L’expression du fascisme par la violence

La violence est l’une des expressions fondamentale du fascisme. Dès ses débuts, lors de la réunion de fondation des Fasci Italiani di Combattimento – « Faisceaux de Combats », présidée par Mussolini le 23 mars 1919 à Milan, l’apologie de la violence, le nationalisme et le militarisme figurent comme éléments principaux définissant la trajectoire politique de ce mouvement naissant. En effet, les fascistes s’organisent alors en squadre di assalto – « sections d’assaut », composées essentiellement d’anciens combattants de la guerre 14-18 ayant comme objectif de frapper leurs opposants politiques en attaquant leurs sièges et leurs lieux symboliques. Pour mener un raid, des dizaines et des dizaines de miliciens fascistes venant de toute une province et des provinces voisines, se rassemblent puis montent dans de longues colonnes de camions qui les conduisent jusqu’à un village ; ils en descendent armés de bâtons, de revolvers et de grenades et se déchaînent contre les dirigeants syndicaux et les représentants des ligues socialistes, où des organisations paysannes locales, en multipliant les coups et les intimidations1.

Le fascisme né au début du siècle dernier n’a cependant pas été éradiqué à l’issue de la seconde guerre mondiale lors de la victoire des « alliés » sur les régimes fascistes ou nazis, comme souvent on peut le laisser croire. Sans présenter la même ampleur que les mouvements de masses connus lors de l’entre-deux guerre, son idéologie et ses pratiques n’ont cessé de resurgir au cours du temps. La récente recrudescence de l’activité violente des groupes fascistes (dorénavant qualifiés d’« ultra-droite »), la banalisation dans le discours médiatique des propos racistes et xénophobes, et la montée au pouvoir des partis politiques d’extrême-droite sont autant de signaux préoccupants.

Rien que ces derniers mois en France, il serait difficile de recenser le nombre d’attaques effectuées par des groupuscules d’extrême-droite. Ce sont des élus de gauche, militants antiracistes ou écologistes, syndicalistes, minorités de genre ou personnes cataloguées comme « étrangères » qui sont les premières cibles. Rappelons à la volée l’incendie du domicile du maire de Saint-Brevin voulant accueillir un centre de demandeurs d’asile en juin dernier, l’attaque avec une bouteille explosive du centre LGBTI de Touraine au mois de mai, ou encore les descentes de « brigades anti-casseurs » armées et cagoulées venues réprimer les personnes sortant dans les rues cet été pour dénoncer la mort de Nahel et les violences policières dans des villes telles que Lyon, Chambéry, Angers ou Lorient2.

La nébuleuse d’« ultra-droite » compterait à ce jour plus d’un millier de membres actifs et violents, répartis dans une centaine de groupes implantés dans de nombreuses villes en France. Chaque année également, des attentats terroristes sont commis (ou déjoués) par des adorateurs du IIIème Reich, du Ku Klux Klan ou des nostalgiques de l’Algérie Française entraînés à manipuler les armes et les explosifs3. Le procès en début d’année de plusieurs membres des « Barjols » projetant divers attentats, dont celui du président Macron, et prônant la haine des étrangers, n’en est qu’un exemple.

Cette recrudescence peut notamment s’expliquer par l’éviction des groupuscules les plus radicaux par Marine Le Pen lors de son arrivée au pouvoir au sein du Front national (puis du Rassemblement national) afin de gagner la « respectabilité » nécessaire à sa conquête institutionnelle du pouvoir. Ces divers groupes ont ainsi pu regagné une autonomie qu’ils avaient perdu depuis le Front national de Jean-Marie Le Pen. Les oppositions réactionnaires lors des Manifs pour tous ont permis à certains d’entre eux de se rapprocher, notamment certaines des franges catholiques traditionalistes et des identitaires jusque-là opposées entre elles. Enfin, la campagne présidentielle d’Eric Zemmour de 2022 supportée par ces groupes radicaux, ainsi que le fait que la candidate d’extrême-droite puisse devenir gagnante, leur a donné un regain supplémentaire, ceux-ci entendant bien peser dans les débats en cas de victoire4.

Plus largement, le fascisme ne peut s’implanter que dans un terreau propice. C’est celui laissé par des décennies de casse sociale et de mécontentements généralisés engendrés par un capitalisme de de classe de plus en plus débridé, mais aussi autoritaire. La promulgation des états d’urgences, les intempestives lois sécuritaires votées ces dernières années, l’affaiblissement des contres-pouvoirs face à un régime présidentiel sans cesse plus autocrate, et l’augmentation des violences policières conduisent à un contexte politique où le basculement d’une démocratie vers un régime autoritaire devient envisageable. De plus, les groupuscules radicaux d’extrême-droite bénéficient de soutiens importants – notamment financiers, de la part d’une frange de la haute bourgeoisie, qui, comme dans les années 1920 en Italie, préfère s’accommoder de la montée en puissance du fascisme, plutôt que de voir une gauche forte prendre le pouvoir.

Aussi, l’emprise des médias privés, détenus notamment par l’empire Bolloré (Cnews, Valeurs actuelles, C8, le JDD…), et la forte diffusion des idées d’extrême-droite sur les réseaux sociaux, participent à la fois à une visibilité accrue et à une banalisation des thématiques racistes et xénophobes. Un imaginaire est ainsi créé et permet de définir ce qu’il devient acceptable de dire dans un média. Les mots revêtent alors toute leur importance et véhiculent des idéologies qui peuvent trouver leur consécration dans le champ politique. C’est ainsi que le « problème migratoire » apparu dans les années 1980 laisse aisément la place aujourd’hui à des concepts ouvertement racistes tels que celui du « grand remplacement », auquel nombres de groupuscules se réfèrent avant de passer à l’acte. C’est le cas aussi des expressions telles que le wokisme, l’islamo-gauchisme, l’écoterrorisme, ou le séparatisme qui préfigurent pendant un temps la stigmatisation d’un groupe défini, avant de servir de légitimation à une répression actée dans la sphère juridique et par la suite applicable à toute la population.

Dans le journal personnel qu’il tenait lors de l’avènement du IIIème Reich, Victor Klemperer a su analyser en quoi les mots de la propagande nazie et leur détournement dans la langue allemande se sont immiscés dans les esprits et ont imprégnés les comportements. La violence d’extrême-droite se nourri à la fois d’actes relevant d’une nature terroriste, destinés à intimider ses adversaires, mais aussi de l’assimilation de ses concepts par un plus grand nombre dans une optique de prise de pouvoir institutionnel et d’acceptation. A peine trois ans après la création des Faisceaux de combats italiens et le début de leurs exactions, des milliers de miliciens organisaient les 27 et 28 octobre 1922 la Marche sur Rome qui permit à Mussolini de placer le fascisme au plus haut sommet de l’État italien, et de former un nouveau gouvernement. Si le fascisme actuel n’est comparable ni dans son ampleur, ni dans sa représentation, de nombreux partis d’extrême-droite actuels prennent cependant le pouvoir ou s’ancrent de plus en plus solidement au sein des gouvernements européens, des instances de l’Union européenne, et dans d’autres pays du monde. Cette menace pour celles et ceux qui défendent l’égalité des droits dans une société diverse et plurielle ne peut qu’inciter chacun et chacune à s’opposer et à refuser la violence fasciste sous toutes ses formes. Rappelons-le, le fascisme n’est pas une opinion, mais un crime.

[Fred]

1 Voir « Italie 1919-1922 : La rapide montée du fascisme et la complicité des classes dirigeantes » – L’anticapitaliste – 29 avril 2021

2Voir « Révoltes après la mort de Nahel : la tentation milicienne de l’extrême droite » – Blast – 4 juil. 2023

3Voir « Ils se préparent à la « guerre civile » ou ciblent juifs et musulmans : la menace d’extrême droite qui monte » – Basta ! 21 oct. 2021

4Voir “Les groupuscules d’extrême droite veulent peser en cas de victoire de Marine Le Pen en 2027”, Erwan Lecoeur – RadioFrance – 7 juil. 2023

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Épisode cévenol n°35

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Justice pour Nahel

Le 27 juin, Nahel, un jeune de 17 ans, qui conduisait une voiture a été tué lors d’un contrôle policier à Nanterre où il habitait. Les images de la scène et les témoignages saisissants de son ami présent ne laissent place à aucune équivoque. Le flic l’a froidement abattu et cherchait manifestement à « casser du bougnoule ». Le policier qui a fait usage de son arme a été placé en détention provisoire. Qu’en est-il du deuxième agent complice, celui qui l’a encouragé à tirer ?

Nahel n’est que la dernière d’une longue liste de victimes de crimes racistes commis par des policiers. La différence entre ce meurtre et ceux qui l’ont précédé est que celui-ci a été filmé. Pendant plusieurs jours le pays a été secoué par des révoltes de jeunes exigeant « Justice pour Nahel ».

On ne peut comprendre ces mises à mort, ces exécutions sommaires, que si elles sont replacées dans le contexte colonial. Comme l’exprime avec clarté la romancière et sociologue Kaouthar Harchi, « Avant que Nahel ne soit tué, il était donc tuable. Car il pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. Il pesait sur Nahel le racisme. Il y était exposé. Il courait ce risque d’en être victime. La domination raciale tient tout entière en ce risque qui existe. »1

Ce risque, aggravé par la loi de 2017 qui institue un véritable « permis de tuer » au prétexte de « refus d’obtempérer » lors d’un contrôle policier est le point culminant d’une ségrégation qui organise la relation entre blancs d’un côté et « arabes » et « noirs », le plus souvent musulmans, de l’autre. Les quartiers populaires sont gérés comme des lieux extérieurs à la société «normale », des gisements de main-d’œuvre bon marché, entre ghettos et réserves. Ses habitants sont perçus comme une masse indisciplinée, violente, dangereuse, ne bénéficiant pas, de facto, des mêmes droits que les autres. Comme au temps des colonies, les « indigènes » sont en permanence contrôlés, bousculés, harcelés, insultés par des policiers qui selon deux de leurs plus importants syndicats annoncent vouloir combattre les « nuisibles » et les « hordes sauvages ». Ils se considèrent être en guerre et vont jusqu’à menacer l’État : « Demain nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience ».

Que ce discours ne soit pas sanctionné montre l’emprise de ces syndicats factieux sur les institutions de l’État. Souvenons-nous qu’ils s’étaient permis de les défier aux abords de l’Assemblée lors d’un rassemblement en 2021 sous les applaudissements des médias d’extrême droite et – plus grave encore – avec la participation de représentants de presque toute la classe politique, PS, PCF et les Verts compris, à l’exception notable de la FI. Ces tendances séditieuses relèvent d’une longue tradition jamais reconnue ni assumée qui est celle de l’OAS (Organisation armée secrète) qui – faut-il le rappeler – s’est bien implantée dans la police métropolitaine après sa déconfiture en Algérie et dont les héritiers idéologiques perpétuent l’esprit de revanche au sein de différents corps armés (deux-tiers des policiers votent Le Pen ou Zemmour).

Si la police a une telle emprise sur l’État, c’est qu’elle apparaît très visiblement comme le bras armé d’un système néolibéral de plus en plus décrié au sein de la population comme l’ont montré les différentes séquences de révoltes de ces dernières années. Les récentes expressions massives de ce rejet, mouvements des gilets jaunes, opposition à la réforme de la retraite et mobilisation contre l’installation de méga-bassines ont été brutalement réprimées. Par certains aspects, la répression policière et judiciaire rappelle celle que viennent de subir les jeunes révoltés des quartiers populaires. Une répression qui a causé au moins un mort, 7 blessés dont cinq éborgnés et fait condamner des centaines de personnes à de lourdes peines de prison.

Les révoltes des jeunes qui ont suivi l’assassinat de Nahel, quoiqu’en disent la plupart des médias et des politiques qui les réduisent à une éruption de violence apolitique, aveugle et criminelle, est avant tout une rébellion contre le (dés)ordre établi. En effet, l’ordre imposé par le système néolibéral installe leur assujettissement par ses inégalités, son exploitation et son injustice. Il s’agit d’un système qui impose aux populations marginalisées, une éducation et une santé au rabais, les soumet à une justice arbitraire, leur vole leur espace, démantèle les services publics et les transports et, par le mépris au quotidien, finit par confisquer leur dignité.

L’administration, l’école, la justice les broient et la police les humilie, les blesse, les tue. Quand cette jeunesse ose se révolter, il n’est que de l’écraser. Et, dans une pure répartition coloniale des rôles, les politiques et les médias se chargent de lui ôter son humanité en la diabolisant, la « décivilisant ». Pourtant, ces jeunes des quartiers populaires, loin d’être des « sauvageons » de caricature néofasciste, encaissent les coups mais se rebiffent, ils investissent « les beaux quartiers » signifiant à ses habitants leur présence, leur existence. Nourdine Bara, écrivain et habitant de la Paillade à Montpellier, y voit une belle lueur d’espoir quand il écrit : « Une idée grandit vis-à-vis de cette jeunesse : elle serait nihiliste, détachée de tout projet de société. Or, ce que je vois dans le chaos et la fureur, c’est justement l’expression d’un refus de la violence, contre-intuitivement. Par cette violence, la jeunesse refuse la violence la plus dévastatrice : celle du mépris et de l’indifférence2. »

Ce mépris – la hogra -, se retourne contre ceux qui l’infligent à cette jeunesse et en cela leur révolte rejoint celle des autres segments réprimés de la société. Une jonction entre les combats des perdants et des exclus du système, de ceux et celles qui mènent les luttes des gilets jaunes ou se battent pour les acquis sociaux, les luttes anti-racistes des quartiers populaires auxquelles s’ajoutent dorénavant les luttes du mouvement écologiste radical, est le cauchemar de l’oligarchie qui règne et gouverne. Cette confluence politique dont on a entrevu le potentiel lors de la marche organisée suite à la mort de Nahel, tétanise le pouvoir et ses appareils. À nous de faire en sorte que cette convergence s’amplifie, balaie ce régime moribond et jette les bases d’un monde plus juste.

[Tissa]

2. https://www.mediapart.fr/journal/france/290623/la-mort-de-nahel-c-est-l-etincelle-les-raisons-de-la-colere

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« Travaillez, prenez de la peine… 

C’est le fonds qui manque le moins. »

Ainsi s’ouvre la fable de La Fontaine. Le fonds désigne ici le capital, à une époque préindustrielle où la subsistance de la majeure partie de la population dépendait de ce qu’elle pouvait tirer de la terre ou, dirions-nous aujourd’hui, du monde vivant. Peut-être même pourrait-on avancer : de ce qu’elle retirait de son partenariat avec le vivant. Pas plus, pas moins.

Pour la plupart des habitants de la planète, les années, bonnes ou mauvaises, l’écosystème habité, et la force de travail déployée déterminaient la vie ou la survie de l’individu et de la communauté.

Capitalocène

Beaucoup d’historiens datent du mouvement des enclosures l’avènement du capitalisme (Angleterre, Inclosures Acts, XVIIème siècle)

Philippe Descola souscrit à cette analyse1 : (ce bouleversement) « a soustrait à l’usage collectif des communautés paysannes des champs et des pâtures pour les réserver à des propriétaires locaux, avec pour conséquence une éviction des travailleurs de la terre devenus des occupants sans titre sur les fonds qu’ils avaient mis en valeur »

Tout à coup, une armée de gens totalement appauvris par les enclosures sont condamnés à vendre leur force de travail pour pouvoir survivre ; une foule de paysans dépossédés, sans logis, sans travail, va devenir une masse laborieuse, précipitée sur le marché du travail.

Ce mouvement de disparition des sociétés agraires organisées de manière plus ou moins autonome en petites unités, autour des activités de subsistance, n’a cessé de s’amplifier et de s’étendre partout dans le monde. Aujourd’hui, le salariat est devenu le modèle qui accompagne la domination capitaliste : « on produit pour produire, parce que telle est l’exigence première du souverain Capital, se transformant sans cesse en davantage de capital. La compulsion productiviste qui en découle est la source même du désastre climatique et écologique -d’où la qualification plus juste de Capitalocène pour caractériser notre époque »2

Le capitalisme, pour asseoir sa domination sur les corps et les consciences et maintenir la dépendance des populations au système productiviste et au statut salarial, a conduit à une véritable « guerre contre la subsistance » (Ivan ILLICH)3.

Les activités concrètes les plus nécessaires à la vie (cultiver, cuisiner, entretenir, prendre soin…) sont dévalorisées, donc précarisées : dans ces secteurs d’activité, ceux des « premiers de corvée », les revenus sont plus bas, les conditions de travail plus dures, la protection sociale plus faible (à cause de l’ubérisation notamment). Et on y retrouve évidemment davantage de travailleuses que de travailleurs et davantage aussi de personnes dites « racisées ».

Et certains, qui ont la chance d’exercer des métiers intéressants et rémunérateurs semblent défendre la dimension émancipatrice du travail alors que, dans les faits, ce qu’ils défendent réellement c’est l’obligation faite à des personnes peu qualifiées d’accomplir des tâches qu’ils ne veulent pas accomplir eux-mêmes. (Aurélien Berlan, 2021)

Ceux-là pourtant sont souvent sursollicités, hyper spécialisés, parfois dans des « bull shit jobs », avec les conséquences que l’on sait sur la santé. D’autres mouvements s’amorcent :

Quiet quitting (ou démission silencieuse)

On dirait qu’un mouvement de fond s’amorce : le quiet « quitting » regroupe des démissionnaires de leur emploi et des salariés encore en poste mais en recherche active d’un emploi plus satisfaisant.

Plus d’un actif sur trois (37 %) serait concerné, selon un sondage IFOP d’octobre 2022. Ce qui est établi, c’est que le nombre de démissions ne cesse de progresser.4

C’est ce jeune médecin urgentiste, déjà épuisé, déjà découragé par l’institution hospitalière, gérée comme une entreprise, qui refuse de voir à quel point de dysfonctionnement elle en est. Il cherche à se reconvertir, peut-être dans le maraîchage…

Ce sont ces étudiants d’Agro Paris Tech qui ont, eux, choisi d’annoncer de manière fracassante leur projet de remise en cause de leur avenir tout tracé dans des emplois qu’ils jugent néfastes.

« Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent, à vous qui avez accepté un boulot parce qu’“il faut bien une première expérience” (…) Nous avons douté, et nous doutons parfois encore. Mais nous refusons de servir ce système et nous avons décidé de chercher d’autres voies. »

Même les écoles de commerce perdent de leur « attractivité » : près de la moitié d’entre elles souffrent d’un manque de candidats (Le Monde 17 juillet 2023)

Clémence, elle, a construit son parcours professionnel et de vie autour de bifurcations successives et de la volonté de ne pas déterminer son identité par un métier. Des études en géologie et environnement, suivies d’une expérience dans le secteur social (mais surtout pas l’insertion professionnelle) et, pour le moment, une formation en plomberie et une embauche dans une petite entreprise du bâtiment avec une perspective de projets « chantiers solidaires ».

Dans chacun de ces secteurs d’activité, son engagement pour l’autonomie et l’écologie prend le pas sur la nécessité de gagner sa vie.

Tous ceux-là, qui doutent, qui cherchent, qui ne veulent pas perdre leur vie à la gagner, tracent un chemin possible vers un autre rapport au travail

Ikigai

Ikigai est un concept japonais bien connu, notamment des personnes en reconversion ou qui cherchent à donner un sens à leur carrière professionnelle.

Ikigai, c’est la raison de se lever le matin, la chose qui donne du sens. L’intersection parfaite entre passion, mission, vocation et profession.

Rémi Céret, 26 ans, ingénieur diplômé de l’université de technologie de Troyes : « En étant ici, à la campagne, tu peux imaginer d’autres formes de travail, avoir des identités multiples qui sortent des normes sociales imposées par le salariat »5

Les cantines des luttes s’organisent pour nourrir les mobilisations : « plutôt que d’agir comme de simples prestataires de service, les cantines ont fait le choix de s’organiser collectivement contre le modèle agro-industriel : nourrir un mouvement, c’est aussi le faire subsister. » Il y faut « une grande envie de faire ensemble, beaucoup de détermination et un soupçon d’anticipation »6

La grande envie de faire ensemble est aussi un moteur puissant pour un festival musical organisé depuis plus de 30 ans dans un village cévenol. Aucun salarié, un dixième de la population engagée, et une entrée libre à des concerts de qualité. C’est le travail des bénévoles (montage, restauration, remise en état du site) qui permet de payer la plus grande part des cachets des musiciens.

Pour Clémence, échanger un travail de réparation ou d’installation en plomberie chez un chevrier contre des fromages, c’est un « savoir-faire (qui) devient un espace de partage »

Il s’agit bien de se réapproprier ses conditions d’existence en commençant par réfléchir sur nos besoins pour restaurer collectivement une norme du suffisant, érodée par ce développement destructeur et barbare. C’est ce sur quoi Bruno Latour a commencé à travailler dès les premiers jours du confinement. (Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise, AOC, 30 mars 2020). Il proposait de « faire la liste des activités dont (nous nous sentions) privé·es par la crise actuelle et qui (nous donnaient) la sensation d’une atteinte à (nos) conditions essentielles de subsistance. »

C’est ce à quoi nous invitait également dès 1975 (Ecologie et Liberté) André Gorz. Lui a ensuite franchi une étape supplémentaire sur la question de l’émancipation vis-à-vis du travail, en se prononçant, à partir du milieu des années 1990, pour l’instauration d’un Revenu Universel d’Existence.

« Oui, nous dit Gorz, le travail est important parce qu’il nous permet de produire ce dont nous avons besoin. Oui, la technique est importante, parce qu’elle permet de réaliser cette production avec la moindre dépense de travail. Mais ni l’économique ni le travail ne sont le tout de la vie : remis à leur juste place (modeste), ils joueront le rôle d’un marchepied vers une société cessant d’être « unidimensionnelle » : là est le véritable enrichissement ».7

Pas vraiment, donc, dans le trésor que les enfants du laboureur de La Fontaine espéraient trouver en travaillant et retravaillant leur terre.

[Marie Motto-Ros]

1 On ne dissout pas un soulèvement – 40 voix pour les soulèvements de la terre, Seuil, 2023, p22

2 Idem p 95

3 Idem p 138

4 Le Monde 14 décembre 2022

5 https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/06/18/dans-l-orne-des-jeunes-diplomes-deserteurs-reinventent-la-vie-a-la-campagne_6130916_4401467.html

6 On ne dissout pas un soulèvement – 40 voix pour les soulèvements de la terre, Seuil, 2023, p 39

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Une petite histoire de tunnels

La mobilisation en Maurienne contre le projet de tunnel ferroviaire Lyon Turin, les 17 et 18 juin derniers, s’est tenue avec 5000 participants : le samedi, une manifestation réprimée, et pourtant hors périmètre d’interdiction du Préfet (à 50 km du lieu initialement prévu, près des travaux actuels). Le camp des manifestants était accueilli sur un terrain communal, l’une des deux seules mairies de la vallée soutenant l’opposition au projet de tunnel.

Le lendemain plusieurs interventions, échanges nous ont renforcés dans nos convictions.

En particulier, François Jarrige, historien, nous a raconté l’histoire des tunnels, ces infrastructures du capitalisme.

A partir de 1820, le développement du capitalisme imposait d’intensifier les échanges de marchandises. Il faut alors accélérer les modes de communication : pour cela, on met en place un vaste réseau de chemin de fer. Il y a alors nécessité de creuser des tunnels pour franchir les montagnes.

C’est ainsi qu’en 1842, l’État décide de prendre en charge la construction des tunnels et de les financer : c’était à l’époque des tunnels de 4 à 5 km, creusés à la main. Pour permettre le développement économique et plus de rapidité, il a fallu détourner des cours d’eau, expulser des paysans, embaucher en masse sur des chantiers mortifères… Mais l’histoire, écrite par des ingénieurs, a masqué tout cela : les luttes paysannes contre les expulsions ont été invisibilisées.

Dans la 2ème moitié du 19ème siècle, les tunnels sont devenus un véritable symbole du génie humain : cette idéologie naissante encourage à poursuivre leur construction. C’est ainsi que le 1er grand tunnel, celui du Fréjus a été construit ente 1865 et 1871 pour joindre la France à l’Italie.

Jusqu’en 1914 plusieurs autres grands tunnels sont créés, nous sommes en plein euphorie productiviste qui accompagne l’intensification du commerce. Ainsi s’affirme la puissance politique.

Cependant, deux projets de tunnels, sous la Manche et sous Gibraltar, sont abandonnés car jugés « pas raisonnables ».

Entre les deux guerres, plusieurs projets de tunnels ferroviaires sont également abandonnés car c’est l’époque du développement de l’automobile et des routes, et dorénavant ce sont des tunnels routiers qui sont creusés de toute part.

A partir de 1970, c’est l’explosion du développement économique, de la modernisation des infrastructures et la relance des grands projets : le tunnel sous la Manche et le Lyon-Turin sont à l’ordre du jour. La mondialisation promet une croissance infinie des flux de marchandises, c’est un changement d’échelle. Ces projets peuvent atteindre jusqu’à 50 km.

Le projet Lyon-Turin est celui d’un TGV, ce qui nécessite un parcours plat, avec une prévision de doubler le trafic et les quantités de marchandises. Le lancement du projet de tunnel se fait en 1993-1994 et inaugure ainsi le développement de l’économie européenne entre nouvelles mégapoles.

Aujourd’hui, 20 ans après le lancement du projet, la situation climatique a bien évolué : l’argument de la société TELT, qui porte le projet, est désormais que le fret devienne une substitution durable à la route.

En réalité, il faut savoir que le fret, sous le tunnel existant, reliant déjà la Maurienne au Val d’Aoste, a chuté de 10 à 3,3 millions de tonnes. La ligne actuelle est sous utilisée : 128 trains par jour en 1998, 26 trains en 2016

Or la construction de ce tunnel entraînera :

> l’artificialisation de 1500 ha de zones agricoles et naturelles,

> le drainage chaque année de 100 millions de m³ d’eau souterraine: le tunnel croise des nappes phréatiques et les siphonne, faisant couler l’eau dans les galeries latérales creusées à cet effet. Ainsi, tout ce qui est au dessus du tracé, montagnes et communes, sont asséchées.

> un coût de 30 milliards minimum (l’équivalent de la construction de 1000 lycées, ou de 400 hôpitaux, ou de la réouverture de 10 000 km de petites lignes ferroviaires).

> une véritable catastrophe climatique : un rapport de 2020 de la Cour des comptes européenne estime un bilan carbone désastreux : les travaux de ce tunnel nécessiteront plus de 45 ans pour récupérer le coût carbone.

Et cerise sur le gâteau, le Conseil d’Orientation des Infrastructures, organe étatique, recommande, dans ses rapports de 2018 et 2023, l’usage de la ligne existante. En effet, la totalité des marchandises transportées entre France et Italie stagne actuellement.

De plus, 3 jours après la mobilisation des 17-18 juin, la Commission intergouvernementale France Italie pour le Lyon-Turin a annoncé qu’elle proposait de renforcer la ligne existante pour mieux l’exploiter, solution apparemment plus sage que de construire une foultitude de tunnels supplémentaires (Belledonne, Chartreuse, Glandon, …).

Seul 10 % de ce tunnel ont été creusés actuellement, principalement des galeries de reconnaissance, il est encore temps qu’une décision responsable soit prise pour l’abandon de ce projet. Si rien ne le stoppe, ce seront 15 à 20 années de travaux et une mutilation irréversible du territoire.

Espérons que l’avis de la commission intergouvernementale France-Italie sera suivie d’une décision des deux gouvernements, sachant toutefois qu’ils auront d’importantes pénalités à payer, vu les contrats signés avec les sociétés qui ont pris en main les travaux. Un rapport de force est essentiel à maintenir.

[J et P]

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Épisode cévenol n°34

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De la boue et des bleus

Les Soulèvements de La Terre ont appelé à la constitution de comité locaux pour répondre à la menace de dissolution du ministre de l’Intérieur. Très vite, la carte de France s’est constellée de points représentant l’émergence de ces comités et, surprise – ou pas, la Terre se soulève beaucoup dans les villes : Lyon, Marseille, Toulouse, Rennes, Nantes…

L’alliance est solide entre des urbains, pourtant accusés d’être « porteurs d’une écologie médiatique et punitive », mais vivifiés par l’émergence de la génération climat, et des ruraux, paysan.nes ou habitant.es qui vivent déjà, au quotidien, les conséquences des choix politiques du pouvoir en place.

L’adoption du bleu de travail comme « costume » pour les mobilisations des SLT est porteuse de sens à plusieurs titres.

Ce vêtement renvoie au peuple des travailleur.ses des usines et aux luttes sociales menées aux XIXème et XXème siècles.

Il a été également adopté par les Rosies, militantes féministes qui animent les manifestations surtout dans les grandes villes, et devient symbole du travail féminin peu ou pas rémunéré, peu ou pas considéré et, partant, de la lutte contre le patriarcat.

Le bleu de travail se trouve alors être le trait d’union de toutes ces remises en cause du système capitaliste, générateur des dominations de classe et de genre comme de la domination de l’homme sur le vivant.

Le bleu de travail est aussi l’emblème de l’attachement au travail dans ce qu’il a de fier, de digne lorsqu’il est source de subsistance et/ou de soin aux vivants.

Un travail, qui a peu à voir avec les politiques de l’emploi et trouve plus facilement à se réaliser dans le monde rural où les relations non marchandisées sont nombreuses : les échanges de services comme les dons et contre dons de produits des jardins ou des élevages sont pratiqués largement et contribuent à créer ou entretenir les liens interpersonnels. Marcel Mauss, l’un des pères de l’anthropologie, l’a théorisé : « L’économique n’a de sens que comme une traduction du social »

C’est ce qu’exprimait en 2016 la CGT de Vinci dans un communiqué, dont le contenu est repris par la suite par la fédération de la CGT de la construction : « Nous, travailleurs de ces entreprises, nous ne travaillerons pas pour le chantier de Notre Dame des Landes. Nous voulons bien effectivement construire des écoles. Nous voulons bien participer à des chantiers qui sont utiles aux populations. Nous nous arrêterons désormais de travailler pour des grands chantiers qui sont nuisibles à la population Et nous appelons désormais quiconque travaillant, soit pour Vinci, soit pour des entreprises prestataires de Vinci qui participeraient aux travaux, à faire appel à son droit de retrait et à refuser de travailler pour ce type de chantier »1.

A l’inverse, l’anthropologue américain David Graeber, dans son livre « Bullshit jobs »2 (boulots à la con), dénonce le non-sens de nombreux emplois générés par l’économie néolibérale dominante. L’expression désigne selon lui « une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien »3

David Graeber est une figure du mouvement « Occupy Wall Street » (2011), contemporain de celui des indignés en Espagne, et précurseur, en France, de Nuit debout (2016, suite à la lutte contre la loi travail El Khomry). Ces mouvements sont éminemment urbains. Ils ont privilégié des modes d’organisation horizontale, sans leader, restant délibérément indépendants des partis politiques.

Eux n’ont pas tout à fait réussi à soulever le goudron, mais ils ont fait germer et cultiver une nouvelle manière de penser l’action politique :

« L’un des accomplissements importants de Sainte-Soline réside dans la convergence d’acteurs aux histoires et stratégies militantes différentes : élus de gauche et écologistes, ONG et associations locales, syndicats paysans, mouvements de désobéissance civile et militants autonomes. »4

Dit autrement par Corinne Morel Darleux lors de la mémorable soirée de soutien aux SLT organisée le 12 avril dernier :

«(…) l’émergence des SLT est pour moi une des meilleures nouvelles de la décennie (…) parce qu’on y oppose pas le cerveau et les mains, la lutte et la joie, la théorie et la pratique… », « (…) les SLT font, sans plus attendre, ce qui doit être fait »

Et voilà donc de nombreux militants urbains en bleu de travail, courant dans la boue pour soulever la terre…

Alain Damasio, lors de la même soirée du 12 avril :

« (le capitalisme) Il fait feu pour nous faire taire, nous on fait terre… autant qu’on peut »

Il s’agit bien là de donner un autre sens aux fameuses racines dont l’extrême droite a fait l’étendard de son obsession identitaire.

Et un autre avenir à la terre que celui de Futura Gaïa, projet ultime et mortifère de l’économie startupière, qui consiste à subventionner grassement (comme les bassines) « une usine verticale automatisée de production de fruits et légumes hors sol et hors saison » !

Alain Damasio, ce même 12 avril, a une formule fulgurante pour mettre au jour le lien entre ces deux visions de la ruralité (la nationaliste et la néolibérale) :

« FNSEA, c’est 3 lettres de trop »

Notre quotidien régional organisait justement il y a peu une semaine spéciale « J’aime ma ruralité » avec l’ambition de donner la parole aux habitants lors d’émissions de débats. Il fut beaucoup question « de combat pour davantage de services publics, de transports, de médecins, d’enseignants dans les écoles… », ce qui est juste, mais jamais, ou presque, de la terre et du vivant, ni de l’eau, ni des paysan.nes. Comme si la ruralité se réduisait au « cadre de vie », expression qui sert malheureusement d’intitulé à une délégation d’élus dans de nombreuses communes. Un cadre de vie pour ceux qui iront travailler plus loin, en ville, patienter dans les encombrements et perdre leur vie dans un bullshit job, ou ne pas la gagner dans un métier pourtant beau et utile…

La bergère qui est venue récemment à l’AMAP nous présenter ses produits éclatait de fierté en parlant de son travail, de ses brebis, de ses projets…

Rien à voir avec l’emploi mal payé qui consiste à mettre en rayon, à l’heure où il n’y a personne dans le magasin pour en parler, des yaourts qui ont parcouru des milliers de kilomètres pour être fabriqués à partir du lait de vaches malheureuses, emballés dans des matières qui étouffent la vie et aromatisés aux paradis artificiels.

Alain Damasio, encore :

« Vous les productivistes, vous êtes la nature qu’on défonce… »

Si 30 000 personnes sont allées mettre les pieds dans la boue, et en sont revenues avec des bleus pour beaucoup, bien pire pour certains, auxquels nous pensons toujours très fort, c’est que nous ne pouvons plus « nous considérer « maîtres et possesseur de la nature », selon la formule de Descartes, mais « vivants parmi les vivants », selon celle du philosophe Baptiste Morizot. »5

Alain Damasio, toujours : « La seule croissance que nous supporterons sera celle des arbres et des enfants ».

[Marie Motto-Ros]

2 Graeber, David (trad. de l’anglais), Bullshit Jobs, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2018, 416 p

3 Idem p 37

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La violence en question

Une violence peut-elle en cacher une autre ? Le récent déferlement médiatique orchestré autour de la mobilisation contre la méga-bassine de Sainte-Soline et des affrontements qui ont eu lieu entre manifestants et forces de l’ordre pourraient le laisser croire. De l’interdiction préfectorale préalable de la manifestation, du déploiement d’un dispositif policier inédit, de l’usage d’une phraséologie stigmatisante (« casseurs venus tuer du flic », « écoterroristes », « ultra-gauche »), à la tentative de dissolution de l’un des collectifs organisateurs, ou encore des menaces proférées par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de la Ligue des Droits de l’homme, aucun détail n’a été laissé au hasard afin de discréditer le mouvement d’opposition au projet en le qualifiant de « violent ».

Pour autant, peut-on réellement croire que ce sont les quelques centaines d’« éléments radicaux » surveillés par les renseignements généraux que le gouvernement redoutait tant ? Ceux qui auraient pu s’en prendre à un trou creusé dans la terre défendu par 3200 gendarmes armés ? Ou pourrait-on y voir là plus largement une subtile méthode de retournement des valeurs permettant d’occulter des questions bien plus fondamentales telles la remise en cause d’un système productiviste souhaitant maintenir à tout prix son hégémonie ? Celui là même qui piétine nos derniers acquis sociaux et dévaste chaque jour un peu plus l’environnement ?

Il est ainsi vertigineux de voir à quel point le bris d’une vitrine de permanence électorale ou un jet de peinture sur la devanture d’une banque peuvent si aisément prendre le dessus sur les violences structurelles que nous sommes des millions à subir chaque jour. Comme si les souffrances au travail, la précarité, l’exclusion, le racisme, le patriarcat, la compétitivité, la destruction du vivant n’étaient pas des violences suffisamment graves pour être combattues et dénoncées amplement. Comme si le nombre de personnes mourant chaque année faute de logement, à cause de maladies professionnelles ou pour avoir voulu traverser la méditerranée n’étaient pas le reflet d’une société profondément violente. Comme si le monopole de la violence, assumé par l’État, lui permettait d’éborgner, de mutiler, d’emprisonner, ou de tuer, en toute impunité.

Étrangement, lorsque le maire de Saint-Brévin démissionne de ses fonctions après plusieurs menaces de morts et l’incendie d’une partie de son domicile pour avoir voulu accueillir des exilés dans sa commune, le gouvernement en place n’a pas crié au terrorisme ni tenté de dissoudre quelque groupe d’extrême-droite prônant la haine des étrangers. Quand le vice-président du conseil départemental de Mayotte déclare « qu’il faudrait peut-être en tuer quelques uns » en faisant référence aux immigrés comoriens, celui-ci ne s’est pas non plus insurgé contre l’« ultra-droite radicale » infiltrée au sein de l’instance publique.

Derrière le discours dominant sur la violence disparaît le fait qu’une minorité au pouvoir défend ses intérêts et privilèges. Cette instrumentalisation pernicieuse rempli à merveille la fonction d’absorber toute remise en cause des inégalités et met dangereusement sur le même plan tout type d’actes violents en les vidant de leur sens. Questionner la violence, ce qu’elle signifie, et comment elle est créée, devient alors un premier pas pour lutter contre.

[Fred]

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« Numérique, robotique, génétique » : tels sont les piliers de la « troisième révolution agricole » évoquée par Emmanuel Macron par le biais du plan de relance France 2030.

Dans ce registre, il n’est pas nécessaire d’attendre un futur lointain, que ce soit dans les « fermes » hi-tech ou dans les usines de production « alimentaire » avec presque plus de paysan-nes dans les premières et plus du tout dans les secondes.

Les « fermes » hi-tech, toujours plus grosses, car elles absorbent les fermes voisines, font baisser le nombre d’agriculteurs sur le territoire. Si la ferme en France est en moyenne de 136 ha, certaines d’entre elles sont souvent détenues par des sociétés à capitaux, quelquefois étrangers, et peuvent atteindre plusieurs milliers d’hectares.

Dans ce contexte où le profit doit être maximum, la main d’œuvre est le point noir qu’il faut absolument limiter. Il n’est pas rare d’y voir des tracteurs pilotés sans chauffeur, grâce à l’association de cartes parcellaires et de GPS de haute précision. (Ainsi nous comprenons bien que les haies ne soient pas les bienvenues et que la taille de la parcelle ait son importance!). À l’aide d’images satellitaires et de drones qui permettent de repérer les couleurs des végétaux en besoin d’azote ce tracteur automatique épandra le dosage nécessaire pour combler de manque.

Et que fait « l’agri-manager » pendant ce temps là ? : il suit sur son ordinateur les cours de la bourse des céréales pour vendre ses stocks au plus haut prix. Il y suit aussi son dossier PAC (Politique agricole commune), l’Europe favorisant ce modèle agricole par le biais de subventions à l’hectare, lui assurant dans certains cas l’essentiel de ses revenus !

Et pour compléter la trilogie, prenons par exemple la variété de colza utilisée qui n’est pas un OGM, interdit en France (smile), mais issue de la mutagenèse ce qui la rend résistante au Roundup et permet de pulvériser la dose maximum d’herbicide. Ce colza résistant à l’herbicide (VRTH), mais aussi hybride stérile, rend l’agriculteur dépendant de la firme semencière qui du coup lui fournit le pack complet. Macron aurait pu rajouter « médicale » à la trilogie car ce sont les même firmes qui fournissent les pesticides mais aussi les médicaments pour tenter de soigner les cancers qu’ils causent par ailleurs.

Avec les usines de production « alimentaire », nous sommes au sommet du futurisme macronien, qu’entrevoyait déjà le film Soleil vert sorti en 1973, et l’on peut sans peine imaginer que ce second modèle va tout faire pour supplanter le premier, même hi-tech. Il s’agit ni plus ni moins de se passer du soleil, du climat et de ses affres, du sol, des fermes et de ses paysan-nes : tout devient contrôlable. L’idéal capitaliste !

Surfant sur la notion de souffrance animale (notion bien réelle pour ce qui concerne les élevages industriels, à nuancer de mon point de vue pour les élevages fermiers… Peut être faudrait-il y consacrer un autre article ?), l’agro-industrie et ses lobbys nous proposent déjà de la viande de synthèse produite à partir de cellules souches. Donc de la « vraie » viande, sans animaux, ni paysan-nes bien sûr.

Quant aux végétaux, on « déguste » déjà depuis quelques années les fraises magnifiques, proposées tout l’hiver, cultivées en hydroponie, c’est à dire dans un bloc de laine de roche alimenté d’engrais chimique avec l’eau d’arrosage, installé dans une serre chauffée au gaz et avec une bonne dose de lumière artificielle pour faire croire au printemps. Le robot cueilleur qui vient de sortir cet hiver met les fraises en barquettes (en bois, bien sûr !). La boucle est bouclée, les travailleurs ramasseurs marocains peuvent rester chez eux .

Et le summum, c’est le projet pilote Futura Gaïa (https://futuragaia.com) installé tout près de chez nous dans le Gard, à Rodilhan. Onze million d’euros d’investissements, dont des fonds issus du plan Macron France 2030, de la Région Occitanie et de notre « banque verte » le Crédit Agricole. Des hangars seront livrés clefs en main pour la culture urbaine, au fond d’un hypermarché ou à Rungis, assistance à distance, pilotable depuis un bureau à Paris.

On y cultive salades, plantes aromatiques et bientôt des tomates. Hangars stériles, tenues de chirurgiens, les végétaux poussent dans des cylindres métalliques qui tournent en permanence, lumière 100% artificielle, CO2 adapté à chaque plante, de même que l’alimentation chimique, une mini motte pour ne pas faire penser à du hors sol total, pas de traitement car tout est aseptisé. Voilà la « ferme 3.0 ». Pour un vaisseau spatial pour Mars peut être, mais pour la salade quotidienne ça ne fait pas rêver !

Pas rêver ? Mais si !! car la com est là, copiée sur le discours de « l’ultra-gauche » paysanne cévenole : « Proposer des produits sains, à haute valeur nutritive et à la traçabilité garantie, éviter le gaspillage et garantir des prix abordables et stables toute l’année, produire en local et sans chimie pour un impact environnemental limité ». Une première action contre Futura Gaïa a eu lieu le 15 avril à l’appel de la Confédération paysanne, de Terres Vivantes en Cévennes, d’Attac et d’autres organisations

Vigilance ! L’avenir que certains nous préparent est de moins en moins radieux. L’État et l’Europe font tout pour maintenir l’agriculture paysanne ou biologique dans sa niche, subventionnant massivement des pratiques mortifères, valorisant le capital, alors que cette agriculture paysanne est la seule à même de relever les défis à venir et de maintenir les gens dans les campagnes avec de nombreux-ses paysan-nes.

[Hervé]

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Épisode cévenol n°33

Cliquez sur l’image pour accéder au numéro complet. Bonne lecture !

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