Aux mêmes maux, les mêmes remèdes ?

Se pencher sur des projets de développement territorial n’est jamais chose évidente. Au premier abord, les dossiers de présentation les mettant en valeur sont toujours très soignés et prometteurs, mais une fois passé le cap de la première lecture, et une fois les artifices du langage institutionnel mis à nu, on se demande souvent si leurs contenus exhaussent vraiment les espoirs suscités… Ainsi, lorsque que le Maire de la commune de Saint Jean du Gard informe ses administrés dans un entretien accordé au Midi Libre le 26 décembre dernier que le village allait adhérer au programme “Petites villes de demain”, nous avons eu envie d’en savoir un peu plus et de défaire les rubans de cet intrigant présent tombant à point nommé.

Le programme « Petites villes de demain » est piloté par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), une instance gouvernementale récemment créée en janvier 2020. Il vise à donner « aux élus des villes et leurs intercommunalités de moins de 20 000 habitants exerçant des fonctions de centralités et présentant des signes de fragilité les moyens de concrétiser leurs projets de revitalisation ». Il ambitionne de répondre à l’émergence des nouvelles problématiques sociales et économiques, et de participer à l’atteinte d’objectifs larges et variés de transition écologique, démographique, numérique et de développement. Selon Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, ce programme « cousu-main » s’appuierait sur deux piliers : « la transition écologique et la résilience ». En tout, 1 000 communes sont sur le point d’être sélectionnées par les préfets de département et seront accompagnées sur un programme national d’une durée de six ans.

Il semble important, dans un premier temps, de comprendre de quelle manière ce type de projet s’inscrit dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire menées ces dernières décennies afin de mieux en saisir les enjeux. La notion de centralité, qui va permettre de définir les communes bénéficiaires de ce programme, est un concept qualifiant la capacité d’action d’un élément sur sa périphérie1. Il s’agit dans le cas présent de s’intéresser aux petites communes situées en zone rurale ou péri-urbaine, et caractérisées par la concentration et le caractère structurant des commerces, services et équipements fréquentés par leur population, mais également par les habitants des communes voisines qui ne possèdent pas d’équipements de proximité sur place. Seront donc pris en considération les ressources propres à la commune, mais également l’aire d’influence et l’attractivité de ses fonctions économiques exercées sur celles avoisinantes.

Se dresse alors le constat que ces petites centralités doivent faire face à de nombreuses difficultés liées à une perte de croissance démographique et économique. En effet, de profondes mutations de la société ont entraîné une dévitalisation de ces territoires dont les causes sont aussi larges que variées : fermeture des bassins miniers et industriels entraînant un départ des populations, développement des zones périurbaines captant les classes moyennes, les commerces et les entreprises au détriment des centre-villes, aménagement de zones touristiques attirant les résidences secondaires… Mais ce sont aussi l’hyper-mobilité, la déconnexion entre lieux de vie et de travail, ainsi que l’évolution des modes de vie et de consommation (société des loisirs, individualisation des pratiques, etc.) qui ont favorisé l’émergence de polarités telles que les centres commerciaux, les gares les voies urbaines, et qui, en exerçant un effet d’entraînement sur d’autres activités, remettent en question la centralité exercée par un centre-ville historique sur sa périphérie.

Le soutien à la revitalisation des centres villes constituerait alors une des priorités du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Cet intérêt pour la question n’est pourtant pas nouveau, car depuis près de 50 ans, les pouvoirs publics s’attachent précisément à cet objectif On pourra citer notamment la politique des contrats de pays mis en place 1975 par l’État afin d’enrayer le dépérissement de certaines zones rurales et de répondre aux besoins de proximité immédiate, les lois Pasqua (1995) et Voynet (1999) qui à l’échelle des bassins de vie ou d’emploi proposaient des cadres de coopération entre acteurs publics et privés, leur permettant d’élaborer des projets locaux de développement, ou plus récemment en 2014 le programme national pour la revitalisation des centres-bourgs dont l’objectif global est de conforter un maillage équilibré du territoire par la présence de centres-villes vivants et animés.

Mais c’est dans le rapport de la « Mission prospective sur la revitalisation des centres-villes » figurant en référence du programme « Petites villes de demain » que nous percevons l’esprit général semblant guider les orientations du projet. Rédigé en 2018, celui-ci dresse le constat que les politiques en faveur des centres-villes ne peuvent se contenter d’aborder comme auparavant la question sous les seuls angles du commerce ou de l’habitat. C’est la « cohérence d’un projet à 360° mixant commerces, services, habitat, déplacements qui sera de nature à créer l’attractivité commerciale de demain. » Le rapport insiste sur la nécessité de volontés politiques fortes, au niveau national afin de donner « la priorité aux mesures concrètes permettant de rétablir l’attractivité », et au niveau local, « en intégrant pleinement le centre-ville comme espace de projet et d’implantation des commerces mais aussi des services non-marchands dont les services publics. »

Il est intéressant de noter à ce niveau que les principaux missionnaires de ce rapport, qui apportent donc leur expertise et leurs recommandations pour la définition des axes des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire, occupent, dans la majorité des cas, des fonctions de direction dans des organismes promouvant le commerce et la grande distribution tels que : la CCI France (Chambre de Commerce et d’Industrie), la FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution), le SCC (Shopping Center Company), le CNCC (Conseil national des centres commerciaux), FNH (Fédération nationale de l’habillement), CDCF (Conseil du commerce de France). Les objectifs de transition écologique, de cohésion sociale ou d’implantation de services à destination des populations sont donc à comprendre à travers ce prisme là, celui de la nécessité de relancer le commerce dans des zones en perte de vitesse économique.

Armés de ces quelques éléments de compréhension globale, nous pouvons maintenant nous intéresser plus précisément aux offres proposées par le programme « Petites Villes de demain », élaboré, nous le rappelons, dans le but de « constituer un outil de la relance au service des territoires ». Ce sont ainsi plus d’une soixantaine de mesures qui sont mises à la disposition des élus des communes concernées et qui vont leur permettre d’être accompagnés tout au long de la conceptualisation et de la définition d’un projet adapté à leur localité.

Parmi celles-ci, nous pouvons citer, outre le financement de postes de « chef de projet » ou de « manager de centre-ville » destinés à la conduite du projet, la possibilité de bénéficier de divers modules thématiques permettant notamment : d’intégrer le numérique dans le quotidien des artisans, de mobiliser les outils et ressources développés dans le cadre de la démarche EcoQuartier, d’accueillir une association locale promouvant les métiers manuels et du patrimoine et les liens intergénérationnels ou encore, d’obtenir un financement et une expertise pour construire un projet de territoire appuyé sur une démarche paysagère… Est aussi planifiée au niveau national la création de 200 « Fabriques du territoire », structures regroupant des services liés au numérique (télétravail, ateliers partagés…) profitant à l’ensemble du territoire, de 500 « Micro-Folies », dispositif permettant un accès numéri à la culture, et celle de 800 « France Services », relais destinés à permettre à chaque citoyen, quel que soit l’endroit où il vit, d’accéder aux services publics et d’être accueilli dans un lieu unique pour effectuer ses démarches du quotidien.

Ainsi, à travers tout ce bric-à-brac de mesurettes institutionnelles se côtoient pêle mêle toutes les dernières orientations gouvernementales du moment, c’est bien l’approche libérale qui prédomine largement et créé la cohérence de l’ensemble. Le développement du tout-numérique apparaissant en filigrane dans la quasi-totalité du programme est en parfaite adéquation avec la généralisation de la couverture en fibre optique prévue d’ici 2025 sur tout le territoire, le déploiement de la 5G, et les colossaux marchés privés qui y sont liés. La transition écologique vue par le biais de la rénovation énergétique, de la création de labels écocertifiés, ou de la valorisation de savoirs-faire et du patrimoine est l’outil idéal de la relance économique. L’optimisation des lieux de télétravail, l’accès regroupé et numérisé des services aux publics et celui des lieux de culture permettent cyniquement de pallier à moindre frais à l’insuffisance des implantations sociales détruites au fil des réformes des trente dernières années2.

Le travail de privatisation entamé sous l’égide du développement moderne capitaliste s’octroie aujourd’hui encore un peu plus d’espace avec une imbrication de plus en plus prégnante au sein de tous les pans de la vie sociale. Sans trop de surprise, la relance au service des territoires, telle que promue de la sorte, est bien celle des intérêts marchands, et fort est à parier que dans six ans encore, aux mêmes questions seront apportées les même réponses. Nos écoles, bibliothèques, bureaux de poste, associations culturelles et de quartier n’auront qu’à pendant ce temps poursuivre leur dépérissement en silence. Ainsi, loin de satisfaire les exigences légitimes d’un réel changement lié aux enjeux sociaux et environnementaux actuels, gageons que les initiatives locales se construisant en dehors et en opposition aux politiques utilitaristes se consolident et viennent remédier aux maux que nous subissons.

[Grenouille]

1 Concernant les notions de centralité et de politiques d’aménagement du territoire abordées dans ce paragraphe et les suivants, nous nous basons sur l’étude « Petites centralités, Entre desserrement urbain et dynamiques macro-régionales » publiée en mai 2019 par le CGET.
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