Les nostalgiques de « l’Algérie française » en embuscade

Les relations qu’entretient la France avec l’Algérie ont toujours été déterminées par le passé colonial, un passé qui pour beaucoup ne passe pas. Les relents revanchards ont de tous temps traversé le débat public français, jusqu’à aller clamer « le rôle positif » de la colonisation1.

Alors que la reconnaissance officielle des crimes commis en Algérie de 1830 à 1962 est quasiment impossible, les déclarations du candidat Emmanuel Macron en février 2017 à l’occasion d’une visite en Algérie détonent. Il a ainsi déclaré dans une interview à propos du colonialisme : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »2

Ces propos suscitent un énorme tollé en France et le débat qui aurait du porter sur la colonisation est dévié vers celui sur la « repentance » que pourtant les Algériens n’ont jamais demandé. Ces derniers voudraient que la France officielle regarde son passé en face et reconnaisse ses crimes. Entre temps, le président Macron a bien voulu concéder quelques « bavures » – l’assassinat de quelques personnalités de la résistance algérienne, la répression du 17 octobre 1961 à Paris qui a fait des dizaines de morts – mais on est encore loin du compte. Tout le travail de mémoire amorcé sur les deux rives de la méditerranée se poursuit difficilement et pour cause…

Peu de temps après son investiture, le président Macron opère un virage à droite et dès septembre 2021, s’en prend à l’Algérie en accusant son système « politico-militaire » d’entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance. Et en octobre 2021, il reprend un leitmotiv de l‘extrême droite : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.3» On imagine l’exaspération du côté algérien !

Soufflant le chaud et le froid, Macron se rend en Algérie en août 2022 dans le but affirmé d’entamer une nouvelle dynamique dans les relations bilatérales pour « renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux » et « poursuivre le travail d’apaisement des mémoires », ce qui ne lui a pas vraiment réussi. En cinq ans, le discours de Macron sur la colonisation sera passé d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique », phrase répétée deux fois lors de ce séjour en 20224. La visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune prévue de longue date a depuis été plusieurs fois reportée.

Cependant les relations entre les deux États se sont dramatiquement dégradées lorsque le président Macron, dans une lettre au monarque marocain rendue publique par l’Elysée le 30 juillet 2024, déclare à propos du Sahara occidental occupé par le Maroc depuis 1975 : « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. (…) Pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue. Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant »5. La France piétine les résolutions de l’ONU qui considère le Sahara Occidental comme un territoire non autonome dont la décolonisation n’est pas terminée et préconise depuis 1991 l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui6. Connaissant la position de l’Algérie pour qui le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’autodétermination du peuple sahraoui sont une ligne rouge, Macron prend le risque d’une crise majeure pour satisfaire la droite et l’extrême droite en France.

Il n’en fallait pas tant pour que les médias de droite et en particulier ceux de la sphère Bolloré s’emparent du sujet en inversant les rôles. Selon ces médias, la crise ne serait pas le fait de la France mais de l’Algérie qui multiplierait les casus belli. Mais surtout, pendant des mois, ce n’est plus le président Macron qui s’exprime sur l’Algérie mais ses ministres en particulier celui de l’Intérieur Bruno Retailleau. Comme si l’Algérie était redevenue une question de politique intérieure française rappelant le temps où elle était composée de trois départements français.

Un des sujets de prédilection des médias et politiques revanchards, et cela ne date pas d’aujourd’hui, concerne l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation que l’extrême droite, sans surprise, remet régulièrement sur le tapis. C’est l’ancien ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt, proche du Rassemblement national, qui en mai 2023 exhume cet accord oublié en raison de sa caducité. Le diplomate retraité multiplie les apparitions dans les médias pour le dénoncer car selon lui, « aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien ». En réalité, mais cela reste inaudible dans les médias, cet accord a été vidé de son contenu au cours des ans et n’a aucun effet sur les flux migratoires »7. Cependant pendant des semaines, commentateurs et politiques s’échinent à ressasser que les Algériens bénéficieraient d’un statut privilégié en France et que l’Algérie s’en montrerait si peu reconnaissante.

Driencourt et consorts ont alimenté une machine médiatique au service des nostalgiques de l’Algérie française qui ne cherchent qu’à en découdre avec l’Algérie indépendante. Plusieurs sujets phares de l’extrême droite sont brandis : Qu’il s’agisse d’immigration, de visas et en particulier de visas santé, de « repentance », des OQTF, de la détention de Boualem Sansal en Algérie etc., les faits avancés sont souvent faux, biaisés, réducteurs etc. Pour le dire clairement, le gouvernement algérien et les présidents algériens n’ont jamais exigé de la France une quelconque repentance. Il s’agit de reconnaissance des crimes coloniaux et d’en endosser la responsabilité. Quant aux OQTF, il suffit de consulter les statistiques pour constater que le nombre de refoulements réalisés vers l’Algérie correspond proportionnellement à celui vers le Maroc8, lequel État ne subit pas les mêmes invectives de l’establishment français. Et pour finir, l’affaire Boualem Sansal est instrumentalisée par les milieux revanchards. L’écrivain algérien naturalisé français en 2024, ancien haut fonctionnaire dans l’administration algérienne converti à l’extrême droite française, a notamment déclaré dans un média d’extrême droite qu’une grande partie de l’ouest algérien serait historiquement marocain tout en décrétant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Si ses multiples provocations ne justifient pas une condamnation à 5 ans de prison, il faut tout de même rappeler que les protestations des politiques, intellectuels et autres artistes français sont bien sélectives. Qui de ces « indignés » parle de Georges Ibrahim Abdallah, militant de la cause palestinienne, emprisonné en France depuis 1984 et libérable depuis 1999 ? Qui s’inquiète du sort des militants kanaks injustement arrêtés et incarcérés en métropole ?

La fin de partie semblait enfin être sifflée en particulier pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui depuis des mois surfe notamment pour des raisons électorales sur la vague anti-Algérie. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, se rend à Alger le 7 avril dernier où il rencontre le président Tebboune. Il annonce vouloir revenir « à la normale »et« reconstruire un partenariat d’égal à égal, serein et apaisé »9. Mais voilà qu’à peine le calme rétabli, une proposition de résolution « appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal » est adoptée à l’Assemblée nationale le 6 mai à 307 voix pour et 28 contre. En fait, cette résolution n’est autre qu’une nouvelle attaque contre le gouvernement algérien dans le sens que l’article 35 « invite le gouvernement, la Commission européenne et le Conseil européen à veiller à ce que toute coopération renforcée avec l’Algérie soit subordonnée à des avancées concrètes et mesurables en matière d’État de droit et de libertés fondamentales, et à faire de la libération de Boualem Sansal une exigence préalable dans le cadre des discussions sur la modernisation de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie »10. On n’est plus dans la simple demande de la libération de l’écrivain emprisonné mais dans une volonté d’exacerber le conflit en le propulsant à un niveau européen. Du côté français, pour la première fois, certains n’hésitent pas à agiter la carte des sanctions contre des « dignitaires » algériens !

Les rapports entre les deux États n’ont jamais été si délétères. Et tant que la constance néocoloniale institutionnelle perdurera, il sera difficile de revenir à une relation apaisée basée sur le respect mutuel. Il y va pourtant du présent et de l’avenir de centaines de milliers de binationaux.

1 La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés avait inscrit dans son article 4 « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » ce qui a provoqué un tollé. Si ce passage a été retiré, l’article 1 en conserve l’esprit : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ».

2 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite

3 https://www.la-croix.com/Monde/Algerie-peut-vraiment-comparer-colonisation-francaise-loccupation-ottomane-2021-10-05-1201178982

4 https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/030922/intervention-choquante-de-lelysee-apres-une-tribune-publiee-dans-le-monde

5 https://orientxxi.info/magazine/sahara-occidental-une-manoeuvre-politicienne-et-risquee-du-president-macron,7560

6 Après le retrait de l’Espagne en 1975, le Maroc occupe le territoire et un conflit armé l’oppose au Polisario jusqu’au cessez le feu en 1991, date à laquelle l’ONU décide d’un référendum que le Maroc a toujours refusé. L’Algérie a toujours soutenu le plan d’indépendance du Sahara occidental et exige l’application du droit international.

7 https://orientxxi.info/magazine/en-finir-avec-l-accord-franco-algerien-de-1968-une-obsession-de-la-droite,6989

8 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/10/04/oqtf-comprendre-le-debat-sur-les-mesures-d-eloignement-des-etrangers-sans-papiers-en-france_6343837_4355770.html

9 https://www.franceinfo.fr/monde/afrique/algerie/crise-entre-alger-et-paris-jean-noel-barrot-annonce-une-nouvelle-phase-des-relations-avec-l-algerie_7175460.html

10 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1021_texte-adopte-commission#

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Épisode cévenol n°44

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Les mangeurs de terre

Les grands patrons se frottent les mains. Il faut reconnaître que la supercherie est de taille : justifier la relance de l’industrie minière en Europe – l’une des activités les plus toxique et énergivore qui soit, sous couvert d’assurer le déploiement des énergies « vertes » nécessaires à la transition énergétique, il fallait oser !

Car la relance de l’activité minière sur le sol Européen est bien en cours. Face à la vertigineuse explosion des besoins en ressources minérales (en vingt ans, les volumes de métaux extraits dans le monde ont doublé), les dirigeants européens ne veulent pas demeurer en reste face à leurs concurrents russes ou chinois, et réduire un tant soit peu leur dépendance. Bien que peu médiatisée, cette nouvelle ruée minière est planifiée depuis plusieurs années déjà. En France, le rapport Varin de 2022 vise à sécuriser l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales, l’annonce par le gouvernement français en 2023 de mesures de simplification administratives doit permettre d’accélérer les procédures minières, le règlement européen sur les matières premières critiques (Critical Raw Matérials Act) de 2024 fixe comme objectif une capacité d’extraction de 10 % de la consommation annuelle Européenne sur son territoire d’ici à 2030.

Et pour faire suite à l’annonce du chef du gouvernement de 2023 indiquant que la France doit faire évaluer son propre potentiel, c’est tout un programme d’identification des ressources qui vient d’être annoncé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en février 2025. Ce vaste inventaire, d’un montant de 53 millions d’euros et d’une durée prévisionnelle de 5 ans, va être mené sur cinq grandes zones du territoire métropolitain, dont une allant des Pyrénées aux Cévennes. La Guyane vient d’être ajoutée le 20 mars dernier à la liste des territoires dont le sous-sol sera étudié. Il n’y a donc que peu de doutes quant à l’intention d’ouvrir de nouvelles mines en France d’ici quelques années dans les zones qui s’avéreront propices à l’extraction. Une vingtaine de demandes de permis ont déjà été déposées sur le territoire métropolitain, et plus de 170 en Europe.

Seul bémol, s’il est assez aisé d’aller dévaster la planète et de créer des désordres sociaux à l’autre bout du monde (néocolonialisme oblige, les conditions de travail, les normes environnementales et l’emprise d’organismes financiers tels le FMI ou la Banque Mondiale génèrent un contexte nettement plus propice qu’en occident…), le faire en Europe demeure plus compliqué. Les industrieux chef d’entreprises l’ont bien compris : se pose la question de l’acceptabilité sociale. Et il n’est pas certain que l’emploi d’oxymores fallacieux tels que « mine verte » ou « mine responsable » suffisent à faire passer la pilule auprès de populations ne voyant pas forcement d’un bon œil que soient disséminés partout autour de chez elles des rejets de métaux toxiques tels le plomb, le mercure ou l’arsenic.

C’est ainsi qu’un subtil subterfuge a été trouvé. Comme l’indique la commission européenne : « Pour réaliser la transition, il faudra renforcer la production locale de batteries, de panneaux solaires, d’aimants permanents et d’autres technologies propres (c’est nous qui soulignons !) ». Évidemment, l’alibi louable de la transition passe mieux que si l’objectif premier était révélé : poursuivre le développement exponentiel du secteur des objets connectés et des centres de données numériques (datacenters), ceux de l’aérospatiale ou de l’armement. Tel le cailloux qui cache la carrière, c’est au nom de la transition énergétique que la relance minière européenne doit se faire.

Célia Izoard, journaliste et philosophe, autrice de l’ouvrage « La ruée minière au XXIème siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition », résume clairement l’hypocrisie : « Notre civilisation a besoin d’un sevrage métallique, autant qu’un sevrage énergétique. Continuer à faire croire, comme le fait l’Agence Internationale de l’Énergie, qu’il est possible de supprimer les émissions carbones en électrifiant le système énergétique mondial est un mensonge criminel. On ne peut miser sur les énergies renouvelables qu’en réduisant drastiquement la production et la consommation. Et cela nécessite des bouleversements majeurs que les élites du capitalisme mondialisé refusent de faire. »

Pour donner un ordre de grandeur, si l’on voulait électrifier l’ensemble du parc automobile d’un pays comme la Grande Bretagne, il faudrait utiliser 2 fois la production mondiale de cobalt, les 3/4 de celle de lithium, et la moité de celle de cuivre. Et tout cela pour un secteur unique et pour un seul pays… Inutile de creuser plus loin la question, l’impasse de tels projets est assez criante. Soit il faudrait des décennies pour obtenir les matières premières suffisantes à l’électrification du système énergétique mondial, et donc ainsi rater le coche de la décarbonation, soit il faudrait extraire des quantités de manière pharamineuses partout dans le monde au prix d’aggraver encore plus les conséquences du changement climatique.

Car en effet, les mines jouent un rôle central dans plusieurs enjeux écologiques majeurs : le climat (par leur contribution aux émissions carbone, les mines si « vertes » qu’elles soient fonctionnent à l’énergie fossile), la perte de biodiversité (du fait de l’implantation de mines dans les zones les plus reculées du monde), la raréfaction des ressources (en premier lieu l’eau potable et les terres cultivables) et les risques sanitaires et environnementaux (étant donné l’ampleur des catastrophes industrielles qu’elles peuvent provoquer). Cela sans parler des conséquences sociales toutes aussi désastreuses : exploitation salariale, travail des enfants, assassinats d’opposants à ce type de projet, renforcement des conflits armés, conditions de vie détériorées des populations…

Là encore, quelques chiffres suffisent à montrer l’ampleur de la démesure : la teneur moyenne d’un gisement de cuivre est de l’ordre de 0,4 %, ce qui signifie que 99,6 % des roches extraites seront rejetées sous forme de déchets, de résidus extrêmement dangereux ou de boues stériles. Les conséquences de l’extractivisme ne sont pas maîtrisées : la pollution minière est irréversible, il n’est pas possible de décontaminer ce qui est déversé dans l’environnement. Mais les mines posent également le problème de l’accaparement de la ressource en eau : une grande mine de cuivre consomme en moyenne 110000 m³ d’eau par jour. Quand on sait que les 3/4 des sites miniers sont situés dans des zones menacées par le manque d’eau, et que les conflits d’usage y sont déjà souvent prégnants, qu’en sera t-il lorsque les périodes de sécheresses seront encore accrues par le réchauffement climatique ?

Évidemment, si l’industrie sait calculer au micro-gramme près la quantité de matière nécessaire à la fabrication d’un smartphone ou d’un alliage pour un Airbus, ce n’est pas ce type de préoccupation qui intéressent les prospecteurs… Il est plus commode de laisser aux populations locales concernées le soin de survivre au milieu de terres arides et polluées.

Des études montrent qu’il est prévu d’extraire plus de matières dans les vingt prochaines années que dans toute l’histoire de l’humanité, mais malgré cela, la question de l’« après-mine » – selon le terme consacré, n’est toujours pas considérée. De nombreux habitants confrontés à ces pollutions tentent de faire reconnaître le préjudice qu’ils ont subi et d’obtenir un minimum de mise en sécurité des territoires contaminés où ils vivent. Mais la réponse des pouvoirs publics et des industriels demeurent dans la grande majorité des cas une minimisation des impacts environnementaux, quand ce n’est un déni pur et simple…

Célia Izoard nous montre dans son ouvrage que l’histoire du capitalisme est l’histoire d’une civilisation extractiviste. Elle nous incite à la réflexion en nous racontant comment est perçu le monde occidental venu piller depuis des siècles les ressources premières sur chaque continent. Le peuple autochtone amazonien Yanomami nomme ainsi les colons extractivistes les « mangeurs de terre »… Une métaphore éloquente permettant sûrement de questionner un modèle de développement économique prédateur qui a été imposé sans concertation et de reconsidérer la part des usages qui relèvent du profit productiviste de celle des besoins essentiels de subsistance. S’opposer à l’industrie minière pour ce qu’elle incarne dans ses fondements profonds relève alors d’une nécessité des plus urgentes.

[Fred]

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TOTALEnergies au salon de l’agriculture ?

Comment aurait-on pu imaginer, il y a seulement 10 ans, que ces 2 mondes se rencontrent et aillent jusqu’à nouer des partenariats ?

Qui est TotalEnergies ? La multinationale de l’énergie, top 4 au niveau mondial, certes, mais il nous semble nécessaire de préciser un peu sur ses « prouesses ».

Oui, elle produit de l’« énergie verte », on y reviendra plus bas, mais, avant tout, chaque année sa production d’hydrocarbures augmente : avec un résultat net ajusté en hausse de 8% pour 2024, TotalEnergies prévoit 3 % d’augmentation de production pour l’année 2025, en particulier grâce aux cinq projets majeurs lancés en 2024 (Mero-2 et Mero-3 au Brésil, Anchor aux Etats-Unis, Fenix en Argentine et Tyra au Danemark) qui contribueront à la croissance de la production attendue pour 20251, croissance confirmée par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)2. Ce qui rassure les actionnaires qui ont déjà vu leurs dividendes, au titre de 2024, portés à 3,22 €/action, soit une hausse de 7,0% par rapport au dividende de l’exercice 2023.

Ajoutons à cela que ce groupe pétrogazier, « champion national » par excellence, est régulièrement accusé de ne payer aucun impôt dans l’Hexagone alors même qu’il affiche des bénéfices très confortables à l’échelle mondiale. Les chiffres le confirment… ils indiquent qu’en 2019, 2020 et 2021, et à nouveau en 2023, TotalEnergies n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France. Même les années où TotalEnergies déclare un bénéfice en France et est effectivement censé payer l’impôt sur les sociétés, il semble y avoir toujours une raison pour laquelle le groupe arrive tout de même à réduire son ardoise finale. En 2022, sur un impôt sur les sociétés théoriques de 122 millions de dollars en France, TotalEnergies n’a versé au fisc que 19 millions. Rappelons que le groupe a affiché ces trois mêmes dernières années des profits historiques, de 14,2, 19,2 et 19,3 milliards d’euros3.

Certes, TotalEnergies produit de l’énergie verte (panneaux solaires et éoliennes), mais qu’en est-il exactement ? De fait, la production d’« énergies vertes » ne dépasse pas actuellement 10 % de la production totale (exploration, production – pétrole, gaz – raffinage, chimie) et vise 15 % à l’horizon 2030.

Et cette production, que TotalEnergies souhaite augmenter, vise à stocker l’électricité produite dans d’immenses parcs à batteries, 40 conteneurs sont prévus, nous confirme ainsi sa position de leadership européen dans le stockage stationnaire de taille industrielle. C’est un projet de stockage qui va contribuer 24h/24, 7j/7 aux besoins du réseau haute-tension de transport européen et belge et qui va compenser l’intermittence introduite par les énergies renouvelables et ainsi permettre leur développement4.

Tout cela nous emmène bien loin de l’agriculture !

Qu’est donc venu faire TotalEnergies au Salon de l’Agriculture ?

En fait, la société avait besoin de mettre en lumière le protocole de coopération signé avec le syndicat des Jeunes Agriculteurs (notons au passage que la FNSEA avait déjà signé un partenariat avec Total en 2022 pour développer des projets visant à produire de l’électricité, du biométhane et des biocarburants5).

« Le nouveau cadre de coopération signé ce jour entre TotalEnergies et Jeunes Agriculteurs couvre les domaines suivants :

  • Le développement de solutions énergétiques durables adaptées aux exploitations et aux filières agricoles (biogaz, agrivoltaïsme).Une installation photovoltaïque est dite « agrivoltaïque » lorsqu’elle est située sur la même parcelle qu’une production agricole6
  • L’accompagnement de jeunes agriculteurs dans la mise en place de pratiques plus économes en énergie.
  • L’innovation technologique via la mise en place de projets pilotes d’agri-énergies et leur suivi expérimental.
  • Le financement de projets liés à la transition énergétique qui respectent les plans et contrats d’avenir élaborés par Jeunes Agriculteurs.

TotalEnergies et Jeunes Agriculteurs partagent une volonté commune d’apporter des solutions et outils adaptés aux enjeux et besoins des agriculteurs.7 »

Examinons d’un peu plus près ces assertions :

> Développement des solutions énergétiques durables :

Dans le Gard, ce sont plus de 1.000 ha de terres agricoles qui sont déjà ou vont être sacrifiées pour produire de l’énergie qui servira à valoriser la transition énergétique voulue par nos élites capitalistes et qui bénéficiera en tout premier lieu aux actionnaires des différentes sociétés.

TotalEnergies n’est pas la seule qui en bénéficiera. Notons en particulier Voltalia, qui porte une grande partie des projets dans le Gard. C’est une société détenue par la famille Milliez présente aussi chez Auchan, Décathlon, Top Office, Jules, Boulanger, Kiloutou, ….

> Accompagnement de jeunes agriculteurs dans la mise en place de pratiques plus économes en énergie

Il est certain qu’il va falloir convaincre, car demander aux agriculteurs de mettre de côté, en grande partie, leur activité agricole est plus du domaine de la supercherie. Probablement, l’argument du revenu sera prioritaire, mais alors il faudra se questionner si ces personnes garderont leur statut d’agriculteurs, auront-ils toujours droit aux prestations MSA, aides PAC, ….. ?

> l’innovation technologique via la mise en place de projets pilotes d’agri-énergies : à partir d’une expérience de culture de nectariniers dans la plaine de la Crau, TotalEnergies via son centre d’expertise Ombrea, souhaite accélérer le développement des solutions alliant production solaire et production agricole . Mais, à ce jour, aucun bilan réel coût/bénéfice n’a été fait.

> le financement de projets liés à la transition énergétique : ce point est assez contradictoire avec le 2ème : en effet, le véritable objectif de la dite transition énergétique est bien une électrification généralisée de toute notre vie, que ce soit en termes de transports, de domotique, de communication, de formation …. et tout ceci avec une augmentation régulière de la demande énergétique. Ce ne peut donc pas être compatible avec la mise en place de pratiques(agricoles probablement?) économes en énergie, comme affirmé dans l’objectif n°2.

Mais, revenons à nos moutons : l’agriculture, qu’est-ce c’est ? pour intéresser autant Total ?

Le dictionnaire indique que « l’agriculture est un ensemble de travaux transformant le milieu naturel pour la production des végétaux et des animaux utiles à l’homme »

Les projets d’agri-énergies peuvent-ils répondre à cette définition ? Tant qu’un bilan des productions agricoles placées sous panneaux solaires n’est pas sérieusement fait, il nous paraît hasardeux de l’affirmer.

Or, comme il était dit plus haut, l’objectif de TotalEnergies est avant tout de produire de plus en plus d’énergie électrique, pour être un leader mondial. Alors la production agricole peut-elle parier sur de tels objectifs ? On sait bien que la terre, pour rester vivante, a besoin d’eau et de soleil, deux éléments essentiels dont elle sera privée sous les panneaux photovoltaïques. Et pensons aux agriculteurs qui, pour la plupart, font ce métier par amour de la nature et fierté de voir leurs productions maraîchères et fruitières s’épanouirent au soleil, leurs troupeaux se repaître dans des prés verdoyants ?

Nous perdons une fois de plus le sens de la vie.

La France a besoin d’énergie ! On nous le ressasse quotidiennement sur les ondes, dans les journaux, sinon c’est la récession, la perte de compétitivité, une dégradation de l’image de notre pays au niveau international. Mais est-ce cela que nous voulons ? aller forer, creuser partout dans le monde à la recherche d’hydrocarbures ? envahir, s’approprier les champs, les forêts de nos territoires, ici et ailleurs, pour y planter panneaux photovoltaïques et éoliennes ?

Alors que l’on pourrait avoir la plus belle image du monde avec de réels services publics, des campagnes verdoyantes et des rivières qui abreuvent les terres….

Non, nous ne voulons pas contribuer à poursuivre la dévastation de ce monde, en croissance perpétuelle, pour satisfaire les appétits capitalistes.

Nous voulons garder nos capacités à vivre ensemble, et pour cela récupérer nos terres, l’eau dont nous avons tous besoin pour vivre, et décider de notre avenir. [Jacqueline]

1 https://totalenergies.com/system/files/documents/totalenergies_cp-resultats-t4-2024_2025_fr.pdf

2 https://www.connaissancedesenergies.org/afp/la-croissance-de-la-consommation-mondiale-de-petrole-devrait-saccelerer-en-2025-selon-laie-250313

3 https://multinationales.org/fr/a-chaud/debunk/est-il-vrai-que-totalenergies-paie-ses-impots-la-ou-le-groupe-extrait-du

4 https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/integrated-power-renouvelables-totalenergies-lance-belgique-son-projet-stockage-batteries

5 https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/totalenergies-fnsea-sassocient-accompagner-transition-energetique-du-monde-agricole

6 https://agrivoltaisme.fr/

7 https://totalenergies.com/fr/actualites/communiques-presse/salon-lagriculture-jeunes-agriculteurs-totalenergies-renforcent-leur

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Etat de droit, état du droit

« Nous ne nous arrêterons pas. Je me fiche de ce que pensent les juges. (…) » (Tom Homan, le responsable de la frontière et des expulsions dans l’administration Trump)

« Désolé, Elon : même l’expulsion des membres de gangs illégaux doit respecter l’Etat de droit. » (Éditorial, New York Post)

Ces propos rapportés dans Le Monde du 18 mars dernier résument parfaitement le point de bascule où en sont les Etats Unis alors qu’aux régimes autoritaires de longue date (Chine, Corée du Nord, Iran, Égypte…) s’ajoutent ceux qui ont glissé vers ce modèle dans le flux d’une vague autoritaire qui englobe désormais, parmi les acteurs internationaux de premier plan, l’Inde de Narendra Modi et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. L’Europe n’est pas épargnée par le flot. L’illibéralisme du Hongrois Orban inspire les extrêmes droites du continent. Les néofascistes sont au pouvoir en Italie.
D’autres sont sur une pente dangereuse y compris le nôtre.

En effet, même si la récente décision du tribunal administratif de Toulouse annulant l’autorisation environnementale de l’autoroute A69 a montré que la justice conserve son indépendance, et que force reste à la loi en France, des tentatives scandaleuses de passer outre se sont très vite manifestées, venant qui plus est de la part d’élus – de tous bords. …

« Contester le fait qu’un juge puisse remettre en cause une décision de l’administration, c’est remettre en cause les fondements même de l’État de droit et de notre démocratie. Que des politiques et des parlementaires s’aventurent sur ce terrain-là, c’est extrêmement choquant et inquiétant », souligne Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris, dans Reporterre le 12 mars.

La proposition de « loi de validation de l’autoroute » portée par le député Philippe Bonnecarrère (divers droite) est une tentative de modifier l’état du droit de même nature que celles qui suivent désormais systématiquement les faits divers instrumentalisés à longueur d’antenne sur les media bolloréens.

En revanche, la déclaration de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qui estime que l’État de droit n’est “pas intangible, ni sacré”, est une attaque caractérisée contre un principe fondamental d’organisation de notre société qui garantit la démocratie ainsi que les droits et les libertés des citoyen·nes.

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau souligne la gravité de l’époque : « Nous sommes dans un moment historique où il y a une tension entre deux formes d’Etat : l’Etat de droit, où être élu par le peuple ne suffit pas ; l’Etat brutal, comme on le voit avec Trump, où l’élection est censée donner tous les droits. »i

Quelques événements récents montrent à quel point cette tension est à l’œuvre en France également.

Ainsi des révélationsii sur le scandale des eaux en bouteille : depuis 2021, plusieurs gouvernements ont manœuvré pour sauvegarder les intérêts commerciaux de Nestlé (y compris les sources Perrier de Vergèze, dans le Gard) et préserver une appellation d’eau minérale qui n’a plus de naturelle que le nom.

Contre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), les préfets ont été « autorisés » à valider un niveau de filtration contraire aux réglementations française et européenne, qui protège certes des contaminations bactériennes, mais pas des virus et qui surtout ne permet pas l’appellation d’eau minérale naturelle.

Comme le souligne un haut fonctionnaire qui a suivi le dossier :

« Cela pose un problème de démocratie car l’État a dévoyé la mission de ses propres services pour répondre aux exigences de Nestlé et sa balance commerciale. »

A l’inverse, des décisions de justice réaffirment la prééminence du droit sur les pressions politiques. C’est ce qui a permis à la « Marche nocturne féministe radicale » de se tenir le 7 mars dernier à Paris alors qu’elle avait été interdite par le préfet de police Laurent Nunez (France Info, 6 mars)

De la même façon un projet de mégascierie a été invalidé par le tribunal administratif en Corrèze, alors que les pouvoirs publics locaux avaient déjà exproprié les habitants des terrains convoités par l’entreprise pour son extension. (Médiapart, 10 mars 2025).

Une affaire beaucoup moins médiatisée que l’A69 qui s’est, elle, chargée d’enjeux politiques et même idéologiques puissants : l’état du droit et l’état de droit sont désormais des obstacles au maintien au pouvoir des dominants.

Pour Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme, (Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Gallimard), « Dans un contexte de croissance baissière pour les pays anciennement industrialisés, il n’y a plus de moyens de satisfaire les exigences des rendements financiers délirants, alors on revient aux bonnes vieilles méthodes de prédation : on va donc, à l’extérieur, saisir des territoires et, à l’intérieur, détruire l’État social et l’État de droit afin de revenir à une domination sans partage du patronat. »

Pour Quinn Slobodian, (« Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie », Seuil), nous allons vers « un capitalisme pur, débarrassé de toute contrainte démocratique et dominant un État minimal devenu une entreprise comme les autres ».

Pour Arnaud Orain, (Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, Flammarion), nous sommes désormais dans « un monde où les élites pensent que le gâteau ne peut pas grossir. Dès lors, la seule manière de préserver ou d’améliorer sa position, faute d’un système alternatif, devient la prédation ».

Pour Célia IZOARD, venue le 15 février dernier à Anduze pour présenter son livre (« La ruée minière au XXIème siècle », Seuil), « la mine et les métaux sont devenus le deus ex-machina de la décarbonation. Une industrie accusée depuis des décennies par les peuples autochtones de la planète de génocide et d’ethnocide se positionne aujourd’hui en leader climatique. Cette nouvelle fonction salvatrice justifie la mise en place de régimes d’exception destinés à accaparer des terres restées collectives »

Le débat qui a suivi son intervention a surtout exploré les capacités de lutte qui permettraient localement d’empêcher l’installation de mines en Cévennes. La question de l’état de droit comme condition de la lutte reste également essentielle.

Si, comme le soulignait Célia Izoard en introduction de son propos, nous avons pu penser ici que l’époque minière faisait partie du passé, c’est peut-être aussi parce que notre cadre institutionnel et juridique permet encore (même de façon imparfaite et malgré les attaques) à la volonté citoyenne de se faire entendre et respecter sans risquer sa vie.

C’est pourquoi il est si important de ne rien lâcher sur le principe essentiel de l’état de droit qui garantit contre l’arbitraire, borne la puissance de l’état (et c’est particulièrement important lorsque celui-ci est si évidemment au service des dominants), et permet d’expérimenter des formes de vie collective et autonome en dehors du marché et du capitalisme. [Maire Motto-Ros]

i https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/03/07/il-ne-faudrait-pas-decouvrir-la-valeur-de-l-etat-de-droit-une-fois-perdu-l-alerte-de-hauts-magistrats-francais_6576867_823448.html

ii https://www.mediapart.fr/journal/france/210125/scandale-des-eaux-en-bouteille-le-pouvoir-politique-au-service-de-nestle

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Épisode cévenol n°43

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La morale des autres, ou la nôtre

« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres » Léo Ferré, « Préface », 1973

Si l’appel à la morale se fait moins fréquent ou moins explicite aujourd’hui, le bon sens a pris la place comme fournisseur d’un argument d’autorité qui peut être mis au service de n’importe quelle idée, fût-elle la plus dangereuse. Et les médiacrates comme le personnel politique ne s’en font pas faute.i

Donald Trump lui-même s’en est prévalu dans son discours de victoire le 6 novembre dernier « Vous savez, nous sommes le parti du bon sens.”ii

Or ce « bon sens », comme la morale visée par Ferré, est surtout mis au service des idées réactionnaires et des populismes d’extrême droite qui triomphent un peu partout dans le monde.

Ainsi en est-il de la dette de l’état français qui, en quelques mois, a été qualifiée par un pouvoir à la botte du Rassemblement National de « gérable et alourdie », puis de « préoccupante et soutenue », pour finalement devenir « explosive et colossale », phagocytant les discussions sur un budget qui en est à son troisième essai, et occultant les urgences sociales et écologiques qui s’aggravent, elles, véritablement, de jour en jour.

Mais qui prête à l’État français ? 53,2% de ses créanciers sont à l’étranger : des banques, des fonds de pensions et des assurances qui prêtent, avec des intérêts évidemment.

Et puisqu’on en est aux intérêts (pas l’intérêt général surtout, on parle bien d’intérêts privés), on apprend qu’en 2025, les grandes sociétés (souvent les mêmes qui prêtent aux États) devraient verser 459 milliards d’euros à leurs actionnaires.

On voit bien de quel bon sens il s’agit : pas celui des 5,1 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté officiel (Insee, 2022) ou celui des 532 enfants malades du scorbut (France Info, 20 décembre 2024 : “Il y a actuellement en France une population d’enfants âgés de 5 à 10 ans qui sont exposés à une carence alimentaire profonde… »)

Toujours concernant les enfants, la morale resurgit sur le thème de cette dette qui « pèse sur les épaules de nos enfants ». Mais ce qui pèse sur les épaules des générations futures, ce sont les choix politiques qui font ruisseler les richesses toujours vers le haut (jusqu’aux paradis fiscaux…) et qui exonèrent les multinationales de leurs responsabilités. On apprend par exemple (Le Monde,14 janvier) que 100 milliards d’euros seraient nécessaires pour la décontamination des terres européennes empoisonnées par les polluants éternels (PFAS, voir article « Solvay et les PFAS dans ce numéro d’Episode Cévenol).

Et dans le même temps et le même journal que les décisions au niveau européen visant à une interdiction de ces polluants sont entravées avec beaucoup d’énergie par la plus puissante organisation de lobbying d’Europe, le Conseil européen de l’industrie chimique Cefic, qui consacre, chaque année, plus de 10 millions d’euros à son lobbying. Voilà la morale des multinationales que le soi-disant bon sens conduit à soutenir, et voilà la morale de leurs dirigeants.

Le soi-disant bon sens est en réalité un appel déguisé à la bonne vieille morale, celle de la fable de La Fontaine « Le laboureur et ses enfants » : « Travaillez, travaillez, il en restera toujours quelque chose » (XVIIème siècle), jusqu’à Macron (2016) : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! »

Et de vanter le soi-disant mérite des ultra riches qui ne devraient leur réussite qu’à leur travail acharné…

Cette idée est fausse : 7 des 9 Français.es devenu.es milliardaires en 2024 sont des super-héritier.esiii.

PEU DE MÉRITE, DONC, PAS NON PLUS D’HONNÊTETÉ

Car ils mentent sans vergogne, pour préserver leur puissance et leurs profits : « La liberté d’expression implique précisément le droit de diffuser de fausses informations » ose ainsi le fils d’un ancien président de la république. Il faut dire que le géniteur est un artiste en la matière : il fait son show en ce moment même devant un tribunal.

Le droit de dire des choses fausses, c’est ce que Donald Trump a nommé post-vérité, où ce qui est faux devient un fait alternatif. Cette façon de procéder s’accompagne également d’une attaque contre le fact-checking (vérification de contenus déjà publiés, sur les réseaux sociaux notamment, visant à établir ce qu’on sait, ou pas, d’un sujet).

La post-vérité, c’est savoir que ce qu’on dit est faux, se battre pour pouvoir le dire et s’attaquer à ceux qui disent que c’est faux. Ça s’appelle piétiner l’éthique.

De quelles personnalités politiques et de quels bords vient la désinformation (fake, hoax, rumeur, théories du complot) ?

Une étude qui utilise une base de données de 32 millions de tweets venant des parlementaires de 26 pays montre que la désinformation vient essentiellement de l’extrême droite qui en fait un usage quasi industriel, et de façon très nette.iv

Ceux qui sont au pouvoir, ceux qui veulent y parvenir, ceux qui l’ont exercé, et pas seulement aux États-Unis assument aujourd’hui, de plus en plus souvent, que ce qui est vrai, c’est ce que les gens ressentent, plutôt que ce qui se passe vraiment. Et ils ont les moyens de peser sur le ressenti des gens. Une stratégie qui fait la réussite des populistes partout dans le monde…

Leur morale n’a pas d’existence ailleurs que dans leurs discours, et pas d’autre but que de faire accepter leur domination.

Ils piétinent en fait la morale qu’ils prétendent représenter : leur puissance repose en grande partie sur le mensonge, la cupidité et l’inhumanité.

NOUS, MILITANTS, ACTIVISTES OU JUSTE CONVAINCUS DE LA nécessite DE CONSTRUIRE UN AUTRE MONDE

Nous défendons des valeurs inverses : la vérité sur les enjeux actuels, la solidarité entre humains et avec le vivant, la liberté dans les limites du respect de l’autre…

Comment aller vers un autre monde, contrer ce rouleau compresseur populiste, gagner des positions dans la bataille culturelle en sortant de l’entre soi militant dans lequel nous nous trouvons trop souvent enfermés ?

Benoît Coquard, sociologuev, invite à « être réflexif sur ce qu’on est. Comment est-on perçu ? Avant de vouloir changer les gens et changer le monde, il faut déjà essayer de comprendre ce qu’on est aux yeux des personnes avec lesquels on entend tisser des alliances. » (Socialter, Résistances rurales, décembre 2024)

Et prendre le temps d’écouter sans postures surplombantes ou moralisatrices (« Voici, en avalanche, les chiffres qui prouvent que j’ai raison… », « IL FAUT INTERDIRE/TAXER/SUPPRIMER » « Les chasseurs sont tous des beaufs alcooliques »…)

Tout.e citoyen.ne a une idée de la société qu’il/elle souhaite et ses priorités, malgré ce dont on lui rebat les oreilles dans les médias et sur les réseaux sociaux, ne sont pas l’immigration ni l’emploi et le chômagevi.

Les cahiers de doléances sont de ce point de vue la démonstration que « les gens » ont des idées, des réflexions : 2 millions de contributions, des textes éminemment politiques, ont été ignorés par Macron, qui les avait demandés, ils sont enterrés dans les archives des 101 départements français… « Les doléances », documentaire qui retrace le travail de redécouverte de ces cahiers, est disponible jusqu’au 30 avril sur France TVvii.

[Marie Motto-Ros]

i Le bon sens en politique, un redoutable contresens démocratique Le Monde 22 novembre 2024

ii idem

v Auteur de Ceux qui restent. Faire sa vie dans des campagnes en déclin (éditions La découverte, 2019).

vi https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-etat-de-la-france-quel-rapport-la-democratie-en-2024

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Solvay et les PFAS

PFAS, risques majeurs pour la santé: les rejets de l’usine Solvay de Salindres à l’origine de pollution

En février 2024 la presse (1) s’est largement faite l’écho d’une pollution aux PFAS dans des échantillons d’eau prélevés par l’association Générations futures à proximité des usines chimiques de Salindres, dans l’Arias et l’Avène ainsi que plus loin dans le Gardon, et dans l’eau potable de Moussac et Boucoiran.

Le rapport de Générations futures (2) fait état de taux extrêmement importants. Le journal Le Monde a titré « A Salindres, dans les Cévennes, une contamination record aux « polluants éternels dans les eaux ».

D’après les scientifiques et médecins, ces polluants peuvent impacter fortement et à long terme la santé des habitants. Il est donc essentiel de connaître l’étendue des contaminations et leurs impacts actuels et prévisibles.

Qu’est-ce que les PFAS ?

Les PFAS sont des composés dérivés du fluor (per- et polyfluoroalkylés). C’est une famille chimique qui regroupe plus de 4000 composés. On les retrouve dans de nombreux produits : imperméabilisants, ustensiles de cuisine, pesticides agricoles produits pharmaceutiques, mousses anti-incendie etc…

Quels sont les dangers pour la santé ?

La contamination par les PFAS est diffuse dans les eaux, l’air, le sol et les êtres vivants. On ne peut pas les détecter sans analyses. Leur persistance inégalée et leur toxicité sont à l’origine de la qualification de « polluants éternels ».

Les effets néfastes signalés pour la santé tels qu’ils ont été démontrés dans le cadre d’expérimentations animales et, dans certains cas, chez l’homme, sont multiples : malformations chez les fœtus, cancers, impacts sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif et hormonal…

Qu’en est-il de la présence de PFAS autour de la plateforme chimique de Salindres ?

L’usine Solvay de Salindres est depuis des années l’une des 5 usines françaises productrices de PFAS (2).

Elle a la particularité de produire, entre autres produits fluorés, du TFA (acide trifluoroacétique) depuis 1982. Sa dangerosité est particulière car il est très mobile et soluble dans l’eau.

L’association Générations futures a recherché dans les eaux issues de Solvay la présence de 28 PFAS et TFA (3).

Les concentrations de PFAS se sont révélées extrêmement importantes, surtout dans les rejets en sortie d’usine. Selon l’association, « la norme de Qualité Environnementale (NQE) proposée par l’Europe pour ces PFAS est dépassée dans tous les prélèvements effectués ».

Le cocktail de substances retrouvées et l’étendue de la contamination constatés ont et auront des conséquences sur l’environnement et la santé publique.

Quelle politique publique ?

Bien que la présence et la dangerosité de ces polluants soient connues depuis longtemps, les PFAS ont été et sont pour la plupart utilisés de manière intensive et non réglementée depuis plusieurs dizaines d’années dans le monde entier.

En Europe un récent rapport du Réseau européen d’action sur les pesticides (PAN Europe) (3) dit : « Tous les échantillons d’eau analysés contiennent des PFAS dont 98% de TFA » et conclue « Les niveaux de TFA trouvés dans les eaux de surface et souterraines représentent la plus grande contamination de l’eau à grande échelle connue par un produit chimique fabriqué par l’homme ».

Devant cette réalité catastrophique et la diffusion d’informations par la presse, les responsables politiques commencent à envisager des mesures.

A la demande de 5 pays (4) l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) examine depuis ces dernières années un dossier de « restriction » qui proposerait d’interdire en Europe la fabrication et la commercialisation de produits contenant des PFAS. Mais des dérogations sont aussi examinées… Et la contamination est présente pour de nombreuses années, et certainement … des siècles.

Une directive européenne de 2020 a fixé une limite de qualité pour l’eau potable mais cette norme ne prend en compte que la somme de 20 PFAS sur plusieurs milliers. Cette directive n’est pas encore appliquée en France et ne devrait l’être qu’au 1er janvier 2026.

D’autres « recommandations » existent pour les denrées alimentaires.

En France, « en regard des préoccupations grandissantes des PFAS », un plan d’action a été décidé en 2023. Il a abouti en avril 2024 à la publication d’un plan d’action .

On ne peut que souhaiter que ce plan soit suivi rapidement de décisions concrètes et à la hauteur des enjeux.

En Occitanie l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé avec l’appui de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) depuis mars 2024 une campagne de prélèvements et d’analyses mais ne concernant que 20 PFAS et pas le TFA. Sur 326 captages ou production d’eau potable (5) analysés 45 sont dans le Gard.

Ces prélèvements révèlent généralement des teneurs assez faibles mais évidemment on ne sait rien sur le TFA et les milliers d’autres composés fluorés puisqu’ils n’ont pas été recherchés. Par contre 2 captages à Rodilhan et Générac font l’objet d’une surveillance particulière à cause de de leurs taux élevés.

De son côté l’Agence nationale de santé (ANSES) doit compléter ces résultats par de nouvelles analyses qui incluraient d’autres PFAS et le TFA. Les résultats devraient être publiés en 2026.

Ces récentes campagnes interrogent quand on sait qu’une norme devra être appliquée au 1er janvier 2026 pour l’eau potable : les enquêtes ne seraient-elles pas destinées à fixer à cette date des teneurs qui seraient acceptables pour la grande majorité des captages et non en fonction de critères de santé publique ?

La situation de l’usine Solvay de Salindres aujourd’hui

La publication des concentrations spectaculaires de PFAS mises en évidence à la sortie et en aval de l’usine ont été un coup de tonnerre local. Population et élus savaient que cette usine classée SEVESO 2 présentaient des risques… mais qu’on préfère oublier.

Pourtant ces dernières années la dangerosité de la production avait conduit la préfecture à prendre plusieurs arrêtés imposant des réductions de rejets (2017, 2023).

Le 29 mai 2024 une commission de suivi du site (CSS) préconisait un plan d’action complémentaire. La santé publique est clairement en jeu.

Puis en septembre dernier, autre coup de tonnerre : Solvay annonce la fermeture de l’usine d’ici 2025 à cause « d’une forte concurrence internationale sur les TFA et dérivés fluorés ».

68 salariés seront licenciés, une grève et un blocage du site démarrent, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes manifestent la solidarité locale.

La CGT et Générations futures publient ensemble un communiqué de presse pour défendre les salariés et exiger la dépollution du site (6).

Localement un silence assourdissant

On aurait pu espérer que les pouvoirs publics et les élus locaux prennent la mesure des problèmes causés par Solvay sur la santé des habitants et l’environnement. La réaction du président d’Alès Agglo et d’une majorité d’élus a été de critiquer les articles de presse accusés de porter atteinte à « l’image du territoire » sans jamais parler de la santé des salariés et de la population. Au lieu de prendre en compte la gravité de la pollution, les élus et pouvoirs publics se retranchent derrière l’absence actuelle de normes pour les PFAS dans l’eau potable.

L’avenir en question

En juin dernier une réunion publique a été organisée par Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS à Alès pour informer les habitants sur les PFAS.

Depuis, les salariés de l’usine Solvay, l’association Générations futures et le collectif citoyen Gard-Eau-PFAS échangent ensemble pour exiger la prise en compte des nombreux problèmes en suspens parmi lesquels l’héritage toxique laissé par Solvay, l’état de santé des salariés et de leurs familles, la contamination des captages de toutes les communes par les PFAS dont le TFA.

Devant l’ampleur du risque il est légitime que les citoyens se mobilisent pour demander une information transparente, exiger que les pollueurs soient les payeurs et que les mesures nécessaires soient prises rapidement (7).

[Béatrice Ladrange]

(1) Articles Le Monde 6 février 2024, Canard Enchaîné 14 février 2024, Midi Libre 15 et 16 février 2024…
(2) Usines fabriquant des PFAS en France : Arkema et Daikin au sud de Lyon, Chemours dans l’Oise, Solvay dans le Jura et à Salindres ;
(3) Rapport « PFAS, contamination des eaux par des polluants éternels à Salindres » Générations Futures Février 2024
(4) 5 Etats ont demandé une restriction globale des PFAS : Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Allemagne.
(5) Analyses PFAS Occitanie : https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/la-dreal-publie-les-resultats-de-mesures-de-pfas-a26684.html
(6) Communiqué de presse CGT- Générations Futures FR3 Occitanie https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/gard/nimes/fermeture-du-site-de-solvay-a-salindres-on-ne-va-pas-laisser-faire-la-cgt-et-generations-futures-montent-au-creneau-et-appellent-le-gouvernement-a-agir-3037358.html
(7) Rapport « TFA, le polluant que nous buvons » en Europe – Collectif d’associations dont GF- Juillet 2024

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Un cessez-le-feu à Gaza. Et maintenant ?

On vient de commémorer le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz par l’Union soviétique (en excluant les représentants russes!). Moment solennel permettant d’écouter quelques rares survivants, de nombreux descendants et une multitude de commentateurs qui tous rappellent la monstruosité du projet d’extermination des juifs d’Europe (oubliant souvent au passage l’élimination de Tziganes, handicapés, prisonniers soviétiques etc.). Toutes ces voix sincères s’élèvent pour dire « Plus jamais ça ! ». Mais rares sont celles qui à l’instar d’Erica Fisher, dont les grand-parents ont été exécutés à Treblinca, ont exprimé leur malaise face à ce qui se déroule à Gaza : « Quel sens aurait la commémoration d’Auschwitz si elle ne saisissait pas l’occasion de condamner un génocide qui se déroule sous nos yeux à tous, et ce précisément au nom du génocide qu’elle prétend commémorer ? »

Un génocide qui perdure. Un cessez-le-feu est entré en vigueur le 19 janvier dans la Bande de Gaza et doit s’appliquer en plusieurs étapes sur une durée de plus de 40 jours. L’arrêt des bombardements s’accompagne de la libération des prisonniers des deux cotés, d’un large retrait des militaires israéliens de l’enclave, de l’entrée de l’aide humanitaire et du retour des centaines de milliers de déplacés dans leurs lieux d’habitation en ruines. Des réfugiés retournés en masse dans le nord en ruines le quittent à nouveau pour s’entasser dans Gaza-ville en raison du manque d’eau et de nourriture, les familles s’installent dans les décombres ou des tentes de fortune tout en craignant que leurs enfants ne soient mutilés ou tués par des munitions non explosés. Et par dessus tout, l’UNRWA, l’office de l’ONU chargé du soutien des réfugiés est interdit d’activités depuis le 30 janvier. Qui s’occupera dorénavant de la distribution de vivres, et de médicaments ?

Si le soulagement des Gazaouis est palpable, ils appréhendent la suite. Les fascistes dans le gouvernement israélien, non contents de devoir subir ce cessez le feu, n’attendent que la reprise de la guerre, d’autant plus qu’à l’issue de 15 mois d’offensives militaires aucun des objectifs n’a encore été atteint. Il est vrai que les Gazaouis ont payé un lourd tribu avec une infrastructure totalement détruite et des dizaines de milliers de morts (les estimations vont jusqu’à 300 000 morts directes et indirectes), des centaines de milliers de blessés et de traumatisés. Mais le Hamas n’a pas été anéanti et les otages n’ont pas été libérés par l’armée israélienne. La résistance armée a jusqu’au bout porté des coups aux militaires israéliens, en particulier dans le nord de Gaza, qui devait pourtant – selon leur plan – être vidé de ses habitants.

Échec d’autant plus cuisant que le prix est lourd en termes économique et diplomatique, sans oublier l’émission de mandats d’arrêt du Tribunal pénal international contre Netanyahou et l’ex-ministre de la défense Gallant et le dépôt de dizaines de plaintes contre des soldats qui ont filmé leurs propres crimes.

Il est difficile d’imaginer que les responsables israéliens soient satisfaits de ce revers mais la poursuite de la guerre n’est pas sans danger. Au regard du nombre de morts et de blessés, de déplacés, d’une économie fortement entravée, les Israéliens sont ils prêts à les suivre ? Face à ce fiasco, l’annonce de Donald Trump de vouloir nettoyer la Bande de Gaza et déporter ses habitants vers l’Égypte et la Jordanie a été accueillie avec enthousiasme par les plus radicaux. Les Palestiniens quant à eux, martèlent qu’ils ne quitteront jamais cette terre.

A Jérusalem-Est, les attaques israéliennes se sont également intensifiées. Militaires et colons s’en donnent à cœur joie dans une impunité quasi totale. Dans ce qui devrait être la capitale de la Palestine selon le droit international, les colonies progressent, accompagnées de la destruction massive de bâtiments, de l’expulsion de leurs habitants et de l’installation de colons. Au pied de la vielle ville, le quartier d’al-Bustan est en pleine démolition. Une centaine de maison et 1500 familles sont en danger. Il en est de même du quartier Silwan qui jouxte également la vieille ville où les habitants s’organisent depuis des années pour défendre leurs lieux de vie en menant des batailles juridiques et organisant des mobilisations. La réponse israélienne est l’accélération de la judaïsation de Jérusalem.

La Cisjordanie, en proie à une colonisation forcée depuis des décennies, est devenue un terrain de chasse pour les colons suprématistes. L’annexion de terres palestiniennes avance à grands pas, 24 000 hectares de terrains ont été saisis, neuf nouvelles colonies et 49 avant-postes ont été installés en un an. Depuis 15 mois, plus de 40 communautés bédouines ont été totalement ou partiellement détruites, près de 800 personnes ont été assassinées tandis que plus de 12 000 ont été arrêtés et emprisonnées, souvent dans des conditions inhumaines, soumises à la torture systématique. Des centaines de check-points sont érigés à l’entrée et sortie des villes et des villages et automobilistes comme passants sont à la merci de soldats zélés. L’économie est exsangue en raison des problèmes de déplacements, la rétention des recettes fiscales, la baisse des aides extérieures.

Le régime colonial israélien va encore plus loin puisque depuis des mois il mène une guerre dévastatrice dans des camps de réfugiés de Cisjordanie en particulier à Jénine et Tulkarem, deux bastions de la résistance armée palestinienne. Le modèle Gaza à plus petite échelle y est appliqué : Les chars investissent les lieux, les bulldozers détruisent routes et canalisations, les maisons sont bombardées et les habitants contraints à quitter leurs quartiers.

Il va sans dire que les colonies en Cisjordanie et à Jerusalem-Est sont illégales au regard du droit international, et la Cour internationale de Justice a appelé en juillet 2024 à leur évacuation. L’Assemblée générale des Nations unies a quant à elle adopté en septembre 2024 une résolution exigeant qu’Israël mette fin à sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé dans un délai de 12 mois. La résolution a été adoptée par 124 votes pour, dont la France.

Jamais la situation de la Palestine n’a été aussi dramatique et tout laisserait à penser que l’espoir d’une Palestine libre et indépendante s’éloigne. Mais écoutons des Palestiniens et Palestiniennes et leurs leçons de résistance. Samah Jabr, psychiatre palestinienne, nous explique qu’« en dépit des maisons démolies et de la pauvreté extrême, cette [résistance collective] est basée sur des fondations familiales, une ténacité sociale et des convictions spirituelles et idéologiques »1. Salman Abu Sitta, fondateur et président de la Palestine Land Society, écrit :« Israël n’a jamais compris la résilience des Palestiniens. Nous avons survécu au génocide de Gaza, comme aux catastrophes qui l’ont précédé, grâce à l’appel au retour dans nos foyers, le carburant de la survie palestinienne. Pour les Palestiniens, le droit au retour est et sera toujours la question centrale »2. [Tissa]

1 AFPS, revue Palestine Solidarité, janvier 2025, p.14.

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Épisode cévenol n°42

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