L’« apologie du terrorisme », une arme de criminalisation massive

La répression qui s’abat sur le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien est sans précédent. Depuis l’offensive sanglante de l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie qui perdure depuis plus de sept mois, le nombre de signalements et plaintes pour « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine raciale » a explosé. Selon le ministère de la Justice, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 20241. Depuis, des dizaines de nouvelles convocations ont été adressées à des personnes qui ont condamné l’agression israélienne ou exprimé leur soutien au peuple palestinien. En même temps, politiques et médias mènent une campagne nauséabonde pour discréditer quiconque replace l’attaque du 7 octobre des groupes armés palestiniens et la réponse israélienne dans un contexte historique, qualifie les massacres à Gaza de génocide et exige un cessez le feu immédiat. La liberté d’expression se trouve fortement entravée notamment depuis la circulaire du ministre de la justice du 10 octobre 2023 qui prévoit que « la tenue publique de propos vantant les attaques (…) en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de message incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique (…) devront ainsi faire l’objet de poursuites »2.

En dépit de l’injonction de se conformer au vocabulaire autorisé qualifiant notamment les organisations Hamas et Djihad islamique d’« organisations terroristes » faut-il rappeler que des organismes comme l’AFP, la BBC ou Amnesty international n’utilisent pas ce terme qu’ils considèrent comme trop imprécis. Faut il également rappeler que seuls l’Union européenne et les USA ont classé ces organisations ainsi que d’autres partis politiques palestiniens, notamment de gauche, comme « terroristes » tandis que le reste du monde et l’ONU ne le font pas. Me Elsa Marcel qui défend M.Makni (voir ci-dessous) a souligné dans une plaidoirie : « Si on condamne des gens parce qu’ils refusent d’utiliser le mot de “terrorisme” pour les attaques du 7 octobre, est-ce que demain on va condamner les historiens, les chercheurs, les rapporteurs de l’ONU ou encore l’Agence France-Presse, qui refusent d’employer ce terme (…) ? Ce qui se joue ici, c’est la sauvegarde de la liberté du débat public. »3

 

Un des cas emblématique à ce jour d’une criminalisation abusive est celui de Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de la CGT du Nord qui a été condamné le 18 avril pour « apologie du terrorisme » à une peine de prison d’un an avec sursis par le tribunal correctionnel de Lille en raison de la diffusion d’un tract. Celui-ci faisait l’effort de replacer l’attaque du 7 octobre dans un contexte historique. Rappelons également la condamnation le 26 avril 2024 de Mohamed Makni, élu socialiste d’Échirolles depuis 2001, à quatre mois de prison avec sursis pour avoir retweeté une phrase d’un ex-ministre tunisien des affaires étrangères qualifiant l’action du Hamas d’« acte de résistance »4. Il est de surcroît exclu du parti socialiste et perd sa délégation d’adjoint au maire. Des centaines de personnes sont convoquées par la police des mois après leurs publications et les procédures restent en suspens. Elles ne savent pas si elles seront poursuivies ou si l’affaire sera classée. Cette épée de Damoclès fait craindre aux mis en cause une condamnation en cas de « récidive ».

Se déploie en France une forme spécifique de maccarthysme mêlant l’accusation d’« apologie du terrorisme » et islamophobie, assimilant la critique du sionisme à de l’antisémitisme qui serait particulièrement virulent chez les musulmans. Le rôle que joue la Palestine dans le débat politique et médiatique extrême-droitisé est résumé par Edwy Plenel: « La Palestine sert ici d’énième prétexte pour banaliser ces thématiques discriminantes en assumant l’importation en France d’un conflit de civilisation, où Israël serait une bastille occidentale face au péril islamiste »5.

Sans caractériser la situation dans laquelle vivent les Palestiniens depuis des décennies de coloniale, sans prendre en compte l’apartheid, la dépossession, les destructions de maisons, les transferts de population, le siège de la Bande de Gaza, les assassinats et détentions administratives, etc. il n’est pas possible d’analyser l’action des groupes armés palestiniens. Sans connaître la genèse de la création d’Israël et le rôle de l’idéologie sioniste, il n’est pas possible de comprendre l’offensive israélienne. Toute lecture anticoloniale et antisioniste juive ou non juive des évènements est discréditée et poursuivie, en France et en Allemagne encore plus qu’aux États-Unis ou en Grande Bretagne. Les étudiants juifs décoloniaux prennent une part très active dans les occupations d’universités pour dénoncer le génocide à Gaza.

Comment occulter le fait que la réaction du régime israélien est d’une violence incommensurable tout en étant accompagnée d’un discours raciste et déshumanisant à l’égard de tous les Palestiniens. Yoav Gallant, ministre de la défense les considère être des « animaux humains » tandis que le général de division Ghassan Alian ajoute que « les bêtes humaines sont traitées en conséquence ». Benjamin Netanyahou de son côté estime qu’« il s’agit d’une guerre entre les fils de la lumière et les fils des ténèbres »6. Pourtant, les médias et politiques français, à quelques exceptions près, ne s’indignent pas de ce genre de propos mais au contraire les reproduisent sans crainte d’être poursuivis pour « haine raciale » à défaut de l’être pour « apologie de génocide ». Nous assistons à longueur de journée sur les plateaux de télévision à des débats hors sol dont le but est de détourner l’attention de ce que subissent réellement les Palestiniens et de participer à la criminalisation du mouvement de solidarité. Est ce que des responsables syndicaux et politiques qui réclament un arrêt des ventes d’armes à Israël font de l’« apologie du terrorisme » ? Est ce qu’une conférence sur la Palestine peut susciter « un trouble à l’ordre public » ? Est ce que brandir des mains rouges est de l’antisémitisme ?

Il n’a pas fallu attendre l’offensive militaire israélienne sur Gaza et la Cisjordanie pour que la répression frappe durement en France. Le mouvement social (Gilets jaunes, mobilisation contre la réforme des retraites,…), écologique (Soulèvement de la terre…) ou internationaliste connaît des restrictions et interdictions dans son expression depuis des années et des associations ont été menacées et certaines dissoutes à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Mais depuis plus de sept mois nous assistons à une violation du droit d’expression comme jamais auparavant, accompagnée d’un discours islamophobe des plus inquiétant. Pendant des semaines de très nombreux préfets ont interdit les manifestations. Tout récemment encore Laurent Nunez, préfet de police de Paris, a interdit la manifestation « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection des enfants » du 21 avril sous prétexte quelle pourrait « porter en son sein des slogans antisémites ». Jamais autant de conférences n’ont été interdites, de militants associatifs, syndicalistes et politiques n’ont été interpellés ou poursuivis pour « apologie du terrorisme » ou « incitation à la haine raciale ».

Concluons avec l’avocat Raphaël Kempf qui rappelle judicieusement qu’en 2014 déjà, la loi initiée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve décrétait que l’apologie du terrorisme a pour but de « sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ». Puis en 2015, la circulaire signée par Christine Taubira demandait aux procureurs de poursuivre les auteurs présumés d’apologie du terrorisme avec « rigueur et fermeté », de façon « systématique », au besoin en comparution immédiate7. En conséquence, remarque-t-il, « on réprime donc la liberté d’expression pour éviter des attentats terroristes. Selon cette logique, si Mathilde Panot et Rima Hassan8 sont convoquées pour apologie du terrorisme, ce serait pour éviter la réitération des crimes du 7 octobre. L’argument confine à l’absurde et montre le danger de cette infraction9. »

Nous assistons à une dérive de l’État entamée il y a plus d’une décennie vers un autoritarisme de plus en plus décomplexé. Si le Rassemblement national devait un jour arriver au pouvoir, il remerciera la gauche et la droite au pouvoir depuis plusieurs mandatures pour un arsenal liberticide qu’il n’aura plus à imposer. Il est plus que jamais nécessaire de dénoncer ces politiques répressives et d’organiser une riposte contre la montée du fascisme.

[Tissa]

8 Respectivement Présidente du groupe parlementaire La France insoumise et candidate LFI aux européennes.

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