Le soulagement partagé par beaucoup se comprend aisément : le pays a évité un piège redoutable. Le fascisme aux portes du gouvernement a dû rebrousser chemin. A nous de l’en éloigner définitivement.
Le 9 juin 2024, au soir des élections législatives, l’opinion découvre avec stupeur que le Rassemblement National (RN) a obtenu 31% des voix, un score sans précédent, absolument inédit. Au cours de la soirée, peu après la proclamation de ces résultats consternants, le président Macron annonce la dissolution du Parlement semblant ainsi répondre à une exigence formulée par le chef du parti d’extrême-droite. Public général et observateurs ont été pris de court par la décision présidentielle.
L’avancée spectaculaire du RN, sur le point d’obtenir la majorité au Parlement et de ce fait d’imposer un gouvernement, a pu être efficacement contenue grâce à l’extraordinaire sursaut de mobilisation de la gauche. Au soir du second tour des législatives, le RN est relégué en troisième position.
L’ascension de ce parti a été facilitée par deux facteurs : en premier lieu, les manœuvres politiciennes de la Macronie et d’Emmanuel Macron lui-même qui voulaient rejouer le duel Renaissance contre RN, persuadés de l’emporter en raison notamment des divisions de la gauche. Et également, par le rôle des médias, des chaînes privées de télévision, de radio et de presse relevant en particulier de l’empire Bolloré (Cnews, C8, Europe1, JDD, etc.), soutiens ostensibles et relais de la propagande de l’extrême-droite.
Mais le calcul électoral du chef de l’État a échoué. La création du Nouveau Front Populaire (NFP) à l’initiative de La France insoumise (LFI) pour affronter à la fois le RN et la Macronie a annulé le scénario envisagé par les stratèges présidentiels. Le 7 juillet 2024 à l’issue du deuxième tour des élections, le NFP s’impose comme première force politique grâce à une mobilisation citoyenne considérable, au-delà de l’influence des appareils politiques. Syndicats, associations et de larges secteurs de la population se sont investis dans une campagne mature et responsable pour barrer la route au pouvoir du fascisme.
Jamais les quartiers populaires et les électeurs et électrices racisés ne s’étaient autant mobilisés pour La France insoumise, et ce malgré la propagande calomnieuse dont la LFI est victime depuis son entrée spectaculaire au Parlement en 2022. Jamais le climat politique français n’a été à ce point brutalisé par le matraquage incessant de thèmes démagogiques autour de la délinquance et de l’immigration, de l’incapacité supposée des populations musulmanes à s’intégrer et de l’invraisemblable « grand remplacement », etc. La surenchère frénétique dans laquelle se sont engouffrés un grand nombre d’acteurs politiques et de journalistes a une fois de plus révélé l’ancrage du racisme antimusulman et antiarabe.
En dépit d’un environnement médiatique hostile, les forces de gauche ont atteint leur objectif premier. En effet, même si le RN a obtenu un record de voix, il ne sort pas vainqueur de cette consultation lourde de dangers. Le barrage populaire a bloqué son accès à des postes de responsabilité au sein du parlement, il s’agit maintenant de contenir la Macronie qui a réussi à se maintenir grâce à son alliance avec la droite conservatrice et en bafouant tous les règlements et usages des institutions parlementaires.
La séquence à venir s’avère donc périlleuse et son issue incertaine. Beaucoup dans le pays s’entendent sur la nécessité d’en finir avec cette Macronie arrogante, médiocre et brutale qui impose une politique néolibérale à coups de lois liberticides et discriminatoires, d’interdictions d’organisations et de conférences, d’arrestations de militants et manifestants, de gaz lacrymogène, de tirs de LBD comme lors du mouvement des gilets jaunes, des mobilisations contre la réforme des retraites, des manifestations en solidarité avec le peuple palestinien et des actions contre les mégabassines pour ne citer que ces mobilisations citoyennes. Sans omettre de citer dans cet horrible catalogue, la répression silencieuse et sournoise des exilé.e.s, demandeurs d’asile ou sans papiers, les jeunes des quartiers soumis à des contrôles de faciès incessants et violents ou des nombreuses personnes victimes arbitrairement d’assignations à résidence.
La Macronie accrochée au pouvoir et à ses privilèges refuse obstinément un gouvernement du Nouveau Front Populaire, pourtant première force politique issue des élections. Cette posture des soutiens d’Emmanuel Macron est affichée en attendant que certaines des composantes du NFP disposées à composer avec le groupe présidentiel dans un futur gouvernement fassent défection, sans égards pour les institutions et leurs règles. Face à ces manœuvres et revirements, une partie significative de ces forces d’oppostion continuera à exiger la rupture avec les politiques précédentes de gauche comme de droite. Plusieurs axes ont été clairement définis dans le programme du NFP : le combat contre la pauvreté et l’appauvrissement ; la lutte contre le racisme sous toutes ses formes ; l’abrogation de dispositions liberticides ; l’interdiction des violences policières ; l’action contre le dérèglement climatique et la destruction de l’environnement ; l’engagement pour la paix en particulier à Kanaky et en Palestine, où un génocide est perpétré depuis presque dix mois.
L’avènement du fascisme en France a été conjuré pour cette fois-ci. Mais la vigilance doit être de mise. La dynamique qui a permis de mobiliser fortement pour un programme social, écologique, antiraciste et anti-guerre a montré qu’il était possible de mobiliser au-delà des électeurs habituels de gauche. Faisons en sorte que notre sursaut ne soit pas qu’un sursis mais bien un succès !
[Tissa]