Les nostalgiques de « l’Algérie française » en embuscade

Les relations qu’entretient la France avec l’Algérie ont toujours été déterminées par le passé colonial, un passé qui pour beaucoup ne passe pas. Les relents revanchards ont de tous temps traversé le débat public français, jusqu’à aller clamer « le rôle positif » de la colonisation1.

Alors que la reconnaissance officielle des crimes commis en Algérie de 1830 à 1962 est quasiment impossible, les déclarations du candidat Emmanuel Macron en février 2017 à l’occasion d’une visite en Algérie détonent. Il a ainsi déclaré dans une interview à propos du colonialisme : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »2

Ces propos suscitent un énorme tollé en France et le débat qui aurait du porter sur la colonisation est dévié vers celui sur la « repentance » que pourtant les Algériens n’ont jamais demandé. Ces derniers voudraient que la France officielle regarde son passé en face et reconnaisse ses crimes. Entre temps, le président Macron a bien voulu concéder quelques « bavures » – l’assassinat de quelques personnalités de la résistance algérienne, la répression du 17 octobre 1961 à Paris qui a fait des dizaines de morts – mais on est encore loin du compte. Tout le travail de mémoire amorcé sur les deux rives de la méditerranée se poursuit difficilement et pour cause…

Peu de temps après son investiture, le président Macron opère un virage à droite et dès septembre 2021, s’en prend à l’Algérie en accusant son système « politico-militaire » d’entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance. Et en octobre 2021, il reprend un leitmotiv de l‘extrême droite : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.3» On imagine l’exaspération du côté algérien !

Soufflant le chaud et le froid, Macron se rend en Algérie en août 2022 dans le but affirmé d’entamer une nouvelle dynamique dans les relations bilatérales pour « renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux » et « poursuivre le travail d’apaisement des mémoires », ce qui ne lui a pas vraiment réussi. En cinq ans, le discours de Macron sur la colonisation sera passé d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique », phrase répétée deux fois lors de ce séjour en 20224. La visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune prévue de longue date a depuis été plusieurs fois reportée.

Cependant les relations entre les deux États se sont dramatiquement dégradées lorsque le président Macron, dans une lettre au monarque marocain rendue publique par l’Elysée le 30 juillet 2024, déclare à propos du Sahara occidental occupé par le Maroc depuis 1975 : « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. (…) Pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue. Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant »5. La France piétine les résolutions de l’ONU qui considère le Sahara Occidental comme un territoire non autonome dont la décolonisation n’est pas terminée et préconise depuis 1991 l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui6. Connaissant la position de l’Algérie pour qui le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’autodétermination du peuple sahraoui sont une ligne rouge, Macron prend le risque d’une crise majeure pour satisfaire la droite et l’extrême droite en France.

Il n’en fallait pas tant pour que les médias de droite et en particulier ceux de la sphère Bolloré s’emparent du sujet en inversant les rôles. Selon ces médias, la crise ne serait pas le fait de la France mais de l’Algérie qui multiplierait les casus belli. Mais surtout, pendant des mois, ce n’est plus le président Macron qui s’exprime sur l’Algérie mais ses ministres en particulier celui de l’Intérieur Bruno Retailleau. Comme si l’Algérie était redevenue une question de politique intérieure française rappelant le temps où elle était composée de trois départements français.

Un des sujets de prédilection des médias et politiques revanchards, et cela ne date pas d’aujourd’hui, concerne l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation que l’extrême droite, sans surprise, remet régulièrement sur le tapis. C’est l’ancien ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt, proche du Rassemblement national, qui en mai 2023 exhume cet accord oublié en raison de sa caducité. Le diplomate retraité multiplie les apparitions dans les médias pour le dénoncer car selon lui, « aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien ». En réalité, mais cela reste inaudible dans les médias, cet accord a été vidé de son contenu au cours des ans et n’a aucun effet sur les flux migratoires »7. Cependant pendant des semaines, commentateurs et politiques s’échinent à ressasser que les Algériens bénéficieraient d’un statut privilégié en France et que l’Algérie s’en montrerait si peu reconnaissante.

Driencourt et consorts ont alimenté une machine médiatique au service des nostalgiques de l’Algérie française qui ne cherchent qu’à en découdre avec l’Algérie indépendante. Plusieurs sujets phares de l’extrême droite sont brandis : Qu’il s’agisse d’immigration, de visas et en particulier de visas santé, de « repentance », des OQTF, de la détention de Boualem Sansal en Algérie etc., les faits avancés sont souvent faux, biaisés, réducteurs etc. Pour le dire clairement, le gouvernement algérien et les présidents algériens n’ont jamais exigé de la France une quelconque repentance. Il s’agit de reconnaissance des crimes coloniaux et d’en endosser la responsabilité. Quant aux OQTF, il suffit de consulter les statistiques pour constater que le nombre de refoulements réalisés vers l’Algérie correspond proportionnellement à celui vers le Maroc8, lequel État ne subit pas les mêmes invectives de l’establishment français. Et pour finir, l’affaire Boualem Sansal est instrumentalisée par les milieux revanchards. L’écrivain algérien naturalisé français en 2024, ancien haut fonctionnaire dans l’administration algérienne converti à l’extrême droite française, a notamment déclaré dans un média d’extrême droite qu’une grande partie de l’ouest algérien serait historiquement marocain tout en décrétant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Si ses multiples provocations ne justifient pas une condamnation à 5 ans de prison, il faut tout de même rappeler que les protestations des politiques, intellectuels et autres artistes français sont bien sélectives. Qui de ces « indignés » parle de Georges Ibrahim Abdallah, militant de la cause palestinienne, emprisonné en France depuis 1984 et libérable depuis 1999 ? Qui s’inquiète du sort des militants kanaks injustement arrêtés et incarcérés en métropole ?

La fin de partie semblait enfin être sifflée en particulier pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui depuis des mois surfe notamment pour des raisons électorales sur la vague anti-Algérie. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, se rend à Alger le 7 avril dernier où il rencontre le président Tebboune. Il annonce vouloir revenir « à la normale »et« reconstruire un partenariat d’égal à égal, serein et apaisé »9. Mais voilà qu’à peine le calme rétabli, une proposition de résolution « appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal » est adoptée à l’Assemblée nationale le 6 mai à 307 voix pour et 28 contre. En fait, cette résolution n’est autre qu’une nouvelle attaque contre le gouvernement algérien dans le sens que l’article 35 « invite le gouvernement, la Commission européenne et le Conseil européen à veiller à ce que toute coopération renforcée avec l’Algérie soit subordonnée à des avancées concrètes et mesurables en matière d’État de droit et de libertés fondamentales, et à faire de la libération de Boualem Sansal une exigence préalable dans le cadre des discussions sur la modernisation de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie »10. On n’est plus dans la simple demande de la libération de l’écrivain emprisonné mais dans une volonté d’exacerber le conflit en le propulsant à un niveau européen. Du côté français, pour la première fois, certains n’hésitent pas à agiter la carte des sanctions contre des « dignitaires » algériens !

Les rapports entre les deux États n’ont jamais été si délétères. Et tant que la constance néocoloniale institutionnelle perdurera, il sera difficile de revenir à une relation apaisée basée sur le respect mutuel. Il y va pourtant du présent et de l’avenir de centaines de milliers de binationaux.

1 La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés avait inscrit dans son article 4 « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » ce qui a provoqué un tollé. Si ce passage a été retiré, l’article 1 en conserve l’esprit : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ».

2 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite

3 https://www.la-croix.com/Monde/Algerie-peut-vraiment-comparer-colonisation-francaise-loccupation-ottomane-2021-10-05-1201178982

4 https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/030922/intervention-choquante-de-lelysee-apres-une-tribune-publiee-dans-le-monde

5 https://orientxxi.info/magazine/sahara-occidental-une-manoeuvre-politicienne-et-risquee-du-president-macron,7560

6 Après le retrait de l’Espagne en 1975, le Maroc occupe le territoire et un conflit armé l’oppose au Polisario jusqu’au cessez le feu en 1991, date à laquelle l’ONU décide d’un référendum que le Maroc a toujours refusé. L’Algérie a toujours soutenu le plan d’indépendance du Sahara occidental et exige l’application du droit international.

7 https://orientxxi.info/magazine/en-finir-avec-l-accord-franco-algerien-de-1968-une-obsession-de-la-droite,6989

8 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/10/04/oqtf-comprendre-le-debat-sur-les-mesures-d-eloignement-des-etrangers-sans-papiers-en-france_6343837_4355770.html

9 https://www.franceinfo.fr/monde/afrique/algerie/crise-entre-alger-et-paris-jean-noel-barrot-annonce-une-nouvelle-phase-des-relations-avec-l-algerie_7175460.html

10 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1021_texte-adopte-commission#

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