Phénomène encore marginal lors des précédentes élections municipales, la constitution de nombreuses listes dites « participatives » ou « citoyennes » pour le scrutin de 2020 marque une tendance semblant ancrer un regain d’intérêt et une reconsidération de la politique à l’échelon local. Souvent présenté comme une volonté de revaloriser la parole des citoyens et de remettre le pouvoir entre les mains des habitants des villes et des communes, le municipalisme participatif serait ainsi une avancée vers une nouvelle manière de gouverner, plus démocratique mais aussi plus respectueuse de valeurs sociales ou environnementales.
L’essor de cette participation citoyenne puiserait son inspiration d’appels multiples à s’emparer du pouvoir local et à dépasser le cadre habituel du modèle représentatif largement décrié pour ses lacunes en terme d’écoute et de prise en considération démocratique. Sont ainsi souvent citées comme références les mouvements assembléistes refusant une hiérarchisation de leur mode de fonctionnement tels ceux des Indignés en Espagne ou d’Occupy Wall Street aux États-Unis, les mouvements français des Nuits debouts ou des Gilets Jaunes avec la tenue des Assemblées des assemblées ou la proposition de Référendums d’Initiative Citoyenne (RIC).
Pour autant, si la prise de conscience que la possibilité d’agir et de changer les choses ne peut vraisemblablement se faire au niveau étatique – le récent passage de la réforme des retraites au 49.3 n’étant que la dernière illustration d’une longue tradition d’autoritarisme et d’abus de pouvoir gouvernemental face aux revendications sociales et populaires – celle de s’organiser au sein même de l’institution peut présenter de sérieuses limites et incohérences. Et malgré l’aspect qui paraîtrait au premier abord plutôt réjouissant de vouloir amener un peu d’air frais au sein de l’instance réputée la plus proche de la population, il importe de creuser plus amplement la question.
Une partie des listes participatives s’est constituée dans le sillage de mouvements horizontaux de contestation large, de luttes locales prenant comme points de départ le refus de projets d’aménagements jugés nuisibles ou la fermeture de services publics, ou plus simplement en opposition à d’inlassables reconductions de mandats et prises de décisions sans concertation issues des précédents conseils. Là où une contestation était présente localement afin de faire pression sur les élus, il s’agit dorénavant de se faire élire soi-même afin de prendre les rênes en main. Le risque ici, en invitant les gens à se réapproprier leur destin par une participation aux rouages institutionnels, est bien de s’assujettir aux exigences et contraintes de ceux-ci pour au final porter plus d’intérêt au rythme des échéances électorales plutôt que d’agir dans la vie quotidienne. De surcroît, et les exemples ne manquent pas, le potentiel de rupture qui pouvait émerger de mobilisations spontanées et auto-organisées, une fois celles-ci tombées dans la normalisation de l’institution, ont dans leur immense majorité vu leurs exigences politiques et leurs revendications s’étouffer.
D’autre part, la nécessité de représentativité inhérente au modèle électoral fait que bon nombre de programmes peuvent se retrouver dès leur élaboration édulcorés – si ce n’est dépolitisés – ou bien même réduits à une simple déclaration de façade participative incitant les citoyens à donner leur avis pour des projets déjà tout tracés. Une liste participative ne peut pourtant faire l’économie d’une critique fondamentale d’un système qui entretient les inégalités et injustices, ni ne s’engager à les combattre. Et la seule garantie de se présenter avec la volonté de recueillir les avis de chacun dans des commissions ou groupes de travail, quand bien même ils seraient pris en compte, ne suffit pas à s’affranchir de reproduire ces dernières une fois élu. Les exemples de la liste participative catalane Barcelona en Comú poursuivant la chasse aux vendeurs immigrés à la sauvette ou celle grenobloise d’Eric Piolle coupant l’eau et l’électricité à des squats hébergeant une population en grande précarité laissent ainsi songeurs…
Et au delà des limites légales imposées par le pouvoir restreint des communes, notamment happées par les communautés d’agglomération, et la faible latitude laissée face à la main mise centralisatrice de l’État, c’est bien le risque de se heurter à une incapacité toute tracée de ne pouvoir réaliser que de maigres avancées et de se retrouver ainsi découragé à poursuivre un engagement plus profond. Les volontés d’installer quelques producteurs bio ou de limiter la production de déchets au niveau d’un village, même si l’on ne doute pas de la pertinence de tels projets, font ainsi bien pâle figure face au changement climatique causé par la dévastation industrielle capitaliste. L’importance du propos ne réside alors pas dans le fait de questionner la pertinence du petit-geste-qui-peut-sauver-la-planète très prôné par certains, mais bien dans celui de ne pas se laisser intégrer dans le fonctionnement et la logique qui la détruisent.
Ainsi, si agir et s’organiser localement de manière large, directe, et horizontale semble une voie primordiale vers la perspective d’une société émancipée, se restreindre à ne pas dépasser le cadre donné, à ne pas porter son action et sa réflexion en dehors, et face à l’institution, ne restera qu’une tentative vaine de réaliser de réels changements. De nombreuses initiatives éparses et contre-pouvoirs existent et restent à consolider afin de développer une forme politique capable de porter chaque individu au-delà des limites du système actuel. Espérons toutefois que les idéaux du municipalisme participatif ne se borneront pas à de simples annonces électorales mais seront réellement expérimentées dans un esprit de rupture et d’innovation.