L’histoire de la centrale de Gardanne date de 70 ans. De l’exploitation d’une mine de charbon par les Houillères (HBCM), elle est actuellement sous la houlette de Gazel Energie, groupe appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. L’électricité est désormais produite par la combustion de bois, ou du moins devrait l’être, car depuis 8 années, se succèdent autorisations d’exploiter, annulations des autorisations, entrecoupées de grèves longue durée par les ouvriers (cf.encadré)

Pourquoi ces soubresauts ? Plusieurs raisons à cela.
1) l’exploitant devenu privé, est passé des Houllières à la SNET, devenu E.ON France, puis à Uniper, a finalement été racheté par Gazel Energie. En rachetant Gazel Energie, Daniel Kretinsky, après avoir perdu des sommes conséquentes (1/3 de son chiffre d’affaires en 2016) devait s’afficher comme acteur incontournable de production d’électricité renouvelable.
2) En rachetant la centrale de Gardanne, Kretinsky héritait aussi d’une situation chaotique : d’une part, des ouvriers inquiets de perdre leur outil de travail se sont mis en grève, et d’autre part divers recours juridiques couraient toujours et ont bloqué une reprise des activités jusqu’à ce jour.
La situation actuelle
> La centrale est encore à ce jour (fin juin 2025) sans autorisation d’exploiter.
Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de M. Barnier d’autoriser un redémarrage prématuré, annoncé en novembre 2024 par la ministre de l’énergie Olga Givernet.
Et cerise sur le gâteau, l’État s’est engagé, via un contrat signé avec Gazel, au rachat de l’électricité de 100 millions € par an sur 8 ans afin d’assurer Gazel de vendre son énergie estimée à 4 fois le prix du marché.
> L’enquête publique qui vient de se terminer, sollicitait (enfin !) l’avis des personnes les plus concernées, c’est à dire les habitants des 16 départements du sud de la France où il est prévu d’abattre des résineux pour fournir la centrale.
A noter que cela ne suffisant pas, il faudra continuer à importer des bois du Brésil, ainsi que d’Espagne et d’Italie, sans compter le charbon (cendreux) encore nécessaire pour les plaquettes forestières importées – technique coréenne de lit fluidisé circulant1.
> Mais l’essentiel reste à venir.
Car l’objet de l’enquête publique, c’est à dire approvisionnement en bois dans un rayon de 250 km autour de Gardanne, nous concerne tou.te.s. Certaines communes sont ciblées (84 dans le Gard) mais d’autres n’y échapperont pas vu la quantité de bois nécessaire : 450 000 tonnes de bois par an dont 60 % « local ».
Ces prélèvements se feront avec toutes les conséquences invoquées dans les réponses (d’opposition au projet) à l’enquête publique, à savoir :
– impact sur le dérèglement climatique par 1) le gaz à effet de serre produit par les engins forestiers et divers transports et 2) par la réduction de captation de carbone par abattage des arbres ;
– perte de la biodiversité (faune et flore) présente dans nos forêts (voir encadré 2) ;
– dégradation des routes et chemins des Cévennes par les camions et engins forestiers.
Gazel aura probablement du mal à trouver des propriétaires consentants, du moins espérons-le. La réunion publique à Alès l’a bien montré, la petite centaine de personnes présentes a fortement exprimé son opposition à ce projet.
Désormais, au cas où le Préfet donne son accord, ce qui semble malheureusement probable, l’heure est à l’organisation afin d’empêcher ce désastre.
Encadré 1 : La Centrale de Gardanne, un feuilleton à rebondissements
1953 : les Houllières de Bassin du Centre et de Midi (HBCM) démarrent l’exploitation d’un gisement de charbon près de Gardanne pour produire de l’électricité. Avec une première centrale de 50MW
de 1953 à 1963 : 3 autres centrales (50MW, 50MW, 250MW) sont mises en route,
en 1981 : construction d’une cinquième (595MW),
A partir de 2000, seules la 4ème et la 5ème fonctionnent,
2003 : arrêt de l’exploitation, les Houillères passent le relai à la Société Nationale de l’Électricité et du Thermique, devenue E.ON France,
2010 : suite à un appel d’offre national, E.ON investit pour transformer l’unité 4 en centrale biomasse,
2012 : autorisation de la préfecture pour un démarrage par Uniper, filiale de E.ON,
2016 : scission des activités d’énergie fossile d’E.ON, Uniper poursuit l’exploitation avec du bois issu des coupes de forêts situés dans un rayon de 400 km autour de Gardanne. Cet approvisionnement se fait sans consultations et suscite de fortes et nombreuses oppositions (Conseils Généraux départements 04, 05 – Parcs naturels Lubéron, Baronnies – une centaine de communes, …). S’ajoutent à ces oppositions des difficultés techniques de fonctionnement,
juin 2017 : décision de suspension par le Tribunal administratif de Marseille (l’étude d’impact de ne concernait qu’un rayon de 3 km autour de la centrale), Uniper fait appel, le Préfet donne une autorisation provisoire (9 mois) le temps de constituer le dossier d’appel,
2017-2019 : un mouvement social bloque la centrale suite à l’annonce de la fin des centrales à charbon pour 2022,
2019 : Gazel Energie* rachète la centrale 4,
2020 : la centrale redémarre suite au rétablissement de l’autorisation d’exploiter par le tribunal, puis elle est à nouveau bloquée par une grève.
Mars 2023 : un recours juridique passe au Conseil d’État et annule l’autorisation d’exploitation,
novembre 2023 : l’appel est rejeté, le tribunal exige une enquête publique sous 12 mois sur l’étude des impacts directs et indirects,
Janvier 2025 : le gouvernement autorise le redémarrage sans enquête publique, celle-ci aura finalement lieu en mai 2025.
L’enquête a été organisée pour valider le nouveau plan d’approvisionnement en bois qui doit provenir de 16 départements et 324 communes, dans un rayon de 250 km autour de Gardanne.
*https://gazelenergie.fr/centrale-thermique-de-provence/
Note 2 : Protégée, encore bien présente dans nos forêts
La salamandre*
Elle devient la compagne de nos luttes locales. Après le castor de La Borie, c’est aujourd’hui l’animal emblématique du Gard. Une marionnette géante – 3,50m – de ce petit amphibien de 20 cm à la belle robe noire tachetée de jaune, a été fabriquée en juin dernier (stages à La Grand Combe), elle est bien visible dans nos manifestations pour l’eau, la terre et la forêt. Elle nous a ainsi représenté.es en juillet 2024 au Village de l’eau à Melle (Deux-Sèvres), lors d’une expo locale sur le projet de bassines proches de la Cèze, puis à Nîmes, et dernièrement à Montpellier dans la manifestation avec les groupes régionaux en lutte contre l’accaparement de l’eau.
La salamandre est un amphibien qui, comme nous, est en grande difficulté car elle a besoin d’eau, d’humus riche en insectes et micro-organismes, donc de forêts humides. Elle est tributaire de l’eau fraîche : elle pond ses œufs dans des vasques au bord des rivières ou dans nos anciennes boutasses ou bassins, où elle passe seulement 2 ou 3 mois sous forme d’élégants têtards à branchies. Durant le reste de sa vie, souvent 20 à 30 ans, on la retrouve dans les forêts humides où subsiste de vieilles souches dans lesquelles elle s’abrite, riches en humus où elle trouve à manger.
En voie de disparition, comme bien d’autres êtres vivants, faune, flore et champignons, la salamandre trouve encore refuge dans nos forêts. Que restera-t-il après le saccage prévu pour Gardanne, ne respectant pas les règlements de coupes de bois et encore moins les recommandations de garder un couvert continu de branchages ?
L’animal, comme d’autres, nous montre que les résistances sont dans ces forêts ; après tout, c’est bien l’histoire politique de ces montagnes.
* https://www.foretprimaire-francishalle.org/s-informer/la-salamandre-animal-des-forets-en-bonne-sante/
1https://www.bioenergie-promotion.fr/54106/plongee-dans-les-entrailles-de-la-centrale-biomasse-de-gardanne/