Gardanne est-elle abonnée aux industries écocidaires ?
Le feuilleton des boues rouges se poursuit avec la mise en examen de la société Altéo dont, « (…) avec l’indulgence de l’État et malgré les dénonciations des défenseurs de l’environnement et les alertes des scientifiques, l’usine de Gardanne (…) a rejeté en mer près de 30 millions de tonnes de boues de coloratio rouge (…). » (le Monde, janvier 2024)
C’est sans doute la même indulgence qui a permis à la centrale « biomasse », également installée à Gardanne, de redémarrer sans que les études d’impact obligatoires aient été réalisées, mais avec un engagement financier de l’État de 800 millions d’euros (voir l’article détaillé dans le numéro 45 de l’Épisode Cévenol).
Et voilà que dans ses conclusions (tout aussi indulgentes), rendues le 15 juillet dernier, « La Commission chargée de l’enquête publique émet un avis favorable au complément à l’étude d’impact prenant en compte les effets indirects de l’approvisionnement en bois de la centrale biomasse GAZELENERGIE (…) ». i
2086 contributions ont été recueillies, dont 86% de citoyens, que la commission nomme « particuliers »…
30% ont été jugées « hors sujet » (probablement celles qui ont voulu évoquer, entre autres, le scandale de l’énergie perdue, appelée « énergie fatale » – ces gens ont décidément un drôle de vocabulaire. La commission, dans ses conclusions, se contente de regretter sa non-utilisation.)
les thèmes les plus évoqués sont la gestion de la ressource à 21%, l’impact sur les milieux naturels à 17%, le bilan carbone à 13%.
Sur ce dernier point, sur la base du scénario de fonctionnement annuel de 5 000h présenté dans le dossier, l’intensité carbone serait de 234 kgCO₂e/MWh. À comparer avec une centrale au gaz (418), une centrale photovoltaïque (30), une centrale éolienne (10) et une centrale nucléaire (6).
Du bois dont on fait les pipeaux
L’avis de la commission d’enquête est assorti de 5 réserves et 4 recommandations, dont celle-ci :
« Les sociétés d’exploitation forestière sont contrôlées lors des chantiers par le donneur d’ordre, généralement un GFP Gestionnaire Forestier Professionnel en forêt privée et par l’ONF en forêt publique. »
Dommage, les Gestionnaires Forestiers Professionnelshabilités à effectuer ces contrôles sont bien peu nombreux dans la région (un seul en Lozère, aucun dans le Gard, ni dans l’Hérault) …
Quant à l’ONF, ses effectifs sont passés de 15 000 travailleurs en 1985 à moins de 9 000 en 2020, et la Macronie vient d’y recaser, au poste de présidente, une lobbyiste qui compte parmi ses clients… La Fédération Nationale du bois ! (Mediapart, 25 août)
Et les contrôles préconisés le sont sous forme d’engagements, de « chartes », aucunement contraignants puisqu’il n’est nulle part question de sanctions. L’indulgence est sans limites…
Pour l’association Canopée, « la forêt souffre avec les premiers effets des changements climatiques et sa croissance ralentit. Le puits de carbone est en baisse. Augmenter la récolte n’est pas la solution. A récolte constante, nous proposons plutôt d’accroître la part des produits bois à longue durée de vie avec une transformation sur notre territoire. »ii
Là encore, le gouvernement fait preuve d’indulgence en assouplissant l’encadrement du label bas carbone (Le Monde, 4 septembre).
La forêt n’est jamais vue comme un écosystème vivant, mais comme une ressource économique, gisement d’un matériau destiné à être avalé par la grande gueule de la centrale. Qu’importent les services écologiques rendus par ce milieu si riche en biodiversité, pour la Commission d’enquête il faut « organiser le regroupement des propriétaires forestiers privés, afin que leurs parcelles puissent disposer d’un document de gestion durable et que l’exploitation en devienne rentable. »
Quand même, une suggestion (et une information) : « (…) le bois déchet est une ressource à retenir. En effet, l’ADEME indique qu’en 2023, 566 189 tonnes ont été collectées dans la région PACA. La quasi-totalité de ce gisement est exportée en Italie et Espagne. »
Le chemin vers des territoires autonomes est encore long : abîmer la forêt, c’est entraver les pratiques de subsistance, telles que décrites par les sociologues Geneviève Pruvostiii et Fanny Hugues qui souligne que « ces pratiques sont particulièrement rendues possibles par la proximité de bouts de forêts, terrains et jardins(…). »iv
“Épisode cévenol“ a déjà consacré plusieurs articles sur la montée de l’extrême droite en France. La problématique ci-dessous essaiera d’en cerner le terreau (on est tenté d’en dire le fumier !) fertile, ce que l’on pourrait dénommer comme un “fascisme d’ambiance“, en ce sens que cette « montée » n’est pas le seul effet de la propagande d’extrême droite (Bolloré, RN), mais prend sa source dans la crise existentielle-historique, celui de l’absence de perspectives d’auto-transformation de la société, qui conduit à coller aux « valeurs » des maîtres.
– I –
Un fait divers de société n’est pas automatiquement porteur de sens historique. Cependant, la « mort en direct » du streamer Jean Pormanove, le 18 août dernier, n’est pas passée inaperçue. Le principe de cette mise en spectacle qui a finalement plus ou moins dérapé (la victime ne serait pas morte de coups reçus mais de son mauvais état de santé !), était que ce streamer tirait ses revenus des scènes de maltraitance (au bas mot), commises par ses « complices » sur lui-même devant caméras, par leur diffusion instantanée payante auprès d’abonnés (« C’était pour le taf » d’après un proche, recueilli par “Libération” du 23 août 2025). Car il y avait un public, de près de 500 000 abonnés, pour se repaître de violence et de domination, dont les protagonistes assuraient lors de l’enquête, que tout était scénarisé. Le tout se déroulant dans un quartier déshérité de l’agglomération niçoise.
Mais ce n’est pas réservé au “bas” de la société. Dans ce registre, les hautes sphères aussi s’y mettent en scène comme nous le rapporte Naomi Klein – dont on avait apprécié à l’époque le livre « la Stratégie du choc » -, en compagnie de Astra Taylor, dont l’analyse « The rise of end times fascism », parue dans The Guardian le 13 avril 2025, a été publiée en français sur le site “Terrestres” (« La montée du fascisme de la fin des temps »). On y apprend « les nombreuses séances photos sadiques-chics de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, qui pose tour à tour sur un cheval à la frontière américano-mexicaine, devant une cellule de prison bondée au Salvador ou brandissant une mitraillette lors de l’arrestation d’immigrants en Arizona ».
– II –
Quand le chef d’État français méprise à l’envi le bas de l’échelle sociale, qu’on se rappelle : « Dans une gare, on croise des gens qui ne sont rien », après avoir tant vanté « les premiers de cordée », il fait écho au PDG de France Telecom qui, pour mieux assurer la privatisation dans « Orange », avait planifié une vaste suppression d’emplois en donnant à sa hiérarchie la consigne « qu’ils partent par la porte ou par la fenêtre », ne pouvant sans doute prévoir que des salariés en burn out finiraient par se défenestrer effectivement. Le plus inquiétant et qui avait été relevé à l’époque, c’est que le climat général de peur avait même inhibé des gestes élémentaires d’entraide psychologique entre salariés, rivés au pauvre espoir de pouvoir passer entre les gouttes. De même, en France, un appareil de répression surdimensionné peut mutiler, devant caméras, de manière sadique des manifestants sitôt qu’ils sont en dehors des rituels pré-écrits.
Mais même dans la vie futile du divertissement, une télé-réalité conclut chaque épisode par le vote des participants pour éliminer le perdant de la semaine permettant de sacrer plusieurs semaines plus tard, le vainqueur final. Singulière illustration du vote démocratique ! Dans d’autres loisirs consommés “à domicile” l’industrie du porno fait de la domination sexuelle unilatérale, consommée par le voyeur, son fond de commerce.
Par ces différentes dispositions s’étend une néo-culture (?) du “plus fort”, ce à quoi la colonisation de la sphère publique par les joutes sportives a aussi apporté sa contribution. Au bout du compte, le harcèlement entre adolescents témoigne de la propension à vouloir rabaisser l’autre ou tout du moins à se créer un bouc émissaire sur qui concentrer la détestation de ce qu’on vit. C’est que l’envoûtement algorithmique des réseaux sociaux ramène toujours plus vers des stimuli binaires et des jugements sans nuance, dont l’extrême droite fait son miel…
– III –
Il y a peut-être des niveaux d’analyse en termes d’héritage géopolitique (culpabilité de l’Europe par rapport à la Shoah, volonté d’enfoncer un coin occidental dans l’aire arabo-musulmane…) qui peuvent expliquer la passivité de la sphère occidentale-démocratique à l’égard de l’acharnement à la destruction et au génocide de l’État d’Israël à Gaza. Néanmoins la part inconsciente, spectre de la culture décadente, est la fascination de la puissance et du « plus fort » ce qui a poussé à relativiser à l’extrême la réaction spontanée nécessaire à tout faire pour empêcher le tort atroce commis contre les faibles par cette punition collective : la cruauté pratiquée à grande échelle par l’État d’Israël, allié des pays occidentaux, délivre un message universel et démonstratif délivré aux populations de ce qui peut leur arriver éventuellement.
La guerre à Gaza est vite devenue une vitrine d’opérations militaires en milieu hostile dont ont pu se repaître tous les états majors militaires de la planète, et inversement, un test « grandeur nature » pour mesurer jusqu’où les populations périphériques, spectatrices devant leurs écrans, parviendraient à se résigner en en consommant la barbarie tout en restant passives.
L’état de guerre et le glissement mécanique vers un exécutif d’urgence conduit à l’apogée de la brutalisation des rapports sociaux… Au point de se demander si le pouvoir n’a pas besoin de l’état de guerre pour éliminer tout dissensus.
– IV –
Un fantôme dans la machine hante les acteurs économiques : ce gain de survaleur indispensable comment l’extraire de la concurrence sur le marché ? Quand la compétition économique devient plus intense entre les entreprises qui sont sur le même créneau ou entre celles-ci et leurs sous-traitants pressurisés, et a fortiori sur les salariés assujettis à une productivité maximale, cette tension diffuse dans toute la société. Malheur aux perdants !
La bonne décision au bon moment devient le préalable fantasmatique de la réussite. La figure du décideur génial prend corps qui sait trouver des solutions et pour ce faire ne s’embarrasse pas de détails ou de “stériles” arguties sur les causes et les effets (tant il est vrai que la technologie résoudrait tout !), positionnement anti-écologique par essence.
La pulsion d’efficacité broie scrupules et doutes méthodiques. L’autoritarisme devient désirable quand toute discussion démocratique est assimilée à une perte de temps. Comme les convulsions économiques paraissent sans fin, la surestimation du moment de la « décision » (Krisis en grec) pour définir une solution crée un vertige d’accélération partagé par tous les acteurs. La surenchère permanente disloque les repères mentaux et blinde les sensibilités. La méfiance à l’égard de la « nature humaine », devenue suspecte d’inadéquation au monde prodigieux des réussites technologiques, s’incarne dans le rejet de la figure des perdants et des dépossédés. La misanthropie de la pensée réactionnaire devient proportionnelle à la puissance sociale acquise et la classe dirigeante penserait volontiers que « tout ce qui rampe sur terre doit être gouverné par les coups », tant la plèbe lui devient un fardeau.
À la désorientation des populations ballotées d’une crise à l’autre, d’une information anxiogène à l’autre (empoisonnement chimique, dérive climatique), ce futur sans avenir ressuscite des mythes compensateurs du passé : nationalisme, virilisme dont des noyaux activistes décomplexés donnent le signal d’un renouveau offensif.
– V –
Faute d’une boussole dissidente en bas de la société, une vague a pris corps qui sanctifie la loi du plus fort, répudie toute hésitation, fait l’apologie de la volonté, culpabilise les pauvres de leur situation, idolâtre une communauté imaginaire au nom de quoi exclure, etc.
Le sadisme et la cruauté deviennent les expressions abouties de la non réciprocité, comme si le frottement social était devenue stérile à surmonter des disparités sensibles. Le mépris de l’autre devient la condition de la conservation de soi. Faute de pouvoir imaginer une sortie de cette domination cadenassée, les énergies se raidissent et se retournent vers les solutions les plus enviables, c’est-à-dire les plus valorisantes « du côté du manche », ou tout au moins en en reprenant la vantardise. Les dépossédés le sont aussi de ne pas pouvoir entrevoir quelque chose d’autre, et se retournent vers leurs maîtres ou de nouveaux apprentis-sorciers pour les diriger, car, n’est-ce pas, vaut mieux se fier aux plus malins (Trumpisme) !
Pour que cette déferlante prétende à l’hégémonie, il a fallu antérieurement que s’affaisse le point de vue révolutionnaire que la société peut consciemment s’auto-transformer. C’est qu’au profit du messianisme du progrès technologique providentiel, a été éludée la prise en compte des deux grandes béances de l’histoire humaine : le fait que les humbles s’en remettent à des pouvoirs dont ils deviennent les subordonnés ; et que l’échange entre les différentes activités humaines soit médié par la valeur abstraite de l’argent, moyen qui devient sa propre fin à travers le prêt à intérêt et la spéculation, jeu sur le prix.
S’il n’y a pas, certes, de solution toute faite, il y a des pistes sûres pour que les collectivités en lutte prennent confiance en elles-mêmes : se coordonner avec des délégués mandatés et révocables à tout moment ; refouler la compétition en étendant l’entraide ; rejeter la séduction des soi-disant facilités apportées par le déferlement technologique.
Tristan Vebens, dimanche 1er novembre 2025
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La solidarité vitale avec le peuple palestinien face au génocide
La Palestine ? Ne m’en parle pas…! C’est si terrible ce qui s’y passe… Ce « conflit entre Israël et les Palestiniens » n’a que trop duré. Il est tellement complexe et dure depuis si longtemps… Ne peuvent-ils pas s’entendre enfin ? … Et, entre nous, les Palestiniens, ne sont-ils pas un peu responsables de ce qui leur arrive ? Mais bon, c’est vrai que maintenant ils vivent l’enfer à Gaza… La famine…
Dis, que pouvons-nous faire, nous ? Deux ans que ça dure… Je me sens si impuissant.e. De toutes façons, Israël s’impose et aucun État ne peut s’interposer si ce n’est les États-Unis, alors la France…
Et puis c’est quand même un peu loin de nous tout ça, cela ne nous concerne pas vraiment. Et puis, il y a tant d’autres conflits, on ne parle ni du Congo, ni du Soudan par exemple.
En réalité, je ne supporte plus de voir tout ça, cette violence, cette misère, j’en suis malade. Je n’en dormais plus. Alors, il faut que je me préserve. Du coup, c’est vrai, je ne suis plus vraiment les infos sur la Palestine.
Mais je suis de tout cœur avec ceux qui manifestent … De tout cœur !
Enfin, Macron vient d’annoncer qu’il reconnaîtrait l’État de Palestine ? Bon cela n’arrêtera pas le massacre mais n’est-ce pas déjà un pas en avant ? Un moyen de pression ? Tu ne sembles pas convaincue…
Qui n’a pas entendu ces propos de personnes qui se disent pourtant sensibles au sort réservé aux Palestiniens ? Tout en étant à la fois touchées et compatissantes, ces femmes et ces hommes expriment une forme de lassitude. Entre mauvaise conscience et malaise, apitoiement et indifférence, transparaît surtout une volonté d’en finir et d’oublier. Ne plus être confrontées à ce sujet pénible et pesant. Mais, en exprimant leur désarroi n’est-ce pas surtout d’elles-mêmes qu’elles parlent ? Et derrière ces lamentations contrites, les crimes d’Israël finissent par être relativisés pour finalement disparaître.
Et voilà qu’il faudrait presque s’excuser de continuer de parler de la Palestine. Karim Kattan, écrivain palestinien, dans un poème, surjoue à peine une personne désabusée qui soupire : « on a tout essayé, je suis pleine, pleine, pleine d’empathie, si pleine que j’en crèverais — cependant, il faut finir, il faut, donc… finissez-les… mais poliment, de grâce, poliment ».1
« Exterminez toutes ces brutes » clame Kurz, personnage central du récit glaçant de Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres », dans lequel la barbarie des premiers négociants et militaires arrivés au Congo à la fin du 19e siècle est exposée de manière crue. Cette injonction fait aussi écho au livre de Sven Lindqvist puis au film de Raoul Peck qui tous deux revisitent de manière radicale le colonialisme et le racisme exterminateurs européens.
Comment ne pas faire de parallèle avec la Palestine ? Pour certains de manière explicite, pour d’autres, indirecte et suggérée, la Palestine n’est autre qu’un repaire de brutes, de terroristes, de sauvages qu’il faudrait anéantir. Les plans d’aujourd’hui sont tout aussi brutaux que ceux qui forgent l’histoire des États-Unis et les projets colonialistes européens. Qui aurait pu envisager le projet de « Riviera du Proche-Orient » promu par le président Trump il y a quelques mois ? Et pourtant un document de l’establishment étatsunien filtré fin août prévoit ce plan criminel et délirant sur les montagnes de cadavres de la bande de Gaza en ruine.
Dévastée, elle deviendrait quasiment un « territoire sous tutelle » des États-Unis placée sous contrôle de mercenaires occidentaux dans la pure tradition coloniale. Le trust « Gaza Reconstitution, Economic Acceleration and Transformation Trust » (GREAT Trust) gérerait la Bande de Gaza pendant une période d’au moins dix ans. Selon ce programme, à l’issue de la phase de déblaiement des décombres et des explosifs, il est prévu de lever des fonds à hauteur de 100 milliards de dollars pour la construction de complexes hôteliers de luxe, de centres de données IA et de « villes intelligentes ». Ce projet invraisemblable nécessiterait toutefois que la Bande de Gaza soit vidée de la majorité de ses 2 millions d’habitants. Cette partie du plan est actuellement déjà mise à exécution par le gouvernement et l’armée israéliens avec l’armement états-unien et européen.
Quant aux palestiniens sur leurs terres ancestrales, à certains il sera proposé un logement permanent dans l’un des nouveaux immeubles résidentiels, logement qu’ils ne pourront payer. Et s’ils quittent « volontairement » l’enclave, chacun de ces « volontaires » recevrait 5 000 dollars et des fonds pour se nourrir (pendant un an) et payer son loyer ailleurs (pendant quatre ans). À long terme, il est promis qu’« une communauté palestinienne réformée et déradicalisée » pourrait prendre la relève sans qu’il soit toutefois question d’État palestinien.
Une majorité de Gazaouis devra néanmoins être expulsée de force. Les bombardements incessants et la famine ont pour objectif de les pousser à partir vers des lieux déjà établis. Donald Trump, au comble du cynisme transactionnel, envisage de reconnaître l’État sécessionniste du Somaliland en contrepartie de l’accueil des déportés palestiniens. Il est aussi question du Soudan du Sud vers lequel les États-Unis déportent déjà des migrants indésirables. Aussi fou que terrifiant ce plan pourrait-il être réalisé ? Il appartient à tous de contribuer à son échec.
La Palestine concerne chacun.e d’entre nous. Le projet centenaire de sa colonisation est le fait des puissances occidentales. Les dirigeants européens relayés par les Étasuniens depuis la fin de la seconde guerre mondiale n’ont jamais abandonné leur stratégie de contrôle de la région. Cette volonté mise en œuvre dès la fin de l’Empire ottoman après 1918 a pris diverses formes et s’est concrétisée notamment par le soutien actif au projet sioniste. Les régimes britanniques et français ont ainsi toléré la colonisation rampante de la première moitié du 20e siècle. Ce sont les occidentaux qui ont ensuite porté devant l’organisation des Nations Unies, le plan de partage qu’ils ont voté en novembre 1947. Ce vote a donné lieu à la tristement célèbre résolution 181, rejetée par les Palestiniens en raison de son caractère fondamentalement injuste et illégitime.
Ces États colonialistes ont assisté sans réagir à la déportation de plus de la moitié de la population palestinienne. Cette Nakba – catastrophe majeure – a été orchestrée à coups de massacres, de destructions de villages et de liquidations par les milices sionistes. Ces mêmes puissances ont approuvé la proclamation de l’État d’Israël en mai 1948 en violation des résolutions de l’ONU. Les membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité de l’ONU couvrent depuis la colonisation continue des terres palestiniennes, l’incarcération de milliers de Palestiniens, l’anéantissement des infrastructures dans la Bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie. Ces mêmes démocraties néocolonialistes sont de plus en plus nombreuses à reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, en violation ici aussi, du droit international.
Au-delà, de la solidarité avec son peuple nié, spolié et massacré, la Palestine concerne l’humanité toute entière car elle constitue le laboratoire d’un mode de gestion autoritaire ultraviolent qui un jour pourrait être mis en œuvre ailleurs. Et, pourquoi pas, ici-même… Ne laissons pas exterminer et déporter les Palestiniens. Ne nous détournons pas du peuple de Palestine. Défendons la justice et la morale, appuyons le combat palestinien pour la libération et l’autodétermination. Il y va du destin de tous. [Tissa]
1 Karim Kattan, Quand minuit vient, 25 février 2024, https://aoc.media/fiction/2024/02/24/quand-minuit-vient/
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Helena Vari Ortega Prado soutient depuis longtemps les luttes et processus pour l’autonomie des peuples indigènes dans l’état du Michoacan, au centre-ouest du Mexique. De passage en France, elle a fait escale le 31 juillet à la Maison Mazel à Saint Jean du Gard, pour une présentation organisée par Terres Vivantes en Cévennes. L’occasion pour une interview.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, peux-tu replacer les luttes indigènes du Michoacan dans le contexte mexicain ?
Il y a trois éléments de contexte importants pour comprendre ce qui se passe au Michoacan. Le premier, c’est que le Mexique est un état fédéral, avec des régions appelées états, comme le Michoacan, qui disposent d’une autonomie plus grande que celle de vos régions en France. Jusqu’à il y a peu, il y avait donc trois niveaux de gouvernement : fédéral, étatique (équivalent de régional en France), et municipal (les municipios, équivalent des communautés de communes).
Le deuxième élément, c’est le niveau très élevé de violence et de corruption, avec ce qu’on appelle le narco. C’est un système de crime organisé, qui tourne bien sûr autour du trafic de drogue, mais qui fait aussi de l’extorsion, du trafic d’êtres humains, ou de l’exploitation illégale de ressources, notamment la forêt au Michoacan. La violence est aussi courante contre les militant.es, qu’ils soient syndicalistes, sociaux, indigènes.
Le troisième élément, c’est le racisme systémique du Mexique. La colonisation a écrasé les peuples indigènes, et après l’indépendance les élites ont voulu « intégrer » ces peuples, en leur imposant la langue et la culture espagnoles. Mais ils ont toujours résisté et ont réussi à conserver de façon plus ou moins marquée leurs langues, cosmovisions et pratiques organisationnelles. Mais ils restent au bas de l’échelle sociale mexicaine. Au Michoacan, il y a cinq peuples : purhépecha, mazahua, náhuatl, otomí, pirinda-matlazinca. Il faut souligner qu’il n’y a pas d’homogénéité politique ou culturelle entre ces peuples, mais ils partagent la même oppression pour être indigènes.
Les peuples du Michoacan ont gagné certaines victoires juridiques et politiques ces dernières années. Peux-tu revenir sur l’origine de ce processus ?
Au Michoacán, il y a toujours eu de fortes résistances des peuples indigènes, et des communautés1 qui se sont gouvernées en rupture avec le système officiel mexicain. Mais cette autonomie était limitée dans la pratique, notamment à cause du manque de ressources financières.
Mais en 2011, les événements ont pris une autre tournure, avec le soulèvement de la ville de Cherán sur le territoire du peuple purhépecha. Cherán connaissait une situation difficile, avec beaucoup de violence liée au crime organisé qui exploitait les forêts du territoire de façon intensive et illégale, avec le soutien des partis politiques corrompus. Le 15 avril 2011, un mouvement autonome se déclenche, emmené d’abord par les femmes de la communauté, pour mettre fin à cette situation. Le mouvement prend rapidement, et des barricades sont installées autour de la ville, gardées jour et nuit. C’est ce qu’on appelle «autositio» : personne n’entre et sort de la communauté, ce qui permet de contrôler ce qui se passe.
Le mouvement exige d’abord l’arrêt de la déforestation illégale et de ce système de corruption, mais les revendications s’élargissent rapidement pour aboutir à une revendication d’autonomie, qui va être accompagnée juridiquement par un collectif d’avocat créé pour l’occasion, le collectif Émancipations.
Quelles sont les victoires juridiques gagnées dans ce processus ?
Des victoires ont été obtenues devant le TEPJF (Tribunal Électoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération), puis des changements ont eu lieu dans la constitution de l’état du Michoacan et dans la constitution nationale, mais ce serait trop long de tout détailler. L’important, c’est que ces changements ont permis à Cherán et d’autres communautés de se gouverner par ce qu’on appelle les us et coutumes,c’est à dire un système traditionnel et autonome de gouvernement local, où les partis politiques n’ont aucune place. Ce droit était déjà reconnu auparavant, mais très peu appliqué officiellement sur le terrain. L’autogouvernement indigène est ainsi devenu officiellement le quatrième niveau de gouvernement. Et surtout, les communautés ont gagné le droit de recevoir directement le budget qui leur est dû de la part des niveaux de gouvernement étatique et fédéral, sans passer par le niveau des municipios où cet argent se perdait dans la corruption. Cela leur permet d’avoir des moyens financiers nécessaires à l’exercice de l’autogouvernement.
Les derniers changements constitutionnels donnent aussi plus de droits aux peuples indigènes, en termes culturels, sociaux, politiques, etc. par exemple le mariage forcé des adolescentes est formellement interdit, et il y a obligation de consulter les peuples indigènes sur les décisions politiques qui les impactent. Ces avancées sont majeures. Bien sûr ces changements ne sont pas parfaits, il reste beaucoup à faire, notamment sur la question du contrôle territorial. C’est un vaste sujet, avec des conflits entre communautés hérités des délimitations territoriales arbitraires de la colonisation. Il faut aussi insister sur les luttes politiques, qui ont soutenu les luttes juridiques, avec blocages de route, manifestations, blocages de réunions gouvernementales, etc. Tout ce processus est intense et semé d’embûches !
En plus des changement juridiques et législatifs, il y a eu un changement politique au Michoacan, car tout cela s’est fait avec le soutien du gouverneur actuel, ce qui est très rare qu’un gouverneur soutienne les peuples indigènes ! Il a par exemple remodelé la Commission Étatique (du Michoacan) pour le Développement des Peuples Indigènes (CEDPI), en y nommant des personnes issues des communautés, du collectif Émancipations, ou des personnes soutenant activement la lutte, comme moi qui travaille maintenant pour cette commission.
Et concrètement, c’est quoi l’autogouvernement indigène ?
Je répète, il y a toujours eu des communautés indigènes organisées selon les us et coutumes. Mais à part dans les communautés zapatistes, cette organisation était limitée par le manque de cadre juridique, de moyens financiers et par la pression exercée par les partis politiques. Les choses sont un peu plus claires maintenant, car les communautés peuvent faire reconnaître officiellement leur autogouvernement.
Chaque communauté s’organise comme elle veut, mais la plus haute instance est toujours l’Assemblée générale, rassemblant tou.tes les habitant.es. C’est elle qui prend les grandes décisions, et qui désigne les représentant.es qui vont exercer les cargos, c’est à dire les charges ou les postes. Il n‘y a plus un maire élu, mais des conseils rassemblant parfois jusqu’à 100 personnes ! La gestion du pouvoir est donc très collective. Et il faut bien souligner que les personnes sont désignées, elles ne se présentent pas : c’est l’Assemblée qui propose des noms, en fonction des compétences et de l’engagement des gens. C’est difficile de refuser, car c’est à la fois un honneur et une obligation de travailler pour la communauté. Ce système permet d’éviter la personnalisation et la professionnalisation des responsabilités politiques.
L’Assemblée désigne aussi les postes de « sécurité », car il n’y a plus de police « extérieure », chaque communauté élit sa propre force de sécurité qui au Michoacán s’appelle souvent Rondas Comunitarias, rondín, Kuari ou Kuaricha.
Avec le presupuesto directo (budget direct) dont je parlais tout à l’heure, les communautés ont augmenté significativement leurs ressources, et peuvent ainsi investir dans ce qui leur semble important : infrastructures de santé, d’éducation, de sécurité, de conservation et récupération du territoire, gestion des ressources naturelles, priorités matérielles, sociales, culturelles, etc.
Tout cela donne une organisation sociale, politique, culturelle très particulière et plutôt enthousiasmante !
Quels sont aujourd’hui les défis pour ce processus ?
Déjà, comme je l’ai dit, tout n’est pas parfait, et le processus est toujours en construction. Il y a toujours des tensions, beaucoup de violence des narcos, de la corruption à plein de niveaux, ce qui complique les processus d’autogouvernement. Et il y a des sujets, comme le contrôle territorial, qui vont demander de nouvelles batailles politiques et juridiques.
Il faut aussi préciser qu’il existe plusieurs mouvements au Michoacán, qui chacun rassemble des communautés indigènes, avec leurs propres représentants, leurs propres façons de faire et des différences de points de vue : le Frente por la Autonomía, le Consejo Supremo Indígena, et des communautés « indépendantes », par exemple. Il n’y a pas d’homogénéité du mouvement, ce qui peut être une force comme une faiblesse.
Enfin, je mentionnais le soutien du gouverneur du Michoacan à ce processus. Ça a été une chance, mais le jour où il sera remplacé par un gouverneur moins sensible à ce sujet, les choses se compliqueront sûrement. [Joce de Terres Vivantes en Cévennes]
1. Les villages des peuples indigènes sont généralement appelés communauté.
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Le 5 juillet dernier était organisée une table ronde intitulée « Semer les graines de l’autonomie » dans le cadre des rencontres d’été de l’association Abraham Mazel à Saint Jean du Gard. Voici ci-dessus un entretien autour de l’intervention de l’un des membres du collectif Terres Vivantes en Cévennes sur la question de l’autonomie.
EC : L’autonomie est une notion vaste qui peut prendre des sens différents. Peux-tu pour commencer prendre quelques exemples pour la définir ?
Tvec : Oui, on peut penser par exemple :
– aux peuples colonisés qui se sont soulevés face aux empires occidentaux pour reprendre leur autonomie politique et leur indépendance,
– aux luttes ouvrières comme le mouvement « autonome » italien des années 60/70 qui s’est organisé en dehors du cadre habituel des syndicats et du parti communiste pour mener ses propres actions et revendications, sans représentants,
– aux communautés paysannes de l’époque médiévale qui se sont opposées à l’État, à la Noblesse et au Clergé pour le maintien de la gestion des communaux et des droits d’usages collectifs, et donc préserver leurs moyens de subsistance,
– ou tout simplement à un enfant qui devient « autonome » et qui petit à petit se passe de ses parents pour faire ses propres choix et mener sa vie.
EC : Le collectif Terres Vivantes en Cévennes s’est depuis sa création intéressé à la notion d’autonomie, plus particulièrement en lien avec la question de la subsistance, qui est liée à l’autonomie alimentaire, l’installation de paysan.es, la défense des terres agricoles, les luttes contre les projets destructeurs et d’accaparement de ressources… De quelle manière articuler de manière théorique toutes ces questions là ?
Tvec : Plusieurs rencontres publiques ont été organisées avec différents intervenant.es et ont permis préciser la notion.
Aurélien Berlan, philosophe et auteur du livre « Terre et Liberté », montre que dans la plupart des conceptions occidentales de la liberté, qu’elles soient libérales ou socialistes, être libre suppose d’être « délivré » des nécessités de la vie. Donc le fait de se débarrasser des tâches jugées pénibles et ennuyantes : produire sa nourriture, se procurer de quoi se chauffer, se loger, faire le ménage… Mais pour obtenir cette liberté, on se repose sur autrui (esclaves, serfs, ouvriers, femmes, peuples des pays colonisés…). Il précise : « Si la liberté suppose de se décharger sur d’autres des nécessités de la vie, pour se consacrer à des activités jugées plus intéressantes ou réjouissantes, alors elle repose en fait sur la domination. Car il faut alors faire faire à d’autres ces tâches nécessaires qu’on ne veut pas assurer soi-même. Or, « faire faire » est la formule même de la domination sociale, qui repose toujours sur la séparation entre les exécutants qui font et les dirigeants qui disent à leurs subordonnés ce qu’ils doivent faire. » Au contraire, pour Berlan, la liberté s’acquiert en retrouvant son autonomie en reprenant en charge les aspects matériels de nos vies, notamment les revendications d’accès à la terre.
Pour Bertrand Louart, menuisier ébéniste à la coopérative Longo Maï, la recherche d’autonomie suppose de remettre en question la fascination moderne pour les moyens de production industriels et les technologies. Se pose la question cruciale de comment lutter contre un système dont nous sommes matériellement hyper-dépendant ? On peut penser alors aux agriculteurs assujettis au système agro-industriel ou aux ouvriers soumis aux cadences du travail à la chaîne et au geste répétitif, au contraire de l’artisan, du paysan qui sont maîtres de leurs ouvrages, de leur réalisation. L’autonomie suppose ici une réappropriation de la technique pour mieux vivre et reprendre en main nos conditions d’existence.
Genneviève Azam, économiste altermondialiste et militante, s’inscrit dans le courant écofeministe qui relie féminisme, écologie et dé-colonialisme. Elle montre que les tâches de subsistance (réalisées très souvent par les femmes) ont été constamment dévaluées, alors qu’au contraire, s’emparer des charges du quotidien, c’est reconquérir une liberté perdue et lui redonner un contenu politique.
Il existe ainsi une idée très forte dans les milieux écologistes que lorsqu’on parle aujourd’hui, de « cultiver notre autonomie alimentaire ou énergétique », cela signifie que l’on aspire à ne plus dépendre (ou moins) des grandes industries pourvoyant à nos besoins, et donc à reprendre en charge par soi-même ces nécessités.
EC : Au niveau politique, comment se représenter l’autonomie ?
On peut définir une société autonome comme une société dans laquelle chacun peut participer aux affaires publiques et décider des lois au lieu de les recevoir d’un pouvoir extérieur, un comité d’expert ou une assemblée de représentants. Il s’agit donc de se donner à soi même sa propre loi, dans le sens de la démocratie directe.
L’autonomie a fait l’objet de réflexions approfondies chez certains penseurs. On peut prendre quelques exemples. Pour Cornelius Castoriadis, pour qui l’autonomie est centrale dans ses travaux : « Une société autonome est une société qui, consciente de son auto-institution, ne cesse de s’interroger sur le sens de celle-ci et d’en reprendre l’élaboration; une société consciente que le pouvoir ne provient que d’elle même et qui est l’affaire de tous. Le citoyen est à la fois celui qui à la fois peut gouverner et être gouverné. Nous ne pouvons jamais nous dire, une fois pour toutes, que nous sommes autonomes, mais nous avons à l’être. » L’autonomie chez Castoriadis est ainsi un processus interminable, sans cesse questionné, dépourvue de pouvoir transcendant (issu d’un dieu, d’une mythologie, d’une tradition, d’une loi de la nature,…).
Ivan Illich part quant à lui du constat que la société gouvernée par un État administratif et moderne vise à détruire les modes de vies vernaculaires que les individus ont noué entre eux, afin de les rendre dépendants de l’organisation économique et administrative de la société. Les citoyenn.es se retrouvent transformées en simple exécutants, ils ne sont plus des acteurs autonomes et responsables qui participent à la vie publique, mais bien des rouages au service d’une entité et d’un intérêt supérieur : la société moderne et industrielle.
Pour Murray Bookchin, seule une société libre et émancipée peut faire naître un monde écologiquement viable. Il fonde l’écologie sociale, et définit un moyen de parvenir à cette société : le municipalisme libertaire. Il s’agit d’œuvrer à la dissolution des États et des nations pour faire émerger des confédérations de communes. Cela donne la possibilité aux individus de ces communes de pouvoir garder la main sur leur outils, sur leur pouvoir politique et ainsi de protéger leur autonomie.
On peut dégager quelques traits communs à ces approches de l’autonomie :
> Un refus de l’aliénation : Que l’on comprend dans le sens courant du rapport dominants / dominés, de la perte de sens au travail (division du travail, travail à la chaîne…), mais également dans le fait d’être dépossédés de notre capacité politique, que l’on ne puisse plus penser que l’on peut changer les choses.
> Refus dudéterminisme : Refus que l’histoire serait toute tracée ou devrait être déterminée par un pouvoir transcendant extérieur qui viendrait du divin, de la tradition, de la nature…. L’autonomie sociale d’une société est le fait qu’elle soit consciente qu’elle est seule responsable de ses institutions, et peut donc les changer car elle est le fait de sa propre création. A l’opposé, la pensée néolibérale voudrait nous faire croire qu’il n’y aurait pas d’autres possibilités que la poursuite de l’économie de marché qui impliquent des institutions centralisées et autoritaires. L’acronyme TINA (There is no alternative) laisserait entendre que toute sortie du néoliberalisme serait illusoire.
> Refus de la place centrale de l’économie : La notion d’autonomie suppose une économie basée non sur le profit et l’accumulation mais sur les besoins réels. Elle remet à sa place l’économie qui a envahi toutes les sphères de la société à son sens initial (en grec, Oikos : sphère privée, la maison, Oikonomia : « administration de la maison, donc la subsistance).
> Autonomie individuelle et sociale : Une société autonome créé des individus autonomes, qui pensent librement. Les deux vont ensemble car le bien commun ne peut se réaliser si il y a oppression ou domination, si il y a séparation entre dirigeants et dirigés. Une société autonome ne peut être formée que par des individus autonomes. Et des individus autonomes ne peuvent vraiment exister que dans une société autonome.
L’autonomie au sens politique permet une remise en question des cadres et des structures, pas un simple ajustement à l’intérieur du système existant. C’est donc bien en cela que la notion nous parait des plus pertinentes.
EC : Comment l’autonomie se retrouve t’elle concrètement dans les luttes ?
Tvec : La question de l’autonomie à de tout temps été présente au cœur des luttes, même si elle n’est pas forcement revendiquée en tant que telle, ou présente sous des formes inachevées.
Ce fut le cas lors de nombreuses périodes révolutionnaires : comme lors de la Commune de paris, de l’insurrection ukrainienne de Makhno, de la guerre d’Espagne,… Mais également lors des luttes ouvrières et sociales. Prenons l’exemple des conseils ouvriers qui fonctionnent selon les principes de la démocratie directe et rassemblent les travailleurs dans des assemblées de base. Si ces conseils comportent des élus, alors ces assemblées sont mandatées via un mandat impératif, doivent rendre compte de leurs activités devant l’assemblée, et sont révocables à tout moment par l’assemblée. Le mouvement autogestionnaire ouvrier (avec notamment les fortes luttes de réappropriation des usines en Argentine dans les années 90, ou en France avec les LIP ou Fralib), même s’il montre des limites en restant toujours soumis aux lois du marché, montre que l’autogestion est possible. On peut penser aussi au mouvement des Gilets Jaunes où l’autonomie et l’auto-organisation était une donnée centrale (assemblées populaires décisionnaires, rencontres de Commercy, refus de représentants à la tête du mouvement et de la récupération par les partis et syndicats…). Il y a également les mouvements d’occupations où le rôle des assemblées prend une place centrale dans les luttes (Nuit debout en France, Occupy, Tarhir en Egypte, Gezi en Turquie…).
Dans les luttes paysannes, la recherche d’autonomie est une constante à travers le monde et les époques. On le voit historiquement avec la défense des communs, des usages collectifs de la petite paysannerie (mouvement contre les enclosures en Angleterre, Guerre des demoiselles en Ariège…).
D’autres expérimentations actuelles tendent à rompre avec les système en place comme le mouvement des paysans sans terres au Brésil qui compte plus de 350 000 familles se réappropriant les services de base comme l’accès à la terre et l’alimentation, les écoles, le système médical… [voir article sur Michoacan dans ce numéro] D’autres sont en une rupture totale avec l’État comme le mouvement Zapatiste au Mexique où l’éducation, la santé, la place des femmes, l’agriculture et l’horizontalité des prises de décision sont au cœur de leur projet émancipateur.
La question de l’autonomie se retrouve dans de nombreuses luttes actuelles (contre les méga-bassines, l’industrialisation des forêts, l’extractivisme…) où c’est la question de l’accaparement des ressources qui se pose face à la préservation des biens communs (eau, terres agricoles, biodiversité…), et donc de nos possibilités de subsistance.
EC : Quelles perspectives peut offrir la notion d’autonomie ?
Tvec : Comme nous le montre Aurélien Berlan, l’autonomie a été au cœur des conceptions populaires de la liberté, notamment paysannes (en Occident mais également ailleurs), qui associaient la liberté (l’autodétermination) à la capacité à assurer sa subsistance (l’autosuffisance), et donc à l’accès aux ressources, notamment la terre.
Il est donc essentiel d’articuler concrètement autonomie matérielle et politique. On ne pas simplement se contenter de créer une niche matérielle au sein d’un système qui resterait inchangé. Ni non plus mener une lutte abstraite contre le « système » qui entendrait se passer de l’invention de nouvelles formes de vie collective, de regards nouveaux sur nos manières d’exister. D’où l’importance de déployer des alternatives sans cesser de combattre tout ce qui nous oppresse et dépossède.
D’autre part, c’est également une question de confrontation entre des imaginaires opposés : celui qui d’un côté martèle que les individus ne seraient pas capables de se prendre en charge sans une autorité extérieure, que le règne de l’économie et de la croissance infinie serait indépassable. D’un autre, celui d’individus responsables évoluant dans une société capable de s’auto-instituer et de s’auto-limiter, « c’est-à-dire une société sait qu’elle peut tout faire mais qu’elle ne doit pas tout faire », pour reprendre Castoriadis. Mais ce dernier imaginaire doit se construire sur des représentations existantes, avec un ancrage sur le réel. On doit donc chercher les germes déjà existants pour aller vers cet idéal. L’autonomie est une notion transversale qui se déploie dans un ensemble large de nos luttes et alternatives, et peut donc les renforcer. [Fred de Terres Vivantes en Cévennes]
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L’extrême-droite gagne du terrain. Son idéologie se répand dans de larges sphères de la société. La recrudescence récente d’appels à la haine, d’attaques violentes et de meurtres, pourtant alarmants, ne semble pas pour l’heure provoquer de réactions à même d’endiguer la contagion. Le glaçant « Paris est nazi ! » proclamé en février dernier lorsqu’une trentaine d’individus cagoulés, armés de couteaux, venaient d’attaquer une projection associative et de passer à tabac un jeune syndicaliste de la CGT n’est pas sans rappeler le bruit des bottes sur les pavés de la capitale…
La menace fasciste se cache derrière une multitude de mouvances : des identitaires aux nationalistes, en passant par les royalistes, néonazis, suprémacistes, intégristes religieux, complotistes, ou encore accélérationnistes. Le média d’enquête StreetPress, a recensé 320 sections locales ou groupuscules d’extrême-droite actifs en France dans plus de 130 villes réparties sur tout le territoire1. Mais la radicalisation ne s’effectue pas uniquement à travers le recrutement traditionnel militant. Elle commence bien souvent sur le Net, du fait que l’idéologie d’extrême-droite y est prédominante, et que les propos sont relayés jusqu’aux plus hautes instances gouvernementales.
L’extrême-droite tue
L’extrême-droite tue partout en France. Les appels au meurtre et la glorification de la violence fasciste pullulent sur les réseaux sociaux. Les passages à l’acte deviennent une réalité de plus en plus inquiétante. En mars 2022, l’ancien rugbyman argentin Federico Martin Aramburu, a été abattu de plusieurs balles dans le dos à Paris par un ancien militant du Groupe union défense (GUD) suite à une altercation dans un bar. En décembre de la même année, un individu déjà impliqué dans une agression au sabre, ayant blessé deux personnes en 2021 dans un camp de migrants, a ouvert le feu devant le Centre culturel kurde rue d’Enghien à Paris, tuant trois personnes. En août 2024, à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, un responsable du groupuscule paramilitaire d’extrême droite « Brigade française patriote » a délibérément écrasé Djamel Bendjaballah à trois reprises, sous les yeux de sa fille de 10 ans. Ce meurtre à caractère raciste est survenu alors que la victime, insultée de « sale bougnoule » et de « sarrasin », avait déposé à trois reprises une plainte, toutes restées sans suite. Vingt armes ont été retrouvées au domicile du meurtrier, et deux autres dans son véhicule. Le groupuscule auquel il appartient, composé majoritairement d’anciens militaires, est très structuré et organise des entraînements physiques et paramilitaires dans une forêt à la frontière de l’Oise et de l’Aisne.
Le nombre d’homicides commis par des personnes appartenant à des groupuscules d’extrême-droite ou d’autres passant à l’acte de manière « isolée » est en forte augmentation ces dernières années. Cependant, les proches des victimes et leurs avocats rencontrent fréquemment des difficultés à faire reconnaître la nature raciste, islamophobe ou terroriste des faits. Le parquet national antiterroriste (PNAT) s’est ainsi saisi, pour la première fois, d’une enquête pour meurtre lié à l’extrême-droite, celui de Hichem Miraoui, abattu de plusieurs balles dans la commune de Puget-sur-Argens dans le Var le 31 mai dernier. Dans une vidéo diffusée juste avant son passage à l’acte, l’auteur du crime a appelé les Français à se révolter et tirer sur les personnes d’origines étrangères, notamment maghrébine. Il a indiqué inscrire ses crimes dans une idéologie ultranationaliste et xénophobe. Alors qu’un mois avant, le 22 avril, la qualification de terrorisme n’avait pas été retenue par le parquet pour l’assassinat abject d’Aboubacar Cissé, jeune malien de 22 ans, qui a été frappé de plus d’une cinquantaine de coups de couteau dans la mosquée de la Grand-Combe. Son agresseur, filmant la scène, avant de la poster sur internet, lance en voyant la future victime dans la mosquée : « Il est noir, je vais le faire ». Avant d’ajouter : « Je l’ai fait (…), ton Allah de merde ! » en accompagnement de son acte. La difficulté à obtenir une reconnaissance juridique de la nature des faits tend évidemment à minimiser leur gravité et leur ampleur, les affaires étant bien souvent présentées comme de simples faits-divers, et les agresseurs comme des « déséquilibrés » agissant de manière impulsive.
La violence et la terreur comme mode d’expression
La violence contre les personnes est traditionnellement le mode d’action privilégié des mouvements d’extrême-droite pour imposer leur idéologie (Voir EC n°35). Et les faits ne manquent pas. En novembre 2024, à Roman‑sur‑Isère, une centaine de militants ont tenté de mener une expédition punitive dans le quartier de la Monnaie après le meurtre de Thomas à Crépol. Une situation similaire a eu lieu à Paris, où des individus affiliés à des groupuscules d’extrême-droite ont été suspectés de préparer une attaque contre des supporters marocains durant la Coupe du monde de football en décembre 2022. En novembre 2023 à Lyon, une rencontre sur la Palestine est violemment attaquée par une vingtaine de militants d’extrême-droite masqués et armés de bâtons, matraques et barres de fer. Des mortiers d’artifice sont tirés sur la porte du local où se tenait la rencontre. L’attaque fait sept blessés.
Plus récemment, en mai 2025, c’est le bar associatif sympathisant du Parti communiste, le Prolé, qui est la cible d’un groupe identitaire en marge de la Féria d’Alès, une douzaine de ses membres font irruption dans le bar assenant les personnes à l’intérieur de coups et de gaz lacrymogène. Depuis 2017, on dénombre environ 300 faits de violences d’extrême droite, visant notamment des militants de gauche et des minorités ethniques ou religieuses. Le canal Telegram Ouest Casual relayant des vidéos de ce type d’attaque, des appels à s’armer, et à tuer, malgré plusieurs fermetures du compte, affiche toujours plus d’une dizaine de milliers d’abonnés.
Depuis 2017, près d’une vingtaine de tentatives d’attentats ont été déjouées avant leur réalisation. Seize membres du groupuscule « Action des forces opérationnelles », dont l’objectif affiché est de s’opposer par tous moyens à la prétendue « islamisation de la France », passent en procès ce mois de juin 2025. Ils préparaient entre 2017 et 2018 des actions islamophobes comme empoisonner de la nourriture halal pour déclencher un effet de panique chez les musulmans, où faire exploser la porte d’une mosquée de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et de positionner des tireurs à longue distance aux abords.
Gangrène de la société
La présence de l’extrême-droite ne se limite pas aux actions d’intimidation dans la rue, elle diffuse son idéologie à travers les institutions. Un nombre grandissant d’élus de partis politiques tels que le Rassemblement national, dont les liens avec les groupuscules radicaux ne sont plus à démontrer, immiscent leurs théories racistes au sein des instances du pouvoir, tant au niveau national que local. Mais c’est le cas aussi avec la police et l’armée. Selon les sondages, ce sont près des 2/3 des policiers et gendarmes qui ont voté pour l’extrême-droite lors des dernières élections présidentielles. Et sans grande surprise, leur représentation professionnelle se positionne dans le même sens. Dans le contexte des révoltes consécutives au meurtre de Nahel à Nanterre en 2023 par un policier (voir EC n°34), les syndicats UNSA et Alliance n’ont pas hésité à qualifier les jeunes révoltés de « nuisibles ». Côté armée, le tableau n’est pas plus réjouissant. En avril 2021, une tribune signée par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier de militaires, appelait à une intervention contre l’« islamisme et les hordes de banlieue », menaçant d’une possible intervention militaire pour protéger les « valeurs civilisationnelles » (voir EC n°20).
Les lieux d’enseignement, dont l’université, sont également touchés. Début février 2025, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux montrent des militants du syndicat étudiant l’UNI faire des saluts nazis ou être en relation avec des groupuscules néofascistes dans plusieurs villes de France. En 2018, dans le contexte de la lutte des étudiants contre le Plan étudiant et la réforme du Baccalauréat, une milice fasciste attaque des étudiants mobilisés qui occupent la fac de droit et de sciences politiques de Montpellier avec la complicité du doyen et la participation de deux professeurs de droit de l’établissement.
Rôle de l’État et des médias
La sur-représentation des thèmes de l’extrême-droite dans les médias (immigration, insécurité, islam…), la mainmise du groupe Bolloré sur un certain nombre d’entre eux, mais aussi la facilité avec laquelle cette idéologie se propage sur les réseaux sociaux sans quasiment aucune limitation, ne peuvent que nourrir le terreau du fascisme et favoriser le passage à l’acte violent.
Au lieu de lutter efficacement contre ces groupuscules et la multiplication des actes violents commis par des individus affiliés à l’extrême-droite, l’État contribue à leur banalisation en propageant, à des niveaux élevés, des fantasmes racistes, tels que le concept de « submersion migratoire » et en établissant des liens entre immigration et insécurité. Jamais, auparavant, les discours de l’extrême droite n’avaient été repris aussi ouvertement par des membres d’un gouvernement. Et mis à part la dissolution administrative de quelques groupuscules, n’ayant que pour effets la reconstitution immédiate d’autres groupes et facilitant la porosité entre leurs membres, bien peu de mesures concrètes sont prises. Trois propositions de création de commissions d’enquête, initiées par des députés de la France Insoumise, portant sur la lutte contre les factions d’extrême-droite ont même été rejetées depuis 2022. Les néonazis peuvent ainsi défiler tranquillement en arborant leurs drapeaux ornés de croix celtiques et scander des slogans aussi pitoyables que « Europe submergée, Français en danger » ou « Bleu, Blanc, Rouge, la France aux Français » comme se fut le cas le 9 mai dernier dans les rues de Paris.
Lutter contre le fascisme
Lutter contre le fascisme ne se passera pas d’un combat à tous les niveaux, organisé par le bas, sur des bases sociales opposées à toute forme de discrimination et d’exploitation. De multiples moyens existent : comités d’autodéfense populaire, campagnes contre des médias tels que ceux de Bolloré, réappropriation de l’information pour contrer la propagande d’extrême-droite, présence et soutien lors d’attaques violentes… De nombreuses ripostes populaires et déterminées s’organisent. Le 2 mars dernier à Lorient, près de 2 000 personnes ont répondu à l’appel de plusieurs dizaines d’associations, syndicats et collectifs pour manifester contre l’extrême droite qui tente de s’implanter dans la région. Quelques jours plus tard à Paris, c’est le mouvement féministe qui repousse l’extrême-droite dans la rue en empêchant le collectif identitaire Némésis d’intégrer le cortège de la manifestation du 8 mars place de la République. Au Village de l’eau installé à Melle, dans les Deux-Sèvres, en juillet 2024, où 7 000 personnes ont convergé du monde entier pour dénoncer l’accaparement de l’eau, les multiples débats et tables rondes ont été l’occasion d’affirmer la nécessité de lier ce combat à celui contre l’extrême-droite, dont les idées progressent dangereusement dans les zones rurales.
Ainsi, la lutte antifasciste doit se mener de paire avec la diversité des luttes sociales, antiracistes, féministes, écologistes, décoloniales… déjà existantes, mais aussi avec les nombreuses actions de solidarité qui renforcent la cohésion sociale, associative et politique dans les quartiers et à la campagne. En bref, ne pas s’attaquer qu’aux conséquences du fascisme, mais également à ses causes.
[Fred]
1Streetpress, : CartoFaf : La Cartographie de l’extrême-droite radicale française – 5 nov. 2024
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L’histoire de la centrale de Gardanne date de 70 ans. De l’exploitation d’une mine de charbon par les Houillères (HBCM), elle est actuellement sous la houlette de Gazel Energie, groupe appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. L’électricité est désormais produite par la combustion de bois, ou du moins devrait l’être, car depuis 8 années, se succèdent autorisations d’exploiter, annulations des autorisations, entrecoupées de grèves longue durée par les ouvriers (cf.encadré)
Pourquoi ces soubresauts ? Plusieurs raisons à cela.
1) l’exploitant devenu privé, est passé des Houllières à la SNET, devenu E.ON France, puis à Uniper, a finalement été racheté par Gazel Energie. En rachetant Gazel Energie, Daniel Kretinsky, après avoir perdu des sommes conséquentes (1/3 de son chiffre d’affaires en 2016) devait s’afficher comme acteur incontournable de production d’électricité renouvelable.
2) En rachetant la centrale de Gardanne, Kretinsky héritait aussi d’une situation chaotique : d’une part, des ouvriers inquiets de perdre leur outil de travail se sont mis en grève, et d’autre part divers recours juridiques couraient toujours et ont bloqué une reprise des activités jusqu’à ce jour.
La situation actuelle
> La centrale est encore à ce jour (fin juin 2025) sans autorisation d’exploiter.
Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de M. Barnier d’autoriser un redémarrage prématuré, annoncé en novembre 2024 par la ministre de l’énergie Olga Givernet.
Et cerise sur le gâteau, l’État s’est engagé, via un contrat signé avec Gazel, au rachat de l’électricité de 100 millions € par an sur 8 ans afin d’assurer Gazel de vendre son énergie estimée à 4 fois le prix du marché.
> L’enquête publique qui vient de se terminer, sollicitait (enfin !) l’avis des personnes les plus concernées, c’est à dire les habitants des 16 départements du sud de la France où il est prévu d’abattre des résineux pour fournir la centrale.
A noter que cela ne suffisant pas, il faudra continuer à importer des bois du Brésil, ainsi que d’Espagne et d’Italie, sans compter le charbon (cendreux) encore nécessaire pour les plaquettes forestières importées – technique coréenne de lit fluidisé circulant1.
> Mais l’essentiel reste à venir.
Car l’objet de l’enquête publique, c’est à dire approvisionnement en bois dans un rayon de 250 km autour de Gardanne, nous concerne tou.te.s. Certaines communes sont ciblées (84 dans le Gard) mais d’autres n’y échapperont pas vu la quantité de bois nécessaire : 450 000 tonnes de bois par an dont 60 % « local ».
Ces prélèvements se feront avec toutes les conséquences invoquées dans les réponses (d’opposition au projet) à l’enquête publique, à savoir :
– impact sur le dérèglement climatique par 1) le gaz à effet de serre produit par les engins forestiers et divers transports et 2) par la réduction de captation de carbone par abattage des arbres ;
– perte de la biodiversité (faune et flore) présente dans nos forêts (voir encadré 2) ;
– dégradation des routes et chemins des Cévennes par les camions et engins forestiers.
Gazel aura probablement du mal à trouver des propriétaires consentants, du moins espérons-le. La réunion publique à Alès l’a bien montré, la petite centaine de personnes présentes a fortement exprimé son opposition à ce projet.
Désormais, au cas où le Préfet donne son accord, ce qui semble malheureusement probable, l’heure est à l’organisation afin d’empêcher ce désastre.
Encadré 1 : La Centrale de Gardanne, un feuilleton à rebondissements
1953 : les Houllières de Bassin du Centre et de Midi (HBCM) démarrent l’exploitation d’un gisement de charbon près de Gardanne pour produire de l’électricité. Avec une première centrale de 50MW
de 1953 à 1963 : 3 autres centrales (50MW, 50MW, 250MW) sont mises en route,
en 1981 : construction d’une cinquième (595MW),
A partir de 2000, seules la 4ème et la 5ème fonctionnent,
2003 : arrêt de l’exploitation, les Houillères passent le relai à la Société Nationale de l’Électricité et du Thermique, devenue E.ON France,
2010 : suite à un appel d’offre national, E.ON investit pour transformer l’unité 4 en centrale biomasse,
2012 : autorisation de la préfecture pour un démarrage par Uniper, filiale de E.ON,
2016 : scission des activités d’énergie fossile d’E.ON, Uniper poursuit l’exploitation avec du bois issu des coupes de forêts situés dans un rayon de 400 km autour de Gardanne. Cet approvisionnement se fait sans consultations et suscite de fortes et nombreuses oppositions (Conseils Généraux départements 04, 05 – Parcs naturels Lubéron, Baronnies – une centaine de communes, …). S’ajoutent à ces oppositions des difficultés techniques de fonctionnement,
juin 2017 : décision de suspension par le Tribunal administratif de Marseille (l’étude d’impact de ne concernait qu’un rayon de 3 km autour de la centrale), Uniper fait appel, le Préfet donne une autorisation provisoire (9 mois) le temps de constituer le dossier d’appel,
2017-2019 : un mouvement social bloque la centrale suite à l’annonce de la fin des centrales à charbon pour 2022,
2019 : Gazel Energie* rachète la centrale 4,
2020 : la centrale redémarre suite au rétablissement de l’autorisation d’exploiter par le tribunal, puis elle est à nouveau bloquée par une grève.
Mars 2023 : un recours juridique passe au Conseil d’État et annule l’autorisation d’exploitation,
novembre 2023 : l’appel est rejeté, le tribunal exige une enquête publique sous 12 mois sur l’étude des impacts directs et indirects,
Janvier 2025 : le gouvernement autorise le redémarrage sans enquête publique, celle-ci aura finalement lieu en mai 2025.
L’enquête a été organisée pour valider le nouveau plan d’approvisionnement en bois qui doit provenir de 16 départements et 324 communes, dans un rayon de 250 km autour de Gardanne.
Note 2 : Protégée, encore bien présente dans nos forêts
La salamandre*
Elle devient la compagne de nos luttes locales. Après le castor de La Borie, c’est aujourd’hui l’animal emblématique du Gard. Une marionnette géante – 3,50m – de ce petit amphibien de 20 cm à la belle robe noire tachetée de jaune, a été fabriquée en juin dernier (stages à La Grand Combe), elle est bien visible dans nos manifestations pour l’eau, la terre et la forêt. Elle nous a ainsi représenté.es en juillet 2024 au Village de l’eau à Melle (Deux-Sèvres), lors d’une expo locale sur le projet de bassines proches de la Cèze, puis à Nîmes, et dernièrement à Montpellier dans la manifestation avec les groupes régionaux en lutte contre l’accaparement de l’eau.
La salamandre est un amphibien qui, comme nous, est en grande difficulté car elle a besoin d’eau, d’humus riche en insectes et micro-organismes, donc de forêts humides. Elle est tributaire de l’eau fraîche : elle pond ses œufs dans des vasques au bord des rivières ou dans nos anciennes boutasses ou bassins, où elle passe seulement 2 ou 3 mois sous forme d’élégants têtards à branchies. Durant le reste de sa vie, souvent 20 à 30 ans, on la retrouve dans les forêts humides où subsiste de vieilles souches dans lesquelles elle s’abrite, riches en humus où elle trouve à manger.
En voie de disparition, comme bien d’autres êtres vivants, faune, flore et champignons, la salamandre trouve encore refuge dans nos forêts. Que restera-t-il après le saccage prévu pour Gardanne, ne respectant pas les règlements de coupes de bois et encore moins les recommandations de garder un couvert continu de branchages ?
L’animal, comme d’autres, nous montre que les résistances sont dans ces forêts ; après tout, c’est bien l’histoire politique de ces montagnes.