Quand la solidarité avec le peuple palestinien est criminalisée

La répression du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien date de plus de 20 ans mais s’est fortement intensifiée, en particulier depuis l’attaque du 7 octobre 2023, en s’appuyant sur trois qualifications juridiques : le trouble à l’ordre public, l’apologie du terrorisme et la haine raciale (l’antisémitisme). Une des justifications de cette répression est de ne pas vouloir importer en France ce qui est désigné par « conflit israélo-palestinien ». En réalité ce sont les pouvoirs publics qui introduisent « le conflit » en ciblant en priorité les musulmans suspectés d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme. Cette suspicion trouve son expression avec par exemple l’interdiction par le préfet de police de Paris de la marche du 21 avril 2024 « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants », au prétexte qu’elle pouvait « porter en son sein des slogans antisémites », interdiction levée par le tribunal administratif statuant en référé.

La criminalisation de la solidarité avec la Palestine et le peuple palestinien comporte certaines particularités  :

– Au cours de l’année écoulée, ce ne sont pas exclusivement des militants actifs de la cause palestinienne qui ont été poursuivis pour leur positionnement mais un nombre important de personnes révoltées par le génocide en cours à Gaza.

– Ces personnes sont majoritairement poursuivies pour avoir exprimé leur avis sur la situation. Elles ont par exemple voulu montrer que la question palestinienne ne commence pas avec les attaques du 7 octobre 2023 mais que celles-ci résultent d’une colonisation longue de plus de 75 ans. Qu’il s’agisse de réseaux sociaux, conférences ou manifestations, elles font usage de leur droit d’expression.

– Les poursuites judiciaires qui concernent des centaines de personnes restent très souvent pendantessans que les concernées ne sachent si elles sont maintenuesou non, ce qui a comme conséquence de les déstabiliser et pour certaines de les faire taire.

– Les poursuites engagées contre des militants ou sympathisants ne sont pas exclusivement le fait de la justice mais également de l’administration. Depuis octobre 2023, des universités ont pris des mesures coercitives contre le mouvement de solidarité. Et Patrick Hetzel, nouveau ministre de l’enseignement supérieur, serre encore la vis et appelle à intensifier la répression des étudiants qui dénoncent le génocide1et demande leur exclusion.

Troubles à l’ordre public

Le ministre de l’Intérieur précédent, Gérald Darmanin, se fend le 12 octobre 2023 d’une circulaire ordonnant aux préfets l’interdiction des manifestations pro-palestiniennes parce qu’elles sont « susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ». Il a également donné la consigne d’interpeller les « organisateurs et les fauteurs de troubles ». Durant les premières semaines qui ont suivi l’offensive militaire israélienne sur Gaza de très nombreuses manifestations ont été interdites, notamment à Nîmes où la présidente de l’AFPS a été interpelée et poursuivie, accusée d’avoir enfreint à cette interdiction. Le préfet de l’Hérault se distingue de par ses interdictions répétées des manifestations sous des prétextes fallacieux : « troubles à l’ordre public » mais également « propos injurieux envers la communauté juive », « agressions » qu’il n’a jamais étayés. Dans ce contexte, un militant de la Libre Pensée du 34 est attaqué en diffamation par le préfet pour avoir lu une déclaration de son organisation.

L’« incitation à la haine raciale »

Suite à l’appel Boycott, désinvestissement, sanction (BDS) lancé par la société civile palestinienne en 2005, le mouvement de solidarité international s’est emparé de cette campagne. En France, rapidement l’amalgame récusable entre les notions d’antisémitisme et d’antisionisme va pousser les pouvoirs publics à s’en prendre à des militants. La circulaire Alliot-Marie du 12 février 2010 demande aux parquets d’engager des poursuites pour des appels ou actions de boycott « de produits israéliens » en référence à la législation pénale concernant « l’incitation à la haine et la discrimination ». Des militants en ont fait les frais et l’un d’entre eux a été condamné. Les tribunaux nationaux ont confirmé cette condamnation et ce n’est que le 11 juin 2020 que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour cette décision. Courte victoire pour le mouvement BDS car le gouvernement français contre-attaque : « le 20 octobre 2020, le ministre français de la justice Éric Dupond-Moretti a fait publier une nouvelle circulaire (une “dépêche”) “relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens” par laquelle le fondement légal des poursuites est réaffirmé, simplement accompagné d’une exigence plus stricte de « motivation des décisions de condamnation »2.

Les soutiens indéfectibles de l’Etat d’Israël ont également réussi à imposer la définition de l’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste) par le biais de la « résolution Maillard » qui ajoute l’antisionisme à la définition de l’antisémitisme. Adoptée en novembre 20193 son but est de faire taire les critiques de la politique d’Israël. Non contraignante, elle sert surtout la propagande sans permettre des poursuites judiciaires. C’est certainement la raison pour laquelle le 30 octobre 2024, une proposition de loi qui vise à condamner toutes les « formes renouvelées de l’antisémitisme » a été déposée au Parlement. Cosignée par plus de 90 députés, elle préconise de punir toute critique de l’Etat d’Israël en l’assimilant à la haine des juifs. Revendiquer un État unique pour tous serait assimilé à de l’antisémitisme.

L’« apologie du terrorisme »

Historiquement, l’« apologie du terrorisme » était une infraction qui relevait du droit de la presse et donc de la liberté d’expression. C’est en 2014 qu’elle passe dans le droit commun pour être plus sévèrement réprimée : condamnation de 5 ans voir 7 ans de prison, des délais de prescription allongés et la possibilité de maintenir les suspects en détention provisoire. Dans le cas du mouvement de solidarité avec la Palestine ces poursuites sont souvent engagées alors que les actes en question n’ont pas été qualifiés juridiquement de « terroristes ». Si dans le droit l’« apologie du terrorisme » « vise à criminaliser des propos extrêmement violents sur les attentats, leurs auteurs ou ceux qui en ont été victimes »4, depuis la guerre menée à Gaza, l’usage de cette notion a été fortement élargi dans le but de poursuivre des opposants à la guerre que mène Israël en Palestine ou même des personnes qui interrogent le narratif officiel israélien et français.

Trois jours après le 7 octobre, le ministre de la Justice anticipe « une recrudescence d’infractions à caractère antisémite » ou des « propos susceptibles de revêtir les qualifications d’apologie du terrorisme » et demande aux procureurs une « réponse pénale ferme et rapide »5. Vanessa Codaccioni, historienne et politiste, s’inquiète du fait que « depuis le 7 octobre, ce sont des discours, des engagements, des causes politiques qui sont criminalisées par le biais de dispositifs antiterroristes. C’est la première fois que l’accusation d’apologie du terrorisme est à ce point utilisée pour museler une opposition, pour empêcher de défendre une cause – la solidarité envers le peuple palestinien »6 ou pour ne pas avoir dénoncé le Hamas comme une organisation terroriste. En un an le nombre de signalements et de plaintes a explosé et près de 800 procédures pour « apologie du terrorisme » ont été initiées. Aujourd’hui des journalistes (Zineb El Rhazoui), chercheurs (François Burgat, ancien chercheur au CNRS ; Yannis Arab, doctorant en histoire et auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine) ; syndicalistes (Jean-Paul Delescaut, CGT, condamné le 18 avril à un an de prison avec sursis), soignants (Imane Maarifi, infirmière qui témoigne après sa mission à Gaza, arrêtée et placée en garde à vue), politiques (Mohamed Makni, 73 ans, retraité et élu municipal à Echirolles ; Rima Hassan, eurodéputée, Mathilde Panot, députée LFI) et beaucoup d’autres sont interpellés, pour certains placés en garde à vue et condamnés.

A Montpellier, Abdel, militant décolonial, a pour une simple prise de parole été condamné pour « apologie du terrorisme » le 8 février 2024 à une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes, un an de prison avec sursis simple, inscription de la décision au casier judiciaire, 3 ans d’inéligibilité et une amende. Son procès en appel a lieu le 2 décembre 2024.

De nombreux observateurs alertent : La situation est très préoccupante. L’arsenal législatif pour criminaliser les opposants existe, les quelques contre pouvoirs tels le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont affaiblis même s’il y a heureusement encore des juges qui ne se prêtent pas au jeu de la répression judiciaire à outrance. Les protestations et révoltes vont se multiplier dans un avenir proche et les militant.es et les associations doivent dès maintenant apprendre à faire face à la répression d’État qui s’abattra sur toutes formes d’opposition. [Tissa]

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Épisode cévenol n°41

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Jusqu’où la dérive ?

A l’heure où ces lignes sont écrites, l’Assemblée nationale élue le 7 juillet dernier est mise dans l’incapacité de remplir sa mission qui est de voter les lois, de contrôler l’action du Gouvernement (lequel n’est toujours pas nommé) et d’évaluer les politiques publiques.

Au point que les services de l’État refusent aux représentants de sa Commission des Finances l’accès aux documents préparatoires du budget 2025 (Mediapart, 17 et 18 septembre). Le but est évidemment de raccourcir au maximum le débat parlementaire afin de faire passer un budget très austéritaire, celui voulu par le gouvernement démissionnaire et le Président de la République.

Jamais un tel mépris des représentants du peuple n’avait été osé.

Toute la presse internationale s’inquiète d’ailleurs de la fuite en avant autoritaire dans notre paysi :

The Telegraph ne mâche pas ses mots, et écrit qu’« après avoir tenu la France en otage pendant 60 jours, Macron a finalement nommé » un chef de gouvernement venu d’un parti « arrivé en quatrième position lors des élections, avec moins de 10% des voix et seulement 46 sièges. Un choix absolument déroutant et antidémocratique ».

Un choix qui, de plus, acte la fin du front républicain que, tant bien que mal, le président de la République a accepté lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet après en avoir déjà largement bénéficié en 2017 et 2022.

Surtout, avec ce terrible aveu de Marine Le Pen, qui se déclare satisfaite du choix de M. Barnier, car il répond « au premier critère que nous avions réclamé » (X, 5 septembre), on voit à quel point les macronistes sont prêts à s’acoquiner avec les nationalistes d’extrême droite. C’est que « le mécontentement des peuples paupérisés et prolétarisés par le capitalisme néolibéral risque d’amener les gauches au pouvoir. De ce fait, pour les néolibéraux, mieux vaut les extrêmes droites qui dérivent la colère populaire contre des boucs émissaires, sans changer les régimes de propriété. » (Roland Gori, l’Humanité, 16 septembre)

Si Emmanuel Macron est responsable de ces errements, il est pourtant le grand irresponsable de nos institutions : la constitution de la Ve République lui accorde beaucoup de pouvoirs, mais ne prévoit aucun contrôle de l’usage qu’il en fait. Ce qui rapproche dangereusement cette « monarchie présidentielle » d’un absolutisme.

Il utilise ainsi sans scrupule aucun le cadre institutionnel, jusqu’à la limite de la légalité, qu’il ne dépasse pas, mais ce faisant il l’engage dans une illégitimité dangereuse, reniant ses engagements, bafouant la volonté du peuple et ignorant tous les usages démocratiques.

Il laisse au passage Gérald Darmanin donner libre cours à l’escalade des violences policières jusqu’à provoquer délibérément la chute de militants occupant les arbres sur le chantier de l’A69 mettant gravement leur vie en danger.

Il a lu sans doute, et pris au pied de la lettre avec le cynisme qu’on lui connaît, ce que disait Bertold Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. »

Emmanuel Macron dénature l’esprit et les valeurs de notre texte fondamental et des grands textes qui le précèdent et le fondent.

Malgré son article 2 qui affirme que « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », il apparaît que la Constitution de la cinquième République n’assure pas solidement le fonctionnement de la démocratie.

On voit bien désormais qu’elle permet d’entraver toute possibilité de bâtir un autre monde en réprimant férocement les initiatives et les luttes locales.

Elle autorise un seul homme à faire plier le Parlement et les citoyen·es sous sa volonté au service des puissants et d’une politique soumise à leurs intérêts.

C’est pourquoi il devient plus urgent que jamais de multiplier les initiatives et les revendications pour une VIe République.

Par exemple en empêchant les atteintes à l’état de droit : la loiii « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. ». Nestlé Waters vient de faire la démonstration du contraire, puisqu’il est possible dans ce pays de s’approprier un bien commun en puisant de l’eau dans les nappes profondes par des forages illégaux et de traiter frauduleusement des eaux en bouteille, accumulant ce faisant des profits estimé à 3 milliards d’euros (Mediapart, 11 septembre). Et de s’en sortir avec une amende de seulement 2 millions d’euros. La convention judiciaire d’intérêt public ( !!!) qui permet cette forfaiture a pourtant été jugée conforme à la Constitution…

Un nouveau texte constitutionnel peut être construit de façon démocratique, comme le Chili l’a récemment montré. Et l’expérience chilienne aidera à éviter les écueils qui l’ont menée à un échec.

[Marie Motto-Ros]

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Le fond de l’air est brun…

Après dissolution de l’assemblée nationale le bon peuple français fut invité à voter et… il n’a pas bien voté !

Contrairement à ce que disait Charles De Gaulle les français n’ont pas voté comme des veaux, ce que souhaitait Macron qui se retrouve coincé entre ce que les médias, dans leur grande majorité désignent comme les extrêmes, appellation pour le moins bizarre qui tend à suggérer de rejeter la grande majorité des électeurs à la périphérie et que la seule vraie représentation populaire serait détenue par ce micro centre. Contradiction flagrante pour un régime qui appuie sa légitimité sur le suffrage universel soit disant valeur majeure de la République.

Ce vote, qui traduit un rejet radical du mode de gouvernement, induit une crise politique inédite qui vient de se solder par la nomination d’un premier ministre adoubé par le Rassemblement National qui, d’un coup, passe du statut de parti infréquentable à faiseur de roi et s’attribue le mérite de la sortie de crise asseyant définitivement son image de parti respectable prêt à gouverner et arbitre les orientations du gouvernement sous peine de motion de censure !!

Finalement la valeur centrale de la République, pour nos gouvernants, n’est ni la liberté, ni la fraternité, encore moins l’égalité c’est… la stabilité !! On sait bien quelle est la classe qui a le plus besoin de stabilité pour faire ses petites – et surtout grosses – affaires !

Voilà l’extrême droite en pôle position pour se saisir du pouvoir !!!

Elle s’y emploie depuis longtemps. Dans les années 1930 l’organisation secrète d’action révolutionnaire, OSAR (la cagoule ) s’appuie sur les fondamentaux de la droite extrême : antisémitisme, anticommunisme et nationalisme exacerbé.

Le nationalisme est à la base des mouvements qui ont suivi la cagoule : Jeune nation, FEN (fédération de étudiants Nationaliste), Occident puis Ordre Nouveau qui donne naissance au Front national (FN) qui lui puise ses origines dans ce terreau du « nationalisme révolutionnaire ». Le Pen sera choisi par ce mouvement, il représente alors une tendance modérée (libéral, défense du petit commerce, de l’artisanat…). C’est cette ligne qui sera à la base d’une tactique légaliste du FN, puis du RN, pour conquérir le pouvoir par le moyen des élections. Pour cela il fallut changer l’image du FN et le papa Le PEN, sans doute trop marqué par ses orientations idéologiques, même s’il faisait partie des « modérés », n’était pas le mieux placé. La passation du képi de chef du mouvement fut compliquée mais le parti, piloté par Marine Le Pen, s’en sort bien et le voilà en embuscade, profitant d’une série favorable d’élections où la classe politique, toutes tendances confondues, fut incapable de faire autre chose que de bégayer « il faut faire un barrage Républicain » sans être fichu d’argumenter sur le fond. Laissant petit à petit le RN peaufiner sa stratégie de parti raisonnable, tellement raisonnable que c’est lui qui va donner le la … et en avant la musique dont nous connaissons les premières mesures et ce n’est pas rassurant. 

Souvenons-nous du mouvement des « gilets jaunes» : entre 2018 et 2020, les pouvoirs publics ont choisi, ou couvert, un usage souvent disproportionné, de la force. Le recours massif à des armes de guerre comme le LBD 40 et les grenades GLI-F4 ou de désencerclement ont mutilé à vie des dizaines de manifestants. Des pratiques illégales sont courantes : nasses de manifestants pacifiques, fouilles et confiscations de matériel de premier secours, violences contre des journalistes et des citoyens filmant les forces de l’ordre… Durant le premier mois du mouvement des « gilets jaunes », 1 407 manifestants ont été blessés, dont 46 grièvement.( Le monde diplo avril 2022)

Plus récemment, la répression violente frappe des manifestations appelées par les Soulèvements de la Terre contre les méga bassines. Et tout dernièrement dans le cadre de la lutte contre le projet d’autoroute A69 les forces de l’ordre s’en prennent aux « écureuils », ces manifestants perchés dans les arbres pour empêcher leur abattage : La CNAMO ( cellule nationale d’appui à la mobilité ) coupe les cordes de sécurité des personnes à plusieurs mètres du sol, les machines tranchent les racines des arbres, les gendarmes utilisent les lampes stroboscopiques pour empêcher les « écureuils » de dormir. Des pratiques qui s’apparentent à de la torture !

Pour l’année 2023, la Ligue des droits de l’homme publie ce communiqué :  « la politique brutale du gouvernement a plongé le pays dans une situation particulièrement alarmante pour la démocratie. Le territoire français a, à nouveau, été le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées, au mépris de la liberté de manifester : retour des nasses illégales, de l’usage d’armes mutilantes comme le LBD et les grenades de désencerclement, du gazage à outrance, de l’emploi de policiers non formés au maintien de l’ordre et réputés pour leur violence, en particulier la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) et les Brigades anti criminalité (BAC), avec des interpellations et des verbalisations indiscriminées, du matraquage systématique et des violences gratuites et attentatoires à la dignité des personnes. »

Depuis pas mal de temps nous sommes nombreux à crier « Au loup ! » et voici que le loup est sur le pas de la porte qui est largement ouverte par le pouvoir politique.

Sommes-nous prêts à faire face aux menaces, en particulier policières, qui se profilent ? pas sûr !

Dans un premier temps soyons vigilants, la connaissance de nos droits est importante pour situer le cadre légal. Connaître les limites légales ne signifie pas les approuver, n’implique pas forcément de s’interdire de les transgresser, c’est juste qu’il vaut mieux savoir où on est : dans la légalité ou dans la transgression légitime….

Pour aider à défendre nos droits : https://www.ldh-france.org/defendre-vos-droits/vos-droits/police/ https://www.syndicat-magistrature.fr/toutes-nos-publications/nos-guides-et-livrets/2664-le-guide-du-manifestant-arrete-mis-a-jour.html

 [Jaume]

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De la route et du béton …….

(d’après « Accumuler du béton » de Nelo Magalhaes – La Fabrique)

Les désastres dus au béton n’ont fait qu’augmenter depuis que son usage s’est développé au 19ème siècle, avec Vicat (1818) et Lafarge (1865), désastres dus à l’accaparement des terres, à l’extractivisme du sable et du gravier, à la technologie, très gourmande en énergie.

Pour construire routes, aéroports, barrages, centrales nucléaires, il est nécessaire

> de déplacer des volumes de terre très importants, volumes qui n’ont cessé d’augmenter au fil des années

> pour les routes, de faire des tracés conformes à la vitesse et à la sécurité : virages relevés, longues lignes droites évitées, et ceci quelque soit le terrain.

Ces travaux se sont longtemps faits avec des terrassiers, de plus en plus nombreux jusqu’à la 1e guerre. Leurs conditions de travail étaient déplorables. Ils se sont organisés, ont soutenu la commune de Paris et lancé des grèves et rébellions massives fortement réprimées « ils portaient la pensée révolutionnaire » (G. Navel – Travaux).

Puis, les machines ont remplacé les terrassiers.

Les machines ne font pas grève, elles sont de plus en plus perfectionnées, de plus en plus lourdes, elles adaptent les reliefs, et génèrent un fort taux d’émissions de CO2.

Une fois les infrastructures tracées, il faut les stabiliser – pour résister aux charges importantes et aux variations atmosphériques – et leur donner de la résistance mécanique – encore plus de matériaux – et avec des liants hydrauliques et chimiques.

Ces techniques s’accompagnent de fondations, particulièrement profondes pour le bâti et surtout les gratte-ciels (5 à 10 % du poids total en béton).

Toutes ces techniques se rassemblent dans un sous champ scientifique « génie urbain » qui s’accompagne rapidement après du « génie rural », maître d’œuvre du remembrement et de l’amélioration des sols par l’agrochimie. Ce sont des « génies » qui, pour désencastrer la production d’espace, dégradent les sols depuis 200 ans, tant côté champ que côté bâti.

Pour la réalisation et la mise en œuvre des infrastructures, le groupe des ingénieurs Ponts et Chaussées joue un rôle primordial : omniprésents dans l’administration des routes, la gestion des aérodromes, grands ports maritimes, urbanisme et villes nouvelles, ils y portent leur idéologie : jamais n’est discuté le fait de réduire drastiquement le flux de matière ou de trafic, au contraire il faut tout adapter à leur croissance. Ainsi, les laboratoires des Ponts et Chaussées se multiplient (11 en 1982) avec un budget qui s’accroît chaque année dont des salaires de géologues et géotechniciens : en effet, une reconnaissance géologique et géotechnique constitue un facteur capital pour ces travaux de nouvelles infrastructures.

La matière extraite (sable, granulat) est omniprésente dans tous les pays, même si sa qualité diffère. Elle sert majoritairement aujourd’hui à maintenir les grandes infrastructures, avec une hausse importante entre 1998 et 2008 pour les besoins de la nouvelle économie, prétendument dématérialisée, des services et du numérique.

L’extraction en rivière est telle qu’elle a dépassé, en 1970, le seuil de reconstitution de 10 à 13 fois.

Ce travail est pris en main par les grandes entreprises Heidelberg et Vinci.

Cet extractivisme massif provoque des catastrophes, comme l’écroulement de ponts.

Les dégâts dans les rivières (niveaux d’eau en baisse, baisse des sédiments, berges érodées, augmentation des crues, perte de la biodiversité, dégradation de la reproduction des poissons) ont été dénoncés par les scientifiques dans les années 1970 et ont donné lieu à de fortes contestations locales dans les villages le long de la Garonne, de la Loire, du Drac.

L’État protège cet extractivisme car il en a besoin pour les projets qu’il soutient.

Comme on l’a vu plus haut, il faut stabiliser les infrastructures, mais celles-ci restent fragiles : on note des éboulements et des glissements de terrain, ainsi que des remblais qui se fissurent, se tassent, s’affaissent.

Et tout cela a un coût important, le travail de terrassement atteint 45 % du coût total pour une Ligne à grande vitesse.

La première accélération de développement des routes et infrastructures a eu lieu entre les 2 guerres, la deuxième après 1950 : il a fallu en effet rentabiliser le capital investi, on parle alors de « rationalisation des choix budgétaires » c’est à dire une augmentation des crédits routiers, exit le débat sur le besoin de vitesse et la circulation de poids lourds !

Malgré les dégâts dus à l’automobile (démolition des chemins, pollution, occupation de l’espace, accidents mortels, embouteillages) ….. l’automobile personnelle s’impose grâce à un intense travail idéologique. Et, par conséquence, s’ensuivent des propos antirail : après les milliers de km de lignes clos en 1938-1939, ce sont 10 000 km de lignes voyageurs et 5 000 km de lignes marchandises qui sont fermées en 1969. Précisons que la CGT argumente que l’automobile est un réel besoin objectif pour les travailleurs, la motorisation individuelle devient un réel besoin social.

André Gorz1 décrit parfaitement le fait que l’automobile est la marchandise structurante du capitalisme, car elle permet production et consommation de masse.

Construire des infrastructures laisse des traces, il faut effacer les centaines de millions de m³ déplacés en réaménageant l’espace pour le valoriser, ce qui nécessite encore de puissantes machines et encore plus d’investissement : par exemple, à la centrale nucléaire de Paluel les 8 millions m³ de déblais sont transformés en collines artificielles par un architecte paysagiste.

À partir de 1970, le fret routier s’impose face à la forte hausse du commerce international dû aux accords de libre-échange. Le flux de ce commerce extérieur impose également le développement industrialo-portuaire avec des installations industrielles diverses : pétrole, chimie, sidérurgie, transformation agricole et de nouveaux équipements : raffineries, hauts-fourneaux, aciéries, silos, terminaux gaziers et des infrastructures pour les desservir : autoroutes, canaux, écluses, oléoducs, gazoducs, gares de triage …. Fos sur Mer en est la plus criante illustration : 7 500 ha aménagés, 118 millions m³ dragués en 10 ans de travaux…. La hausse du trafic maritime triple entre 1964 et 1979 dans les ports de Dunkerque, Le Havre et Fos (331 millions de tonnes de fret en 1979).

C’est un véritable basculement macroéconomique qui relance le programme autoroutier. La construction européenne et la globalisation néo-libérale contribuent, avec les multinationales à leurs côtés, à façonner l’espace marchand mondial : on y retrouve Lafarge, Vinci, Bouygues, Eiffage pour le BTP, Areva ou Total pour les mines et le pétrole, Bolloré Africa logistics ou la CGA CGM pour la circulation marchande.

Le commerce international entraîne des dégâts écologiques et sanitaires de grande ampleur : en 2016, le transport de ses marchandises produisait déjà l’équivalent de 17 à 30 % de perte de biodiversité, 13 % des eaux polluées, 20 à 30 % des émissions de CO2 , 21 à 37 % des utilisations de terre, 22 % de morts prématurées dues aux particules fines, 29 à 35 % d’énergie utilisée, 70 % d’exploitation du charbon.

La construction d’infrastructures, nécessite celle d’entrepôts pour y déposer les marchandises : 4 286 entrepôts de plus de 5 000 m² chacun sur un espace totalisant 83 millions de m².

De nouvelles infrastructures continuent de se construire, il faut bien rentabiliser les machines de plus en plus perfectionnées qu’il faut acheter et entretenir : le fonctionnement du matériel revient à 50 % des dépenses et 25 % pour l’amortissement des prêts, l’emprise du capital est réelle, une baisse de volume d’activité peut être fatale pour l’entreprise, c’est une boucle sans fin. Trafic en hausse, poids lourds de plus en plus lourds, le réseau se dégrade, il faut le remettre en état, et donc avoir des crédits supplémentaires : des spécialistes annoncent que 62 % des chaussées seraient fortement dégradées en 2037 et qu’un tiers des 12 000 ponts autoroutiers seraient menacés d’effondrement… La maintenance des infrastructures est un choix politique, celui de Sisyphe !
La gestion des infrastructures, en tant qu’outil financier, sert la compétitivité du pays et attire ainsi les investisseurs : les politiques de la route deviennent des stratégies financières.

Lutter contre ces grandes infrastructures nécessite d’organiser son espace autrement, avec peu de déplacements et ceux-ci beaucoup plus courts. Une proposition radicale, celle de Diego Landivar2 : l’écologie du démantèlement ainsi que l’ont fait et le font les Gilets jaunes et les Soulèvements de la terre : ces mouvements convergent, avec la lutte des classes, sur un point fondamental : se réapproprier ses conditions matérielles de vie au travers de l’espace physique.

[Jacqueline]

1 http://pombo.free.fr/gorz1964f.pdf – En 1973, A Gorz écrivait « L’idéologie sociale de la bagnole » : Le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux ou les villa sur la Côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple……

2 Diego Landivar est un économiste et anthropologue franco-bolivien. Ses recherches portent sur les reconfigurations anthropologiques induites par le changement climatique et les effondrements écologiques. Il a publié, en collaboration avec E. Bonnet et A. Monnin « Héritage et Fermeture. Une écologie du démantélement » (Ed. Divergences).

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Épisode cévenol n°40

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La bascule…

Le soulagement partagé par beaucoup se comprend aisément : le pays a évité un piège redoutable. Le fascisme aux portes du gouvernement a dû rebrousser chemin. A nous de l’en éloigner définitivement.

Le 9 juin 2024, au soir des élections législatives, l’opinion découvre avec stupeur que le Rassemblement National (RN) a obtenu 31% des voix, un score sans précédent, absolument inédit. Au cours de la soirée, peu après la proclamation de ces résultats consternants, le président Macron annonce la dissolution du Parlement semblant ainsi répondre à une exigence formulée par le chef du parti d’extrême-droite. Public général et observateurs ont été pris de court par la décision présidentielle.

L’avancée spectaculaire du RN, sur le point d’obtenir la majorité au Parlement et de ce fait d’imposer un gouvernement, a pu être efficacement contenue grâce à l’extraordinaire sursaut de mobilisation de la gauche. Au soir du second tour des législatives, le RN est relégué en troisième position.

L’ascension de ce parti a été facilitée par deux facteurs : en premier lieu, les manœuvres politiciennes de la Macronie et d’Emmanuel Macron lui-même qui voulaient rejouer le duel Renaissance contre RN, persuadés de l’emporter en raison notamment des divisions de la gauche. Et également, par le rôle des médias, des chaînes privées de télévision, de radio et de presse relevant en particulier de l’empire Bolloré (Cnews, C8, Europe1, JDD, etc.), soutiens ostensibles et relais de la propagande de l’extrême-droite.

Mais le calcul électoral du chef de l’État a échoué. La création du Nouveau Front Populaire (NFP) à l’initiative de La France insoumise (LFI) pour affronter à la fois le RN et la Macronie a annulé le scénario envisagé par les stratèges présidentiels. Le 7 juillet 2024 à l’issue du deuxième tour des élections, le NFP s’impose comme première force politique grâce à une mobilisation citoyenne considérable, au-delà de l’influence des appareils politiques. Syndicats, associations et de larges secteurs de la population se sont investis dans une campagne mature et responsable pour barrer la route au pouvoir du fascisme.

Jamais les quartiers populaires et les électeurs et électrices racisés ne s’étaient autant mobilisés pour La France insoumise, et ce malgré la propagande calomnieuse dont la LFI est victime depuis son entrée spectaculaire au Parlement en 2022. Jamais le climat politique français n’a été à ce point brutalisé par le matraquage incessant de thèmes démagogiques autour de la délinquance et de l’immigration, de l’incapacité supposée des populations musulmanes à s’intégrer et de l’invraisemblable « grand remplacement », etc. La surenchère frénétique dans laquelle se sont engouffrés un grand nombre d’acteurs politiques et de journalistes a une fois de plus révélé l’ancrage du racisme antimusulman et antiarabe.

En dépit d’un environnement médiatique hostile, les forces de gauche ont atteint leur objectif premier. En effet, même si le RN a obtenu un record de voix, il ne sort pas vainqueur de cette consultation lourde de dangers. Le barrage populaire a bloqué son accès à des postes de responsabilité au sein du parlement, il s’agit maintenant de contenir la Macronie qui a réussi à se maintenir grâce à son alliance avec la droite conservatrice et en bafouant tous les règlements et usages des institutions parlementaires.

La séquence à venir s’avère donc périlleuse et son issue incertaine. Beaucoup dans le pays s’entendent sur la nécessité d’en finir avec cette Macronie arrogante, médiocre et brutale qui impose une politique néolibérale à coups de lois liberticides et discriminatoires, d’interdictions d’organisations et de conférences, d’arrestations de militants et manifestants, de gaz lacrymogène, de tirs de LBD comme lors du mouvement des gilets jaunes, des mobilisations contre la réforme des retraites, des manifestations en solidarité avec le peuple palestinien et des actions contre les mégabassines pour ne citer que ces mobilisations citoyennes. Sans omettre de citer dans cet horrible catalogue, la répression silencieuse et sournoise des exilé.e.s, demandeurs d’asile ou sans papiers, les jeunes des quartiers soumis à des contrôles de faciès incessants et violents ou des nombreuses personnes victimes arbitrairement d’assignations à résidence.

La Macronie accrochée au pouvoir et à ses privilèges refuse obstinément un gouvernement du Nouveau Front Populaire, pourtant première force politique issue des élections. Cette posture des soutiens d’Emmanuel Macron est affichée en attendant que certaines des composantes du NFP disposées à composer avec le groupe présidentiel dans un futur gouvernement fassent défection, sans égards pour les institutions et leurs règles. Face à ces manœuvres et revirements, une partie significative de ces forces d’oppostion continuera à exiger la rupture avec les politiques précédentes de gauche comme de droite. Plusieurs axes ont été clairement définis dans le programme du NFP : le combat contre la pauvreté et l’appauvrissement ; la lutte contre le racisme sous toutes ses formes ; l’abrogation de dispositions liberticides ; l’interdiction des violences policières ; l’action contre le dérèglement climatique et la destruction de l’environnement ; l’engagement pour la paix en particulier à Kanaky et en Palestine, où un génocide est perpétré depuis presque dix mois.

L’avènement du fascisme en France a été conjuré pour cette fois-ci. Mais la vigilance doit être de mise. La dynamique qui a permis de mobiliser fortement pour un programme social, écologique, antiraciste et anti-guerre a montré qu’il était possible de mobiliser au-delà des électeurs habituels de gauche. Faisons en sorte que notre sursaut ne soit pas qu’un sursis mais bien un succès !

[Tissa]

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Le RN, un parti « comme les autres » ???

Les récentes campagnes électorales des européennes et des législatives anticipées ont vu battre leur plein de « dédiabolisation » du Rassemblement National. Jamais les membres du parti n’ont été si présents dans les médias, et jamais leur score n’a été si haut dans les scrutins. Certains commentateurs n’hésitent plus à affirmer que celui-ci ne serait pas un parti d’extrême-droite, et leur légitimation en tant que force politique respectable semblerait presque acquise. Les électeurs du RN quant à eux, – les « fâchés pas fachos », exprimeraient par leur vote un mécontentement social plutôt qu’une adhésion réelle aux idées racistes et xénophobes du parti. En un mot, le racisme deviendrait ainsi une opinion « comme les autres »…

Si le processus de normalisation entamé par l’ex-Front National débute à la fin des années 1980, ce n’est qu’à la nomination de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011 que des distances avec l’image encombrante du fascisme historique qui lui est associée depuis ses origines commencent vraiment à être prises. Il est en effet nécessaire de rappeler que le parti fut créé en 1972 par d’anciens combattants des Waffen-SS, des terroristes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) et des sympathisants néonazis et négationnistes. Pour Marine Le Pen, il s’agit alors de rendre le parti plus « présentable » aux yeux des électeurs et d’accéder au pouvoir par les urnes en élargissant sa base électorale.

La stratégie est simple, Louis Aliot, alors vice-président du RN et député européen en 2013, la détaille sans détour : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste (…) »1. Quelques années plus tard, la manœuvre s’est avérée payante : en novembre 2023, Marine Le Pen défile auprès des autres partis politiques lors de la manifestation contre l’antisémitisme appelée par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Et c’est dorénavant l’extrême gauche qui se retrouve conspuée du « verrou idéologique » de l’antisémitisme ; droite, extrême-droite et médias dominants y trouvant là un excellent moyen de décrédibiliser leurs adversaires. Le groupe de la France Insoumise en a d’ailleurs particulièrement payé les frais depuis le 7 octobre dernier dans une campagne calomnieuse menée contre elle.

Ainsi, le Rassemblement National ne serait plus le Front National antisémite et fasciste d’antan et ne constituerait plus une menace pour les valeurs démocratiques. Les déclarations sulfureuses du type de celles de Jean-Marie Le Pen comparant le génocide juif à un « détail de l’histoire » de la seconde Guerre mondiale, ou encore les saluts nazis et autres croix gammées arborées par des militants au crâne rasé d’ultra-droite ont été proscrit. Bien formés à la communication, les cadres du parti tentent d’éviter tout dérapage et soignent leur image. Dans une brochure de formation interne intitulée « L’image du Front National » parue au début des années 90, on peut y lire très explicitement : « Pour séduire il faut d’abord éviter de faire peur et de créer un sentiment de répulsion. Or, dans notre société soft et craintive, les propos excessifs inquiètent et provoquent la méfiance ou le rejet d’une large partie de la population. Il est donc essentiel lorsqu’on s’exprime en public d’éviter les propos outranciers et vulgaires. On peut affirmer la même chose avec autant de vigueur dans un langage posé et accepté par le grand public. De façon certes caricaturale, au lieu de dire : « Les bougnoules à la mer », disons : « Il faut organiser chez eux le retour des immigrés du tiers-monde »2. Les consignes sont glaçantes…

Pourtant, malgré toutes les précautions prises, régulièrement les déclarations embarrassantes de certains membres du parti sont épinglées dans la presse et craquellent le vernis communicationnel. Mais là encore, il reste possible de rattraper les sorties de route, comme a tenté de le faire Jordan Bardella durant les quinze jours de campagne législative anticipée en désavouant « quelques brebis galeuses » (bien que le nombre de brebis ne soit en réalité plus proche de celui du troupeau car dépassant la centaine de têtes… – comme l’a recensé le journal Streetpress3). Difficile de croire ainsi en un réel changement de fond de l’idéologie du parti. Il suffit d’ailleurs de se pencher sur les tracts ou programmes de campagne pour constater que le principal ressort du RN repose sur le rejet de l’immigration, et qu’à partir de celui-ci, se déclinent tous les maux censés y afférer : insécurité, islam, terrorisme, chômage… La « préférence nationale » et le rejet des étrangers constituent la colonne vertébrale du FN-RN depuis ses débuts.

Il est pourtant souvent entendu que le RN aurait opéré ces dernières années un basculement vers un programme socio-économique censé répondre aux attentes de la large tranche de son électorat – la petite classe moyenne composée d’ouvriers, employés et petits artisans, pour la plupart peu ou pas formés, et vivant dans les espaces péri-urbains ou ruraux. Les questions du pouvoir d’achat, de l’accès aux services publics, du maintien des écoles en milieu rural où des transports, seraient devenues les motivations principales incitant les classes populaires à voter pour le parti. Cette façade « sociale » est cependant problématique pour plusieurs raisons. Déjà, le programme économique du RN n’est en réalité que la continuité des politiques libérales menées depuis des décennies et ne répond en rien à ces préoccupations pourtant légitimes. De plus, elle place à l’arrière plan les aspects identitaires du parti et contribue là encore à rendre son image plus « acceptable ». Mais aussi, elle empêche d’analyser correctement les différentes dynamiques de vote en les priorisant les unes par rapport aux autres. En effet, comme l’a très précisément montré le sociologue Félicien Faury ayant enquêté auprès d’électeurs du RN durant plusieurs années4 : « A propos du vote d’extrême droite et de ses évolutions, beaucoup de débats ont pris la forme de ce qu’il faut bien appeler un faux problème, en mettant en opposition, d’un côté, les motivations électorales dîtes « économiques » et « sociales » (la peur du chômage, inquiétude face à la baisse du niveau de vie), de l’autre, des raisons désignées comme « culturelles » ou « identitaires » (le refus de l’immigration, le rejet de l’Islam).

Les raisons qui amènent à ce vote sont très fortement imbriquées les unes aux autres, et aux questions sociales s’articule une causalité identitaire et raciste. La peur du chômage peut être attribuée aux travailleurs immigrés venant « voler » le travail des « français », la détérioration des services publics liée à l’accaparement des aides sociales par les familles « étrangères », la dégradation de l’offre scolaire et la mauvaise réputation de certaines écoles publiques dues à une difficile cohabitation avec des minorités racialisées ne partageant pas la même culture ou la même religion, etc. Le vote RN ne peut alors se concevoir uniquement en un rejet des politiques menées par les autres formations politiques (le « vote sanction » ou vote « dégagiste »), ni se contenter de répondre à la formule simpliste du « on n’a pas encore essayer ». Les motivations du vote chez les électeurs du RN demeurent très fortement liées aux affects racistes comme en atteste la quasi-totalité des études sur le sujet. Une enquête de la CNCDH5 de 2015 montre que parmi les personnes déclarant une affinité partisane avec le RN, 82 % s’auto-identifiaient comme « plutôt raciste » ou « un peu raciste », ce qui constitue un niveau exceptionnellement élevé par rapport aux citoyens proches d’autres partis politiques. Une enquête d’opinion réalisée en 2022 indique que 92 % des électeurs RN déclarent penser que « la plupart des immigrés ne partagent pas les valeurs de notre pays et que cela pose des problèmes de cohabitation. »6

Pour autant, Félicien Faury rappelle le caractère multiforme et transversal du racisme : « Le racisme ne se résume pas à une seule forme fixe, monolithique et facilement identifiable. […] Il n’est pas l’apanage d’un groupe social particulier et peut dès lors se manifester sous différentes modalités, variables selon les profils sociaux et les positions de pouvoir occupées par les individus qui s’en font les relais. » En d’autres termes, le racisme traverse toutes les couches de la société et n’est pas seulement présent à l’extrême-droite, même s’il y apparaît sûrement sous sa forme la plus grossière. Le racisme doit s’appréhender dans sa dimension structurelle, c’est à dire à travers les rapports sociaux inégalitaires qui cimentent notre société. Il faut ainsi comprendre le racisme comme une construction politique dont le capitalisme a besoin afin de diviser les classes sociales et de maintenir son hégémonie. Dans son prolongement logique, les idées d’extrême-droite viennent s’appuyer sur la résignation et l’impossibilité supposées de sortir du système néolibéral et proposent comme unique échappatoire la construction d’un groupe rendu responsable de tous les problèmes. La dangerosité de l’extrême-droite tient donc au fait qu’elle détourne vers le bas des problèmes qui pourtant viennent d’en haut.

La normalisation des idées véhiculées par le RN en particulier, mais de manière plus générale l’acceptation de l’altérisation de la société (le rejet de l’autre), ne doivent que renforcer la nécessité à lutter contre le racisme et les inégalités de classes conjointement. Contrer la politisation de l’affect raciste mobilisé par le vote RN constitue dès lors l’une des étapes nécessaire pour se débarrasser de ce fléau.

[Fred]

1 Valérie Igounet, « Le Front national de 1972 à nos jours », Seuil – 2014, citée par Nonna Mayer dans « Le Mythe de dédiabolisation du FN » – La vie des idées – déc. 2015

2 Valérie Igounet, citée par Ugo Paletha lors du colloque « Extrême droite : le dessous des cartes. Comment la vaincre. » – Institut La Boetie – oct. 2023

3 « Propos racistes, homophobes, complotistes… La liste des 109 candidats RN épinglés », Streetpress – juil. 2024

4 Félicien Faury, « Des électeurs ordinaires, Enquête sur la normalisation de l’extrême droite », Seuil – mai 2024

5 Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme – Rapport 2015 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie

6 Luc Rouban, « La vraie victoire du RN », Presses de Sciences Po – No. 2022, cité par Félicien Faury

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Retour du village de l’eau

Le village de l’eau, à Melle du 15 au 21 juillet, cet évènement géant, n’a pu se réaliser que grâce à un soutien très actif du maire, des élu.es de la commune et des porteurs de projets agricoles de la ferme municipale de la Genellerie. Ce maire déterminé a bravé différentes menaces : apaiser les tensions posées par la Coordination rurale, venue pour faire annuler l’évènement, afficher sa présence lors de l’intrusion d’éléments fascistes venus menacer les habitants de la ferme et prometttre de revenir, intervenir à plusieurs reprises auprès des forces de l’ordre afin qu’elles laissent passer les camions de matériaux et aliments pour la cantine et les stands.

Les forces de l’ordre étaient très présentes dès notre arrivée : fouille des voiture et des sacs, avec confiscation d’un casque vélo et un opinel de l’une d’entre nous, équipe cynéphile au cas où seraient transportés des explosifs. Au cours de la semaine, chaque jour, un peu plus de forces de police, chaque jour, un peu plus de contrôles, de drones et de tours d’hélicoptères, nuit et jour, ceux-ci survolant suffisamment bas pour nous empêcher de nous entendre à l’intérieur des chapiteaux.

Quatre organisations ont décidé de saisir le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers : l’Association de défense des libertés constitutionnelles, le Syndicat de la magistrature, Solidaires 79 et Attac, le survol du Village de l’eau par des drones a été partiellement annulé par la justice.

Une fois dans le village, l’ambiance est tout autre, tout le monde s’active pour terminer le montage des chapiteaux et barnums. La cantine est déjà en place, et une semaine à l’avance, les bénévoles sont venus préparer le lieu et les infrastructures. A noter une amélioration notoire dans la construction des toilettes sèches.

Pour se mettre dans l’ambiance de la sinistre actualité que nous vivons en France, une assemblée a ouvert ce village en organisant un partage d’expérience sur les résistances face à l’extrême droite : les groupes présents confirment cette préoccupation de s’organiser et d’affiner leurs stratégies ; faire vivre des lieux en se décloisonnant de la logique militante, installer des tables publiques dans des lieux publics, diffuser des médias produits localement, faire des campagnes d’affichage, faciliter l’entraide, les rencontres, une élue d’une petite commune plaide pour une formation des employés municipaux, autant de pistes d’action qui résonne bien dans nos vallées cévenoles, merci à l’Episode Cévenol de jouer le rôle de diffusion des questions qui nous préoccupent.

Tout au long des trois premiers jours, les assemblées et formations se succèdent : résistances sociales et écologiques dans le bassin méditerranéen et en Amérique latine, résistances palestiniennes et solidarités internationales, installation en agriculture paysanne pour résister et lutter, conflictualité de classes au sein de l’agro-industrie ou comment diviser la FNSEA, désarmer les méga-bassines, ouvrir une brèche dans le modèle agro-industriel, enquêter sur l’eau, l’extractivisme, la transition énergétique, venir échanger dans une assemblée des luttes anti-nucléaires, … et aussi pour se préparer aux manifestations : trouver un groupe affinitaire pour l’action, s’outiller face à la répression, atelier clown-activiste.

Dans le village, flottait un immense drapeau palestinien.

Les vendredi et samedi, on est passé à l’action!

 Afin de déjouer les forces de police, la manifestation du vendredi, prévue à 20km du village, a été déplacée au dernier moment, en se rendant au nord-ouest de Poitiers. L’objectif était de visibiliser la filière agro-industrielle en visitant l’entreprise Terrena, de remonter aux sources des problématiques des bassines qui sont l’accaparement de l’eau et des territoires par l’agro-industrie et de rappeler l’urgence d’un moratoire.

Dans l’avancée de la manifestation, les forces de l’ordre ont bloqué la route, ce qui a obligé les manifestants à couper à travers champs. Quelle stupidité des forces de l’ordre devant un champ sec, comment ne pas imaginer que les grenades risquaient de tout enflammer ? Car ce sont bien elles qui ont mis le feu à la paille (140 tonnes de paille perdues, le paysan a porté plainte contre Darmanin), mettant en danger les manifestant.e.s qui ont dû rebrousser chemin.

 A la Rochelle, le samedi, l’objectif a été atteint, avec une occupation de l’entreprise Soufflet du terminal agro-industriel du port de La Pallice à 5h du matin par tracteurs et paysans. Dans les cortèges de l’après-midi, l’un calme en bord de mer, l’autre a été nassé dans une rue, les manifestants noyés sous une pluie de lacrymogènes, certain.e.s en crise d’angoisse, d’autres cédant à la panique, se réfugiant là où ils trouvaient une porte ouverte. Après s’être rejoints, les 2 cortèges ont pu se retrouver dans la joie sur la plage de La Rochelle, aux yeux curieux et empathiques des touristes et baigneurs.

Sur la route du retour, tous les accès de sortie de la voie rapide, routes d’accès aux bassines,  étaient bloqués par des camions de crs .

Le samedi soir, un échange sur les luttes internationales avec des prises de parole de Kurdistan, Mexique, sans-papiers en France, Inde, Brésil… a appelé à une convergence des luttes et des alternatives à ces problématiques engendrées par le capitalisme.

Le dimanche matin était consacré à une table ronde sur la sécurité sociale de l’alimentation avec des syndicalistes agricoles et salariés de l’agro-industrie, des groupements de ré-appropriation de fermes, des systèmes d’aides alimentaires alternatifs.

L’après-midi, c’était l’heure d’un premier bilan: les participants d’une table ronde ont proposé la création d’un forum des mouvements de l’eau. Les enjeux autour de l’eau couvrent des problèmes très divers comme les bassines, la neige artificielle, l’eau en bouteille, les eaux polluées par les pesticides ou les produits chimiques, l’eau pour l’industrie numérique et électronique… L’ensemble des cycles de l’eau sont concernés qu’ils soient locaux ou globaux et tous les peuples subissent les dommages de leurs perturbations. Les modes d’actions et d’organisations sont multiples et très divers, les lieux où ils s’exercent sont urbains et/ou ruraux, ainsi que les cultures paysannes, syndicales, partisanes ou associatives. Ce forum devrait se réunir annuellement afin de permettre une connaissance et une interconnexion sur tous les continents des peuples de l’eau.

[jacqueline b., pierre s.]

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Épisode cévenol n°39

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