon que cette délivrance passe par la menace de la violence armée et/ou par le dispositif impersonnel et indirect du marché.

On pourrait se dire que le recours à des machines pour nous délivrer des tâches pénibles devrait permettre de résoudre ce problème et de nous délivrer toutes et tous intégralement – cela a été l’espoir des industrialistes de gauche, à commencer par Marx. Mais le problème, c’est que l’exploitation industrielle de la nature suppose une division du travail se traduisant par une domination de classe : pour fabriquer et faire tourner ces machines, il faut extraire des métaux et exploiter des sources d’énergie, ce qui suppose un travail d’une pénibilité et d’une dangerosité abyssale ; il faut donc trouver les moyens de contraindre une part de la population à effectuer ces tâches dans les mines, les usines et les plantations. En bref, notre conception de la liberté, parce qu’elle suppose cette composante de la délivrance, implique toujours l’exploitation des autres et de la nature. Sauf à accepter de vivre sur le dos des autres, il est nécessaire de développer une autre idée de liberté.

– Quelles perspectives offrent la notion d’autonomie et quel sens lui donnes-tu ?

Comme celle de liberté, la notion d’autonomie peut être prise en des sens très différents. Quand on parle aujourd’hui, dans les milieux écologistes, de « cultiver notre autonomie alimentaire ou énergétique », cela signifie que l’on aspire à ne plus dépendre (ou moins) des grandes industries pourvoyant à nos besoins, et donc à reprendre en charge nous-mêmes ces nécessités. C’est le contraire de la délivrance et c’est cette conception-là de la liberté qu’il me semble nécessaire de promouvoir aujourd’hui, à condition d’éviter certains écueils.

En ce sens, l’autonomie est une conception sociale de la liberté : personne n’est capable d’assurer seul sa subsistance. Certes, on peut faire plein de choses, à l’échelle individuelle ou domestique, concourant à l’autonomie matérielle. Mais cela suppose de s’organiser avec les autres d’une autre manière que le propose le marché, où les « interdépendances » masquent bien souvent des dépendances asymétriques, donc des rapports de domination. Autrement dit, l’autonomie que je défends suppose une transformation sociale et, à ce titre, elle ne pourra pas être le résultat d’une somme de gestes individuels.

Si la recherche d’autonomie suppose de remettre en question la fascination moderne pour les moyens de production industriels et les technologies, qui nous « délivrent » effectivement d’innombrables tâches pénibles et, au-delà, des limites associées à la condition humaine, elle n’implique ni de diaboliser les moyens techniques ni de valoriser le labeur pour le labeur. Il faut faire preuve de discernement : distinguer les techniques qui soulagent nos peines et nos maux (ce qui est tout à fait légitime) des technologies qui, au prétexte de nous délivrer des nécessités de la vie sur terre, nous rendent toujours plus dépendants du système capitaliste.

– En quoi l’autonomie, pensée collectivement, peut-elle renouer avec les luttes paysannes, féministes et populaires ?

Au sens que je défends, l’autonomie a été au cœur des conceptions populaires de la liberté, notamment paysannes (en Occident et ailleurs), qui associaient la liberté (l’autodétermination) à la capacité à assurer sa subsistance (l’autosuffisance), et donc à l’accès aux ressources, notamment la terre – d’où le titre de mon livre. Ce qui s’est passé chez nous, c’est que cette approche de la liberté comme autonomie a été peu à peu marginalisée, et même invisibilisée par l’idée de délivrance, qui est d’origine aristocratique, urbaine et intellectuelle. Néanmoins, il y a eu des intellectuelles pour la sortir des oubliettes. On pense à Illich bien sûr, mais ce sont surtout des femmes, et avant tout l’écoféministe Maria Mies, qui ont compris que la liberté ne s’opposait pas au « règne de la nécessité » : elle s’oppose d’abord à l’esclavage, dont le développement est justement lié à la volonté de dépasser le « règne de la nécessité ». Telle est l’idée que j’ai voulu défendre, à rebours de l’obsession pour la délivrance qui a contaminé toute notre culture.

[Propos recueillis par Fred]

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Épisode cévenol n°38

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Nuages noirs et tempête sociale

Un monde agricole entre détresse, colère et espoir

… Début Janvier 2024. À peine remis des agapes de fin d’année, réunion nationale de crise de tous les responsables de la Confédération Paysanne1, avec pour objet de déterminer une stratégie face à la progression galopante des idées et des logiques d’extrême droite qui se nourrissent de la misère et de la détresse qui explosent dans nos campagnes, du Pas de Calais aux Pyrénées Orientales, de la Bretagne aux Alpes, et diffusées dans le milieu paysan par la Coordination Rurale2. La réunion est dense, tendue, compliquée. On sent tous que la situation est explosive, qu’aux quatre coins de la France, les trésoreries sont exsangues, le versement des aides PAC a 6 mois de retard les accords de libre échange signés et à signer tirent les prix vers le bas. De plus, le syndicat majoritaire FNSEA 3et JA4 qui cogère le système agricole français avec les gouvernements successifs depuis 50 ans commence à perdre de sa légitimité auprès de sa base. Oui, comme le dit la chanson, des tempêtes noires agitent l’air5 .

18 Janvier, bim, ça explose. Les premiers barrages démarrent dans le Sud-Ouest, région de polyculture élevage traditionnel et nourricier, qui depuis 50 ans, sous l’impulsion de la FNSEA, court derrière le productivisme, avec un endettement chaque jour plus important et des prix chaque jour plus bas. Dans ce système organisé autour des règles du capitalisme néo-libéral, il y a surtout des perdants, et là, ils n’en peuvent plus. À l’affût depuis très longtemps, la Coordination Rurale se lance à fond dans la mobilisation et souffle sur les braises de la misère. En 24h, la FNSEA et les JA sentent qu’ils sont débordés. Panique dans leur état major et à l’Élysée. Dès le 18 Janvier au soir, ordre est donné par Matignon aux préfets de convoquer les responsables des syndicats agricoles dans chaque département dans les plus brefs délais ! Pour une fois, la FNSEA et le ministère sont complètement dépassés, par contre du côté de la Coordination Rurale, tout se passe pour le mieux. Devant la crise profonde du monde agricole, tant au niveau économique que en terme de perte de sens du métier et de perspectives, leurs discours simplificateurs font mouche et trouvent un écho inespéré. De plus, les médias leur ouvrent leurs antennes comme jamais.

Sentant que le mouvement leur échappe de plus en plus, la FNSEA et les JA se lancent dans une surenchère anti-Europe et anti-écolos avec la Coordination Rurale.

Pour le Gard, la convocation en préfecture a lieu dès le lendemain matin, à 11H, et là, les choses sont claires et les masquent tombent. Je suis le seul étranger au système cogestionnaire FNSEA-Etat. Et pour la FNSEA, une revendication centrale, formulée sur un ton implorant auprès du préfet: On est débordés par la base ! Aidez nous à sauver le système !!! Et pour çà, il nous faut des gages anti-écologistes et des gages anti-réglementaires !

La mobilisation n’a pas commencé depuis 48h qu’on est déjà en plein délire et ce n’est que le début. 13H. Je sors de la préfecture et en rentrant dans la voiture, j’allume le 13h d’Inter. Et là, stupéfaction !!! La porte parole de la Coordination Rurale, sur des ondes nationales, sur la première radio de France, appelle clairement à voter Rassemblement National aux prochaines élections, et ce presque avec la complicité et la bénédiction du journaliste du jour ! Toutes les digues ont sauté. On approche du Salon de l’Agriculture et c’est clair, qu’on va avoir droit à une course à l’échalote sans fin !

À partir de là, de jour en jour, voire d’heure en heure, deux mouvements se développent en parallèle, s’auto-alimentant mutuellement. D’un côté, la colère d’une majorité des agriculteurs explose chaque jour un peu plus, et vu le niveau de détresse de la plupart d’entre eux, elle est tout à fait légitime. En parallèle, l’instrumentalisation et les manœuvres de récupération du mouvement par la Coordination Rurale et la FNSEA semblent sans limites. Et la Confédération Paysanne dans tout ça ?

Dès le début, nous avons fait le choix périlleux en terme de communication, mais cohérent avec notre ligne syndicale, de rentrer dans le mouvement tout en nous distinguant très nettement à la fois de la FNSEA et de la CR. Nous ne pouvions pas nous associer aux cogestionaires pour réclamer plus de phytosanitaires, moins de réglementations environnementales, plus de productivisme. Nous ne pouvions pas plus nous associer aux discours, aux propos et aux pratiques démagogiques, nationalistes, parfois pré-fascistes et violentes de la Coordination Rurale, pilotés par derrière par le RN et Reconquête.

Alors nous sommes rentrés dans le mouvement sur nos valeurs, sur nos revendications, en réclamant la sortie des traités de libre échange, en revendiquant des prix minimums d’entrée sur le territoire national, et de façon plus générale, des prix rémunérateurs pour nos produits incluant la rémunération du coût de production, du travail du-de la paysan-ne et de sa protection sociale. Et nous l’avons fait chaque fois en réaffirmant que « in fine », il était indispensable d’organiser et réguler simultanément les filières de production et les marchés. Et à chaque fois, tant le premier ministre Attal, le ministre de l’Agriculture Fresnaud ou encore le Président de la République nous ont renvoyé dans les cordes en nous expliquant avec mépris et condescendance que l’organisation de l’économie mondiale selon les principes du capitalisme néolibéral était la seule possible ! Nous avons multiplié les actions et mobilisation en insistant à chaque fois sur les effets catastrophique des accords de libre échange et de la dérégulation des marchés, tant pour les paysans français que les paysans et les ouvriers des quatre coins du monde qui eux aussi sont victimes de cette spirale infernale. Le paroxysme de cette période explosive fut le samedi de l’inauguration du salon de l’Agriculture par le Président de la République. Là, la Coordination Rurale, renforcée par des hommes de main fournis par le RN, a joué la carte du coup de force et tenté de semer le chaos en criant « On est chez nous ! », mode opératoire habituel de l’extrême droite.

Alors que retenir de ces semaines complètement folles ?

Tout d’abord, le premier constat est la confirmation que la misère et la détresse sont chaque jour de plus en plus insupportables pour nombre d’agriculteurs, quelles que soient leur filière et leur région.

D’autre part, l’extrême droite avec son projet de société mortifère progresse dans le monde agricole comme dans le reste de la société, inexorablement, tel un rouleau compresseur. La Coordination Rurale est claire quand à son projet de société, comme l’illustre ces propos d’un de ses membres entendus au détour d’un barrage : « En Espagne, les paysans ont droit à des immigrés à deux ou trois euros de l’heure ». Et alors qu’on en était encore à comprendre la gravité de ce qui venait d’être dit, le leader interrogé poursuivait : «… alors ici il faut arrêter de nous gonfler avec le Smic ! ». Au moins, c’est clair.

Du côté du gouvernement, c’est la panique totale. On a entendu au cours de ces semaines de mobilisation tout et son contraire de la, part de l’exécutif, y compris du Président, mais on a compris que quoi qu’il en soit, ils ne changeraient absolument rien au système, et qu’ils achèteraient la paix sociale à coup de mesures démagogiques et de reculs sur le volet environnemental. Pire, dans la nouvelle Loi d’Orientation Agricole, il est prévu pour les grands projets agricoles (méga-bassines, méthaniseurs industriels, fermes usines …), que les délais de procédure seraient réduits, les normes environnementales sérieusement allégées, et surtout, les possibilités de recours pour les opposants réduites au maximum. De ce côté là, nous avons donc énormément de souci à nous faire.

Par contre, l’élément nouveau vient du côté de la FNSEA. Pour la première fois depuis 50 ans, son double discours est remis en cause par sa base, et en interne, derrière le discours martial développé dans les médias, rien ne va plus ! La main mise qu’ils exercent sur l’ensemble du monde agricole est plus contestée que jamais, et leur forteresse commence sérieusement à trembler ! Jusqu’où ? Personne ne sait, mais c’est à nous, paysans et militants, de l’aider de toutes nos forces à s’effondrer au plus vite.

Enfin, à la Confédération Paysanne, nous considérons que nous sommes à un moment charnière.

Alors que la FNSEA et la Coordination Rurale souhaitent prolonger leur collaboration de classe au service de la domination de l’agro-industrie et du monde de la finance, nous sommes persuadés qu’un autre modèle agricole est possible. Celui que nous proposons s’appuie sur le concept de l’agriculture paysanne (autonome, nourricière, respectueuse de l’environnement) et sur celui de la Sécurité Sociale de l’Alimentation, qui pourra permettre aux paysans de vivre de leur métier avec des prix rémunérateurs ainsi que l’ensemble des habitants de ce pays, y compris et surtout les plus précaires, de se nourrir correctement, sainement et à satiété. Mais pour pouvoir les développer, il nous faudra au préalable collectivement mettre à bas le système actuel d’organisation du monde agricole.

[Didier Marion, Paysan, Porte Parole de la Confédération Paysanne du Gard]

1 La Confédération Paysanne, syndicat agricole de gauche, ancré dans la gauche de transformation sociale (20,56%aux dernières élections professionnelles)

2 La Coordination Rurale, syndicat agricole proche du RN et de Reconquête.(21,54% des voix aux dernières élections professionnelles)

3 FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricole (55,55% des voix aux dernières élections professionnelles)

4 JA : Jeunes Agriculteurs (branche jeunes de la FNSEA)

5 « A las Barricadas », hymne de la CNT-FAI pendant la guerre d’Espagne

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Premier prix, dernier prix

28 octobre, Anduze. Lors d’une journée consacrée à l’autonomie alimentaire locale, une discussion s’engage sur la manière dont les producteurs locaux fixent leurs prix de vente.

Le représentant d’une coopérative de vente de produits bio rapporte que beaucoup se déterminent par rapport à ce qui est pratiqué par la plate-forme d’approvisionnement du réseau.

Une éleveuse de bovins se demande « Comment fixer le prix de l’entrecôte pour dégager un salaire en tenant compte de toutes les charges »

D’autres producteurs, en AMAP, confirment construire leurs prix de vente autour de ceux pratiqués dans les circuits de distribution : très peu au-dessus ou très peu au-dessous, en tenant compte des coûts de production et des aléas climatiques en maraîchage, ou sanitaires en élevage. Ils citent la question du revenu en dernier lieu et ne la corrèlent pas au temps de travail mais au bénéfice d’un travail indépendant, auquel ils donnent du sens. Nourrir les gens, les rencontrer et recevoir leurs retours sur la production, être maître de son temps et de ses choix a davantage de valeur pour eux.

Il n’en reste pas moins que les prix agricoles devraient avant tout être déterminés de façon à procurer aux paysan.nes un revenu décent. Au minimum.

Il n’en est rien : près de 20 % des agriculteurs français n’ont pas pu se verser un revenu en 2017 (Le Monde, 8 novembre 2019). Malgré les efforts du syndicat majoritaire et du gouvernement pour la tourner vers un excès normatif, la récente colère des agriculteurs a montré combien cette question est prégnante.

Même en circuit court, il est difficile de s’affranchir du marché, lequel est organisé autour de paramètres dont le revenu des producteurs est bien le moindre.

Un marché resté essentiellement national, voire local pour la plupart des productions, jusqu’au milieu du XXe siècle. Avec la fin de la 2e guerre mondiale, l’Europe est en situation de déficit alimentaire, le plan Marshall, en inondant les campagnes de machines agricoles, initie la transformation de l’agriculture. Dès les années 60, des politiques nationales puis européennes contribuent à l’émergence d’un modèle productiviste dans lequel « une part de plus en plus importante de la richesse créée (la valeur ajoutée) et des aides directes est captée par le capital investi, au détriment du revenu prélevé par le paysan. D’où la course à l’agrandissement (« Je gagne moins à l’unité produite, mais je me rattrape sur la quantité») et à la constitution d’un patrimoine qu’on espère réaliser à la retraite («Vivre pauvre avec l’espoir de vieillir riche»). »i

Dans les dernières années du XXe siècle, la mondialisation néolibérale accentue la concurrence et l’interdépendance mortifère du « produire plus » résumés par une récente étude du think tank Solagro (citée par Le Monde 23/04/22): la France exporte 12,7 millions d’hectares de production agricole et en importe 10 millions (hors produits forestiers). Dans les deux sens, c’est au détriment des agricultures vivrières et des écosystèmes.

La doxa libre-échangiste qui aveugle les élites européennes renforce cette aberration au fil des accords de libre-échange internationaux signés hors de tout processus démocratique et en contradiction flagrante avec les déclarations de nos dirigeants. Dernier en date, l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande va augmenter l’importation de produits agricoles venant de l’autre bout de la planète : viandes ovine et bovine, lait, fromage, beurre, pommes, kiwis et tant d’autres vont traverser les océans et parcourir plus de 20 000 km alors qu’ils sont également produits sur le sol européen.

Enfin, dernier avatar, une part des prix agricoles a été connectée au prix de l’énergie : « Les produits agricoles peuvent aussi devenir des substituts à l’énergie fossile, soit en fabriquant du carburant, soit par méthanisation, en valorisant les gaz issus de la fermentation, notamment du maïs. Ces cultures dites énergétiques ont pris une très grande importance dans certains pays : aux États-Unis, 40 % du maïs produits sont consacrés aux productions de bioéthanol ; en Allemagne, 650 000 hectares sont consacrés au maïs de la filière méthanisation ! »ii

On l’a vu avec la guerre en Ukraine, les aléas climatiques, même s’ils pèsent de plus en plus avec le dérèglement, ne sont plus les seuls à influer sur les prix et, surtout, les produits agricoles sont désormais l’objet d’une spéculation non maîtrisée qui peut avoir un impact négatif non seulement sur l’économie agricole mais aussi sur la sécurité alimentaire, à l’échelle nationale et internationale.

Finalement, le prix payé au producteur n’a pas grand-chose à voir avec le travail qu’il a réellement nécessité, comme le prix du billet de train n’a plus aucun rapport avec la distance parcourue ou le travail du cheminot.

Et le prix payé par le consommateur, surtout hors circuits courts, ne reflète pas non plus le véritable coût des produits achetés : « Le prix d’un produit ne dit pas tout du coût de notre alimentation… Il ne dit rien de l’argent public engagé dans notre système agricole et alimentaire : aides directes, défiscalisation, aides d’urgence, dépollution, maladies professionnelles, santé des consommateurs ou encore financement de l’aide alimentaire… » iii

Prix, coût, valeur ?

Comment retrouver le lien entre la valeur et le prix ? Comment évaluer la quantité de travail et l’investissement nécessaires pour produire une salade ?

Des outils existent pour analyser les coûts de production et en déduire un prix de vente cohérent… avec le marché.

On peut, aussi, partir tout simplement du revenu nécessaire à chaque paysan·ne :

En Haute Savoie, au GAEC de la Pensée Sauvage, une ferme maraîchère 100% en AMAP, on fonctionne en partage de récolte : aujourd’hui on ne parle plus de ‘prix du panier’ ou des légumes mais de ‘part de récolte’. Les trois associés ont eu une importante réflexion sur leur temps de travail, le montant de leur rémunération et l’ensemble des besoins de la ferme. (…)S’ils trouvaient avec l’AMAP 100 personnes prêtes à s’engager à acheter une part à 1000€/an (ou 50 personnes à 1 part et 100 personnes en contrat sur des demi-parts), le GAEC pouvait alors rémunérer le travail à la hauteur de ce qu’ils avaient envisagé ! Ce système de partage de récolte a fait ses preuves ici. S’émanciper des prix du marché et s’assurer une rémunération juste du travail, c’est possible !iv

Mais le revenu correct du producteur se heurte très vite à celui du consommateur et conduit à des inégalités d’accès à une alimentation de qualité et rémunératrice pour celles et ceux qui la produisent.

Alternatives

La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) : le projet a pour objectif de sortir du modèle de l’agro-industrie pour réaliser l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Il repose sur une allocation universelle pour les consommateurs et un conventionnement des acteurs et des produits hors des enseignes de l’agro-industrie.

Sa mise en œuvre (très hypothétique puisqu’elle nécessiterait un rapport de force politique bien loin d’être effectif aujourd’hui) aurait-elle un effet sur le revenu des paysan.nes conventionnés ?

En subventionnant en réalité des échanges commerciaux classiques, en ne supprimant pas les logiques concurrentielles, ni la prééminence du marché, rien n’est moins sûr…

Et selon Pierre Khalfa, membre du Conseil scientifique d’Attac : « Il est (…) illusoire de croire que l’on peut transformer en profondeur le modèle agricole, à partir d’un changement très partiel de la consommation domestique, ce d’autant plus qu’une partie de cette dernière vient elle-même de l’étranger. »

Pour le CIVAM, plus de valeur ajoutée (valorisation de la production par la reconnaissance de signes de qualité (produits bio, labels, AOC, IGP, produits fermiers…), et l’adoption de systèmes de production plus autonomes, plus économes et plus respectueux du milieu naturel permettent efficacement d’améliorer le revenu prélevé.

Au bout du bout, la « main invisible du marché » étant de plus en plus apparente, et le système capitaliste qui la manipule de plus en plus violent, il devient manifeste que les luttes ancrées dans les territoires, comme les pratiques et les expérimentations de modes de vie irriguées par les valeurs communes de justice, de solidarité, de partage sont à même de bousculer les infrastructures dites productives et la doxa économique qui les légitime.

L’autre monde est en gestation, reste à mettre en récit son histoire à venir car, comme le dit Alain Supiot, « ce n’est ni en défaisant l’Etat social ni en s’efforçant de le restaurer comme un monument historique que l’on trouvera une issue à la crise sociale et écologique. C’est en repensant son architecture à la lumière du monde tel qu’il est et tel que nous voudrions qu’il soit » (Le travail n’est pas une marchandise, Collège de France, 2019).

[Marie Motto-Ros]

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La transition énergétique n’aura pas lieu

Alors que les émissions mondiales de CO2 ont atteint un nouveau record en 20231, la transition énergétique est communément présentée dans le débat public comme la solution au défit climatique en cours. Aussi bien employée par les décideurs politiques, promoteurs industriels, experts scientifiques ou même militants écologistes, cette notion n’est pourtant que rarement questionnée. Dans son récent ouvrage intitulé « Sans transition, une histoire nouvelle de l’énergie »2, l’historien Jean-Baptiste Fressoz nous montre comment celle-ci s’est imposée à partir des années 1970 pour devenir « l’idéologie du capital au XXIe siècle ».

Une transition introuvable

Fressoz revient en premier lieu sur le récit phasiste de l’histoire énergétique sur lequel se base la transition, à savoir que se seraient succédées par le passé plusieurs transitions, celle du bois au charbon, puis celle du charbon au pétrole. Il faudrait maintenant, pour faire face au réchauffement, en accomplir une troisième vers le nucléaire et les énergies renouvelables. Hors, un simple regard sur les quantités de matières consommées depuis le début de l’ère industrielle nous montre que l’introduction de nouvelles énergies n’a jamais mis au rebut les précédentes. Chaque année, environ deux milliards de m³ de bois sont abattus afin d’être directement consumés, soit trois fois plus qu’un siècle plus tôt3. Le bois fournit deux fois plus d’énergie que le nucléaire, deux fois plus que l’hydroélectricité, deux fois plus que le solaire et l’éolien réunis (en 2019). Le charbon quant à lui, pourrait à bien des égards être considéré comme une énergie nouvelle : la plus forte croissance de son histoire a eu lieu entre 1980 et 2010 (+300%), et sa consommation continue de croître chaque année.

L’auteur nous interpelle ainsi : « Après deux siècles de « transitions énergétiques », l’humanité n’a jamais autant brûlé de pétrole, de gaz, de charbon et même autant de bois. ». La persistance de ce récit communément accepté est pourtant problématique, il explique la facilité par laquelle, avec le réchauffement climatique, la « notion de transition énergétique s’est imposée comme une évidence, comme une notion solide et rassurante ». Car en suivant la logique, puisqu’il y aurait déjà eu par le passé plusieurs transitions effectuées, il suffirait d’en entamer une nouvelle pour résoudre la question du climat. Et celle-ci reposerait naturellement sur la technologie et l’innovation.

Mais Fressoz ne se contente pas de montrer que les énergies se sont empilées les unes sur les autres au cours des XIXe et XXe siècles – fait en soi assez évident. L’un des intérêts majeurs de sa thèse est qu’il nous dévoile les relations symbiotiques entre matières et énergies jusque lors peu analysées. Plutôt que de considérer les énergies comme des entités séparées et en compétition, il s’intéresse à leurs intrications et leurs interdépendances. Le bois par exemple, était une ressource indispensable pour l’extraction du charbon, ne serait-ce que pour les besoins en étais pour soutenir les galeries de mines : il fallait à peu près une tonne d’étais pour sortir 20 tonnes de charbon au début du XXe siècle. L’Angleterre utilise plus de bois en 1900 pour étayer ses mines de charbon qu’elle n’en brûlait un siècle plus tôt…, et elle brûle aussi quatre fois plus de bois aujourd’hui qu’en 1800 et ce dans une seule centrale thermique pour produire de l’électricité.

Dans le même ordre d’idées, l’extraction du pétrole est rendue possible grâce à des machines en acier, il est transporté par des bateaux, des wagons-citernes ou des pipelines en acier, il est raffiné dans des usines en acier et fini brûlé par des engins en acier. Et pour l’essentiel, l’acier est produit avec du charbon. L’exploitation forestière à quant à elle pu prendre son envol au milieu du XXe siècle grâce l’usage du pétrole : de par la mécanisation des machines de coupe (tronçonneuses, porteuses à bras hydraulique, abatteuses forestières) – des études récentes font état d’une consommation de 2 à 3 litres de diesel par m³ de bois extrait, mais aussi par la construction de routes pour rendre exploitables des centaines de millions d’hectares de forêt (la forêt amazonienne compte trois millions et demi de kilomètres de routes…), où encore les centaines de millions de tonnes d’engrais azotés déversés pour augmenter la productivité des exploitations sylvicoles.

Un futur décarboné ?

A travers l’analyse détaillée de l’histoire matérielle des énergies qu’il nous propose, Fressoz n’entend pas démontrer que si aucune transition énergétique n’a eu lieu par le passé, il serait de ce fait impossible d’en réaliser une dans le futur, ou qu’il serait illusoire de croire en une quelconque utopie verte où un futur décarboné. Il nous montre que « le concept de la transition nous empêche de penser convenablement le défi climatique, et que l’on ne peut plus se satisfaire des analogies trompeuses entre les pseudo-transitions du passé et celle qu’il faudrait de nos jours accomplir. » Car en effet, « l’impératif climatique ne commande pas une nouvelle transition énergétique, mais oblige à opérer volontairement une énorme autoamputation énergétique : se défaire en quatre décennies de la part de l’énergie mondiale – plus des trois quarts – issues des fossiles. »

Pourtant, les options envisagées parmi la multitude de scénarios et de modélisations élaborés par les experts scientifiques ne laissent pas espérer une diminution significative de nos niveaux de consommations énergétiques, ni même le début d’une réflexion allant dans ce sens. Au contraire, pour faire rentrer une économie mondiale en pleine croissance sous la barre des 2 °C, ceux-ci sont obligés de recourir à des moyens extraordinaires, à savoir d’énormes quantités d’« émissions négatives ». C’est ainsi que l’on peut trouver dans les derniers rapports du GIEC un recours massif à des techniques innovantes comme la bioénergie combinée avec la capture et le stockage du CO2 (BECCS). L’idée revient à brûler dans des centrales à biomasse des arbres à croissance rapide puis à capturer le CO2 à la sortie des cheminées et à l’enfouir dans le sol. Il faudrait que cette industrie, encore inexistante, pompe dans l’atmosphère et enfouisse dans le sol jusqu’à 900 Gt de CO2 d’ici à 2100, ce qui correspondrait à une surface de plantation supérieure à deux fois celle de l’Inde, ou à celle de la production mondiale de bois… D’autres options s’appuient sur des technologies complexes telles que la fusion nucléaire qui deviendrait commercialisable à partir de 2050, la géo-ingénierie agissant sur l’albédo terrestre, ou encore le stockage du CO2 dans des « lacs » artificiels au fond des océans… Ces technologies censées conduire au « Net Zero Carbone » trouvent un écho au plus haut plan dans les instances décisionnelles, sans pour autant que leur plausibilité et leur faisabilité, notamment économique, ne soient réellement étudiées.

Un autre pilier de la transition énergétique repose sur le développement des éoliennes et des panneaux solaires actuellement en fort essor du fait de la hausse de leur compétitivité. Sur ce point, Fressoz considère que même si celui-ci est nécessaire, et que par ailleurs ces technologies sont remarquables pour produire de l’électricité, il serait déraisonnable d’attendre des renouvelables plus qu’elles ne peuvent offrir. En effet, la production électrique ne représente que 40 % des émissions, et 40 % de cette électricité est déjà décarbonée grâce aux renouvelables et au nucléaire. Plusieurs dizaines de pays sont déjà parvenus à sortir leur électricité de la production fossile sans que cela ne provoque une baisse drastique de leurs émissions. Si l’électricité issue des renouvelables continue d’alimenter le même monde reposant sur le carbone, l’effet sur le réchauffement ne sera que ralenti. D’autre part, décarboner la production électrique n’est que la première étape, la plus « aisée », de la transition : « Sans même parler de l’aviation ou du transport maritime, la production de matériaux clés, comme l’acier, le ciment, et dans une moindre mesure le plastique et les engrais dont dépendent les infrastructures, les machines, la logistique et l’agriculture contemporaines, reste très difficile à décarboner. » Et pris dans leur ensemble, la production de ces matériaux représente plus du quart des émissions mondiales et suffit à elle seule à rendre hors de portée l’objectif de l’accord de Paris.

Idéologie du capital

La transition énergétique minimise radicalement les transformations qu’il faut accomplir pour tenir nos objectifs climatiques. Elle fait croire qu’un monde à peu près semblable au nôtre, mais sans carbone, est à portée de main, et cela en trois ou quatre décennies seulement. Comme le dit Fressoz : « La crise climatique commanderait de poursuivre l’histoire du capitalisme et de l’innovation, de l’accélérer même, pour hâter l’avènement d’une société libérée du carbone. Grâce à la transition, le changement climatique appelle un changement de technologie, non de civilisation. […] Grâce à la transition, on parle de trajectoires à 2100, de voitures électriques et d’avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition. Des solutions dans le futur empêchent de faire des choses simples maintenant.  »

En effet, alors que les causes et les conséquences du réchauffement sont précisément analysées et connues depuis plus d’un demi-siècle, le terme de sufficiency (euphémisme du terme déjà euphémisant de sobriété) était mentionné pour la première fois dans le rapport du GIEC de 2022. Parmi les 3000 scénarios expertisés par le groupe III, pas un seul n’envisage, même à titre d’hypothèse, une quelconque diminution de la croissance. La transition se révèle l’arme redoutable de la procrastination. Tout faire pour que rien ne change en quelque sorte. Et sans grand étonnement, les prévisions de l’Agence pour l’Énergie Internationale ne prévoient guère qu’une légère baisse des émissions liées au charbon à l’horizon 20504. La part des fossiles dépassera encore les 60 % du mix énergétique mondial à cette date, résultat pour le moins éloigné des « engagements » de neutralité carbone pris par la plupart des gouvernements actuels.

Jamais nos sociétés n’ont été aussi dépendantes des fossiles et tous les secteurs de notre vie quotidienne sont concernés : alimentation, logement, déplacement… Les obstacles sur le chemin de la décarbonation sont titanesques. Dans son ouvrage, Fressoz ne nous livre pas de solutions clé-en-main pour en sortir, il nous apporte une compréhension nouvelle des dynamiques énergétiques et matérielles, base nécessaire pour construire un jour une politique climatique un tant soit peu rigoureuse. Pour l’auteur, sortir du capitalisme sera plus aisé que de sortir des fossiles. Et si cette première condition est nécessaire pour atteindre la seconde, autant nous hâter de la réaliser au plus vite afin de limiter, à minima, le fardeau à venir.

[Fred]

1+ 1,1 % par rapport à 2023, selon le rapport publié le 1er mars 2024 par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), soit 37,4 milliards de tonnes.

2Édition Seuil Écocène, janvier 2024.

3Les données chiffrées citées dans cet article sont, sauf mention contraire, tirées de l’ouvrage.

4Rapport World Energy Outlook 2022, scénario Steps, établi selon la trajectoire qu’impliquent les politiques publiques actuelles. Agence Internationale de l’Energie (AIE).

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Épisode cévenol n°37

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NON, tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023!

Après des dizaines d’années d’occupation, après 17 ans d’un siège meurtrier de la Bande de Gaza, le 7 octobre 2023, le Hamas et l’ensemble des organisations de la résistance palestinienne ont lancé une opération dans le sud d’Israël provoquant le mort d’environ 1140 Israéliens civils et militaires. Plus de 200 personnes sont prises comme otages. Parmi eux des enfants. Un crime de guerre selon le droit international.

Mais on n’a rien compris si on croit que tout a commencé le 7 octobre 2023 !

Israël est un fait colonial

Au temps des colonies il était plus simple d’accorder un territoire, même habité, à ceux dont on ne voulait pas, que de les accepter chez soi, même survivants du génocide nazi. Racisme antisémite sous couleur de générosité.

Israël, pays où tous les juifs du monde peuvent s’installer, naît dans la violence. Dans la négation du peuple autochtone expulsé, colonisé. Sentinelle avancée de l’Occident au Proche-Orient.

Depuis la Nakba (1947, 48, 49) et la Naksa (1967) les gouvernements israéliens successifs n’ont eu de cesse, de gauche comme de droite, d’accaparer la terre et d’en chasser les populations palestiniennes, de les enfermer derrière des murs, des barbelés, des checkpoints…d’installer des colonies tentaculaires détruisant le paysage et la géographie, accaparant l’eau. Plus de 700 000 colons vivent en Cisjordanie dont Jérusalem-Est. Parmi eux Ben Gvir et Smotrich, ministres suprémacistes du gouvernement fasciste israélien.

Des décennies d’occupation militaire avec son lot d’iniquités, de crimes, de violation des droits humanitaire et international, la vie empêchée par les forces d’occupation israéliennes (FOI). Les jeunes Israéliens juifs, filles comme garçons, sont envoyés à 18 ans faire le sale boulot d’une armée d’occupation, avec le pouvoir d’humilier à sa guise la population palestinienne : tenir dans son viseur des écoliers tout en fouillant leurs cartables, se livrer à des arrestations arbitraires, user d’interdictions en tous genres, destruire des maisons, des cultures, des monuments, des lieux de culte et de culture, boucler le territoire palestinien lors des fêtes religieuses juives, tuer, voler… En Cisjordanie – dont Jérusalem-Est, l’expansion des colonies s’intensifie dans tout le territoire, des villages bédouins détruits. Le gouvernement fasciste israélien pousse partout à la violence, l’armée chargée de briser la résistance sans y parvenir, multiplie les incursions dans les camps de réfugiés, cible les journalistes, tue de nombreux civil. En toute impunité.

De la naissance à la mort un Palestinien, une Palestinienne ne doivent jamais oublier que partout les Israéliens sont chez eux et qu’ils/elles doivent se soumettre. Ce qu’ils ne font pas. Ils sont donc des terroristes.

Non, tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023 !

A Gaza, une guerre menée contre le peuple palestinien 

En 2006, en Palestine, à l’issue d’élections législatives démocratiques le Hamas, parti vainqueur, forme un gouvernement de techniciens auquel le Fath refuse de participer. Les Etats-unis et l’Union européenne dont la France refusent de le reconnaître. Il en résulte la prise de contrôle de la Bande de Gaza par le Hamas qui y installe un gouvernement, et la mise en place du blocus hermétique israélien.

Depuis 17 ans les Gazaouis vivent dans une cage coupée du monde. Une cage dans laquelle s’entasse une population de 2,3 millions d’habitants, privée de tout, régulièrement la cible de bombardements meurtriers israéliens qui font des milliers de victimes. En toute impunité.

Au bout de trois mois de massacres, devant l’étendue de ce qui n’est pas une guerre Israël-Hamas mais un génocide, crime contre l’humanité, commis délibérément par le gouvernement israélien, la « communauté internationale » se souvient soudain de « La Solution à Deux Etats », sans pour autant exiger un cessez-le-feu d’Israël ni le sanctionner.

Cette « communauté internationale » n’a rien fait pour la faire advenir mais a contribué à son sabotage. Le seul État qui ait agi en défense des Palestiniens est l’Afrique du Sud. Elle a déposé en janvier une plainte contre Israël auprès de la Cour Internationale de Justice. Elle affirme « qu’Israël a commis, commet et risque de commettre des actes de génocide contre le peuple palestinien de Gaza » et demandé des mesures provisoires de protection. [F.L.]

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France Travail (et tais-toi!)

La loi pour le plein-emploi a été adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 14 novembre 2023. Au prétexte de vouloir abaisser le taux de chômage à 5 % de la population active, c’est en réalité une véritable attaque du gouvernement contre les plus précaires qui est menée.

Cette réforme est tout autant dangereuse qu’inefficace. En soumettant les bénéficiaires des minimas sociaux à l’obligation de fournir un minimum de quinze heures d’activités hebdomadaires obligatoires en contrepartie du maintien de leur allocation, de nombreuses personnes risquent tout bonnement de se retrouver exclues de ce système de protection sociale et de basculer dans des conditions de grande pauvreté. Un rapport de la Cour des Comptes de 2022 montre pourtant bien que le RSA demeure un rempart efficace contre la pauvreté, alors qu’aucune étude ne vient démontrer que l’augmentation des sanctions contribue à une meilleure insertion professionnelle des allocataires. En effet, si leur nombre tend à baisser suite à des mesures contraignantes ou des durcissements des conditions de versement, les chercheurs spécialisés sur la question estiment plutôt que les contrôles tendent à renforcer le taux de non-recours aux droits plutôt qu’à un retour à l’emploi1. Plus d’un tiers des foyers éligibles au RSA ne perçoivent actuellement pas cette aide alors qu’elles pourraient en bénéficier. Les causes sont multiples : manque d’information, démarches administratives fastidieuses et complexes, refus de dépendre d’une aide sociale, etc. L’application de la loi pour le plein emploi laisse craindre une augmentation du nombre de personnes sans ressources et donc une plus forte exclusion sociale d’un public déjà très précarisé.

Ce renforcement des contraintes pesant sur les plus pauvres se comprend dans le prolongement de l’abandon des mesures de solidarité nationale au profit de la lutte contre un « assistanat » fantasmé. Selon Denis Colombi, sociologue, ce type de mesures « suppose que des personnes ne veulent pas travailler et qu’il faut les y obliger à tout prix. Il n’y a aucune source sérieuse, aucune mesure, aucun rapport parlementaire ou travail de sciences sociales qui indique que c’est ça le problème. Généralement, si les personnes sont en difficultés, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’emplois, qu’elles n’ont pas de diplôme ou des diplômes et des formations qui ne correspondent pas aux emplois ouverts, ou qu’elles sont dans des situations de précarité telles que rechercher un emploi n’est pas possible. Cela peut être lié à des formes de handicap, reconnu ou non, à des situations familiales particulières… »2 En effet, toutes les études effectuées à propos des pressions exercées auprès des bénéficiaires de minimas sociaux montrent qu’elles n’augmentent pas leur motivation. C’est aussi ce qu’Esther Duflo, prix Nobel d’économie, soulignait récemment : « Universellement, ce qu’on trouve dans tous les contextes, c’est qu’on peut avoir des systèmes de protection sociale très généreux, inconditionnels, et ça ne décourage pas les gens de travailler […], on ne démontre absolument aucun effet de la générosité du système de protection sociale sur l’offre de travail. »3

Si ce type de lois coercitives sont pourtant promulguées, c’est qu’elles sont élaborées dans un contexte idéologique marqué. La loi pour le plein-emploi portée par le gouvernement Macron s’inscrit sans surprise dans le sillon néolibéral des programmes dits de « workfare » – contraction du terme anglo-saxon « work » (travailler) et « welfare » (prestation sociale), instaurés dans les années 80 aux États-Unis par Ronald Reagan et au Royaume-Uni par Margaret Thatcher, avant d’être étendus à d’autres pays (Allemagne, Amérique du Sud, Australie, Israël…)4. Le concept relève d’une remise en cause plus ou moins frontale de l’État social qui oblige les bénéficiaires des aides sociales à devoir travailler « bénévolement » pour percevoir leur allocation. Les objectifs visent à restreindre le nombre d’allocataires de l’aide sociale ou au mieux à conditionner l’accès à celle‐ci à un travail dévalorisé, mais participent également une dégradation des conditions de travail du salariat dans les secteurs privés et publics. Qui d’autres que le patronat ou les gouvernements cherchant à réduire la masse salariale de leurs agents publics pourraient se réjouir d’obtenir une main d’œuvre non-rémunérée contrainte d’accepter des emplois sous n’importe quelles conditions ?

Pour faire passer la pilule, ces réformes s’accompagnent toujours d’une rhétorique qui fait porter aux allocataires la responsabilité de leur situation, insiste sur les devoirs et les obligations sociales. De surcroît, l’accent est mis sur la nécessité de faire des économies budgétaires et le coût jugé prohibitif des aides sociales, mais aussi celui de la fraude5. Ce discours fait porter le problème sur l’individu, non sur le système et les entreprises qui définissent pourtant les lois du marché et les conditions de l’employabilité. Ainsi, que le nombre d’offres de travail non-pourvues (pour l’essentiel en raison de salaires, horaires et conditions de travail très dégradées) soit dix fois inférieur au nombre de chômeurs-euses ne semble pas une limite concrète au plein emploi… Que des années de politiques économiques mêlant flexibilisation du travail, ouverture des marchés à la concurrence internationale et délocalisations, ou casse des services publics non plus… Plus largement, cette stigmatisation de l’« assistanat », et la valorisation du travail rémunéré qui en découle, invisibilise tout le travail de soin, d’éducation, de solidarité ou tout simplement de subsistance qu’accomplissent, en réalité, au quotidien, les personnes sans emploi. Alors que le mal-être et les souffrances au travail sont de plus en plus décriées, que de nombreuses personnes se disent prêtes à « déserter » faute de sens à donner à l’emploi qu’ils exercent, ne serait-ce pas temps d’imaginer une transformation globale de notre système de protection sociale sur un autre pilier que le travail-emploi ? Une transformation qui remettrait en cause les inégalités et valoriserait les activités en fonction de leur utilité sociale plutôt que selon leur rentabilité ?

[Fred]

1« Le conditionnement du versement du RSA risque-t-il d’accroître le non-recours à cette aide sociale ? » – Le Monde, 10 oct. 2023

2« Conditionner le versement du RSA : le gouvernement prend les choses à l’envers » ATD-Quart Monde, 17 jan. 2023

3 Cité dans : « RSA : E Macron déclare la guerre aux pauvres » Blast, nov. 2023

4 « Réforme du RSA : et si on parlait travail ? » Alternatives Économiques, 4 oct. 2023

5 Par comparaison, un milliard d’euros de fraude aux prestations sociales est détecté selon la CNAF, contre 14,6 milliards de fraude fiscale selon le Fisc.

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