« Exterminez toutes ces brutes ! »

La solidarité vitale avec le peuple palestinien face au génocide

La Palestine ? Ne m’en parle pas…! C’est si terrible ce qui s’y passe… Ce « conflit entre Israël et les Palestiniens » n’a que trop duré. Il est tellement complexe et dure depuis si longtemps… Ne peuvent-ils pas s’entendre enfin ? … Et, entre nous, les Palestiniens, ne sont-ils pas un peu responsables de ce qui leur arrive ? Mais bon, c’est vrai que maintenant ils vivent l’enfer à Gaza… La famine…

Dis, que pouvons-nous faire, nous ? Deux ans que ça dure… Je me sens si impuissant.e. De toutes façons, Israël s’impose et aucun État ne peut s’interposer si ce n’est les États-Unis, alors la France…

Et puis c’est quand même un peu loin de nous tout ça, cela ne nous concerne pas vraiment. Et puis, il y a tant d’autres conflits, on ne parle ni du Congo, ni du Soudan par exemple.

En réalité, je ne supporte plus de voir tout ça, cette violence, cette misère, j’en suis malade. Je n’en dormais plus. Alors, il faut que je me préserve. Du coup, c’est vrai, je ne suis plus vraiment les infos sur la Palestine.

Mais je suis de tout cœur avec ceux qui manifestent … De tout cœur !

Enfin, Macron vient d’annoncer qu’il reconnaîtrait l’État de Palestine ? Bon cela n’arrêtera pas le massacre mais n’est-ce pas déjà un pas en avant ? Un moyen de pression ? Tu ne sembles pas convaincue…

Qui n’a pas entendu ces propos de personnes qui se disent pourtant sensibles au sort réservé aux Palestiniens ? Tout en étant à la fois touchées et compatissantes, ces femmes et ces hommes expriment une forme de lassitude. Entre mauvaise conscience et malaise, apitoiement et indifférence, transparaît surtout une volonté d’en finir et d’oublier. Ne plus être confrontées à ce sujet pénible et pesant. Mais, en exprimant leur désarroi n’est-ce pas surtout d’elles-mêmes qu’elles parlent ? Et derrière ces lamentations contrites, les crimes d’Israël finissent par être relativisés pour finalement disparaître.

Et voilà qu’il faudrait presque s’excuser de continuer de parler de la Palestine. Karim Kattan, écrivain palestinien, dans un poème, surjoue à peine une personne désabusée qui soupire : « on a tout essayé, je suis pleine, pleine, pleine d’empathie, si pleine que j’en crèverais — cependant, il faut finir, il faut, donc… finissez-les… mais poliment, de grâce, poliment ».1

« Exterminez toutes ces brutes » clame Kurz, personnage central du récit glaçant de Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres », dans lequel la barbarie des premiers négociants et militaires arrivés au Congo à la fin du 19e siècle est exposée de manière crue. Cette injonction fait aussi écho au livre de Sven Lindqvist puis au film de Raoul Peck qui tous deux revisitent de manière radicale le colonialisme et le racisme exterminateurs européens.

Comment ne pas faire de parallèle avec la Palestine ? Pour certains de manière explicite, pour d’autres, indirecte et suggérée, la Palestine n’est autre qu’un repaire de brutes, de terroristes, de sauvages qu’il faudrait anéantir. Les plans d’aujourd’hui sont tout aussi brutaux que ceux qui forgent l’histoire des États-Unis et les projets colonialistes européens. Qui aurait pu envisager le projet de « Riviera du Proche-Orient » promu par le président Trump il y a quelques mois ? Et pourtant un document de l’establishment étatsunien filtré fin août prévoit ce plan criminel et délirant sur les montagnes de cadavres de la bande de Gaza en ruine.

Dévastée, elle deviendrait quasiment un « territoire sous tutelle » des États-Unis placée sous contrôle de mercenaires occidentaux dans la pure tradition coloniale. Le trust « Gaza Reconstitution, Economic Acceleration and Transformation Trust » (GREAT Trust) gérerait la Bande de Gaza pendant une période d’au moins dix ans. Selon ce programme, à l’issue de la phase de déblaiement des décombres et des explosifs, il est prévu de lever des fonds à hauteur de 100 milliards de dollars pour la construction de complexes hôteliers de luxe, de centres de données IA et de « villes intelligentes ». Ce projet invraisemblable nécessiterait toutefois que la Bande de Gaza soit vidée de la majorité de ses 2 millions d’habitants. Cette partie du plan est actuellement déjà mise à exécution par le gouvernement et l’armée israéliens avec l’armement états-unien et européen.

Quant aux palestiniens sur leurs terres ancestrales, à certains il sera proposé un logement permanent dans l’un des nouveaux immeubles résidentiels, logement qu’ils ne pourront payer. Et s’ils quittent « volontairement » l’enclave, chacun de ces « volontaires » recevrait 5 000 dollars et des fonds pour se nourrir (pendant un an) et payer son loyer ailleurs (pendant quatre ans). À long terme, il est promis qu’« une communauté palestinienne réformée et déradicalisée » pourrait prendre la relève sans qu’il soit toutefois question d’État palestinien.

Une majorité de Gazaouis devra néanmoins être expulsée de force. Les bombardements incessants et la famine ont pour objectif de les pousser à partir vers des lieux déjà établis. Donald Trump, au comble du cynisme transactionnel, envisage de reconnaître l’État sécessionniste du Somaliland en contrepartie de l’accueil des déportés palestiniens. Il est aussi question du Soudan du Sud vers lequel les États-Unis déportent déjà des migrants indésirables. Aussi fou que terrifiant ce plan pourrait-il être réalisé ? Il appartient à tous de contribuer à son échec.

La Palestine concerne chacun.e d’entre nous. Le projet centenaire de sa colonisation est le fait des puissances occidentales. Les dirigeants européens relayés par les Étasuniens depuis la fin de la seconde guerre mondiale n’ont jamais abandonné leur stratégie de contrôle de la région. Cette volonté mise en œuvre dès la fin de l’Empire ottoman après 1918 a pris diverses formes et s’est concrétisée notamment par le soutien actif au projet sioniste. Les régimes britanniques et français ont ainsi toléré la colonisation rampante de la première moitié du 20e siècle. Ce sont les occidentaux qui ont ensuite porté devant l’organisation des Nations Unies, le plan de partage qu’ils ont voté en novembre 1947. Ce vote a donné lieu à la tristement célèbre résolution 181, rejetée par les Palestiniens en raison de son caractère fondamentalement injuste et illégitime.

Ces États colonialistes ont assisté sans réagir à la déportation de plus de la moitié de la population palestinienne. Cette Nakba – catastrophe majeure – a été orchestrée à coups de massacres, de destructions de villages et de liquidations par les milices sionistes. Ces mêmes puissances ont approuvé la proclamation de l’État d’Israël en mai 1948 en violation des résolutions de l’ONU. Les membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité de l’ONU couvrent depuis la colonisation continue des terres palestiniennes, l’incarcération de milliers de Palestiniens, l’anéantissement des infrastructures dans la Bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie. Ces mêmes démocraties néocolonialistes sont de plus en plus nombreuses à reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, en violation ici aussi, du droit international.

Au-delà, de la solidarité avec son peuple nié, spolié et massacré, la Palestine concerne l’humanité toute entière car elle constitue le laboratoire d’un mode de gestion autoritaire ultraviolent qui un jour pourrait être mis en œuvre ailleurs. Et, pourquoi pas, ici-même… Ne laissons pas exterminer et déporter les Palestiniens. Ne nous détournons pas du peuple de Palestine. Défendons la justice et la morale, appuyons le combat palestinien pour la libération et l’autodétermination. Il y va du destin de tous. [Tissa]

1 Karim Kattan, Quand minuit vient, 25 février 2024, https://aoc.media/fiction/2024/02/24/quand-minuit-vient/

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