« Il n’est jamais trop tard pour s’arrêter », dit-on parfois à des personnes mettant dangereusement en jeu leur santé de par leur incapacité à renoncer à une consommation excessive de produits nocifs tels l’alcool ou le tabac. Cette pathologie consistant à se détruire plus ou moins consciemment à petit feu est souvent considérée sur un plan strictement médico-social et traitée à titre individuel, mais n’est pourtant que très rarement pensée de manière globale. Car si l’addiction peut se caractériser comme l’envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose malgré la conscience des problèmes qu’elle engendre, force serait de constater que les élites mondiales dans leur volonté compulsive de générer toujours plus de profits tomberaient aisément sous le joug de cette définition.
Ainsi, la crise actuelle mondiale liée à la propagation du virus Covid-19, dans tout ce qu’elle peut être révélatrice des incohérences et inégalités portées par le système capitaliste depuis des générations, nous révèle une fois encore comment, même face à la catastrophe, aucune remise en considération ne saurait avoir lieu de la part des gouvernants. Bien au contraire, et au-delà de toute logique rationnelle qui voudrait qu’aux effets on réponde à la cause, ceux-ci prévoient d’ores et déjà de raviver l’incendie en jetant des milliards de dollars, d’euros où de yens dans la fournaise de l’économie mondiale. Celle-là même pouvant pourtant être largement incriminée d’être responsable de la crise, et des multiples maux dont la majorité de la population souffre actuellement dans le monde…
L’origine des propagations virales n’est ainsi plus un mystère pour les épidémiologistes. Ceux-ci s’accordent à en trouver les causes dans les diverses activités humaines issues de la société moderne, telles la perturbation des milieux naturels par la déforestation où l’accaparement des terres pour les besoins de l’agriculture intensive. Si ce fait n’est pas une nouveauté en soi, il a cependant gagné en ampleur en raison de l’intensification des bouleversements pratiqués depuis des décennies, et de la facilitation des moyens de propagation. Si autrefois une bactérie porteuse de maladie mettait des semaines dans un navire pour voyager d’un continent à l’autre, et si la contagion pouvait aussi bien se résorber durant le trajet, celle-ci peut aujourd’hui faire le tour la planète en à peine plus de temps qu’il n’en faut pour remplir le réservoir de kérosène de l’un des nombreux transports maritimes ou aériens sillonnant le monde pour les besoins de la mondialisation. Et une fois arrivée à bon port, celle-ci peut se répandre aisément au sein d’une population dont l’immunité est déjà fragilisée par diverses pollutions industrielles – comme par exemple en Italie du Nord, à cause de la chaîne alimentaire agro-industrielle, ou du fait du manque de moyens apportés par des services de santé déjà mis à genoux par le système libéral.
Mais pour autant, et malgré ce constat flagrant, la charge du naufrage n’est pas imputée à ceux qui l’on causé, et la critique d’un système déjà maintes fois jugé intenable est passée sous silence au nom de l’effort national et de l’urgence prévalant pour résoudre ladite crise. L’ensemble des pots cassés sont ainsi payés par les populations, et particulièrement les plus pauvres, qu’elles soient confinées aujourd’hui, ou pressurisées demain pour rembourser les fonds colossaux distribués aux entreprises du capital pour la relance de l’économie. Car dans cette logique de l’omission, il faut créer le subterfuge, et se prémunir de la contestation. L’état d’urgence sanitaire est ainsi créé et les pleins pouvoirs sont octroyés. Et si la propagation du virus s’amplifie, c’est à la population ne respectant pas sa réglementation qu’en incombe la faute, non aux gouvernants qui tant occupés à voter leurs lois auraient oublié de fournir masques de protection ou tests de dépistage à celle-ci. Le délit de « mise en danger de la vie d’autrui » et les diverses interdictions s’appliquant aujourd’hui aux individus seront très vraisemblablement banalisées demain, tout comme les lois de l’état d’urgence de 2015 censées lutter contre le terrorisme international ont restreint les libertés de chacun avant d’être entérinées en 2016. Et lorsque sonnera l’heure de l’état d’urgence climatique, ce sera une fois encore aux populations de se priver ou d’être sanctionnées au nom du maintien de l’économie et de l’industrie qui l’auront engendré.
La question vient alors de que faire pour briser ce cercle sans fin. Assujettie à un salaire et à des loyers à payer, la majorité de la population se trouve prise dans l’engrenage de la perpétuation du système et contrainte de participer au maintien de cette économie destructrice et assassine. Et faute d’alternative crédible, elle semblerait condamnée à quémander l’aumône d’une réforme où réduite à attendre une miraculeuse et subite prise de conscience des dirigeants proposant quelques mesures-paillettes de l’équivalence d’une goutte dans l’océan… Mais pour stopper la machine, il ne suffit pas d’espérer que la cadence soit réduite, il faut l’arrêter complètement, et s’organiser. Car si l’économie tourne pour l’instant au ralenti, que les transports sont à l’arrêt, que la nature reprend doucement sa place dans ce soubresaut d’accalmie, et que le chant des oiseaux se fait entendre aux fenêtres, celle-ci planifie déjà sur quels rails se remettre en marche et prend de l’avance. La grande distribution, le commerce en ligne ou uberisé augmentent à vue d’œil leurs parts de marché et le patronat se frotte les mains à l’idée des latitudes qui lui seront bientôt offertes… Beaucoup disent que quand tout sera fini, rien ne sera plus comme avant, la formule peut présenter de l’optimisme, mais que cela implique-t-il réellement pour qui désire sincèrement œuvrer vers cet « après » ? De retourner au travail puis d’enfoncer la clé dans le démarreur de son véhicule pour aller faire ses courses en attendant que les choses changent ? Ou de descendre dans le silence de la rue et de marcher vers les lieux de pouvoir où les véritables responsables officient afin de leur signifier que tout est bel et bien fini ? Ces deux options résultent d’un choix, mais il ne faut pas l’oublier, il n’est jamais trop tard pour les arrêter. [Grenouye]