Jusqu’où la dérive ?

A l’heure où ces lignes sont écrites, l’Assemblée nationale élue le 7 juillet dernier est mise dans l’incapacité de remplir sa mission qui est de voter les lois, de contrôler l’action du Gouvernement (lequel n’est toujours pas nommé) et d’évaluer les politiques publiques.

Au point que les services de l’État refusent aux représentants de sa Commission des Finances l’accès aux documents préparatoires du budget 2025 (Mediapart, 17 et 18 septembre). Le but est évidemment de raccourcir au maximum le débat parlementaire afin de faire passer un budget très austéritaire, celui voulu par le gouvernement démissionnaire et le Président de la République.

Jamais un tel mépris des représentants du peuple n’avait été osé.

Toute la presse internationale s’inquiète d’ailleurs de la fuite en avant autoritaire dans notre paysi :

The Telegraph ne mâche pas ses mots, et écrit qu’« après avoir tenu la France en otage pendant 60 jours, Macron a finalement nommé » un chef de gouvernement venu d’un parti « arrivé en quatrième position lors des élections, avec moins de 10% des voix et seulement 46 sièges. Un choix absolument déroutant et antidémocratique ».

Un choix qui, de plus, acte la fin du front républicain que, tant bien que mal, le président de la République a accepté lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet après en avoir déjà largement bénéficié en 2017 et 2022.

Surtout, avec ce terrible aveu de Marine Le Pen, qui se déclare satisfaite du choix de M. Barnier, car il répond « au premier critère que nous avions réclamé » (X, 5 septembre), on voit à quel point les macronistes sont prêts à s’acoquiner avec les nationalistes d’extrême droite. C’est que « le mécontentement des peuples paupérisés et prolétarisés par le capitalisme néolibéral risque d’amener les gauches au pouvoir. De ce fait, pour les néolibéraux, mieux vaut les extrêmes droites qui dérivent la colère populaire contre des boucs émissaires, sans changer les régimes de propriété. » (Roland Gori, l’Humanité, 16 septembre)

Si Emmanuel Macron est responsable de ces errements, il est pourtant le grand irresponsable de nos institutions : la constitution de la Ve République lui accorde beaucoup de pouvoirs, mais ne prévoit aucun contrôle de l’usage qu’il en fait. Ce qui rapproche dangereusement cette « monarchie présidentielle » d’un absolutisme.

Il utilise ainsi sans scrupule aucun le cadre institutionnel, jusqu’à la limite de la légalité, qu’il ne dépasse pas, mais ce faisant il l’engage dans une illégitimité dangereuse, reniant ses engagements, bafouant la volonté du peuple et ignorant tous les usages démocratiques.

Il laisse au passage Gérald Darmanin donner libre cours à l’escalade des violences policières jusqu’à provoquer délibérément la chute de militants occupant les arbres sur le chantier de l’A69 mettant gravement leur vie en danger.

Il a lu sans doute, et pris au pied de la lettre avec le cynisme qu’on lui connaît, ce que disait Bertold Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. »

Emmanuel Macron dénature l’esprit et les valeurs de notre texte fondamental et des grands textes qui le précèdent et le fondent.

Malgré son article 2 qui affirme que « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », il apparaît que la Constitution de la cinquième République n’assure pas solidement le fonctionnement de la démocratie.

On voit bien désormais qu’elle permet d’entraver toute possibilité de bâtir un autre monde en réprimant férocement les initiatives et les luttes locales.

Elle autorise un seul homme à faire plier le Parlement et les citoyen·es sous sa volonté au service des puissants et d’une politique soumise à leurs intérêts.

C’est pourquoi il devient plus urgent que jamais de multiplier les initiatives et les revendications pour une VIe République.

Par exemple en empêchant les atteintes à l’état de droit : la loiii « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. ». Nestlé Waters vient de faire la démonstration du contraire, puisqu’il est possible dans ce pays de s’approprier un bien commun en puisant de l’eau dans les nappes profondes par des forages illégaux et de traiter frauduleusement des eaux en bouteille, accumulant ce faisant des profits estimé à 3 milliards d’euros (Mediapart, 11 septembre). Et de s’en sortir avec une amende de seulement 2 millions d’euros. La convention judiciaire d’intérêt public ( !!!) qui permet cette forfaiture a pourtant été jugée conforme à la Constitution…

Un nouveau texte constitutionnel peut être construit de façon démocratique, comme le Chili l’a récemment montré. Et l’expérience chilienne aidera à éviter les écueils qui l’ont menée à un échec.

[Marie Motto-Ros]

This entry was posted in General. Bookmark the permalink.