Etat de droit, état du droit

« Nous ne nous arrêterons pas. Je me fiche de ce que pensent les juges. (…) » (Tom Homan, le responsable de la frontière et des expulsions dans l’administration Trump)

« Désolé, Elon : même l’expulsion des membres de gangs illégaux doit respecter l’Etat de droit. » (Éditorial, New York Post)

Ces propos rapportés dans Le Monde du 18 mars dernier résument parfaitement le point de bascule où en sont les Etats Unis alors qu’aux régimes autoritaires de longue date (Chine, Corée du Nord, Iran, Égypte…) s’ajoutent ceux qui ont glissé vers ce modèle dans le flux d’une vague autoritaire qui englobe désormais, parmi les acteurs internationaux de premier plan, l’Inde de Narendra Modi et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. L’Europe n’est pas épargnée par le flot. L’illibéralisme du Hongrois Orban inspire les extrêmes droites du continent. Les néofascistes sont au pouvoir en Italie.
D’autres sont sur une pente dangereuse y compris le nôtre.

En effet, même si la récente décision du tribunal administratif de Toulouse annulant l’autorisation environnementale de l’autoroute A69 a montré que la justice conserve son indépendance, et que force reste à la loi en France, des tentatives scandaleuses de passer outre se sont très vite manifestées, venant qui plus est de la part d’élus – de tous bords. …

« Contester le fait qu’un juge puisse remettre en cause une décision de l’administration, c’est remettre en cause les fondements même de l’État de droit et de notre démocratie. Que des politiques et des parlementaires s’aventurent sur ce terrain-là, c’est extrêmement choquant et inquiétant », souligne Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris, dans Reporterre le 12 mars.

La proposition de « loi de validation de l’autoroute » portée par le député Philippe Bonnecarrère (divers droite) est une tentative de modifier l’état du droit de même nature que celles qui suivent désormais systématiquement les faits divers instrumentalisés à longueur d’antenne sur les media bolloréens.

En revanche, la déclaration de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qui estime que l’État de droit n’est “pas intangible, ni sacré”, est une attaque caractérisée contre un principe fondamental d’organisation de notre société qui garantit la démocratie ainsi que les droits et les libertés des citoyen·nes.

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau souligne la gravité de l’époque : « Nous sommes dans un moment historique où il y a une tension entre deux formes d’Etat : l’Etat de droit, où être élu par le peuple ne suffit pas ; l’Etat brutal, comme on le voit avec Trump, où l’élection est censée donner tous les droits. »i

Quelques événements récents montrent à quel point cette tension est à l’œuvre en France également.

Ainsi des révélationsii sur le scandale des eaux en bouteille : depuis 2021, plusieurs gouvernements ont manœuvré pour sauvegarder les intérêts commerciaux de Nestlé (y compris les sources Perrier de Vergèze, dans le Gard) et préserver une appellation d’eau minérale qui n’a plus de naturelle que le nom.

Contre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), les préfets ont été « autorisés » à valider un niveau de filtration contraire aux réglementations française et européenne, qui protège certes des contaminations bactériennes, mais pas des virus et qui surtout ne permet pas l’appellation d’eau minérale naturelle.

Comme le souligne un haut fonctionnaire qui a suivi le dossier :

« Cela pose un problème de démocratie car l’État a dévoyé la mission de ses propres services pour répondre aux exigences de Nestlé et sa balance commerciale. »

A l’inverse, des décisions de justice réaffirment la prééminence du droit sur les pressions politiques. C’est ce qui a permis à la « Marche nocturne féministe radicale » de se tenir le 7 mars dernier à Paris alors qu’elle avait été interdite par le préfet de police Laurent Nunez (France Info, 6 mars)

De la même façon un projet de mégascierie a été invalidé par le tribunal administratif en Corrèze, alors que les pouvoirs publics locaux avaient déjà exproprié les habitants des terrains convoités par l’entreprise pour son extension. (Médiapart, 10 mars 2025).

Une affaire beaucoup moins médiatisée que l’A69 qui s’est, elle, chargée d’enjeux politiques et même idéologiques puissants : l’état du droit et l’état de droit sont désormais des obstacles au maintien au pouvoir des dominants.

Pour Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme, (Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Gallimard), « Dans un contexte de croissance baissière pour les pays anciennement industrialisés, il n’y a plus de moyens de satisfaire les exigences des rendements financiers délirants, alors on revient aux bonnes vieilles méthodes de prédation : on va donc, à l’extérieur, saisir des territoires et, à l’intérieur, détruire l’État social et l’État de droit afin de revenir à une domination sans partage du patronat. »

Pour Quinn Slobodian, (« Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie », Seuil), nous allons vers « un capitalisme pur, débarrassé de toute contrainte démocratique et dominant un État minimal devenu une entreprise comme les autres ».

Pour Arnaud Orain, (Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, Flammarion), nous sommes désormais dans « un monde où les élites pensent que le gâteau ne peut pas grossir. Dès lors, la seule manière de préserver ou d’améliorer sa position, faute d’un système alternatif, devient la prédation ».

Pour Célia IZOARD, venue le 15 février dernier à Anduze pour présenter son livre (« La ruée minière au XXIème siècle », Seuil), « la mine et les métaux sont devenus le deus ex-machina de la décarbonation. Une industrie accusée depuis des décennies par les peuples autochtones de la planète de génocide et d’ethnocide se positionne aujourd’hui en leader climatique. Cette nouvelle fonction salvatrice justifie la mise en place de régimes d’exception destinés à accaparer des terres restées collectives »

Le débat qui a suivi son intervention a surtout exploré les capacités de lutte qui permettraient localement d’empêcher l’installation de mines en Cévennes. La question de l’état de droit comme condition de la lutte reste également essentielle.

Si, comme le soulignait Célia Izoard en introduction de son propos, nous avons pu penser ici que l’époque minière faisait partie du passé, c’est peut-être aussi parce que notre cadre institutionnel et juridique permet encore (même de façon imparfaite et malgré les attaques) à la volonté citoyenne de se faire entendre et respecter sans risquer sa vie.

C’est pourquoi il est si important de ne rien lâcher sur le principe essentiel de l’état de droit qui garantit contre l’arbitraire, borne la puissance de l’état (et c’est particulièrement important lorsque celui-ci est si évidemment au service des dominants), et permet d’expérimenter des formes de vie collective et autonome en dehors du marché et du capitalisme. [Maire Motto-Ros]

i https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/03/07/il-ne-faudrait-pas-decouvrir-la-valeur-de-l-etat-de-droit-une-fois-perdu-l-alerte-de-hauts-magistrats-francais_6576867_823448.html

ii https://www.mediapart.fr/journal/france/210125/scandale-des-eaux-en-bouteille-le-pouvoir-politique-au-service-de-nestle

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Épisode cévenol n°43

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La morale des autres, ou la nôtre

« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres » Léo Ferré, « Préface », 1973

Si l’appel à la morale se fait moins fréquent ou moins explicite aujourd’hui, le bon sens a pris la place comme fournisseur d’un argument d’autorité qui peut être mis au service de n’importe quelle idée, fût-elle la plus dangereuse. Et les médiacrates comme le personnel politique ne s’en font pas faute.i

Donald Trump lui-même s’en est prévalu dans son discours de victoire le 6 novembre dernier « Vous savez, nous sommes le parti du bon sens.”ii

Or ce « bon sens », comme la morale visée par Ferré, est surtout mis au service des idées réactionnaires et des populismes d’extrême droite qui triomphent un peu partout dans le monde.

Ainsi en est-il de la dette de l’état français qui, en quelques mois, a été qualifiée par un pouvoir à la botte du Rassemblement National de « gérable et alourdie », puis de « préoccupante et soutenue », pour finalement devenir « explosive et colossale », phagocytant les discussions sur un budget qui en est à son troisième essai, et occultant les urgences sociales et écologiques qui s’aggravent, elles, véritablement, de jour en jour.

Mais qui prête à l’État français ? 53,2% de ses créanciers sont à l’étranger : des banques, des fonds de pensions et des assurances qui prêtent, avec des intérêts évidemment.

Et puisqu’on en est aux intérêts (pas l’intérêt général surtout, on parle bien d’intérêts privés), on apprend qu’en 2025, les grandes sociétés (souvent les mêmes qui prêtent aux États) devraient verser 459 milliards d’euros à leurs actionnaires.

On voit bien de quel bon sens il s’agit : pas celui des 5,1 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté officiel (Insee, 2022) ou celui des 532 enfants malades du scorbut (France Info, 20 décembre 2024 : “Il y a actuellement en France une population d’enfants âgés de 5 à 10 ans qui sont exposés à une carence alimentaire profonde… »)

Toujours concernant les enfants, la morale resurgit sur le thème de cette dette qui « pèse sur les épaules de nos enfants ». Mais ce qui pèse sur les épaules des générations futures, ce sont les choix politiques qui font ruisseler les richesses toujours vers le haut (jusqu’aux paradis fiscaux…) et qui exonèrent les multinationales de leurs responsabilités. On apprend par exemple (Le Monde,14 janvier) que 100 milliards d’euros seraient nécessaires pour la décontamination des terres européennes empoisonnées par les polluants éternels (PFAS, voir article « Solvay et les PFAS dans ce numéro d’Episode Cévenol).

Et dans le même temps et le même journal que les décisions au niveau européen visant à une interdiction de ces polluants sont entravées avec beaucoup d’énergie par la plus puissante organisation de lobbying d’Europe, le Conseil européen de l’industrie chimique Cefic, qui consacre, chaque année, plus de 10 millions d’euros à son lobbying. Voilà la morale des multinationales que le soi-disant bon sens conduit à soutenir, et voilà la morale de leurs dirigeants.

Le soi-disant bon sens est en réalité un appel déguisé à la bonne vieille morale, celle de la fable de La Fontaine « Le laboureur et ses enfants » : « Travaillez, travaillez, il en restera toujours quelque chose » (XVIIème siècle), jusqu’à Macron (2016) : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! »

Et de vanter le soi-disant mérite des ultra riches qui ne devraient leur réussite qu’à leur travail acharné…

Cette idée est fausse : 7 des 9 Français.es devenu.es milliardaires en 2024 sont des super-héritier.esiii.

PEU DE MÉRITE, DONC, PAS NON PLUS D’HONNÊTETÉ

Car ils mentent sans vergogne, pour préserver leur puissance et leurs profits : « La liberté d’expression implique précisément le droit de diffuser de fausses informations » ose ainsi le fils d’un ancien président de la république. Il faut dire que le géniteur est un artiste en la matière : il fait son show en ce moment même devant un tribunal.

Le droit de dire des choses fausses, c’est ce que Donald Trump a nommé post-vérité, où ce qui est faux devient un fait alternatif. Cette façon de procéder s’accompagne également d’une attaque contre le fact-checking (vérification de contenus déjà publiés, sur les réseaux sociaux notamment, visant à établir ce qu’on sait, ou pas, d’un sujet).

La post-vérité, c’est savoir que ce qu’on dit est faux, se battre pour pouvoir le dire et s’attaquer à ceux qui disent que c’est faux. Ça s’appelle piétiner l’éthique.

De quelles personnalités politiques et de quels bords vient la désinformation (fake, hoax, rumeur, théories du complot) ?

Une étude qui utilise une base de données de 32 millions de tweets venant des parlementaires de 26 pays montre que la désinformation vient essentiellement de l’extrême droite qui en fait un usage quasi industriel, et de façon très nette.iv

Ceux qui sont au pouvoir, ceux qui veulent y parvenir, ceux qui l’ont exercé, et pas seulement aux États-Unis assument aujourd’hui, de plus en plus souvent, que ce qui est vrai, c’est ce que les gens ressentent, plutôt que ce qui se passe vraiment. Et ils ont les moyens de peser sur le ressenti des gens. Une stratégie qui fait la réussite des populistes partout dans le monde…

Leur morale n’a pas d’existence ailleurs que dans leurs discours, et pas d’autre but que de faire accepter leur domination.

Ils piétinent en fait la morale qu’ils prétendent représenter : leur puissance repose en grande partie sur le mensonge, la cupidité et l’inhumanité.

NOUS, MILITANTS, ACTIVISTES OU JUSTE CONVAINCUS DE LA nécessite DE CONSTRUIRE UN AUTRE MONDE

Nous défendons des valeurs inverses : la vérité sur les enjeux actuels, la solidarité entre humains et avec le vivant, la liberté dans les limites du respect de l’autre…

Comment aller vers un autre monde, contrer ce rouleau compresseur populiste, gagner des positions dans la bataille culturelle en sortant de l’entre soi militant dans lequel nous nous trouvons trop souvent enfermés ?

Benoît Coquard, sociologuev, invite à « être réflexif sur ce qu’on est. Comment est-on perçu ? Avant de vouloir changer les gens et changer le monde, il faut déjà essayer de comprendre ce qu’on est aux yeux des personnes avec lesquels on entend tisser des alliances. » (Socialter, Résistances rurales, décembre 2024)

Et prendre le temps d’écouter sans postures surplombantes ou moralisatrices (« Voici, en avalanche, les chiffres qui prouvent que j’ai raison… », « IL FAUT INTERDIRE/TAXER/SUPPRIMER » « Les chasseurs sont tous des beaufs alcooliques »…)

Tout.e citoyen.ne a une idée de la société qu’il/elle souhaite et ses priorités, malgré ce dont on lui rebat les oreilles dans les médias et sur les réseaux sociaux, ne sont pas l’immigration ni l’emploi et le chômagevi.

Les cahiers de doléances sont de ce point de vue la démonstration que « les gens » ont des idées, des réflexions : 2 millions de contributions, des textes éminemment politiques, ont été ignorés par Macron, qui les avait demandés, ils sont enterrés dans les archives des 101 départements français… « Les doléances », documentaire qui retrace le travail de redécouverte de ces cahiers, est disponible jusqu’au 30 avril sur France TVvii.

[Marie Motto-Ros]

i Le bon sens en politique, un redoutable contresens démocratique Le Monde 22 novembre 2024

ii idem

v Auteur de Ceux qui restent. Faire sa vie dans des campagnes en déclin (éditions La découverte, 2019).

vi https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-etat-de-la-france-quel-rapport-la-democratie-en-2024

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Solvay et les PFAS

PFAS, risques majeurs pour la santé: les rejets de l’usine Solvay de Salindres à l’origine de pollution

En février 2024 la presse (1) s’est largement faite l’écho d’une pollution aux PFAS dans des échantillons d’eau prélevés par l’association Générations futures à proximité des usines chimiques de Salindres, dans l’Arias et l’Avène ainsi que plus loin dans le Gardon, et dans l’eau potable de Moussac et Boucoiran.

Le rapport de Générations futures (2) fait état de taux extrêmement importants. Le journal Le Monde a titré « A Salindres, dans les Cévennes, une contamination record aux « polluants éternels dans les eaux ».

D’après les scientifiques et médecins, ces polluants peuvent impacter fortement et à long terme la santé des habitants. Il est donc essentiel de connaître l’étendue des contaminations et leurs impacts actuels et prévisibles.

Qu’est-ce que les PFAS ?

Les PFAS sont des composés dérivés du fluor (per- et polyfluoroalkylés). C’est une famille chimique qui regroupe plus de 4000 composés. On les retrouve dans de nombreux produits : imperméabilisants, ustensiles de cuisine, pesticides agricoles produits pharmaceutiques, mousses anti-incendie etc…

Quels sont les dangers pour la santé ?

La contamination par les PFAS est diffuse dans les eaux, l’air, le sol et les êtres vivants. On ne peut pas les détecter sans analyses. Leur persistance inégalée et leur toxicité sont à l’origine de la qualification de « polluants éternels ».

Les effets néfastes signalés pour la santé tels qu’ils ont été démontrés dans le cadre d’expérimentations animales et, dans certains cas, chez l’homme, sont multiples : malformations chez les fœtus, cancers, impacts sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif et hormonal…

Qu’en est-il de la présence de PFAS autour de la plateforme chimique de Salindres ?

L’usine Solvay de Salindres est depuis des années l’une des 5 usines françaises productrices de PFAS (2).

Elle a la particularité de produire, entre autres produits fluorés, du TFA (acide trifluoroacétique) depuis 1982. Sa dangerosité est particulière car il est très mobile et soluble dans l’eau.

L’association Générations futures a recherché dans les eaux issues de Solvay la présence de 28 PFAS et TFA (3).

Les concentrations de PFAS se sont révélées extrêmement importantes, surtout dans les rejets en sortie d’usine. Selon l’association, « la norme de Qualité Environnementale (NQE) proposée par l’Europe pour ces PFAS est dépassée dans tous les prélèvements effectués ».

Le cocktail de substances retrouvées et l’étendue de la contamination constatés ont et auront des conséquences sur l’environnement et la santé publique.

Quelle politique publique ?

Bien que la présence et la dangerosité de ces polluants soient connues depuis longtemps, les PFAS ont été et sont pour la plupart utilisés de manière intensive et non réglementée depuis plusieurs dizaines d’années dans le monde entier.

En Europe un récent rapport du Réseau européen d’action sur les pesticides (PAN Europe) (3) dit : « Tous les échantillons d’eau analysés contiennent des PFAS dont 98% de TFA » et conclue « Les niveaux de TFA trouvés dans les eaux de surface et souterraines représentent la plus grande contamination de l’eau à grande échelle connue par un produit chimique fabriqué par l’homme ».

Devant cette réalité catastrophique et la diffusion d’informations par la presse, les responsables politiques commencent à envisager des mesures.

A la demande de 5 pays (4) l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) examine depuis ces dernières années un dossier de « restriction » qui proposerait d’interdire en Europe la fabrication et la commercialisation de produits contenant des PFAS. Mais des dérogations sont aussi examinées… Et la contamination est présente pour de nombreuses années, et certainement … des siècles.

Une directive européenne de 2020 a fixé une limite de qualité pour l’eau potable mais cette norme ne prend en compte que la somme de 20 PFAS sur plusieurs milliers. Cette directive n’est pas encore appliquée en France et ne devrait l’être qu’au 1er janvier 2026.

D’autres « recommandations » existent pour les denrées alimentaires.

En France, « en regard des préoccupations grandissantes des PFAS », un plan d’action a été décidé en 2023. Il a abouti en avril 2024 à la publication d’un plan d’action .

On ne peut que souhaiter que ce plan soit suivi rapidement de décisions concrètes et à la hauteur des enjeux.

En Occitanie l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé avec l’appui de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) depuis mars 2024 une campagne de prélèvements et d’analyses mais ne concernant que 20 PFAS et pas le TFA. Sur 326 captages ou production d’eau potable (5) analysés 45 sont dans le Gard.

Ces prélèvements révèlent généralement des teneurs assez faibles mais évidemment on ne sait rien sur le TFA et les milliers d’autres composés fluorés puisqu’ils n’ont pas été recherchés. Par contre 2 captages à Rodilhan et Générac font l’objet d’une surveillance particulière à cause de de leurs taux élevés.

De son côté l’Agence nationale de santé (ANSES) doit compléter ces résultats par de nouvelles analyses qui incluraient d’autres PFAS et le TFA. Les résultats devraient être publiés en 2026.

Ces récentes campagnes interrogent quand on sait qu’une norme devra être appliquée au 1er janvier 2026 pour l’eau potable : les enquêtes ne seraient-elles pas destinées à fixer à cette date des teneurs qui seraient acceptables pour la grande majorité des captages et non en fonction de critères de santé publique ?

La situation de l’usine Solvay de Salindres aujourd’hui

La publication des concentrations spectaculaires de PFAS mises en évidence à la sortie et en aval de l’usine ont été un coup de tonnerre local. Population et élus savaient que cette usine classée SEVESO 2 présentaient des risques… mais qu’on préfère oublier.

Pourtant ces dernières années la dangerosité de la production avait conduit la préfecture à prendre plusieurs arrêtés imposant des réductions de rejets (2017, 2023).

Le 29 mai 2024 une commission de suivi du site (CSS) préconisait un plan d’action complémentaire. La santé publique est clairement en jeu.

Puis en septembre dernier, autre coup de tonnerre : Solvay annonce la fermeture de l’usine d’ici 2025 à cause « d’une forte concurrence internationale sur les TFA et dérivés fluorés ».

68 salariés seront licenciés, une grève et un blocage du site démarrent, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes manifestent la solidarité locale.

La CGT et Générations futures publient ensemble un communiqué de presse pour défendre les salariés et exiger la dépollution du site (6).

Localement un silence assourdissant

On aurait pu espérer que les pouvoirs publics et les élus locaux prennent la mesure des problèmes causés par Solvay sur la santé des habitants et l’environnement. La réaction du président d’Alès Agglo et d’une majorité d’élus a été de critiquer les articles de presse accusés de porter atteinte à « l’image du territoire » sans jamais parler de la santé des salariés et de la population. Au lieu de prendre en compte la gravité de la pollution, les élus et pouvoirs publics se retranchent derrière l’absence actuelle de normes pour les PFAS dans l’eau potable.

L’avenir en question

En juin dernier une réunion publique a été organisée par Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS à Alès pour informer les habitants sur les PFAS.

Depuis, les salariés de l’usine Solvay, l’association Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS échangent ensemble pour exiger la prise en compte des nombreux problèmes en suspens parmi lesquels l’héritage toxique laissé par Solvay, l’état de santé des salariés et de leurs familles, la contamination des captages de toutes les communes par les PFAS dont le TFA.

Devant l’ampleur du risque il est légitime que les citoyens se mobilisent pour demander une information transparente, exiger que les pollueurs soient les payeurs et que les mesures nécessaires soient prises rapidement (7).

[Béatrice Ladrange]

(1) Articles Le Monde 6 février 2024, Canard Enchaîné 14 février 2024, Midi Libre 15 et 16 février 2024…
(2) Usines fabriquant des PFAS en France : Arkema et Daikin au sud de Lyon, Chemours dans l’Oise, Solvay dans le Jura et à Salindres ;
(3) Rapport « PFAS, contamination des eaux par des polluants éternels à Salindres » Générations Futures Février 2024
(4) 5 Etats ont demandé une restriction globale des PFAS : Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Allemagne.
(5) Analyses PFAS Occitanie : https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/la-dreal-publie-les-resultats-de-mesures-de-pfas-a26684.html
(6) Communiqué de presse CGT- Générations Futures FR3 Occitanie https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/gard/nimes/fermeture-du-site-de-solvay-a-salindres-on-ne-va-pas-laisser-faire-la-cgt-et-generations-futures-montent-au-creneau-et-appellent-le-gouvernement-a-agir-3037358.html
(7) Rapport « TFA, le polluant que nous buvons » en Europe – Collectif d’associations dont GF- Juillet 2024

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Un cessez-le-feu à Gaza. Et maintenant ?

On vient de commémorer le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz par l’Union soviétique (en excluant les représentants russes!). Moment solennel permettant d’écouter quelques rares survivants, de nombreux descendants et une multitude de commentateurs qui tous rappellent la monstruosité du projet d’extermination des juifs d’Europe (oubliant souvent au passage l’élimination de Tziganes, handicapés, prisonniers soviétiques etc.). Toutes ces voix sincères s’élèvent pour dire « Plus jamais ça ! ». Mais rares sont celles qui à l’instar d’Erica Fisher, dont les grand-parents ont été exécutés à Treblinca, ont exprimé leur malaise face à ce qui se déroule à Gaza : « Quel sens aurait la commémoration d’Auschwitz si elle ne saisissait pas l’occasion de condamner un génocide qui se déroule sous nos yeux à tous, et ce précisément au nom du génocide qu’elle prétend commémorer ? »

Un génocide qui perdure. Un cessez-le-feu est entré en vigueur le 19 janvier dans la Bande de Gaza et doit s’appliquer en plusieurs étapes sur une durée de plus de 40 jours. L’arrêt des bombardements s’accompagne de la libération des prisonniers des deux cotés, d’un large retrait des militaires israéliens de l’enclave, de l’entrée de l’aide humanitaire et du retour des centaines de milliers de déplacés dans leurs lieux d’habitation en ruines. Des réfugiés retournés en masse dans le nord en ruines le quittent à nouveau pour s’entasser dans Gaza-ville en raison du manque d’eau et de nourriture, les familles s’installent dans les décombres ou des tentes de fortune tout en craignant que leurs enfants ne soient mutilés ou tués par des munitions non explosés. Et par dessus tout, l’UNRWA, l’office de l’ONU chargé du soutien des réfugiés est interdit d’activités depuis le 30 janvier. Qui s’occupera dorénavant de la distribution de vivres, et de médicaments ?

Si le soulagement des Gazaouis est palpable, ils appréhendent la suite. Les fascistes dans le gouvernement israélien, non contents de devoir subir ce cessez le feu, n’attendent que la reprise de la guerre, d’autant plus qu’à l’issue de 15 mois d’offensives militaires aucun des objectifs n’a encore été atteint. Il est vrai que les Gazaouis ont payé un lourd tribu avec une infrastructure totalement détruite et des dizaines de milliers de morts (les estimations vont jusqu’à 300 000 morts directes et indirectes), des centaines de milliers de blessés et de traumatisés. Mais le Hamas n’a pas été anéanti et les otages n’ont pas été libérés par l’armée israélienne. La résistance armée a jusqu’au bout porté des coups aux militaires israéliens, en particulier dans le nord de Gaza, qui devait pourtant – selon leur plan – être vidé de ses habitants.

Échec d’autant plus cuisant que le prix est lourd en termes économique et diplomatique, sans oublier l’émission de mandats d’arrêt du Tribunal pénal international contre Netanyahou et l’ex-ministre de la défense Gallant et le dépôt de dizaines de plaintes contre des soldats qui ont filmé leurs propres crimes.

Il est difficile d’imaginer que les responsables israéliens soient satisfaits de ce revers mais la poursuite de la guerre n’est pas sans danger. Au regard du nombre de morts et de blessés, de déplacés, d’une économie fortement entravée, les Israéliens sont ils prêts à les suivre ? Face à ce fiasco, l’annonce de Donald Trump de vouloir nettoyer la Bande de Gaza et déporter ses habitants vers l’Égypte et la Jordanie a été accueillie avec enthousiasme par les plus radicaux. Les Palestiniens quant à eux, martèlent qu’ils ne quitteront jamais cette terre.

A Jérusalem-Est, les attaques israéliennes se sont également intensifiées. Militaires et colons s’en donnent à cœur joie dans une impunité quasi totale. Dans ce qui devrait être la capitale de la Palestine selon le droit international, les colonies progressent, accompagnées de la destruction massive de bâtiments, de l’expulsion de leurs habitants et de l’installation de colons. Au pied de la vielle ville, le quartier d’al-Bustan est en pleine démolition. Une centaine de maison et 1500 familles sont en danger. Il en est de même du quartier Silwan qui jouxte également la vieille ville où les habitants s’organisent depuis des années pour défendre leurs lieux de vie en menant des batailles juridiques et organisant des mobilisations. La réponse israélienne est l’accélération de la judaïsation de Jérusalem.

La Cisjordanie, en proie à une colonisation forcée depuis des décennies, est devenue un terrain de chasse pour les colons suprématistes. L’annexion de terres palestiniennes avance à grands pas, 24 000 hectares de terrains ont été saisis, neuf nouvelles colonies et 49 avant-postes ont été installés en un an. Depuis 15 mois, plus de 40 communautés bédouines ont été totalement ou partiellement détruites, près de 800 personnes ont été assassinées tandis que plus de 12 000 ont été arrêtés et emprisonnées, souvent dans des conditions inhumaines, soumises à la torture systématique. Des centaines de check-points sont érigés à l’entrée et sortie des villes et des villages et automobilistes comme passants sont à la merci de soldats zélés. L’économie est exsangue en raison des problèmes de déplacements, la rétention des recettes fiscales, la baisse des aides extérieures.

Le régime colonial israélien va encore plus loin puisque depuis des mois il mène une guerre dévastatrice dans des camps de réfugiés de Cisjordanie en particulier à Jénine et Tulkarem, deux bastions de la résistance armée palestinienne. Le modèle Gaza à plus petite échelle y est appliqué : Les chars investissent les lieux, les bulldozers détruisent routes et canalisations, les maisons sont bombardées et les habitants contraints à quitter leurs quartiers.

Il va sans dire que les colonies en Cisjordanie et à Jerusalem-Est sont illégales au regard du droit international, et la Cour internationale de Justice a appelé en juillet 2024 à leur évacuation. L’Assemblée générale des Nations unies a quant à elle adopté en septembre 2024 une résolution exigeant qu’Israël mette fin à sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé dans un délai de 12 mois. La résolution a été adoptée par 124 votes pour, dont la France.

Jamais la situation de la Palestine n’a été aussi dramatique et tout laisserait à penser que l’espoir d’une Palestine libre et indépendante s’éloigne. Mais écoutons des Palestiniens et Palestiniennes et leurs leçons de résistance. Samah Jabr, psychiatre palestinienne, nous explique qu’« en dépit des maisons démolies et de la pauvreté extrême, cette [résistance collective] est basée sur des fondations familiales, une ténacité sociale et des convictions spirituelles et idéologiques »1. Salman Abu Sitta, fondateur et président de la Palestine Land Society, écrit :« Israël n’a jamais compris la résilience des Palestiniens. Nous avons survécu au génocide de Gaza, comme aux catastrophes qui l’ont précédé, grâce à l’appel au retour dans nos foyers, le carburant de la survie palestinienne. Pour les Palestiniens, le droit au retour est et sera toujours la question centrale »2. [Tissa]

1 AFPS, revue Palestine Solidarité, janvier 2025, p.14.

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Épisode cévenol n°42

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Face à la répression

La répression ne toucherait que celles et ceux qui auraient quelque chose à se reprocher ? Rien de moins sûr… Au contraire, celle-ci se généralise et s’abat sur de plus en plus de groupes et d’individus. Ce sont chaque jour des lycéens, jeunes des banlieues, sans papiers, journalistes, syndicalistes, militants écologistes, ou même élus de gauche qui doivent faire face à la justice ou à la police.

Des moyens semblant presque sans limites s’intensifient et se diversifient afin de resserrer l’étau répressif. Au niveau policier, se sont des armes supposément non létales qui blessent, mutilent ou tuent, des techniques d’« encadrement » des manifestants telles les nasses, pratique très contestée qui met en danger celles et ceux qui osent manifester dans les rues. Se sont également le fichage et la surveillance de toute personne jugée suspecte qui se multiplient : mise sur écoute téléphonique, accès aux données personnelles numériques, balise de repérage des véhicules, extension des fichiers de renseignements, vidéosurveillance…

Au niveau juridique, les procès et peines d’emprisonnement s’enchaînent à tour de bras. Des délits mineurs sont régulièrement lourdement sanctionnés : une personne dans le Gard accusée récemment d’avoir enfariné un élu du Rassemblement National s’est vu proposée une peine de 6 mois de prison avec sursis assortie d’une amende, de simples vols à l’étalage pour des montants modiques de quelques dizaines d’euros conduisent à de la prison ferme… On assiste également à une utilisation accrue des mesures de prévention : le 8 décembre 2018, se sont plus de 1000 arrestations préventives qui ont frappé les Gilets Jaunes avant même le début de la manifestation organisée ce jour là. Lors de la Cop 21 de Paris, se sont des dizaines de militants qui ont été assignés à résidence pendant toute la durée de l’événement.

La répression est également d’ordre administrative : avec la dissolution d’associations censées troubler gravement l’ordre public, avec des mesures d’éloignement comme les obligations de quitter le territoire Français (OQTF) frappant les sans-papiers, ou encore avec les obligations, contraintes et sanctions imposées aux plus précaires (chômeurs, allocataires du RSA,…) prenant la forme de contrôle social.

La répression a une fonction punitive évidente dont le but est de faire taire toute opposition gênante, mais elle permet également de dissuader toutes les personnes qui auraient des raisons de se révolter ou de ne pas se conformer aux normes dominantes. Il est important de comprendre que la répression renforce les rapports de domination sociale car en définissant ce qui légal ou non légal, elle maintient la contestation dans un cadre donné. On le voit pour les interdictions de manifestation qui peuvent être ordonnées par les préfets selon leur bon vouloir, par de nouvelles lois venant restreindre des libertés individuelles (comme celle punissant le fait de dissimuler son visage en manifestation), ou par la définition de notions juridiques souvent floues. Prenons pour exemples la notion de délit de solidarité déterminant les limites légales à l’aide qu’il est possible d’apporter aux personnes en situation irrégulière, ou celle d’apologie du terrorisme récemment renforcée venant bâillonner les soutiens à la cause palestinienne.

C’est donc bien à ce niveau que se joue le rapport de force, car en imposant ce qui est possible de faire ou ne pas faire, de dire ou ne pas dire, l’appareil répressif maintient la préservation de règles et de normes comme le légalisme, le pacifisme, le respect de l’autorité de l’État, de ses institutions et de ses agents. Ou pour le dire autrement, les possibilités de ne pas tomber sous le coup de la loi deviennent de plus en plus minces, car ce qui est encore toléré aujourd’hui ne le sera certainement plus demain. S’opposer aux violences policières, aux multiples lois sécuritaires votées ces dernières années, ou au contrôle social ambiant permet alors de maintenir des possibilités de contestations face à un système répressif toujours plus autoritaire.

D’autre part, il est aussi nécessaire de dénoncer les stratégies de criminalisation des opposants, notamment celles visant à diviser les mouvements de contestations. En les qualifiant de « violents », de « radicaux », ou de « délinquants », celles-ci permettent de scinder les opposants en deux catégories mouvantes désignant ceux qui seraient légitimes et ceux qui le seraient pas. Elles permettent également de détourner les enjeux réels des mobilisations en se focalisant sur des aspects « sensationnels » (telle une vitrine de banque cassée…), mais surtout de justifier la répression de l’ensemble des mouvements. En mettant en équivalence les actes militants avec ceux du terrorisme, en plus d’une stigmatisation disproportionnée et abusive, l’appareil répressif se dote de moyens considérables. Lors de l’état d’urgence proclamé entre 2015 et 2017, ce ne sont pas moins de 155 manifestations qui furent interdites durant cette période. Au prétexte de la menace « extérieure » faisant suite à l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, ce sont les contrôles aux frontières qui furent rétablis pour la traque des exilés. Plus récemment encore, la tenue des Jeux Olympiques à Paris a permis (entre autres moyens) le développement de la reconnaissance faciale à grande échelle. L’utilisation de la « menace terroriste » tient lieu de laboratoire d’expérimentation et d’accélération des pratiques répressives avant que celles-ci ne soient généralisées à l’ensemble de la population.

Face à la répression, il est plus que jamais nécessaire s’organiser. De nombreux moyens existent : soutien aux personnes incarcérées, médiatisation et présence lors des procès, création de groupe de soutien juridique, de caisses de solidarités, de formation d’aide aux blessés… A chacun de s’en emparer ! [Fred]

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Luttes écologistes, répression terroriste

La répression des luttes écologistes s’inscrit dans une chronologie qui suit celle des lois.

La première loi contre le terrorisme et les atteintes à la sûreté de l’État date de 1986.

Mais l’État avait déjà tué le 31 juillet 1977, Vital Michalon, militant anti-nucléaire contre le projet de surgénérateur à Creys Malville.

En 2003, est promulguée la 1e loi sécurité intérieure : la répression se renforce … voici quelques dates de cette période qui suit :

> en 2004, Sébastien Briat, militant anti-nucléaire, est tué en voulant empêcher un transport de déchets nucléaires par train,

> de 2008 à 2018, c’est « l’Affaire de Tarnac », la destruction de caténaires EDF sur ligne de chemin de fer,

> jusqu’en 2016, de nombreuses mobilisations pour défendre la ZAD de Notre Dame des Landes, échec de l’opération César en 2012 (opération d’expulsion des lieux d’occupation), cependant un blessé grave a une main arrachée,

Rappelons que B. Retailleau, ministre de l’intérieur actuel a été le plus fervent détracteur de cette lutte. Le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse meurt suite à un tir de grenade, lors d’une mobilisation contre le projet de barrage à Sivens,

> Depuis 2003, les faucheurs volontaires sont eux aussi fortement réprimés avec plusieurs dizaines de procès pour fauchage, neutralisations, occupations et visites citoyennes, plusieurs centaines de milliers d’euros d’amendes, de dommages et intérêts (jusqu’à 400 000 € à Toulouse), procès pour refus de prélèvement d’ADN et fichage, prison ferme de 2 à 4 mois et avec sursis de 2 à 6 mois.

En 2017, suite aux attentats de 2015, la loi sécurité intérieure est renforcée.

En 2021, 2 lois (sécurité globale, relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement) intensifient fortement l’arsenal répressif.

Au cours de cette dernière période (2017 – 2021) on assiste à une véritable répression guerrière, que ce soit les Gilets Jaunes, les Soulèvements de la Terre dont les actions contre Lafarge, les collectifs anti-bassines avec systématiquement : arrestations, gardes à vue, blessés (plusieurs fois graves) et le déchaînement de violence que l’on a connu à Sainte Soline en mars 2023.

Cette année 2024, on a eu droit pour les Jeux Olympiques à un plan vigipirate renforcé, avec sécurité démesurée dont la reconnaissance faciale. Ce plan devait être provisoire, mais le sera-t-il vraiment ?

La violence s’exerce dans chacune des étapes de la répression : arrestation, garde à vue, moyens de l’enquête, procès. Nous les détaillerons ci-dessous à partir d’éléments puisés dans 3 luttes emblématiques : Tarnac, Bure et Lafarge.

Tarnac : des caténaires EDF sur plusieurs lignes de chemin de fer sont détruites.

Bure : mobilisations depuis 2016 contre le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires de haute intensité à Bure.

Lafarge – Bouc Bel Air (plaine de la Crau) et Val de Reuil (proche de Rouen) : mobilisations sur plusieurs sites contre le plus gros producteur mondial de ciment et actuellement en procès pour son soutien financier à Daesh.

> Arrestations

A chaque fois, ce sont une dizaine de personnes arrêtées, même jour, au petit matin, avec perquisitions musclées. A noter que pour l’action Bouc Bel Air, les personnes arrêtées le même jour, à la même heure se trouvaient dans 13 lieux différents sur le territoire français.

> Gardes à vue

Les personnes arrêtées sont ensuite transférées dans des locaux adaptés, qui permettent à la fois de les interroger dans des salles spéciales et de les isoler.

La garde à vue « classique » est de 24h, elle peut être prolongée à 48h. Une garde à vue de 72h concerne un acte d’une extrême gravité. Celle de 96h est réservée aux actes de terrorisme ou trafic de drogue.

Les copaines arrêté.es pour l’action Bouc Bel Air ont été en garde vue pendant 96h. Après leur arrestation, iels ont été transféré.es (menotté.es dans le dos, avec un bandeau sur les yeux et un masque chirurgical sur la bouche) au 4e sous-sol de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) à Levallois Perret.

Les interrogatoires et leurs salves de questions alternent avec l’isolement des gardé.es à vue.

L’objectif est de faire parler des personnes qui refusent de parler.

Plusieurs non respect du droit ont été relevés : des menaces pour prise d’ADN, confidentialité d’entretien avec l’avocat non respectée.

> Isolement

Pendant la garde à vue, il y a une volontaire obstruction de signes de présence d’autres militant.es gardé.es à vue.

Après la garde à vue, les personnes ont des interdictions de contacts entre elles, des interdictions de territoires, et ceci pendant plusieurs années.

> Moyens de l’enquête

Les moyens mis à disposition sont gigantesques : une panoplie qui s’étend avec chaque loi : écoutes téléphoniques, retranscriptions SMS, réseaux sociaux, logiciels espions dans les smartphones, bornes placées sous les voitures, bornage antenne relais, images caméras, filatures pédestres et en voiture.

A Bure, une cellule de gendarmerie spéciale Bure a été créée.

> Procès

Il y a de multiples procès : première instance, correctionnelle, appel, cassation, qui s’échelonnent sur plusieurs années

Pour Tarnac, cela a duré 10 ans et il n’y a pas eu de condamnation !

Pour Bure, plusieurs procès et après 6 ans de procédure 3 des 9 inculpés ont été condamnés à 3 mois avec sursis.

Pour Lafarge, cela ne fait que commencer ….. et déjà 2 procès.

Tous ces moyens représentent des coûts très importants

La cellule spéciale Bure a employé 5 à 10 personnes à temps plein pendant plusieurs années.

L’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), donne 10 millions/an à l’armée pour assurer la protection du site Cigéo.

Comprendre et agir

Les personnes arrêtées sont désormais considérées comme faisant partie d’« associations de malfaiteurs », ce sont des terroristes, ce qui témoigne d’une volonté politique de criminaliser les manifestant.es, dans l’objectif de faire peur, diviser, décourager et de justifier ainsi l’emploi de tous les moyens cités, y compris quand ils entraînent la mort ou de graves blessures.

Il faut aussi évoquer la loi séparatisme (août 2021), qui a été utilisée pour l’annonce de la dissolution des SDLT et pour la convocation à la commission d’enquête parlementaire sur Sainte Soline1 (le procès de 2 copaines s’est tenu le 22 novembre). Elle a complété l’arsenal de répression et de surveillance (fichage, cellule Demeter …).

La prétendue violence dont il est question publiquement (Etat, médias) est toujours celle des militant.es écologistes, la violence réelle de l’État (blessé.es récent.es de Ste Soline, de l’A69) est tue. Désormais dénoncée publiquement par les observateurs locaux (dont la Ligue des Droits de l’Homme), et très médiatiquement par le rapporteur spécial de l’ONU, Michel Forst, présent à l’A69, qui « pointe les manquements de la part des forces de l’ordre, notamment de privation de sommeil et de nourriture » et « demande aux autorités françaises de prendre des mesures immédiates de protection des Ecureuils2.

Actuellement, comment s’organiser ? « Nos mouvements ne recherchent ni les blessés ni les martyres. On doit se méfier de toute sorte de romantisme à ce sujet-là. Pour autant, l’expérience nous a démontré que si on n’est pas capable de s’opposer physiquement à des travaux et à la police, ils ne s’arrêtaient malheureusement pas. Si on se donne les moyens de le faire, avec la solidarité d’un large ensemble d’organisations et en apprenant comment se protéger, on peut retrouver un rapport de force en notre faveur et obtenir un renoncement aux projets écocidaires » témoigne B. des Soulèvements de la Terre. [Jacqueline]

2 Les écureuils sont les militant.es, certain.es pendant plusieurs semaines, qui se sont perché.es sur les arbres du tracé de l’A69 pour empêcher leur destruction.

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Quand la solidarité avec le peuple palestinien est criminalisée

La répression du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien date de plus de 20 ans mais s’est fortement intensifiée, en particulier depuis l’attaque du 7 octobre 2023, en s’appuyant sur trois qualifications juridiques : le trouble à l’ordre public, l’apologie du terrorisme et la haine raciale (l’antisémitisme). Une des justifications de cette répression est de ne pas vouloir importer en France ce qui est désigné par « conflit israélo-palestinien ». En réalité ce sont les pouvoirs publics qui introduisent « le conflit » en ciblant en priorité les musulmans suspectés d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme. Cette suspicion trouve son expression avec par exemple l’interdiction par le préfet de police de Paris de la marche du 21 avril 2024 « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants », au prétexte qu’elle pouvait « porter en son sein des slogans antisémites », interdiction levée par le tribunal administratif statuant en référé.

La criminalisation de la solidarité avec la Palestine et le peuple palestinien comporte certaines particularités  :

– Au cours de l’année écoulée, ce ne sont pas exclusivement des militants actifs de la cause palestinienne qui ont été poursuivis pour leur positionnement mais un nombre important de personnes révoltées par le génocide en cours à Gaza.

– Ces personnes sont majoritairement poursuivies pour avoir exprimé leur avis sur la situation. Elles ont par exemple voulu montrer que la question palestinienne ne commence pas avec les attaques du 7 octobre 2023 mais que celles-ci résultent d’une colonisation longue de plus de 75 ans. Qu’il s’agisse de réseaux sociaux, conférences ou manifestations, elles font usage de leur droit d’expression.

– Les poursuites judiciaires qui concernent des centaines de personnes restent très souvent pendantessans que les concernées ne sachent si elles sont maintenuesou non, ce qui a comme conséquence de les déstabiliser et pour certaines de les faire taire.

– Les poursuites engagées contre des militants ou sympathisants ne sont pas exclusivement le fait de la justice mais également de l’administration. Depuis octobre 2023, des universités ont pris des mesures coercitives contre le mouvement de solidarité. Et Patrick Hetzel, nouveau ministre de l’enseignement supérieur, serre encore la vis et appelle à intensifier la répression des étudiants qui dénoncent le génocide1et demande leur exclusion.

Troubles à l’ordre public

Le ministre de l’Intérieur précédent, Gérald Darmanin, se fend le 12 octobre 2023 d’une circulaire ordonnant aux préfets l’interdiction des manifestations pro-palestiniennes parce qu’elles sont « susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ». Il a également donné la consigne d’interpeller les « organisateurs et les fauteurs de troubles ». Durant les premières semaines qui ont suivi l’offensive militaire israélienne sur Gaza de très nombreuses manifestations ont été interdites, notamment à Nîmes où la présidente de l’AFPS a été interpelée et poursuivie, accusée d’avoir enfreint à cette interdiction. Le préfet de l’Hérault se distingue de par ses interdictions répétées des manifestations sous des prétextes fallacieux : « troubles à l’ordre public » mais également « propos injurieux envers la communauté juive », « agressions » qu’il n’a jamais étayés. Dans ce contexte, un militant de la Libre Pensée du 34 est attaqué en diffamation par le préfet pour avoir lu une déclaration de son organisation.

L’« incitation à la haine raciale »

Suite à l’appel Boycott, désinvestissement, sanction (BDS) lancé par la société civile palestinienne en 2005, le mouvement de solidarité international s’est emparé de cette campagne. En France, rapidement l’amalgame récusable entre les notions d’antisémitisme et d’antisionisme va pousser les pouvoirs publics à s’en prendre à des militants. La circulaire Alliot-Marie du 12 février 2010 demande aux parquets d’engager des poursuites pour des appels ou actions de boycott « de produits israéliens » en référence à la législation pénale concernant « l’incitation à la haine et la discrimination ». Des militants en ont fait les frais et l’un d’entre eux a été condamné. Les tribunaux nationaux ont confirmé cette condamnation et ce n’est que le 11 juin 2020 que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour cette décision. Courte victoire pour le mouvement BDS car le gouvernement français contre-attaque : « le 20 octobre 2020, le ministre français de la justice Éric Dupond-Moretti a fait publier une nouvelle circulaire (une “dépêche”) “relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens” par laquelle le fondement légal des poursuites est réaffirmé, simplement accompagné d’une exigence plus stricte de « motivation des décisions de condamnation »2.

Les soutiens indéfectibles de l’Etat d’Israël ont également réussi à imposer la définition de l’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste) par le biais de la « résolution Maillard » qui ajoute l’antisionisme à la définition de l’antisémitisme. Adoptée en novembre 20193 son but est de faire taire les critiques de la politique d’Israël. Non contraignante, elle sert surtout la propagande sans permettre des poursuites judiciaires. C’est certainement la raison pour laquelle le 30 octobre 2024, une proposition de loi qui vise à condamner toutes les « formes renouvelées de l’antisémitisme » a été déposée au Parlement. Cosignée par plus de 90 députés, elle préconise de punir toute critique de l’Etat d’Israël en l’assimilant à la haine des juifs. Revendiquer un État unique pour tous serait assimilé à de l’antisémitisme.

L’« apologie du terrorisme »

Historiquement, l’« apologie du terrorisme » était une infraction qui relevait du droit de la presse et donc de la liberté d’expression. C’est en 2014 qu’elle passe dans le droit commun pour être plus sévèrement réprimée : condamnation de 5 ans voir 7 ans de prison, des délais de prescription allongés et la possibilité de maintenir les suspects en détention provisoire. Dans le cas du mouvement de solidarité avec la Palestine ces poursuites sont souvent engagées alors que les actes en question n’ont pas été qualifiés juridiquement de « terroristes ». Si dans le droit l’« apologie du terrorisme » « vise à criminaliser des propos extrêmement violents sur les attentats, leurs auteurs ou ceux qui en ont été victimes »4, depuis la guerre menée à Gaza, l’usage de cette notion a été fortement élargi dans le but de poursuivre des opposants à la guerre que mène Israël en Palestine ou même des personnes qui interrogent le narratif officiel israélien et français.

Trois jours après le 7 octobre, le ministre de la Justice anticipe « une recrudescence d’infractions à caractère antisémite » ou des « propos susceptibles de revêtir les qualifications d’apologie du terrorisme » et demande aux procureurs une « réponse pénale ferme et rapide »5. Vanessa Codaccioni, historienne et politiste, s’inquiète du fait que « depuis le 7 octobre, ce sont des discours, des engagements, des causes politiques qui sont criminalisées par le biais de dispositifs antiterroristes. C’est la première fois que l’accusation d’apologie du terrorisme est à ce point utilisée pour museler une opposition, pour empêcher de défendre une cause – la solidarité envers le peuple palestinien »6 ou pour ne pas avoir dénoncé le Hamas comme une organisation terroriste. En un an le nombre de signalements et de plaintes a explosé et près de 800 procédures pour « apologie du terrorisme » ont été initiées. Aujourd’hui des journalistes (Zineb El Rhazoui), chercheurs (François Burgat, ancien chercheur au CNRS ; Yannis Arab, doctorant en histoire et auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine) ; syndicalistes (Jean-Paul Delescaut, CGT, condamné le 18 avril à un an de prison avec sursis), soignants (Imane Maarifi, infirmière qui témoigne après sa mission à Gaza, arrêtée et placée en garde à vue), politiques (Mohamed Makni, 73 ans, retraité et élu municipal à Echirolles ; Rima Hassan, eurodéputée, Mathilde Panot, députée LFI) et beaucoup d’autres sont interpellés, pour certains placés en garde à vue et condamnés.

A Montpellier, Abdel, militant décolonial, a pour une simple prise de parole été condamné pour « apologie du terrorisme » le 8 février 2024 à une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes, un an de prison avec sursis simple, inscription de la décision au casier judiciaire, 3 ans d’inéligibilité et une amende. Son procès en appel a lieu le 2 décembre 2024.

De nombreux observateurs alertent : La situation est très préoccupante. L’arsenal législatif pour criminaliser les opposants existe, les quelques contre pouvoirs tels le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont affaiblis même s’il y a heureusement encore des juges qui ne se prêtent pas au jeu de la répression judiciaire à outrance. Les protestations et révoltes vont se multiplier dans un avenir proche et les militant.es et les associations doivent dès maintenant apprendre à faire face à la répression d’État qui s’abattra sur toutes formes d’opposition. [Tissa]

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Épisode cévenol n°41

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