La répression du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien date de plus de 20 ans mais s’est fortement intensifiée, en particulier depuis l’attaque du 7 octobre 2023, en s’appuyant sur trois qualifications juridiques : le trouble à l’ordre public, l’apologie du terrorisme et la haine raciale (l’antisémitisme). Une des justifications de cette répression est de ne pas vouloir importer en France ce qui est désigné par « conflit israélo-palestinien ». En réalité ce sont les pouvoirs publics qui introduisent « le conflit » en ciblant en priorité les musulmans suspectés d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme. Cette suspicion trouve son expression avec par exemple l’interdiction par le préfet de police de Paris de la marche du 21 avril 2024 « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants », au prétexte qu’elle pouvait « porter en son sein des slogans antisémites », interdiction levée par le tribunal administratif statuant en référé.
La criminalisation de la solidarité avec la Palestine et le peuple palestinien comporte certaines particularités :
– Au cours de l’année écoulée, ce ne sont pas exclusivement des militants actifs de la cause palestinienne qui ont été poursuivis pour leur positionnement mais un nombre important de personnes révoltées par le génocide en cours à Gaza.
– Ces personnes sont majoritairement poursuivies pour avoir exprimé leur avis sur la situation. Elles ont par exemple voulu montrer que la question palestinienne ne commence pas avec les attaques du 7 octobre 2023 mais que celles-ci résultent d’une colonisation longue de plus de 75 ans. Qu’il s’agisse de réseaux sociaux, conférences ou manifestations, elles font usage de leur droit d’expression.
– Les poursuites judiciaires qui concernent des centaines de personnes restent très souvent pendantessans que les concernées ne sachent si elles sont maintenuesou non, ce qui a comme conséquence de les déstabiliser et pour certaines de les faire taire.
– Les poursuites engagées contre des militants ou sympathisants ne sont pas exclusivement le fait de la justice mais également de l’administration. Depuis octobre 2023, des universités ont pris des mesures coercitives contre le mouvement de solidarité. Et Patrick Hetzel, nouveau ministre de l’enseignement supérieur, serre encore la vis et appelle à intensifier la répression des étudiants qui dénoncent le génocide1et demande leur exclusion.
Troubles à l’ordre public
Le ministre de l’Intérieur précédent, Gérald Darmanin, se fend le 12 octobre 2023 d’une circulaire ordonnant aux préfets l’interdiction des manifestations pro-palestiniennes parce qu’elles sont « susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ». Il a également donné la consigne d’interpeller les « organisateurs et les fauteurs de troubles ». Durant les premières semaines qui ont suivi l’offensive militaire israélienne sur Gaza de très nombreuses manifestations ont été interdites, notamment à Nîmes où la présidente de l’AFPS a été interpelée et poursuivie, accusée d’avoir enfreint à cette interdiction. Le préfet de l’Hérault se distingue de par ses interdictions répétées des manifestations sous des prétextes fallacieux : « troubles à l’ordre public » mais également « propos injurieux envers la communauté juive », « agressions » qu’il n’a jamais étayés. Dans ce contexte, un militant de la Libre Pensée du 34 est attaqué en diffamation par le préfet pour avoir lu une déclaration de son organisation.
L’« incitation à la haine raciale »
Suite à l’appel Boycott, désinvestissement, sanction (BDS) lancé par la société civile palestinienne en 2005, le mouvement de solidarité international s’est emparé de cette campagne. En France, rapidement l’amalgame récusable entre les notions d’antisémitisme et d’antisionisme va pousser les pouvoirs publics à s’en prendre à des militants. La circulaire Alliot-Marie du 12 février 2010 demande aux parquets d’engager des poursuites pour des appels ou actions de boycott « de produits israéliens » en référence à la législation pénale concernant « l’incitation à la haine et la discrimination ». Des militants en ont fait les frais et l’un d’entre eux a été condamné. Les tribunaux nationaux ont confirmé cette condamnation et ce n’est que le 11 juin 2020 que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour cette décision. Courte victoire pour le mouvement BDS car le gouvernement français contre-attaque : « le 20 octobre 2020, le ministre français de la justice Éric Dupond-Moretti a fait publier une nouvelle circulaire (une “dépêche”) “relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens” par laquelle le fondement légal des poursuites est réaffirmé, simplement accompagné d’une exigence plus stricte de « motivation des décisions de condamnation »2.
Les soutiens indéfectibles de l’Etat d’Israël ont également réussi à imposer la définition de l’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste) par le biais de la « résolution Maillard » qui ajoute l’antisionisme à la définition de l’antisémitisme. Adoptée en novembre 20193 son but est de faire taire les critiques de la politique d’Israël. Non contraignante, elle sert surtout la propagande sans permettre des poursuites judiciaires. C’est certainement la raison pour laquelle le 30 octobre 2024, une proposition de loi qui vise à condamner toutes les « formes renouvelées de l’antisémitisme » a été déposée au Parlement. Cosignée par plus de 90 députés, elle préconise de punir toute critique de l’Etat d’Israël en l’assimilant à la haine des juifs. Revendiquer un État unique pour tous serait assimilé à de l’antisémitisme.
L’« apologie du terrorisme »
Historiquement, l’« apologie du terrorisme » était une infraction qui relevait du droit de la presse et donc de la liberté d’expression. C’est en 2014 qu’elle passe dans le droit commun pour être plus sévèrement réprimée : condamnation de 5 ans voir 7 ans de prison, des délais de prescription allongés et la possibilité de maintenir les suspects en détention provisoire. Dans le cas du mouvement de solidarité avec la Palestine ces poursuites sont souvent engagées alors que les actes en question n’ont pas été qualifiés juridiquement de « terroristes ». Si dans le droit l’« apologie du terrorisme » « vise à criminaliser des propos extrêmement violents sur les attentats, leurs auteurs ou ceux qui en ont été victimes »4, depuis la guerre menée à Gaza, l’usage de cette notion a été fortement élargi dans le but de poursuivre des opposants à la guerre que mène Israël en Palestine ou même des personnes qui interrogent le narratif officiel israélien et français.
Trois jours après le 7 octobre, le ministre de la Justice anticipe « une recrudescence d’infractions à caractère antisémite » ou des « propos susceptibles de revêtir les qualifications d’apologie du terrorisme » et demande aux procureurs une « réponse pénale ferme et rapide »5. Vanessa Codaccioni, historienne et politiste, s’inquiète du fait que « depuis le 7 octobre, ce sont des discours, des engagements, des causes politiques qui sont criminalisées par le biais de dispositifs antiterroristes. C’est la première fois que l’accusation d’apologie du terrorisme est à ce point utilisée pour museler une opposition, pour empêcher de défendre une cause – la solidarité envers le peuple palestinien »6 ou pour ne pas avoir dénoncé le Hamas comme une organisation terroriste. En un an le nombre de signalements et de plaintes a explosé et près de 800 procédures pour « apologie du terrorisme » ont été initiées. Aujourd’hui des journalistes (Zineb El Rhazoui), chercheurs (François Burgat, ancien chercheur au CNRS ; Yannis Arab, doctorant en histoire et auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine) ; syndicalistes (Jean-Paul Delescaut, CGT, condamné le 18 avril à un an de prison avec sursis), soignants (Imane Maarifi, infirmière qui témoigne après sa mission à Gaza, arrêtée et placée en garde à vue), politiques (Mohamed Makni, 73 ans, retraité et élu municipal à Echirolles ; Rima Hassan, eurodéputée, Mathilde Panot, députée LFI) et beaucoup d’autres sont interpellés, pour certains placés en garde à vue et condamnés.
A Montpellier, Abdel, militant décolonial, a pour une simple prise de parole été condamné pour « apologie du terrorisme » le 8 février 2024 à une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes, un an de prison avec sursis simple, inscription de la décision au casier judiciaire, 3 ans d’inéligibilité et une amende. Son procès en appel a lieu le 2 décembre 2024.
De nombreux observateurs alertent : La situation est très préoccupante. L’arsenal législatif pour criminaliser les opposants existe, les quelques contre pouvoirs tels le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont affaiblis même s’il y a heureusement encore des juges qui ne se prêtent pas au jeu de la répression judiciaire à outrance. Les protestations et révoltes vont se multiplier dans un avenir proche et les militant.es et les associations doivent dès maintenant apprendre à faire face à la répression d’État qui s’abattra sur toutes formes d’opposition. [Tissa]
1 https://www.revolutionpermanente.fr/Palestine-le-ministre-de-l-ESR-appelle-a-intensifier-la-repression-des-etudiants-qui-denoncent-le
2 https://orientxxi.info/magazine/la-criminalisation-de-la-solidarite-avec-la-palestine-gagne-du-terrain-en,6613
4 https://www.bondyblog.fr/opinions/interview/palestine-il-y-a-un-fort-cadrage-mediatique-et-une-forte-incitation-a-la-repression-de-la-solidarite/