La « loi sur le séparatisme », une épée de Damoclès

Article paru dans l’Épisode cévenol numéro 18.

Le projet de loi dit « sur le séparatisme » rebaptisée « loi confortant le respect des principes de la République » a été adopté au Parlement le 16 février et doit encore passer par le Sénat. Beaucoup ont pensé qu’elle ne concernait que les associations cultuelles et en particulier celles de culte musulman (voir Episode cévenol 16). Il est vrai que ce texte cible en premier lieu les Musulmans de plus en plus ouvertement stigmatisés et soupçonnés de proximité avec des idées radicales flirtant avec le terrorisme. Mais détrompons nous, cette loi représente une véritable menace pour toutes les associations qu’elles soient humanitaires, environnementales, sportives, culturelles ou de solidarité internationale.

Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit, précise que « c’est une loi qui, on l’a bien compris, vise des catégories très particulières de la société civile, “l’islam radical” en particulier,. Mais elle n’est pas taillée sur mesure, bien au contraire car la loi doit s’attacher à être générale et impersonnelle. Elle pose donc de graves problèmes pour tous. » D’ailleurs le Conseil d’État a alerté très rapidement que : «les mesures du projet de loi concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques» !

Concrètement, il est notamment prévu que « toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention au sens de l’article 9-1 auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial s’engage, par un contrat d’engagement républicain, à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect de la dignité de la personne humaine ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République. » Les associations seront soumises à un contrôle plus strict et des sanctions pourront gravement entraver leurs actions. Dorénavant, les dissolutions seront ordonnées par l’administration et non plus uniquement sur décision de justice. Le cas du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) dissous par le ministère de l’Intérieur est parlant.

Comme le constate et le Conseil d’État et la Défenseure des droits, le « contrat d’engagement républicain » comporte des « notions sujettes à interprétations antagonistes » et des « incertitudes » qui ouvrent la porte à l’arbitraire. La notion de « sauvegarde de l’ordre public » à laquelle doivent souscrire les associations, est particulièrement contestée et suscite de nombreuses interrogations. D’autant plus qu’une des conditions qui peut mener à leur dissolution est élargie aux « agissements violents contre les personnes et les biens », ouvrant là un vaste champ d’interprétations.

Face à une précarité grandissante, un mécontentement et malaise généralisés et l’amplification de la répression, les associations et collectifs n’ont souvent d’autres moyens pour protester et se faire entendre que la désobéissance civile qui par définition enfreint à « l’ordre public ». Les tribunaux ont d’ailleurs par le passé souvent reconnu le bien-fondé de certaines de ces actions militantes, comme dans le cas des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron, finalement relaxés.

Est-ce passible de sanctions et même d’une dissolution si l’association engagée dans le droit au logement force la porte d’entrée d’un bâtiment vide pour y loger des sans-abris ? Ou si un collectif occupe une place au centre ville pour pousser les autorités à respecter la loi qui les contraint à héberger des réfugiés mineurs non accompagnés ? Une association engagée dans la protection environnementale ou animale doit-elle craindre de ne plus obtenir de subventions si une de ses actions est qualifiée par le ministre de l’intérieur comme un trouble à l’ordre public ?

Une autre disposition de la loi aux conséquences inquiétantes prévoit que les agissements de membres d’une association peuvent être imputés à celle-ci. Cette forme de punition collective peut aller jusqu’à sa dissolution administrative comme dans le cas de Baraka City, une association caritative. D’aucuns craignent que dorénavant les associations peinent à trouver des responsables si ces derniers doivent endosser la responsabilité de propos haineux, ou considérés comme tels, prononcés par leurs membres sur les réseaux sociaux par exemple.

On le voit bien, si la motivation première de cette loi est de mettre au pas des associations cultuelles et culturelles musulmanes, ces dispositions peuvent à tout moment être appliquées à toutes les formations. Penser aujourd’hui que ne sont touchées que les autres peut s’avérer bientôt comme un immense leurre.

[Tissa]

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