Un cessez-le-feu à Gaza. Et maintenant ?

On vient de commémorer le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz par l’Union soviétique (en excluant les représentants russes!). Moment solennel permettant d’écouter quelques rares survivants, de nombreux descendants et une multitude de commentateurs qui tous rappellent la monstruosité du projet d’extermination des juifs d’Europe (oubliant souvent au passage l’élimination de Tziganes, handicapés, prisonniers soviétiques etc.). Toutes ces voix sincères s’élèvent pour dire « Plus jamais ça ! ». Mais rares sont celles qui à l’instar d’Erica Fisher, dont les grand-parents ont été exécutés à Treblinca, ont exprimé leur malaise face à ce qui se déroule à Gaza : « Quel sens aurait la commémoration d’Auschwitz si elle ne saisissait pas l’occasion de condamner un génocide qui se déroule sous nos yeux à tous, et ce précisément au nom du génocide qu’elle prétend commémorer ? »

Un génocide qui perdure. Un cessez-le-feu est entré en vigueur le 19 janvier dans la Bande de Gaza et doit s’appliquer en plusieurs étapes sur une durée de plus de 40 jours. L’arrêt des bombardements s’accompagne de la libération des prisonniers des deux cotés, d’un large retrait des militaires israéliens de l’enclave, de l’entrée de l’aide humanitaire et du retour des centaines de milliers de déplacés dans leurs lieux d’habitation en ruines. Des réfugiés retournés en masse dans le nord en ruines le quittent à nouveau pour s’entasser dans Gaza-ville en raison du manque d’eau et de nourriture, les familles s’installent dans les décombres ou des tentes de fortune tout en craignant que leurs enfants ne soient mutilés ou tués par des munitions non explosés. Et par dessus tout, l’UNRWA, l’office de l’ONU chargé du soutien des réfugiés est interdit d’activités depuis le 30 janvier. Qui s’occupera dorénavant de la distribution de vivres, et de médicaments ?

Si le soulagement des Gazaouis est palpable, ils appréhendent la suite. Les fascistes dans le gouvernement israélien, non contents de devoir subir ce cessez le feu, n’attendent que la reprise de la guerre, d’autant plus qu’à l’issue de 15 mois d’offensives militaires aucun des objectifs n’a encore été atteint. Il est vrai que les Gazaouis ont payé un lourd tribu avec une infrastructure totalement détruite et des dizaines de milliers de morts (les estimations vont jusqu’à 300 000 morts directes et indirectes), des centaines de milliers de blessés et de traumatisés. Mais le Hamas n’a pas été anéanti et les otages n’ont pas été libérés par l’armée israélienne. La résistance armée a jusqu’au bout porté des coups aux militaires israéliens, en particulier dans le nord de Gaza, qui devait pourtant – selon leur plan – être vidé de ses habitants.

Échec d’autant plus cuisant que le prix est lourd en termes économique et diplomatique, sans oublier l’émission de mandats d’arrêt du Tribunal pénal international contre Netanyahou et l’ex-ministre de la défense Gallant et le dépôt de dizaines de plaintes contre des soldats qui ont filmé leurs propres crimes.

Il est difficile d’imaginer que les responsables israéliens soient satisfaits de ce revers mais la poursuite de la guerre n’est pas sans danger. Au regard du nombre de morts et de blessés, de déplacés, d’une économie fortement entravée, les Israéliens sont ils prêts à les suivre ? Face à ce fiasco, l’annonce de Donald Trump de vouloir nettoyer la Bande de Gaza et déporter ses habitants vers l’Égypte et la Jordanie a été accueillie avec enthousiasme par les plus radicaux. Les Palestiniens quant à eux, martèlent qu’ils ne quitteront jamais cette terre.

A Jérusalem-Est, les attaques israéliennes se sont également intensifiées. Militaires et colons s’en donnent à cœur joie dans une impunité quasi totale. Dans ce qui devrait être la capitale de la Palestine selon le droit international, les colonies progressent, accompagnées de la destruction massive de bâtiments, de l’expulsion de leurs habitants et de l’installation de colons. Au pied de la vielle ville, le quartier d’al-Bustan est en pleine démolition. Une centaine de maison et 1500 familles sont en danger. Il en est de même du quartier Silwan qui jouxte également la vieille ville où les habitants s’organisent depuis des années pour défendre leurs lieux de vie en menant des batailles juridiques et organisant des mobilisations. La réponse israélienne est l’accélération de la judaïsation de Jérusalem.

La Cisjordanie, en proie à une colonisation forcée depuis des décennies, est devenue un terrain de chasse pour les colons suprématistes. L’annexion de terres palestiniennes avance à grands pas, 24 000 hectares de terrains ont été saisis, neuf nouvelles colonies et 49 avant-postes ont été installés en un an. Depuis 15 mois, plus de 40 communautés bédouines ont été totalement ou partiellement détruites, près de 800 personnes ont été assassinées tandis que plus de 12 000 ont été arrêtés et emprisonnées, souvent dans des conditions inhumaines, soumises à la torture systématique. Des centaines de check-points sont érigés à l’entrée et sortie des villes et des villages et automobilistes comme passants sont à la merci de soldats zélés. L’économie est exsangue en raison des problèmes de déplacements, la rétention des recettes fiscales, la baisse des aides extérieures.

Le régime colonial israélien va encore plus loin puisque depuis des mois il mène une guerre dévastatrice dans des camps de réfugiés de Cisjordanie en particulier à Jénine et Tulkarem, deux bastions de la résistance armée palestinienne. Le modèle Gaza à plus petite échelle y est appliqué : Les chars investissent les lieux, les bulldozers détruisent routes et canalisations, les maisons sont bombardées et les habitants contraints à quitter leurs quartiers.

Il va sans dire que les colonies en Cisjordanie et à Jerusalem-Est sont illégales au regard du droit international, et la Cour internationale de Justice a appelé en juillet 2024 à leur évacuation. L’Assemblée générale des Nations unies a quant à elle adopté en septembre 2024 une résolution exigeant qu’Israël mette fin à sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé dans un délai de 12 mois. La résolution a été adoptée par 124 votes pour, dont la France.

Jamais la situation de la Palestine n’a été aussi dramatique et tout laisserait à penser que l’espoir d’une Palestine libre et indépendante s’éloigne. Mais écoutons des Palestiniens et Palestiniennes et leurs leçons de résistance. Samah Jabr, psychiatre palestinienne, nous explique qu’« en dépit des maisons démolies et de la pauvreté extrême, cette [résistance collective] est basée sur des fondations familiales, une ténacité sociale et des convictions spirituelles et idéologiques »1. Salman Abu Sitta, fondateur et président de la Palestine Land Society, écrit :« Israël n’a jamais compris la résilience des Palestiniens. Nous avons survécu au génocide de Gaza, comme aux catastrophes qui l’ont précédé, grâce à l’appel au retour dans nos foyers, le carburant de la survie palestinienne. Pour les Palestiniens, le droit au retour est et sera toujours la question centrale »2. [Tissa]

1 AFPS, revue Palestine Solidarité, janvier 2025, p.14.

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