PFAS, risques majeurs pour la santé: les rejets de l’usine Solvay de Salindres à l’origine de pollution
En février 2024 la presse (1) s’est largement faite l’écho d’une pollution aux PFAS dans des échantillons d’eau prélevés par l’association Générations futures à proximité des usines chimiques de Salindres, dans l’Arias et l’Avène ainsi que plus loin dans le Gardon, et dans l’eau potable de Moussac et Boucoiran.
Le rapport de Générations futures (2) fait état de taux extrêmement importants. Le journal Le Monde a titré « A Salindres, dans les Cévennes, une contamination record aux « polluants éternels dans les eaux ».
D’après les scientifiques et médecins, ces polluants peuvent impacter fortement et à long terme la santé des habitants. Il est donc essentiel de connaître l’étendue des contaminations et leurs impacts actuels et prévisibles.
Qu’est-ce que les PFAS ?
Les PFAS sont des composés dérivés du fluor (per- et polyfluoroalkylés). C’est une famille chimique qui regroupe plus de 4000 composés. On les retrouve dans de nombreux produits : imperméabilisants, ustensiles de cuisine, pesticides agricoles produits pharmaceutiques, mousses anti-incendie etc…
Quels sont les dangers pour la santé ?
La contamination par les PFAS est diffuse dans les eaux, l’air, le sol et les êtres vivants. On ne peut pas les détecter sans analyses. Leur persistance inégalée et leur toxicité sont à l’origine de la qualification de « polluants éternels ».
Les effets néfastes signalés pour la santé tels qu’ils ont été démontrés dans le cadre d’expérimentations animales et, dans certains cas, chez l’homme, sont multiples : malformations chez les fœtus, cancers, impacts sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif et hormonal…
Qu’en est-il de la présence de PFAS autour de la plateforme chimique de Salindres ?
L’usine Solvay de Salindres est depuis des années l’une des 5 usines françaises productrices de PFAS (2).
Elle a la particularité de produire, entre autres produits fluorés, du TFA (acide trifluoroacétique) depuis 1982. Sa dangerosité est particulière car il est très mobile et soluble dans l’eau.
L’association Générations futures a recherché dans les eaux issues de Solvay la présence de 28 PFAS et TFA (3).
Les concentrations de PFAS se sont révélées extrêmement importantes, surtout dans les rejets en sortie d’usine. Selon l’association, « la norme de Qualité Environnementale (NQE) proposée par l’Europe pour ces PFAS est dépassée dans tous les prélèvements effectués ».
Le cocktail de substances retrouvées et l’étendue de la contamination constatés ont et auront des conséquences sur l’environnement et la santé publique.
Quelle politique publique ?
Bien que la présence et la dangerosité de ces polluants soient connues depuis longtemps, les PFAS ont été et sont pour la plupart utilisés de manière intensive et non réglementée depuis plusieurs dizaines d’années dans le monde entier.
En Europe un récent rapport du Réseau européen d’action sur les pesticides (PAN Europe) (3) dit : « Tous les échantillons d’eau analysés contiennent des PFAS dont 98% de TFA » et conclue « Les niveaux de TFA trouvés dans les eaux de surface et souterraines représentent la plus grande contamination de l’eau à grande échelle connue par un produit chimique fabriqué par l’homme ».
Devant cette réalité catastrophique et la diffusion d’informations par la presse, les responsables politiques commencent à envisager des mesures.
A la demande de 5 pays (4) l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) examine depuis ces dernières années un dossier de « restriction » qui proposerait d’interdire en Europe la fabrication et la commercialisation de produits contenant des PFAS. Mais des dérogations sont aussi examinées… Et la contamination est présente pour de nombreuses années, et certainement … des siècles.
Une directive européenne de 2020 a fixé une limite de qualité pour l’eau potable mais cette norme ne prend en compte que la somme de 20 PFAS sur plusieurs milliers. Cette directive n’est pas encore appliquée en France et ne devrait l’être qu’au 1er janvier 2026.
D’autres « recommandations » existent pour les denrées alimentaires.
En France, « en regard des préoccupations grandissantes des PFAS », un plan d’action a été décidé en 2023. Il a abouti en avril 2024 à la publication d’un plan d’action .
On ne peut que souhaiter que ce plan soit suivi rapidement de décisions concrètes et à la hauteur des enjeux.
En Occitanie l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé avec l’appui de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) depuis mars 2024 une campagne de prélèvements et d’analyses mais ne concernant que 20 PFAS et pas le TFA. Sur 326 captages ou production d’eau potable (5) analysés 45 sont dans le Gard.
Ces prélèvements révèlent généralement des teneurs assez faibles mais évidemment on ne sait rien sur le TFA et les milliers d’autres composés fluorés puisqu’ils n’ont pas été recherchés. Par contre 2 captages à Rodilhan et Générac font l’objet d’une surveillance particulière à cause de de leurs taux élevés.
De son côté l’Agence nationale de santé (ANSES) doit compléter ces résultats par de nouvelles analyses qui incluraient d’autres PFAS et le TFA. Les résultats devraient être publiés en 2026.
Ces récentes campagnes interrogent quand on sait qu’une norme devra être appliquée au 1er janvier 2026 pour l’eau potable : les enquêtes ne seraient-elles pas destinées à fixer à cette date des teneurs qui seraient acceptables pour la grande majorité des captages et non en fonction de critères de santé publique ?
La situation de l’usine Solvay de Salindres aujourd’hui
La publication des concentrations spectaculaires de PFAS mises en évidence à la sortie et en aval de l’usine ont été un coup de tonnerre local. Population et élus savaient que cette usine classée SEVESO 2 présentaient des risques… mais qu’on préfère oublier.
Pourtant ces dernières années la dangerosité de la production avait conduit la préfecture à prendre plusieurs arrêtés imposant des réductions de rejets (2017, 2023).
Le 29 mai 2024 une commission de suivi du site (CSS) préconisait un plan d’action complémentaire. La santé publique est clairement en jeu.
Puis en septembre dernier, autre coup de tonnerre : Solvay annonce la fermeture de l’usine d’ici 2025 à cause « d’une forte concurrence internationale sur les TFA et dérivés fluorés ».
68 salariés seront licenciés, une grève et un blocage du site démarrent, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes manifestent la solidarité locale.
La CGT et Générations futures publient ensemble un communiqué de presse pour défendre les salariés et exiger la dépollution du site (6).
Localement un silence assourdissant
On aurait pu espérer que les pouvoirs publics et les élus locaux prennent la mesure des problèmes causés par Solvay sur la santé des habitants et l’environnement. La réaction du président d’Alès Agglo et d’une majorité d’élus a été de critiquer les articles de presse accusés de porter atteinte à « l’image du territoire » sans jamais parler de la santé des salariés et de la population. Au lieu de prendre en compte la gravité de la pollution, les élus et pouvoirs publics se retranchent derrière l’absence actuelle de normes pour les PFAS dans l’eau potable.
L’avenir en question
En juin dernier une réunion publique a été organisée par Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS à Alès pour informer les habitants sur les PFAS.
Depuis, les salariés de l’usine Solvay, l’association Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS échangent ensemble pour exiger la prise en compte des nombreux problèmes en suspens parmi lesquels l’héritage toxique laissé par Solvay, l’état de santé des salariés et de leurs familles, la contamination des captages de toutes les communes par les PFAS dont le TFA.
Devant l’ampleur du risque il est légitime que les citoyens se mobilisent pour demander une information transparente, exiger que les pollueurs soient les payeurs et que les mesures nécessaires soient prises rapidement (7).
[Béatrice Ladrange]
(1) Articles Le Monde 6 février 2024, Canard Enchaîné 14 février 2024, Midi Libre 15 et 16 février 2024…
(2) Usines fabriquant des PFAS en France : Arkema et Daikin au sud de Lyon, Chemours dans l’Oise, Solvay dans le Jura et à Salindres ;
(3) Rapport « PFAS, contamination des eaux par des polluants éternels à Salindres » Générations Futures Février 2024
(4) 5 Etats ont demandé une restriction globale des PFAS : Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Allemagne.
(5) Analyses PFAS Occitanie : https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/la-dreal-publie-les-resultats-de-mesures-de-pfas-a26684.html
(6) Communiqué de presse CGT- Générations Futures FR3 Occitanie https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/gard/nimes/fermeture-du-site-de-solvay-a-salindres-on-ne-va-pas-laisser-faire-la-cgt-et-generations-futures-montent-au-creneau-et-appellent-le-gouvernement-a-agir-3037358.html
(7) Rapport « TFA, le polluant que nous buvons » en Europe – Collectif d’associations dont GF- Juillet 2024