Contre la violence d’extrême-droite

L’extrême-droite gagne du terrain. Son idéologie se répand dans de larges sphères de la société. La recrudescence récente d’appels à la haine, d’attaques violentes et de meurtres, pourtant alarmants, ne semble pas pour l’heure provoquer de réactions à même d’endiguer la contagion. Le glaçant « Paris est nazi ! » proclamé en février dernier lorsqu’une trentaine d’individus cagoulés, armés de couteaux, venaient d’attaquer une projection associative et de passer à tabac un jeune syndicaliste de la CGT n’est pas sans rappeler le bruit des bottes sur les pavés de la capitale…

La menace fasciste se cache derrière une multitude de mouvances : des identitaires aux nationalistes, en passant par les royalistes, néonazis, suprémacistes, intégristes religieux, complotistes, ou encore accélérationnistes. Le média d’enquête StreetPress, a recensé 320 sections locales ou groupuscules d’extrême-droite actifs en France dans plus de 130 villes réparties sur tout le territoire1. Mais la radicalisation ne s’effectue pas uniquement à travers le recrutement traditionnel militant. Elle commence bien souvent sur le Net, du fait que l’idéologie d’extrême-droite y est prédominante, et que les propos sont relayés jusqu’aux plus hautes instances gouvernementales.

L’extrême-droite tue

L’extrême-droite tue partout en France. Les appels au meurtre et la glorification de la violence fasciste pullulent sur les réseaux sociaux. Les passages à l’acte deviennent une réalité de plus en plus inquiétante. En mars 2022, l’ancien rugbyman argentin Federico Martin Aramburu, a été abattu de plusieurs balles dans le dos à Paris par un ancien militant du Groupe union défense (GUD) suite à une altercation dans un bar. En décembre de la même année, un individu déjà impliqué dans une agression au sabre, ayant blessé deux personnes en 2021 dans un camp de migrants, a ouvert le feu devant le Centre culturel kurde rue d’Enghien à Paris, tuant trois personnes. En août 2024, à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, un responsable du groupuscule paramilitaire d’extrême droite « Brigade française patriote » a délibérément écrasé Djamel Bendjaballah à trois reprises, sous les yeux de sa fille de 10 ans. Ce meurtre à caractère raciste est survenu alors que la victime, insultée de « sale bougnoule » et de « sarrasin », avait déposé à trois reprises une plainte, toutes restées sans suite. Vingt armes ont été retrouvées au domicile du meurtrier, et deux autres dans son véhicule. Le groupuscule auquel il appartient, composé majoritairement d’anciens militaires, est très structuré et organise des entraînements physiques et paramilitaires dans une forêt à la frontière de l’Oise et de l’Aisne.

Le nombre d’homicides commis par des personnes appartenant à des groupuscules d’extrême-droite ou d’autres passant à l’acte de manière « isolée » est en forte augmentation ces dernières années. Cependant, les proches des victimes et leurs avocats rencontrent fréquemment des difficultés à faire reconnaître la nature raciste, islamophobe ou terroriste des faits. Le parquet national antiterroriste (PNAT) s’est ainsi saisi, pour la première fois, d’une enquête pour meurtre lié à l’extrême-droite, celui de Hichem Miraoui, abattu de plusieurs balles dans la commune de Puget-sur-Argens dans le Var le 31 mai dernier. Dans une vidéo diffusée juste avant son passage à l’acte, l’auteur du crime a appelé les Français à se révolter et tirer sur les personnes d’origines étrangères, notamment maghrébine. Il a indiqué inscrire ses crimes dans une idéologie ultranationaliste et xénophobe. Alors qu’un mois avant, le 22 avril, la qualification de terrorisme n’avait pas été retenue par le parquet pour l’assassinat abject d’Aboubacar Cissé, jeune malien de 22 ans, qui a été frappé de plus d’une cinquantaine de coups de couteau dans la mosquée de la Grand-Combe. Son agresseur, filmant la scène, avant de la poster sur internet, lance en voyant la future victime dans la mosquée : « Il est noir, je vais le faire ». Avant d’ajouter : « Je l’ai fait (…), ton Allah de merde ! » en accompagnement de son acte. La difficulté à obtenir une reconnaissance juridique de la nature des faits tend évidemment à minimiser leur gravité et leur ampleur, les affaires étant bien souvent présentées comme de simples faits-divers, et les agresseurs comme des « déséquilibrés » agissant de manière impulsive.

La violence et la terreur comme mode d’expression

La violence contre les personnes est traditionnellement le mode d’action privilégié des mouvements d’extrême-droite pour imposer leur idéologie (Voir EC n°35). Et les faits ne manquent pas. En novembre 2024, à Roman‑sur‑Isère, une centaine de militants ont tenté de mener une expédition punitive dans le quartier de la Monnaie après le meurtre de Thomas à Crépol. Une situation similaire a eu lieu à Paris, où des individus affiliés à des groupuscules d’extrême-droite ont été suspectés de préparer une attaque contre des supporters marocains durant la Coupe du monde de football en décembre 2022. En novembre 2023 à Lyon, une rencontre sur la Palestine est violemment attaquée par une vingtaine de militants d’extrême-droite masqués et armés de bâtons, matraques et barres de fer. Des mortiers d’artifice sont tirés sur la porte du local où se tenait la rencontre. L’attaque fait sept blessés.

Plus récemment, en mai 2025, c’est le bar associatif sympathisant du Parti communiste, le Prolé, qui est la cible d’un groupe identitaire en marge de la Féria d’Alès, une douzaine de ses membres font irruption dans le bar assenant les personnes à l’intérieur de coups et de gaz lacrymogène. Depuis 2017, on dénombre environ 300 faits de violences d’extrême droite, visant notamment des militants de gauche et des minorités ethniques ou religieuses. Le canal Telegram Ouest Casual relayant des vidéos de ce type d’attaque, des appels à s’armer, et à tuer, malgré plusieurs fermetures du compte, affiche toujours plus d’une dizaine de milliers d’abonnés.

Depuis 2017, près d’une vingtaine de tentatives d’attentats ont été déjouées avant leur réalisation. Seize membres du groupuscule « Action des forces opérationnelles », dont l’objectif affiché est de s’opposer par tous moyens à la prétendue « islamisation de la France », passent en procès ce mois de juin 2025. Ils préparaient entre 2017 et 2018 des actions islamophobes comme empoisonner de la nourriture halal pour déclencher un effet de panique chez les musulmans, où faire exploser la porte d’une mosquée de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et de positionner des tireurs à longue distance aux abords.

Gangrène de la société

La présence de l’extrême-droite ne se limite pas aux actions d’intimidation dans la rue, elle diffuse son idéologie à travers les institutions. Un nombre grandissant d’élus de partis politiques tels que le Rassemblement national, dont les liens avec les groupuscules radicaux ne sont plus à démontrer, immiscent leurs théories racistes au sein des instances du pouvoir, tant au niveau national que local. Mais c’est le cas aussi avec la police et l’armée. Selon les sondages, ce sont près des 2/3 des policiers et gendarmes qui ont voté pour l’extrême-droite lors des dernières élections présidentielles. Et sans grande surprise, leur représentation professionnelle se positionne dans le même sens. Dans le contexte des révoltes consécutives au meurtre de Nahel à Nanterre en 2023 par un policier (voir EC n°34), les syndicats UNSA et Alliance n’ont pas hésité à qualifier les jeunes révoltés de « nuisibles ». Côté armée, le tableau n’est pas plus réjouissant. En avril 2021, une tribune signée par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier de militaires, appelait à une intervention contre l’« islamisme et les hordes de banlieue », menaçant d’une possible intervention militaire pour protéger les « valeurs civilisationnelles » (voir EC n°20).

Les lieux d’enseignement, dont l’université, sont également touchés. Début février 2025, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux montrent des militants du syndicat étudiant l’UNI faire des saluts nazis ou être en relation avec des groupuscules néofascistes dans plusieurs villes de France. En 2018, dans le contexte de la lutte des étudiants contre le Plan étudiant et la réforme du Baccalauréat, une milice fasciste attaque des étudiants mobilisés qui occupent la fac de droit et de sciences politiques de Montpellier avec la complicité du doyen et la participation de deux professeurs de droit de l’établissement.

Rôle de l’État et des médias

La sur-représentation des thèmes de l’extrême-droite dans les médias (immigration, insécurité, islam…), la mainmise du groupe Bolloré sur un certain nombre d’entre eux, mais aussi la facilité avec laquelle cette idéologie se propage sur les réseaux sociaux sans quasiment aucune limitation, ne peuvent que nourrir le terreau du fascisme et favoriser le passage à l’acte violent.

Au lieu de lutter efficacement contre ces groupuscules et la multiplication des actes violents commis par des individus affiliés à l’extrême-droite, l’État contribue à leur banalisation en propageant, à des niveaux élevés, des fantasmes racistes, tels que le concept de « submersion migratoire » et en établissant des liens entre immigration et insécurité. Jamais, auparavant, les discours de l’extrême droite n’avaient été repris aussi ouvertement par des membres d’un gouvernement. Et mis à part la dissolution administrative de quelques groupuscules, n’ayant que pour effets la reconstitution immédiate d’autres groupes et facilitant la porosité entre leurs membres, bien peu de mesures concrètes sont prises. Trois propositions de création de commissions d’enquête, initiées par des députés de la France Insoumise, portant sur la lutte contre les factions d’extrême-droite ont même été rejetées depuis 2022. Les néonazis peuvent ainsi défiler tranquillement en arborant leurs drapeaux ornés de croix celtiques et scander des slogans aussi pitoyables que « Europe submergée, Français en danger » ou « Bleu, Blanc, Rouge, la France aux Français » comme se fut le cas le 9 mai dernier dans les rues de Paris.

Lutter contre le fascisme

Lutter contre le fascisme ne se passera pas d’un combat à tous les niveaux, organisé par le bas, sur des bases sociales opposées à toute forme de discrimination et d’exploitation. De multiples moyens existent : comités d’autodéfense populaire, campagnes contre des médias tels que ceux de Bolloré, réappropriation de l’information pour contrer la propagande d’extrême-droite, présence et soutien lors d’attaques violentes… De nombreuses ripostes populaires et déterminées s’organisent. Le 2 mars dernier à Lorient, près de 2 000 personnes ont répondu à l’appel de plusieurs dizaines d’associations, syndicats et collectifs pour manifester contre l’extrême droite qui tente de s’implanter dans la région. Quelques jours plus tard à Paris, c’est le mouvement féministe qui repousse l’extrême-droite dans la rue en empêchant le collectif identitaire Némésis d’intégrer le cortège de la manifestation du 8 mars place de la République. Au Village de l’eau installé à Melle, dans les Deux-Sèvres, en juillet 2024, où 7 000 personnes ont convergé du monde entier pour dénoncer l’accaparement de l’eau, les multiples débats et tables rondes ont été l’occasion d’affirmer la nécessité de lier ce combat à celui contre l’extrême-droite, dont les idées progressent dangereusement dans les zones rurales.

Ainsi, la lutte antifasciste doit se mener de paire avec la diversité des luttes sociales, antiracistes, féministes, écologistes, décoloniales… déjà existantes, mais aussi avec les nombreuses actions de solidarité qui renforcent la cohésion sociale, associative et politique dans les quartiers et à la campagne. En bref, ne pas s’attaquer qu’aux conséquences du fascisme, mais également à ses causes.

[Fred]

1Streetpress, : CartoFaf : La Cartographie de l’extrême-droite radicale française – 5 nov. 2024

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Nos forêts ne verdiront pas la centrale de Gardanne

L’histoire de la centrale de Gardanne date de 70 ans. De l’exploitation d’une mine de charbon par les Houillères (HBCM), elle est actuellement sous la houlette de Gazel Energie, groupe appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. L’électricité est désormais produite par la combustion de bois, ou du moins devrait l’être, car depuis 8 années, se succèdent autorisations d’exploiter, annulations des autorisations, entrecoupées de grèves longue durée par les ouvriers (cf.encadré)

Pourquoi ces soubresauts ? Plusieurs raisons à cela.

1) l’exploitant devenu privé, est passé des Houllières à la SNET, devenu E.ON France, puis à Uniper, a finalement été racheté par Gazel Energie. En rachetant Gazel Energie, Daniel Kretinsky, après avoir perdu des sommes conséquentes (1/3 de son chiffre d’affaires en 2016) devait s’afficher comme acteur incontournable de production d’électricité renouvelable.

2) En rachetant la centrale de Gardanne, Kretinsky héritait aussi d’une situation chaotique : d’une part, des ouvriers inquiets de perdre leur outil de travail se sont mis en grève, et d’autre part divers recours juridiques couraient toujours et ont bloqué une reprise des activités jusqu’à ce jour.

La situation actuelle

> La centrale est encore à ce jour (fin juin 2025) sans autorisation d’exploiter.

Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de M. Barnier d’autoriser un redémarrage prématuré, annoncé en novembre 2024 par la ministre de l’énergie Olga Givernet.

Et cerise sur le gâteau, l’État s’est engagé, via un contrat signé avec Gazel, au rachat de l’électricité de 100 millions € par an sur 8 ans afin d’assurer Gazel de vendre son énergie estimée à 4 fois le prix du marché.

> L’enquête publique qui vient de se terminer, sollicitait (enfin !) l’avis des personnes les plus concernées, c’est à dire les habitants des 16 départements du sud de la France où il est prévu d’abattre des résineux pour fournir la centrale.

A noter que cela ne suffisant pas, il faudra continuer à importer des bois du Brésil, ainsi que d’Espagne et d’Italie, sans compter le charbon (cendreux) encore nécessaire pour les plaquettes forestières importées – technique coréenne de lit fluidisé circulant1.

> Mais l’essentiel reste à venir.

Car l’objet de l’enquête publique, c’est à dire approvisionnement en bois dans un rayon de 250 km autour de Gardanne, nous concerne tou.te.s. Certaines communes sont ciblées (84 dans le Gard) mais d’autres n’y échapperont pas vu la quantité de bois nécessaire : 450 000 tonnes de bois par an dont 60 % « local ».

Ces prélèvements se feront avec toutes les conséquences invoquées dans les réponses (d’opposition au projet) à l’enquête publique, à savoir :

– impact sur le dérèglement climatique par 1) le gaz à effet de serre produit par les engins forestiers et divers transports et 2) par la réduction de captation de carbone par abattage des arbres ;

– perte de la biodiversité (faune et flore) présente dans nos forêts (voir encadré 2) ;

– dégradation des routes et chemins des Cévennes par les camions et engins forestiers.

Gazel aura probablement du mal à trouver des propriétaires consentants, du moins espérons-le. La réunion publique à Alès l’a bien montré, la petite centaine de personnes présentes a fortement exprimé son opposition à ce projet.

Désormais, au cas où le Préfet donne son accord, ce qui semble malheureusement probable, l’heure est à l’organisation afin d’empêcher ce désastre.

Encadré 1 : La Centrale de Gardanne, un feuilleton à rebondissements

1953 : les Houllières de Bassin du Centre et de Midi (HBCM) démarrent l’exploitation d’un gisement de charbon près de Gardanne pour produire de l’électricité. Avec une première centrale de 50MW

de 1953 à 1963 : 3 autres centrales (50MW, 50MW, 250MW) sont mises en route,

en 1981 : construction d’une cinquième (595MW),

A partir de 2000, seules la 4ème et la 5ème fonctionnent,

2003 : arrêt de l’exploitation, les Houillères passent le relai à la Société Nationale de l’Électricité et du Thermique, devenue E.ON France,

2010 : suite à un appel d’offre national, E.ON investit pour transformer l’unité 4 en centrale biomasse,

2012 : autorisation de la préfecture pour un démarrage par Uniper, filiale de E.ON,

2016 : scission des activités d’énergie fossile d’E.ON, Uniper poursuit l’exploitation avec du bois issu des coupes de forêts situés dans un rayon de 400 km autour de Gardanne. Cet approvisionnement se fait sans consultations et suscite de fortes et nombreuses oppositions (Conseils Généraux départements 04, 05 – Parcs naturels Lubéron, Baronnies – une centaine de communes, …). S’ajoutent à ces oppositions des difficultés techniques de fonctionnement,

juin 2017 : décision de suspension par le Tribunal administratif de Marseille (l’étude d’impact de ne concernait qu’un rayon de 3 km autour de la centrale), Uniper fait appel, le Préfet donne une autorisation provisoire (9 mois) le temps de constituer le dossier d’appel,

2017-2019 : un mouvement social bloque la centrale suite à l’annonce de la fin des centrales à charbon pour 2022,

2019 : Gazel Energie* rachète la centrale 4,

2020 : la centrale redémarre suite au rétablissement de l’autorisation d’exploiter par le tribunal, puis elle est à nouveau bloquée par une grève.

Mars 2023 : un recours juridique passe au Conseil d’État et annule l’autorisation d’exploitation,

novembre 2023 : l’appel est rejeté, le tribunal exige une enquête publique sous 12 mois sur l’étude des impacts directs et indirects,

Janvier 2025 : le gouvernement autorise le redémarrage sans enquête publique, celle-ci aura finalement lieu en mai 2025.

L’enquête a été organisée pour valider le nouveau plan d’approvisionnement en bois qui doit provenir de 16 départements et 324 communes, dans un rayon de 250 km autour de Gardanne.

*https://gazelenergie.fr/centrale-thermique-de-provence/

Note 2 : Protégée, encore bien présente dans nos forêts

La salamandre*

Elle devient la compagne de nos luttes locales. Après le castor de La Borie, c’est aujourd’hui l’animal emblématique du Gard. Une marionnette géante – 3,50m – de ce petit amphibien de 20 cm à la belle robe noire tachetée de jaune, a été fabriquée en juin dernier (stages à La Grand Combe), elle est bien visible dans nos manifestations pour l’eau, la terre et la forêt. Elle nous a ainsi représenté.es en juillet 2024 au Village de l’eau à Melle (Deux-Sèvres), lors d’une expo locale sur le projet de bassines proches de la Cèze, puis à Nîmes, et dernièrement à Montpellier dans la manifestation avec les groupes régionaux en lutte contre l’accaparement de l’eau.

La salamandre est un amphibien qui, comme nous, est en grande difficulté car elle a besoin d’eau, d’humus riche en insectes et micro-organismes, donc de forêts humides. Elle est tributaire de l’eau fraîche : elle pond ses œufs dans des vasques au bord des rivières ou dans nos anciennes boutasses ou bassins, où elle passe seulement 2 ou 3 mois sous forme d’élégants têtards à branchies. Durant le reste de sa vie, souvent 20 à 30 ans, on la retrouve dans les forêts humides où subsiste de vieilles souches dans lesquelles elle s’abrite, riches en humus où elle trouve à manger.

En voie de disparition, comme bien d’autres êtres vivants, faune, flore et champignons, la salamandre trouve encore refuge dans nos forêts. Que restera-t-il après le saccage prévu pour Gardanne, ne respectant pas les règlements de coupes de bois et encore moins les recommandations de garder un couvert continu de branchages ?

L’animal, comme d’autres, nous montre que les résistances sont dans ces forêts ; après tout, c’est bien l’histoire politique de ces montagnes.

* https://www.foretprimaire-francishalle.org/s-informer/la-salamandre-animal-des-forets-en-bonne-sante/

1https://www.bioenergie-promotion.fr/54106/plongee-dans-les-entrailles-de-la-centrale-biomasse-de-gardanne/

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Les nostalgiques de « l’Algérie française » en embuscade

Les relations qu’entretient la France avec l’Algérie ont toujours été déterminées par le passé colonial, un passé qui pour beaucoup ne passe pas. Les relents revanchards ont de tous temps traversé le débat public français, jusqu’à aller clamer « le rôle positif » de la colonisation1.

Alors que la reconnaissance officielle des crimes commis en Algérie de 1830 à 1962 est quasiment impossible, les déclarations du candidat Emmanuel Macron en février 2017 à l’occasion d’une visite en Algérie détonent. Il a ainsi déclaré dans une interview à propos du colonialisme : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »2

Ces propos suscitent un énorme tollé en France et le débat qui aurait du porter sur la colonisation est dévié vers celui sur la « repentance » que pourtant les Algériens n’ont jamais demandé. Ces derniers voudraient que la France officielle regarde son passé en face et reconnaisse ses crimes. Entre temps, le président Macron a bien voulu concéder quelques « bavures » – l’assassinat de quelques personnalités de la résistance algérienne, la répression du 17 octobre 1961 à Paris qui a fait des dizaines de morts – mais on est encore loin du compte. Tout le travail de mémoire amorcé sur les deux rives de la méditerranée se poursuit difficilement et pour cause…

Peu de temps après son investiture, le président Macron opère un virage à droite et dès septembre 2021, s’en prend à l’Algérie en accusant son système « politico-militaire » d’entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance. Et en octobre 2021, il reprend un leitmotiv de l‘extrême droite : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.3» On imagine l’exaspération du côté algérien !

Soufflant le chaud et le froid, Macron se rend en Algérie en août 2022 dans le but affirmé d’entamer une nouvelle dynamique dans les relations bilatérales pour « renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux » et « poursuivre le travail d’apaisement des mémoires », ce qui ne lui a pas vraiment réussi. En cinq ans, le discours de Macron sur la colonisation sera passé d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique », phrase répétée deux fois lors de ce séjour en 20224. La visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune prévue de longue date a depuis été plusieurs fois reportée.

Cependant les relations entre les deux États se sont dramatiquement dégradées lorsque le président Macron, dans une lettre au monarque marocain rendue publique par l’Elysée le 30 juillet 2024, déclare à propos du Sahara occidental occupé par le Maroc depuis 1975 : « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. (…) Pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue. Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant »5. La France piétine les résolutions de l’ONU qui considère le Sahara Occidental comme un territoire non autonome dont la décolonisation n’est pas terminée et préconise depuis 1991 l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui6. Connaissant la position de l’Algérie pour qui le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’autodétermination du peuple sahraoui sont une ligne rouge, Macron prend le risque d’une crise majeure pour satisfaire la droite et l’extrême droite en France.

Il n’en fallait pas tant pour que les médias de droite et en particulier ceux de la sphère Bolloré s’emparent du sujet en inversant les rôles. Selon ces médias, la crise ne serait pas le fait de la France mais de l’Algérie qui multiplierait les casus belli. Mais surtout, pendant des mois, ce n’est plus le président Macron qui s’exprime sur l’Algérie mais ses ministres en particulier celui de l’Intérieur Bruno Retailleau. Comme si l’Algérie était redevenue une question de politique intérieure française rappelant le temps où elle était composée de trois départements français.

Un des sujets de prédilection des médias et politiques revanchards, et cela ne date pas d’aujourd’hui, concerne l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation que l’extrême droite, sans surprise, remet régulièrement sur le tapis. C’est l’ancien ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt, proche du Rassemblement national, qui en mai 2023 exhume cet accord oublié en raison de sa caducité. Le diplomate retraité multiplie les apparitions dans les médias pour le dénoncer car selon lui, « aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien ». En réalité, mais cela reste inaudible dans les médias, cet accord a été vidé de son contenu au cours des ans et n’a aucun effet sur les flux migratoires »7. Cependant pendant des semaines, commentateurs et politiques s’échinent à ressasser que les Algériens bénéficieraient d’un statut privilégié en France et que l’Algérie s’en montrerait si peu reconnaissante.

Driencourt et consorts ont alimenté une machine médiatique au service des nostalgiques de l’Algérie française qui ne cherchent qu’à en découdre avec l’Algérie indépendante. Plusieurs sujets phares de l’extrême droite sont brandis : Qu’il s’agisse d’immigration, de visas et en particulier de visas santé, de « repentance », des OQTF, de la détention de Boualem Sansal en Algérie etc., les faits avancés sont souvent faux, biaisés, réducteurs etc. Pour le dire clairement, le gouvernement algérien et les présidents algériens n’ont jamais exigé de la France une quelconque repentance. Il s’agit de reconnaissance des crimes coloniaux et d’en endosser la responsabilité. Quant aux OQTF, il suffit de consulter les statistiques pour constater que le nombre de refoulements réalisés vers l’Algérie correspond proportionnellement à celui vers le Maroc8, lequel État ne subit pas les mêmes invectives de l’establishment français. Et pour finir, l’affaire Boualem Sansal est instrumentalisée par les milieux revanchards. L’écrivain algérien naturalisé français en 2024, ancien haut fonctionnaire dans l’administration algérienne converti à l’extrême droite française, a notamment déclaré dans un média d’extrême droite qu’une grande partie de l’ouest algérien serait historiquement marocain tout en décrétant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Si ses multiples provocations ne justifient pas une condamnation à 5 ans de prison, il faut tout de même rappeler que les protestations des politiques, intellectuels et autres artistes français sont bien sélectives. Qui de ces « indignés » parle de Georges Ibrahim Abdallah, militant de la cause palestinienne, emprisonné en France depuis 1984 et libérable depuis 1999 ? Qui s’inquiète du sort des militants kanaks injustement arrêtés et incarcérés en métropole ?

La fin de partie semblait enfin être sifflée en particulier pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui depuis des mois surfe notamment pour des raisons électorales sur la vague anti-Algérie. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, se rend à Alger le 7 avril dernier où il rencontre le président Tebboune. Il annonce vouloir revenir « à la normale »et« reconstruire un partenariat d’égal à égal, serein et apaisé »9. Mais voilà qu’à peine le calme rétabli, une proposition de résolution « appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal » est adoptée à l’Assemblée nationale le 6 mai à 307 voix pour et 28 contre. En fait, cette résolution n’est autre qu’une nouvelle attaque contre le gouvernement algérien dans le sens que l’article 35 « invite le gouvernement, la Commission européenne et le Conseil européen à veiller à ce que toute coopération renforcée avec l’Algérie soit subordonnée à des avancées concrètes et mesurables en matière d’État de droit et de libertés fondamentales, et à faire de la libération de Boualem Sansal une exigence préalable dans le cadre des discussions sur la modernisation de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie »10. On n’est plus dans la simple demande de la libération de l’écrivain emprisonné mais dans une volonté d’exacerber le conflit en le propulsant à un niveau européen. Du côté français, pour la première fois, certains n’hésitent pas à agiter la carte des sanctions contre des « dignitaires » algériens !

Les rapports entre les deux États n’ont jamais été si délétères. Et tant que la constance néocoloniale institutionnelle perdurera, il sera difficile de revenir à une relation apaisée basée sur le respect mutuel. Il y va pourtant du présent et de l’avenir de centaines de milliers de binationaux.

1 La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés avait inscrit dans son article 4 « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » ce qui a provoqué un tollé. Si ce passage a été retiré, l’article 1 en conserve l’esprit : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ».

2 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite

3 https://www.la-croix.com/Monde/Algerie-peut-vraiment-comparer-colonisation-francaise-loccupation-ottomane-2021-10-05-1201178982

4 https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/030922/intervention-choquante-de-lelysee-apres-une-tribune-publiee-dans-le-monde

5 https://orientxxi.info/magazine/sahara-occidental-une-manoeuvre-politicienne-et-risquee-du-president-macron,7560

6 Après le retrait de l’Espagne en 1975, le Maroc occupe le territoire et un conflit armé l’oppose au Polisario jusqu’au cessez le feu en 1991, date à laquelle l’ONU décide d’un référendum que le Maroc a toujours refusé. L’Algérie a toujours soutenu le plan d’indépendance du Sahara occidental et exige l’application du droit international.

7 https://orientxxi.info/magazine/en-finir-avec-l-accord-franco-algerien-de-1968-une-obsession-de-la-droite,6989

8 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/10/04/oqtf-comprendre-le-debat-sur-les-mesures-d-eloignement-des-etrangers-sans-papiers-en-france_6343837_4355770.html

9 https://www.franceinfo.fr/monde/afrique/algerie/crise-entre-alger-et-paris-jean-noel-barrot-annonce-une-nouvelle-phase-des-relations-avec-l-algerie_7175460.html

10 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1021_texte-adopte-commission#

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Épisode cévenol n°44

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Les mangeurs de terre

Les grands patrons se frottent les mains. Il faut reconnaître que la supercherie est de taille : justifier la relance de l’industrie minière en Europe – l’une des activités les plus toxique et énergivore qui soit, sous couvert d’assurer le déploiement des énergies « vertes » nécessaires à la transition énergétique, il fallait oser !

Car la relance de l’activité minière sur le sol Européen est bien en cours. Face à la vertigineuse explosion des besoins en ressources minérales (en vingt ans, les volumes de métaux extraits dans le monde ont doublé), les dirigeants européens ne veulent pas demeurer en reste face à leurs concurrents russes ou chinois, et réduire un tant soit peu leur dépendance. Bien que peu médiatisée, cette nouvelle ruée minière est planifiée depuis plusieurs années déjà. En France, le rapport Varin de 2022 vise à sécuriser l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales, l’annonce par le gouvernement français en 2023 de mesures de simplification administratives doit permettre d’accélérer les procédures minières, le règlement européen sur les matières premières critiques (Critical Raw Matérials Act) de 2024 fixe comme objectif une capacité d’extraction de 10 % de la consommation annuelle Européenne sur son territoire d’ici à 2030.

Et pour faire suite à l’annonce du chef du gouvernement de 2023 indiquant que la France doit faire évaluer son propre potentiel, c’est tout un programme d’identification des ressources qui vient d’être annoncé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en février 2025. Ce vaste inventaire, d’un montant de 53 millions d’euros et d’une durée prévisionnelle de 5 ans, va être mené sur cinq grandes zones du territoire métropolitain, dont une allant des Pyrénées aux Cévennes. La Guyane vient d’être ajoutée le 20 mars dernier à la liste des territoires dont le sous-sol sera étudié. Il n’y a donc que peu de doutes quant à l’intention d’ouvrir de nouvelles mines en France d’ici quelques années dans les zones qui s’avéreront propices à l’extraction. Une vingtaine de demandes de permis ont déjà été déposées sur le territoire métropolitain, et plus de 170 en Europe.

Seul bémol, s’il est assez aisé d’aller dévaster la planète et de créer des désordres sociaux à l’autre bout du monde (néocolonialisme oblige, les conditions de travail, les normes environnementales et l’emprise d’organismes financiers tels le FMI ou la Banque Mondiale génèrent un contexte nettement plus propice qu’en occident…), le faire en Europe demeure plus compliqué. Les industrieux chef d’entreprises l’ont bien compris : se pose la question de l’acceptabilité sociale. Et il n’est pas certain que l’emploi d’oxymores fallacieux tels que « mine verte » ou « mine responsable » suffisent à faire passer la pilule auprès de populations ne voyant pas forcement d’un bon œil que soient disséminés partout autour de chez elles des rejets de métaux toxiques tels le plomb, le mercure ou l’arsenic.

C’est ainsi qu’un subtil subterfuge a été trouvé. Comme l’indique la commission européenne : « Pour réaliser la transition, il faudra renforcer la production locale de batteries, de panneaux solaires, d’aimants permanents et d’autres technologies propres (c’est nous qui soulignons !) ». Évidemment, l’alibi louable de la transition passe mieux que si l’objectif premier était révélé : poursuivre le développement exponentiel du secteur des objets connectés et des centres de données numériques (datacenters), ceux de l’aérospatiale ou de l’armement. Tel le cailloux qui cache la carrière, c’est au nom de la transition énergétique que la relance minière européenne doit se faire.

Célia Izoard, journaliste et philosophe, autrice de l’ouvrage « La ruée minière au XXIème siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition », résume clairement l’hypocrisie : « Notre civilisation a besoin d’un sevrage métallique, autant qu’un sevrage énergétique. Continuer à faire croire, comme le fait l’Agence Internationale de l’Énergie, qu’il est possible de supprimer les émissions carbones en électrifiant le système énergétique mondial est un mensonge criminel. On ne peut miser sur les énergies renouvelables qu’en réduisant drastiquement la production et la consommation. Et cela nécessite des bouleversements majeurs que les élites du capitalisme mondialisé refusent de faire. »

Pour donner un ordre de grandeur, si l’on voulait électrifier l’ensemble du parc automobile d’un pays comme la Grande Bretagne, il faudrait utiliser 2 fois la production mondiale de cobalt, les 3/4 de celle de lithium, et la moité de celle de cuivre. Et tout cela pour un secteur unique et pour un seul pays… Inutile de creuser plus loin la question, l’impasse de tels projets est assez criante. Soit il faudrait des décennies pour obtenir les matières premières suffisantes à l’électrification du système énergétique mondial, et donc ainsi rater le coche de la décarbonation, soit il faudrait extraire des quantités de manière pharamineuses partout dans le monde au prix d’aggraver encore plus les conséquences du changement climatique.

Car en effet, les mines jouent un rôle central dans plusieurs enjeux écologiques majeurs : le climat (par leur contribution aux émissions carbone, les mines si « vertes » qu’elles soient fonctionnent à l’énergie fossile), la perte de biodiversité (du fait de l’implantation de mines dans les zones les plus reculées du monde), la raréfaction des ressources (en premier lieu l’eau potable et les terres cultivables) et les risques sanitaires et environnementaux (étant donné l’ampleur des catastrophes industrielles qu’elles peuvent provoquer). Cela sans parler des conséquences sociales toutes aussi désastreuses : exploitation salariale, travail des enfants, assassinats d’opposants à ce type de projet, renforcement des conflits armés, conditions de vie détériorées des populations…

Là encore, quelques chiffres suffisent à montrer l’ampleur de la démesure : la teneur moyenne d’un gisement de cuivre est de l’ordre de 0,4 %, ce qui signifie que 99,6 % des roches extraites seront rejetées sous forme de déchets, de résidus extrêmement dangereux ou de boues stériles. Les conséquences de l’extractivisme ne sont pas maîtrisées : la pollution minière est irréversible, il n’est pas possible de décontaminer ce qui est déversé dans l’environnement. Mais les mines posent également le problème de l’accaparement de la ressource en eau : une grande mine de cuivre consomme en moyenne 110000 m³ d’eau par jour. Quand on sait que les 3/4 des sites miniers sont situés dans des zones menacées par le manque d’eau, et que les conflits d’usage y sont déjà souvent prégnants, qu’en sera t-il lorsque les périodes de sécheresses seront encore accrues par le réchauffement climatique ?

Évidemment, si l’industrie sait calculer au micro-gramme près la quantité de matière nécessaire à la fabrication d’un smartphone ou d’un alliage pour un Airbus, ce n’est pas ce type de préoccupation qui intéressent les prospecteurs… Il est plus commode de laisser aux populations locales concernées le soin de survivre au milieu de terres arides et polluées.

Des études montrent qu’il est prévu d’extraire plus de matières dans les vingt prochaines années que dans toute l’histoire de l’humanité, mais malgré cela, la question de l’« après-mine » – selon le terme consacré, n’est toujours pas considérée. De nombreux habitants confrontés à ces pollutions tentent de faire reconnaître le préjudice qu’ils ont subi et d’obtenir un minimum de mise en sécurité des territoires contaminés où ils vivent. Mais la réponse des pouvoirs publics et des industriels demeurent dans la grande majorité des cas une minimisation des impacts environnementaux, quand ce n’est un déni pur et simple…

Célia Izoard nous montre dans son ouvrage que l’histoire du capitalisme est l’histoire d’une civilisation extractiviste. Elle nous incite à la réflexion en nous racontant comment est perçu le monde occidental venu piller depuis des siècles les ressources premières sur chaque continent. Le peuple autochtone amazonien Yanomami nomme ainsi les colons extractivistes les « mangeurs de terre »… Une métaphore éloquente permettant sûrement de questionner un modèle de développement économique prédateur qui a été imposé sans concertation et de reconsidérer la part des usages qui relèvent du profit productiviste de celle des besoins essentiels de subsistance. S’opposer à l’industrie minière pour ce qu’elle incarne dans ses fondements profonds relève alors d’une nécessité des plus urgentes.

[Fred]

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TOTALEnergies au salon de l’agriculture ?

Comment aurait-on pu imaginer, il y a seulement 10 ans, que ces 2 mondes se rencontrent et aillent jusqu’à nouer des partenariats ?

Qui est TotalEnergies ? La multinationale de l’énergie, top 4 au niveau mondial, certes, mais il nous semble nécessaire de préciser un peu sur ses « prouesses ».

Oui, elle produit de l’« énergie verte », on y reviendra plus bas, mais, avant tout, chaque année sa production d’hydrocarbures augmente : avec un résultat net ajusté en hausse de 8% pour 2024, TotalEnergies prévoit 3 % d’augmentation de production pour l’année 2025, en particulier grâce aux cinq projets majeurs lancés en 2024 (Mero-2 et Mero-3 au Brésil, Anchor aux Etats-Unis, Fenix en Argentine et Tyra au Danemark) qui contribueront à la croissance de la production attendue pour 20251, croissance confirmée par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)2. Ce qui rassure les actionnaires qui ont déjà vu leurs dividendes, au titre de 2024, portés à 3,22 €/action, soit une hausse de 7,0% par rapport au dividende de l’exercice 2023.

Ajoutons à cela que ce groupe pétrogazier, « champion national » par excellence, est régulièrement accusé de ne payer aucun impôt dans l’Hexagone alors même qu’il affiche des bénéfices très confortables à l’échelle mondiale. Les chiffres le confirment… ils indiquent qu’en 2019, 2020 et 2021, et à nouveau en 2023, TotalEnergies n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France. Même les années où TotalEnergies déclare un bénéfice en France et est effectivement censé payer l’impôt sur les sociétés, il semble y avoir toujours une raison pour laquelle le groupe arrive tout de même à réduire son ardoise finale. En 2022, sur un impôt sur les sociétés théoriques de 122 millions de dollars en France, TotalEnergies n’a versé au fisc que 19 millions. Rappelons que le groupe a affiché ces trois mêmes dernières années des profits historiques, de 14,2, 19,2 et 19,3 milliards d’euros3.

Certes, TotalEnergies produit de l’énergie verte (panneaux solaires et éoliennes), mais qu’en est-il exactement ? De fait, la production d’« énergies vertes » ne dépasse pas actuellement 10 % de la production totale (exploration, production – pétrole, gaz – raffinage, chimie) et vise 15 % à l’horizon 2030.

Et cette production, que TotalEnergies souhaite augmenter, vise à stocker l’électricité produite dans d’immenses parcs à batteries, 40 conteneurs sont prévus, nous confirme ainsi sa position de leadership européen dans le stockage stationnaire de taille industrielle. C’est un projet de stockage qui va contribuer 24h/24, 7j/7 aux besoins du réseau haute-tension de transport européen et belge et qui va compenser l’intermittence introduite par les énergies renouvelables et ainsi permettre leur développement4.

Tout cela nous emmène bien loin de l’agriculture !

Qu’est donc venu faire TotalEnergies au Salon de l’Agriculture ?

En fait, la société avait besoin de mettre en lumière le protocole de coopération signé avec le syndicat des Jeunes Agriculteurs (notons au passage que la FNSEA avait déjà signé un partenariat avec Total en 2022 pour développer des projets visant à produire de l’électricité, du biométhane et des biocarburants5).

« Le nouveau cadre de coopération signé ce jour entre TotalEnergies et Jeunes Agriculteurs couvre les domaines suivants :

  • Le développement de solutions énergétiques durables adaptées aux exploitations et aux filières agricoles (biogaz, agrivoltaïsme).Une installation photovoltaïque est dite « agrivoltaïque » lorsqu’elle est située sur la même parcelle qu’une production agricole6
  • L’accompagnement de jeunes agriculteurs dans la mise en place de pratiques plus économes en énergie.
  • L’innovation technologique via la mise en place de projets pilotes d’agri-énergies et leur suivi expérimental.
  • Le financement de projets liés à la transition énergétique qui respectent les plans et contrats d’avenir élaborés par Jeunes Agriculteurs.

TotalEnergies et Jeunes Agriculteurs partagent une volonté commune d’apporter des solutions et outils adaptés aux enjeux et besoins des agriculteurs.7 »

Examinons d’un peu plus près ces assertions :

> Développement des solutions énergétiques durables :

Dans le Gard, ce sont plus de 1.000 ha de terres agricoles qui sont déjà ou vont être sacrifiées pour produire de l’énergie qui servira à valoriser la transition énergétique voulue par nos élites capitalistes et qui bénéficiera en tout premier lieu aux actionnaires des différentes sociétés.

TotalEnergies n’est pas la seule qui en bénéficiera. Notons en particulier Voltalia, qui porte une grande partie des projets dans le Gard. C’est une société détenue par la famille Milliez présente aussi chez Auchan, Décathlon, Top Office, Jules, Boulanger, Kiloutou, ….

> Accompagnement de jeunes agriculteurs dans la mise en place de pratiques plus économes en énergie

Il est certain qu’il va falloir convaincre, car demander aux agriculteurs de mettre de côté, en grande partie, leur activité agricole est plus du domaine de la supercherie. Probablement, l’argument du revenu sera prioritaire, mais alors il faudra se questionner si ces personnes garderont leur statut d’agriculteurs, auront-ils toujours droit aux prestations MSA, aides PAC, ….. ?

> l’innovation technologique via la mise en place de projets pilotes d’agri-énergies : à partir d’une expérience de culture de nectariniers dans la plaine de la Crau, TotalEnergies via son centre d’expertise Ombrea, souhaite accélérer le développement des solutions alliant production solaire et production agricole . Mais, à ce jour, aucun bilan réel coût/bénéfice n’a été fait.

> le financement de projets liés à la transition énergétique : ce point est assez contradictoire avec le 2ème : en effet, le véritable objectif de la dite transition énergétique est bien une électrification généralisée de toute notre vie, que ce soit en termes de transports, de domotique, de communication, de formation …. et tout ceci avec une augmentation régulière de la demande énergétique. Ce ne peut donc pas être compatible avec la mise en place de pratiques(agricoles probablement?) économes en énergie, comme affirmé dans l’objectif n°2.

Mais, revenons à nos moutons : l’agriculture, qu’est-ce c’est ? pour intéresser autant Total ?

Le dictionnaire indique que « l’agriculture est un ensemble de travaux transformant le milieu naturel pour la production des végétaux et des animaux utiles à l’homme »

Les projets d’agri-énergies peuvent-ils répondre à cette définition ? Tant qu’un bilan des productions agricoles placées sous panneaux solaires n’est pas sérieusement fait, il nous paraît hasardeux de l’affirmer.

Or, comme il était dit plus haut, l’objectif de TotalEnergies est avant tout de produire de plus en plus d’énergie électrique, pour être un leader mondial. Alors la production agricole peut-elle parier sur de tels objectifs ? On sait bien que la terre, pour rester vivante, a besoin d’eau et de soleil, deux éléments essentiels dont elle sera privée sous les panneaux photovoltaïques. Et pensons aux agriculteurs qui, pour la plupart, font ce métier par amour de la nature et fierté de voir leurs productions maraîchères et fruitières s’épanouirent au soleil, leurs troupeaux se repaître dans des prés verdoyants ?

Nous perdons une fois de plus le sens de la vie.

La France a besoin d’énergie ! On nous le ressasse quotidiennement sur les ondes, dans les journaux, sinon c’est la récession, la perte de compétitivité, une dégradation de l’image de notre pays au niveau international. Mais est-ce cela que nous voulons ? aller forer, creuser partout dans le monde à la recherche d’hydrocarbures ? envahir, s’approprier les champs, les forêts de nos territoires, ici et ailleurs, pour y planter panneaux photovoltaïques et éoliennes ?

Alors que l’on pourrait avoir la plus belle image du monde avec de réels services publics, des campagnes verdoyantes et des rivières qui abreuvent les terres….

Non, nous ne voulons pas contribuer à poursuivre la dévastation de ce monde, en croissance perpétuelle, pour satisfaire les appétits capitalistes.

Nous voulons garder nos capacités à vivre ensemble, et pour cela récupérer nos terres, l’eau dont nous avons tous besoin pour vivre, et décider de notre avenir. [Jacqueline]

1 https://totalenergies.com/system/files/documents/totalenergies_cp-resultats-t4-2024_2025_fr.pdf

2 https://www.connaissancedesenergies.org/afp/la-croissance-de-la-consommation-mondiale-de-petrole-devrait-saccelerer-en-2025-selon-laie-250313

3 https://multinationales.org/fr/a-chaud/debunk/est-il-vrai-que-totalenergies-paie-ses-impots-la-ou-le-groupe-extrait-du

4 https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/integrated-power-renouvelables-totalenergies-lance-belgique-son-projet-stockage-batteries

5 https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/totalenergies-fnsea-sassocient-accompagner-transition-energetique-du-monde-agricole

6 https://agrivoltaisme.fr/

7 https://totalenergies.com/fr/actualites/communiques-presse/salon-lagriculture-jeunes-agriculteurs-totalenergies-renforcent-leur

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Etat de droit, état du droit

« Nous ne nous arrêterons pas. Je me fiche de ce que pensent les juges. (…) » (Tom Homan, le responsable de la frontière et des expulsions dans l’administration Trump)

« Désolé, Elon : même l’expulsion des membres de gangs illégaux doit respecter l’Etat de droit. » (Éditorial, New York Post)

Ces propos rapportés dans Le Monde du 18 mars dernier résument parfaitement le point de bascule où en sont les Etats Unis alors qu’aux régimes autoritaires de longue date (Chine, Corée du Nord, Iran, Égypte…) s’ajoutent ceux qui ont glissé vers ce modèle dans le flux d’une vague autoritaire qui englobe désormais, parmi les acteurs internationaux de premier plan, l’Inde de Narendra Modi et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. L’Europe n’est pas épargnée par le flot. L’illibéralisme du Hongrois Orban inspire les extrêmes droites du continent. Les néofascistes sont au pouvoir en Italie.
D’autres sont sur une pente dangereuse y compris le nôtre.

En effet, même si la récente décision du tribunal administratif de Toulouse annulant l’autorisation environnementale de l’autoroute A69 a montré que la justice conserve son indépendance, et que force reste à la loi en France, des tentatives scandaleuses de passer outre se sont très vite manifestées, venant qui plus est de la part d’élus – de tous bords. …

« Contester le fait qu’un juge puisse remettre en cause une décision de l’administration, c’est remettre en cause les fondements même de l’État de droit et de notre démocratie. Que des politiques et des parlementaires s’aventurent sur ce terrain-là, c’est extrêmement choquant et inquiétant », souligne Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris, dans Reporterre le 12 mars.

La proposition de « loi de validation de l’autoroute » portée par le député Philippe Bonnecarrère (divers droite) est une tentative de modifier l’état du droit de même nature que celles qui suivent désormais systématiquement les faits divers instrumentalisés à longueur d’antenne sur les media bolloréens.

En revanche, la déclaration de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qui estime que l’État de droit n’est “pas intangible, ni sacré”, est une attaque caractérisée contre un principe fondamental d’organisation de notre société qui garantit la démocratie ainsi que les droits et les libertés des citoyen·nes.

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau souligne la gravité de l’époque : « Nous sommes dans un moment historique où il y a une tension entre deux formes d’Etat : l’Etat de droit, où être élu par le peuple ne suffit pas ; l’Etat brutal, comme on le voit avec Trump, où l’élection est censée donner tous les droits. »i

Quelques événements récents montrent à quel point cette tension est à l’œuvre en France également.

Ainsi des révélationsii sur le scandale des eaux en bouteille : depuis 2021, plusieurs gouvernements ont manœuvré pour sauvegarder les intérêts commerciaux de Nestlé (y compris les sources Perrier de Vergèze, dans le Gard) et préserver une appellation d’eau minérale qui n’a plus de naturelle que le nom.

Contre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), les préfets ont été « autorisés » à valider un niveau de filtration contraire aux réglementations française et européenne, qui protège certes des contaminations bactériennes, mais pas des virus et qui surtout ne permet pas l’appellation d’eau minérale naturelle.

Comme le souligne un haut fonctionnaire qui a suivi le dossier :

« Cela pose un problème de démocratie car l’État a dévoyé la mission de ses propres services pour répondre aux exigences de Nestlé et sa balance commerciale. »

A l’inverse, des décisions de justice réaffirment la prééminence du droit sur les pressions politiques. C’est ce qui a permis à la « Marche nocturne féministe radicale » de se tenir le 7 mars dernier à Paris alors qu’elle avait été interdite par le préfet de police Laurent Nunez (France Info, 6 mars)

De la même façon un projet de mégascierie a été invalidé par le tribunal administratif en Corrèze, alors que les pouvoirs publics locaux avaient déjà exproprié les habitants des terrains convoités par l’entreprise pour son extension. (Médiapart, 10 mars 2025).

Une affaire beaucoup moins médiatisée que l’A69 qui s’est, elle, chargée d’enjeux politiques et même idéologiques puissants : l’état du droit et l’état de droit sont désormais des obstacles au maintien au pouvoir des dominants.

Pour Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme, (Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Gallimard), « Dans un contexte de croissance baissière pour les pays anciennement industrialisés, il n’y a plus de moyens de satisfaire les exigences des rendements financiers délirants, alors on revient aux bonnes vieilles méthodes de prédation : on va donc, à l’extérieur, saisir des territoires et, à l’intérieur, détruire l’État social et l’État de droit afin de revenir à une domination sans partage du patronat. »

Pour Quinn Slobodian, (« Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie », Seuil), nous allons vers « un capitalisme pur, débarrassé de toute contrainte démocratique et dominant un État minimal devenu une entreprise comme les autres ».

Pour Arnaud Orain, (Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, Flammarion), nous sommes désormais dans « un monde où les élites pensent que le gâteau ne peut pas grossir. Dès lors, la seule manière de préserver ou d’améliorer sa position, faute d’un système alternatif, devient la prédation ».

Pour Célia IZOARD, venue le 15 février dernier à Anduze pour présenter son livre (« La ruée minière au XXIème siècle », Seuil), « la mine et les métaux sont devenus le deus ex-machina de la décarbonation. Une industrie accusée depuis des décennies par les peuples autochtones de la planète de génocide et d’ethnocide se positionne aujourd’hui en leader climatique. Cette nouvelle fonction salvatrice justifie la mise en place de régimes d’exception destinés à accaparer des terres restées collectives »

Le débat qui a suivi son intervention a surtout exploré les capacités de lutte qui permettraient localement d’empêcher l’installation de mines en Cévennes. La question de l’état de droit comme condition de la lutte reste également essentielle.

Si, comme le soulignait Célia Izoard en introduction de son propos, nous avons pu penser ici que l’époque minière faisait partie du passé, c’est peut-être aussi parce que notre cadre institutionnel et juridique permet encore (même de façon imparfaite et malgré les attaques) à la volonté citoyenne de se faire entendre et respecter sans risquer sa vie.

C’est pourquoi il est si important de ne rien lâcher sur le principe essentiel de l’état de droit qui garantit contre l’arbitraire, borne la puissance de l’état (et c’est particulièrement important lorsque celui-ci est si évidemment au service des dominants), et permet d’expérimenter des formes de vie collective et autonome en dehors du marché et du capitalisme. [Maire Motto-Ros]

i https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/03/07/il-ne-faudrait-pas-decouvrir-la-valeur-de-l-etat-de-droit-une-fois-perdu-l-alerte-de-hauts-magistrats-francais_6576867_823448.html

ii https://www.mediapart.fr/journal/france/210125/scandale-des-eaux-en-bouteille-le-pouvoir-politique-au-service-de-nestle

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Épisode cévenol n°43

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La morale des autres, ou la nôtre

« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres » Léo Ferré, « Préface », 1973

Si l’appel à la morale se fait moins fréquent ou moins explicite aujourd’hui, le bon sens a pris la place comme fournisseur d’un argument d’autorité qui peut être mis au service de n’importe quelle idée, fût-elle la plus dangereuse. Et les médiacrates comme le personnel politique ne s’en font pas faute.i

Donald Trump lui-même s’en est prévalu dans son discours de victoire le 6 novembre dernier « Vous savez, nous sommes le parti du bon sens.”ii

Or ce « bon sens », comme la morale visée par Ferré, est surtout mis au service des idées réactionnaires et des populismes d’extrême droite qui triomphent un peu partout dans le monde.

Ainsi en est-il de la dette de l’état français qui, en quelques mois, a été qualifiée par un pouvoir à la botte du Rassemblement National de « gérable et alourdie », puis de « préoccupante et soutenue », pour finalement devenir « explosive et colossale », phagocytant les discussions sur un budget qui en est à son troisième essai, et occultant les urgences sociales et écologiques qui s’aggravent, elles, véritablement, de jour en jour.

Mais qui prête à l’État français ? 53,2% de ses créanciers sont à l’étranger : des banques, des fonds de pensions et des assurances qui prêtent, avec des intérêts évidemment.

Et puisqu’on en est aux intérêts (pas l’intérêt général surtout, on parle bien d’intérêts privés), on apprend qu’en 2025, les grandes sociétés (souvent les mêmes qui prêtent aux États) devraient verser 459 milliards d’euros à leurs actionnaires.

On voit bien de quel bon sens il s’agit : pas celui des 5,1 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté officiel (Insee, 2022) ou celui des 532 enfants malades du scorbut (France Info, 20 décembre 2024 : “Il y a actuellement en France une population d’enfants âgés de 5 à 10 ans qui sont exposés à une carence alimentaire profonde… »)

Toujours concernant les enfants, la morale resurgit sur le thème de cette dette qui « pèse sur les épaules de nos enfants ». Mais ce qui pèse sur les épaules des générations futures, ce sont les choix politiques qui font ruisseler les richesses toujours vers le haut (jusqu’aux paradis fiscaux…) et qui exonèrent les multinationales de leurs responsabilités. On apprend par exemple (Le Monde,14 janvier) que 100 milliards d’euros seraient nécessaires pour la décontamination des terres européennes empoisonnées par les polluants éternels (PFAS, voir article « Solvay et les PFAS dans ce numéro d’Episode Cévenol).

Et dans le même temps et le même journal que les décisions au niveau européen visant à une interdiction de ces polluants sont entravées avec beaucoup d’énergie par la plus puissante organisation de lobbying d’Europe, le Conseil européen de l’industrie chimique Cefic, qui consacre, chaque année, plus de 10 millions d’euros à son lobbying. Voilà la morale des multinationales que le soi-disant bon sens conduit à soutenir, et voilà la morale de leurs dirigeants.

Le soi-disant bon sens est en réalité un appel déguisé à la bonne vieille morale, celle de la fable de La Fontaine « Le laboureur et ses enfants » : « Travaillez, travaillez, il en restera toujours quelque chose » (XVIIème siècle), jusqu’à Macron (2016) : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! »

Et de vanter le soi-disant mérite des ultra riches qui ne devraient leur réussite qu’à leur travail acharné…

Cette idée est fausse : 7 des 9 Français.es devenu.es milliardaires en 2024 sont des super-héritier.esiii.

PEU DE MÉRITE, DONC, PAS NON PLUS D’HONNÊTETÉ

Car ils mentent sans vergogne, pour préserver leur puissance et leurs profits : « La liberté d’expression implique précisément le droit de diffuser de fausses informations » ose ainsi le fils d’un ancien président de la république. Il faut dire que le géniteur est un artiste en la matière : il fait son show en ce moment même devant un tribunal.

Le droit de dire des choses fausses, c’est ce que Donald Trump a nommé post-vérité, où ce qui est faux devient un fait alternatif. Cette façon de procéder s’accompagne également d’une attaque contre le fact-checking (vérification de contenus déjà publiés, sur les réseaux sociaux notamment, visant à établir ce qu’on sait, ou pas, d’un sujet).

La post-vérité, c’est savoir que ce qu’on dit est faux, se battre pour pouvoir le dire et s’attaquer à ceux qui disent que c’est faux. Ça s’appelle piétiner l’éthique.

De quelles personnalités politiques et de quels bords vient la désinformation (fake, hoax, rumeur, théories du complot) ?

Une étude qui utilise une base de données de 32 millions de tweets venant des parlementaires de 26 pays montre que la désinformation vient essentiellement de l’extrême droite qui en fait un usage quasi industriel, et de façon très nette.iv

Ceux qui sont au pouvoir, ceux qui veulent y parvenir, ceux qui l’ont exercé, et pas seulement aux États-Unis assument aujourd’hui, de plus en plus souvent, que ce qui est vrai, c’est ce que les gens ressentent, plutôt que ce qui se passe vraiment. Et ils ont les moyens de peser sur le ressenti des gens. Une stratégie qui fait la réussite des populistes partout dans le monde…

Leur morale n’a pas d’existence ailleurs que dans leurs discours, et pas d’autre but que de faire accepter leur domination.

Ils piétinent en fait la morale qu’ils prétendent représenter : leur puissance repose en grande partie sur le mensonge, la cupidité et l’inhumanité.

NOUS, MILITANTS, ACTIVISTES OU JUSTE CONVAINCUS DE LA nécessite DE CONSTRUIRE UN AUTRE MONDE

Nous défendons des valeurs inverses : la vérité sur les enjeux actuels, la solidarité entre humains et avec le vivant, la liberté dans les limites du respect de l’autre…

Comment aller vers un autre monde, contrer ce rouleau compresseur populiste, gagner des positions dans la bataille culturelle en sortant de l’entre soi militant dans lequel nous nous trouvons trop souvent enfermés ?

Benoît Coquard, sociologuev, invite à « être réflexif sur ce qu’on est. Comment est-on perçu ? Avant de vouloir changer les gens et changer le monde, il faut déjà essayer de comprendre ce qu’on est aux yeux des personnes avec lesquels on entend tisser des alliances. » (Socialter, Résistances rurales, décembre 2024)

Et prendre le temps d’écouter sans postures surplombantes ou moralisatrices (« Voici, en avalanche, les chiffres qui prouvent que j’ai raison… », « IL FAUT INTERDIRE/TAXER/SUPPRIMER » « Les chasseurs sont tous des beaufs alcooliques »…)

Tout.e citoyen.ne a une idée de la société qu’il/elle souhaite et ses priorités, malgré ce dont on lui rebat les oreilles dans les médias et sur les réseaux sociaux, ne sont pas l’immigration ni l’emploi et le chômagevi.

Les cahiers de doléances sont de ce point de vue la démonstration que « les gens » ont des idées, des réflexions : 2 millions de contributions, des textes éminemment politiques, ont été ignorés par Macron, qui les avait demandés, ils sont enterrés dans les archives des 101 départements français… « Les doléances », documentaire qui retrace le travail de redécouverte de ces cahiers, est disponible jusqu’au 30 avril sur France TVvii.

[Marie Motto-Ros]

i Le bon sens en politique, un redoutable contresens démocratique Le Monde 22 novembre 2024

ii idem

v Auteur de Ceux qui restent. Faire sa vie dans des campagnes en déclin (éditions La découverte, 2019).

vi https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-etat-de-la-france-quel-rapport-la-democratie-en-2024

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Solvay et les PFAS

PFAS, risques majeurs pour la santé: les rejets de l’usine Solvay de Salindres à l’origine de pollution

En février 2024 la presse (1) s’est largement faite l’écho d’une pollution aux PFAS dans des échantillons d’eau prélevés par l’association Générations futures à proximité des usines chimiques de Salindres, dans l’Arias et l’Avène ainsi que plus loin dans le Gardon, et dans l’eau potable de Moussac et Boucoiran.

Le rapport de Générations futures (2) fait état de taux extrêmement importants. Le journal Le Monde a titré « A Salindres, dans les Cévennes, une contamination record aux « polluants éternels dans les eaux ».

D’après les scientifiques et médecins, ces polluants peuvent impacter fortement et à long terme la santé des habitants. Il est donc essentiel de connaître l’étendue des contaminations et leurs impacts actuels et prévisibles.

Qu’est-ce que les PFAS ?

Les PFAS sont des composés dérivés du fluor (per- et polyfluoroalkylés). C’est une famille chimique qui regroupe plus de 4000 composés. On les retrouve dans de nombreux produits : imperméabilisants, ustensiles de cuisine, pesticides agricoles produits pharmaceutiques, mousses anti-incendie etc…

Quels sont les dangers pour la santé ?

La contamination par les PFAS est diffuse dans les eaux, l’air, le sol et les êtres vivants. On ne peut pas les détecter sans analyses. Leur persistance inégalée et leur toxicité sont à l’origine de la qualification de « polluants éternels ».

Les effets néfastes signalés pour la santé tels qu’ils ont été démontrés dans le cadre d’expérimentations animales et, dans certains cas, chez l’homme, sont multiples : malformations chez les fœtus, cancers, impacts sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif et hormonal…

Qu’en est-il de la présence de PFAS autour de la plateforme chimique de Salindres ?

L’usine Solvay de Salindres est depuis des années l’une des 5 usines françaises productrices de PFAS (2).

Elle a la particularité de produire, entre autres produits fluorés, du TFA (acide trifluoroacétique) depuis 1982. Sa dangerosité est particulière car il est très mobile et soluble dans l’eau.

L’association Générations futures a recherché dans les eaux issues de Solvay la présence de 28 PFAS et TFA (3).

Les concentrations de PFAS se sont révélées extrêmement importantes, surtout dans les rejets en sortie d’usine. Selon l’association, « la norme de Qualité Environnementale (NQE) proposée par l’Europe pour ces PFAS est dépassée dans tous les prélèvements effectués ».

Le cocktail de substances retrouvées et l’étendue de la contamination constatés ont et auront des conséquences sur l’environnement et la santé publique.

Quelle politique publique ?

Bien que la présence et la dangerosité de ces polluants soient connues depuis longtemps, les PFAS ont été et sont pour la plupart utilisés de manière intensive et non réglementée depuis plusieurs dizaines d’années dans le monde entier.

En Europe un récent rapport du Réseau européen d’action sur les pesticides (PAN Europe) (3) dit : « Tous les échantillons d’eau analysés contiennent des PFAS dont 98% de TFA » et conclue « Les niveaux de TFA trouvés dans les eaux de surface et souterraines représentent la plus grande contamination de l’eau à grande échelle connue par un produit chimique fabriqué par l’homme ».

Devant cette réalité catastrophique et la diffusion d’informations par la presse, les responsables politiques commencent à envisager des mesures.

A la demande de 5 pays (4) l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) examine depuis ces dernières années un dossier de « restriction » qui proposerait d’interdire en Europe la fabrication et la commercialisation de produits contenant des PFAS. Mais des dérogations sont aussi examinées… Et la contamination est présente pour de nombreuses années, et certainement … des siècles.

Une directive européenne de 2020 a fixé une limite de qualité pour l’eau potable mais cette norme ne prend en compte que la somme de 20 PFAS sur plusieurs milliers. Cette directive n’est pas encore appliquée en France et ne devrait l’être qu’au 1er janvier 2026.

D’autres « recommandations » existent pour les denrées alimentaires.

En France, « en regard des préoccupations grandissantes des PFAS », un plan d’action a été décidé en 2023. Il a abouti en avril 2024 à la publication d’un plan d’action .

On ne peut que souhaiter que ce plan soit suivi rapidement de décisions concrètes et à la hauteur des enjeux.

En Occitanie l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé avec l’appui de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) depuis mars 2024 une campagne de prélèvements et d’analyses mais ne concernant que 20 PFAS et pas le TFA. Sur 326 captages ou production d’eau potable (5) analysés 45 sont dans le Gard.

Ces prélèvements révèlent généralement des teneurs assez faibles mais évidemment on ne sait rien sur le TFA et les milliers d’autres composés fluorés puisqu’ils n’ont pas été recherchés. Par contre 2 captages à Rodilhan et Générac font l’objet d’une surveillance particulière à cause de de leurs taux élevés.

De son côté l’Agence nationale de santé (ANSES) doit compléter ces résultats par de nouvelles analyses qui incluraient d’autres PFAS et le TFA. Les résultats devraient être publiés en 2026.

Ces récentes campagnes interrogent quand on sait qu’une norme devra être appliquée au 1er janvier 2026 pour l’eau potable : les enquêtes ne seraient-elles pas destinées à fixer à cette date des teneurs qui seraient acceptables pour la grande majorité des captages et non en fonction de critères de santé publique ?

La situation de l’usine Solvay de Salindres aujourd’hui

La publication des concentrations spectaculaires de PFAS mises en évidence à la sortie et en aval de l’usine ont été un coup de tonnerre local. Population et élus savaient que cette usine classée SEVESO 2 présentaient des risques… mais qu’on préfère oublier.

Pourtant ces dernières années la dangerosité de la production avait conduit la préfecture à prendre plusieurs arrêtés imposant des réductions de rejets (2017, 2023).

Le 29 mai 2024 une commission de suivi du site (CSS) préconisait un plan d’action complémentaire. La santé publique est clairement en jeu.

Puis en septembre dernier, autre coup de tonnerre : Solvay annonce la fermeture de l’usine d’ici 2025 à cause « d’une forte concurrence internationale sur les TFA et dérivés fluorés ».

68 salariés seront licenciés, une grève et un blocage du site démarrent, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes manifestent la solidarité locale.

La CGT et Générations futures publient ensemble un communiqué de presse pour défendre les salariés et exiger la dépollution du site (6).

Localement un silence assourdissant

On aurait pu espérer que les pouvoirs publics et les élus locaux prennent la mesure des problèmes causés par Solvay sur la santé des habitants et l’environnement. La réaction du président d’Alès Agglo et d’une majorité d’élus a été de critiquer les articles de presse accusés de porter atteinte à « l’image du territoire » sans jamais parler de la santé des salariés et de la population. Au lieu de prendre en compte la gravité de la pollution, les élus et pouvoirs publics se retranchent derrière l’absence actuelle de normes pour les PFAS dans l’eau potable.

L’avenir en question

En juin dernier une réunion publique a été organisée par Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS à Alès pour informer les habitants sur les PFAS.

Depuis, les salariés de l’usine Solvay, l’association Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS échangent ensemble pour exiger la prise en compte des nombreux problèmes en suspens parmi lesquels l’héritage toxique laissé par Solvay, l’état de santé des salariés et de leurs familles, la contamination des captages de toutes les communes par les PFAS dont le TFA.

Devant l’ampleur du risque il est légitime que les citoyens se mobilisent pour demander une information transparente, exiger que les pollueurs soient les payeurs et que les mesures nécessaires soient prises rapidement (7).

[Béatrice Ladrange]

(1) Articles Le Monde 6 février 2024, Canard Enchaîné 14 février 2024, Midi Libre 15 et 16 février 2024…
(2) Usines fabriquant des PFAS en France : Arkema et Daikin au sud de Lyon, Chemours dans l’Oise, Solvay dans le Jura et à Salindres ;
(3) Rapport « PFAS, contamination des eaux par des polluants éternels à Salindres » Générations Futures Février 2024
(4) 5 Etats ont demandé une restriction globale des PFAS : Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Allemagne.
(5) Analyses PFAS Occitanie : https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/la-dreal-publie-les-resultats-de-mesures-de-pfas-a26684.html
(6) Communiqué de presse CGT- Générations Futures FR3 Occitanie https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/gard/nimes/fermeture-du-site-de-solvay-a-salindres-on-ne-va-pas-laisser-faire-la-cgt-et-generations-futures-montent-au-creneau-et-appellent-le-gouvernement-a-agir-3037358.html
(7) Rapport « TFA, le polluant que nous buvons » en Europe – Collectif d’associations dont GF- Juillet 2024

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