Contre la violence d’extrême-droite

L’extrême-droite gagne du terrain. Son idéologie se répand dans de larges sphères de la société. La recrudescence récente d’appels à la haine, d’attaques violentes et de meurtres, pourtant alarmants, ne semble pas pour l’heure provoquer de réactions à même d’endiguer la contagion. Le glaçant « Paris est nazi ! » proclamé en février dernier lorsqu’une trentaine d’individus cagoulés, armés de couteaux, venaient d’attaquer une projection associative et de passer à tabac un jeune syndicaliste de la CGT n’est pas sans rappeler le bruit des bottes sur les pavés de la capitale…

La menace fasciste se cache derrière une multitude de mouvances : des identitaires aux nationalistes, en passant par les royalistes, néonazis, suprémacistes, intégristes religieux, complotistes, ou encore accélérationnistes. Le média d’enquête StreetPress, a recensé 320 sections locales ou groupuscules d’extrême-droite actifs en France dans plus de 130 villes réparties sur tout le territoire1. Mais la radicalisation ne s’effectue pas uniquement à travers le recrutement traditionnel militant. Elle commence bien souvent sur le Net, du fait que l’idéologie d’extrême-droite y est prédominante, et que les propos sont relayés jusqu’aux plus hautes instances gouvernementales.

L’extrême-droite tue

L’extrême-droite tue partout en France. Les appels au meurtre et la glorification de la violence fasciste pullulent sur les réseaux sociaux. Les passages à l’acte deviennent une réalité de plus en plus inquiétante. En mars 2022, l’ancien rugbyman argentin Federico Martin Aramburu, a été abattu de plusieurs balles dans le dos à Paris par un ancien militant du Groupe union défense (GUD) suite à une altercation dans un bar. En décembre de la même année, un individu déjà impliqué dans une agression au sabre, ayant blessé deux personnes en 2021 dans un camp de migrants, a ouvert le feu devant le Centre culturel kurde rue d’Enghien à Paris, tuant trois personnes. En août 2024, à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, un responsable du groupuscule paramilitaire d’extrême droite « Brigade française patriote » a délibérément écrasé Djamel Bendjaballah à trois reprises, sous les yeux de sa fille de 10 ans. Ce meurtre à caractère raciste est survenu alors que la victime, insultée de « sale bougnoule » et de « sarrasin », avait déposé à trois reprises une plainte, toutes restées sans suite. Vingt armes ont été retrouvées au domicile du meurtrier, et deux autres dans son véhicule. Le groupuscule auquel il appartient, composé majoritairement d’anciens militaires, est très structuré et organise des entraînements physiques et paramilitaires dans une forêt à la frontière de l’Oise et de l’Aisne.

Le nombre d’homicides commis par des personnes appartenant à des groupuscules d’extrême-droite ou d’autres passant à l’acte de manière « isolée » est en forte augmentation ces dernières années. Cependant, les proches des victimes et leurs avocats rencontrent fréquemment des difficultés à faire reconnaître la nature raciste, islamophobe ou terroriste des faits. Le parquet national antiterroriste (PNAT) s’est ainsi saisi, pour la première fois, d’une enquête pour meurtre lié à l’extrême-droite, celui de Hichem Miraoui, abattu de plusieurs balles dans la commune de Puget-sur-Argens dans le Var le 31 mai dernier. Dans une vidéo diffusée juste avant son passage à l’acte, l’auteur du crime a appelé les Français à se révolter et tirer sur les personnes d’origines étrangères, notamment maghrébine. Il a indiqué inscrire ses crimes dans une idéologie ultranationaliste et xénophobe. Alors qu’un mois avant, le 22 avril, la qualification de terrorisme n’avait pas été retenue par le parquet pour l’assassinat abject d’Aboubacar Cissé, jeune malien de 22 ans, qui a été frappé de plus d’une cinquantaine de coups de couteau dans la mosquée de la Grand-Combe. Son agresseur, filmant la scène, avant de la poster sur internet, lance en voyant la future victime dans la mosquée : « Il est noir, je vais le faire ». Avant d’ajouter : « Je l’ai fait (…), ton Allah de merde ! » en accompagnement de son acte. La difficulté à obtenir une reconnaissance juridique de la nature des faits tend évidemment à minimiser leur gravité et leur ampleur, les affaires étant bien souvent présentées comme de simples faits-divers, et les agresseurs comme des « déséquilibrés » agissant de manière impulsive.

La violence et la terreur comme mode d’expression

La violence contre les personnes est traditionnellement le mode d’action privilégié des mouvements d’extrême-droite pour imposer leur idéologie (Voir EC n°35). Et les faits ne manquent pas. En novembre 2024, à Roman‑sur‑Isère, une centaine de militants ont tenté de mener une expédition punitive dans le quartier de la Monnaie après le meurtre de Thomas à Crépol. Une situation similaire a eu lieu à Paris, où des individus affiliés à des groupuscules d’extrême-droite ont été suspectés de préparer une attaque contre des supporters marocains durant la Coupe du monde de football en décembre 2022. En novembre 2023 à Lyon, une rencontre sur la Palestine est violemment attaquée par une vingtaine de militants d’extrême-droite masqués et armés de bâtons, matraques et barres de fer. Des mortiers d’artifice sont tirés sur la porte du local où se tenait la rencontre. L’attaque fait sept blessés.

Plus récemment, en mai 2025, c’est le bar associatif sympathisant du Parti communiste, le Prolé, qui est la cible d’un groupe identitaire en marge de la Féria d’Alès, une douzaine de ses membres font irruption dans le bar assenant les personnes à l’intérieur de coups et de gaz lacrymogène. Depuis 2017, on dénombre environ 300 faits de violences d’extrême droite, visant notamment des militants de gauche et des minorités ethniques ou religieuses. Le canal Telegram Ouest Casual relayant des vidéos de ce type d’attaque, des appels à s’armer, et à tuer, malgré plusieurs fermetures du compte, affiche toujours plus d’une dizaine de milliers d’abonnés.

Depuis 2017, près d’une vingtaine de tentatives d’attentats ont été déjouées avant leur réalisation. Seize membres du groupuscule « Action des forces opérationnelles », dont l’objectif affiché est de s’opposer par tous moyens à la prétendue « islamisation de la France », passent en procès ce mois de juin 2025. Ils préparaient entre 2017 et 2018 des actions islamophobes comme empoisonner de la nourriture halal pour déclencher un effet de panique chez les musulmans, où faire exploser la porte d’une mosquée de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et de positionner des tireurs à longue distance aux abords.

Gangrène de la société

La présence de l’extrême-droite ne se limite pas aux actions d’intimidation dans la rue, elle diffuse son idéologie à travers les institutions. Un nombre grandissant d’élus de partis politiques tels que le Rassemblement national, dont les liens avec les groupuscules radicaux ne sont plus à démontrer, immiscent leurs théories racistes au sein des instances du pouvoir, tant au niveau national que local. Mais c’est le cas aussi avec la police et l’armée. Selon les sondages, ce sont près des 2/3 des policiers et gendarmes qui ont voté pour l’extrême-droite lors des dernières élections présidentielles. Et sans grande surprise, leur représentation professionnelle se positionne dans le même sens. Dans le contexte des révoltes consécutives au meurtre de Nahel à Nanterre en 2023 par un policier (voir EC n°34), les syndicats UNSA et Alliance n’ont pas hésité à qualifier les jeunes révoltés de « nuisibles ». Côté armée, le tableau n’est pas plus réjouissant. En avril 2021, une tribune signée par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier de militaires, appelait à une intervention contre l’« islamisme et les hordes de banlieue », menaçant d’une possible intervention militaire pour protéger les « valeurs civilisationnelles » (voir EC n°20).

Les lieux d’enseignement, dont l’université, sont également touchés. Début février 2025, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux montrent des militants du syndicat étudiant l’UNI faire des saluts nazis ou être en relation avec des groupuscules néofascistes dans plusieurs villes de France. En 2018, dans le contexte de la lutte des étudiants contre le Plan étudiant et la réforme du Baccalauréat, une milice fasciste attaque des étudiants mobilisés qui occupent la fac de droit et de sciences politiques de Montpellier avec la complicité du doyen et la participation de deux professeurs de droit de l’établissement.

Rôle de l’État et des médias

La sur-représentation des thèmes de l’extrême-droite dans les médias (immigration, insécurité, islam…), la mainmise du groupe Bolloré sur un certain nombre d’entre eux, mais aussi la facilité avec laquelle cette idéologie se propage sur les réseaux sociaux sans quasiment aucune limitation, ne peuvent que nourrir le terreau du fascisme et favoriser le passage à l’acte violent.

Au lieu de lutter efficacement contre ces groupuscules et la multiplication des actes violents commis par des individus affiliés à l’extrême-droite, l’État contribue à leur banalisation en propageant, à des niveaux élevés, des fantasmes racistes, tels que le concept de « submersion migratoire » et en établissant des liens entre immigration et insécurité. Jamais, auparavant, les discours de l’extrême droite n’avaient été repris aussi ouvertement par des membres d’un gouvernement. Et mis à part la dissolution administrative de quelques groupuscules, n’ayant que pour effets la reconstitution immédiate d’autres groupes et facilitant la porosité entre leurs membres, bien peu de mesures concrètes sont prises. Trois propositions de création de commissions d’enquête, initiées par des députés de la France Insoumise, portant sur la lutte contre les factions d’extrême-droite ont même été rejetées depuis 2022. Les néonazis peuvent ainsi défiler tranquillement en arborant leurs drapeaux ornés de croix celtiques et scander des slogans aussi pitoyables que « Europe submergée, Français en danger » ou « Bleu, Blanc, Rouge, la France aux Français » comme se fut le cas le 9 mai dernier dans les rues de Paris.

Lutter contre le fascisme

Lutter contre le fascisme ne se passera pas d’un combat à tous les niveaux, organisé par le bas, sur des bases sociales opposées à toute forme de discrimination et d’exploitation. De multiples moyens existent : comités d’autodéfense populaire, campagnes contre des médias tels que ceux de Bolloré, réappropriation de l’information pour contrer la propagande d’extrême-droite, présence et soutien lors d’attaques violentes… De nombreuses ripostes populaires et déterminées s’organisent. Le 2 mars dernier à Lorient, près de 2 000 personnes ont répondu à l’appel de plusieurs dizaines d’associations, syndicats et collectifs pour manifester contre l’extrême droite qui tente de s’implanter dans la région. Quelques jours plus tard à Paris, c’est le mouvement féministe qui repousse l’extrême-droite dans la rue en empêchant le collectif identitaire Némésis d’intégrer le cortège de la manifestation du 8 mars place de la République. Au Village de l’eau installé à Melle, dans les Deux-Sèvres, en juillet 2024, où 7 000 personnes ont convergé du monde entier pour dénoncer l’accaparement de l’eau, les multiples débats et tables rondes ont été l’occasion d’affirmer la nécessité de lier ce combat à celui contre l’extrême-droite, dont les idées progressent dangereusement dans les zones rurales.

Ainsi, la lutte antifasciste doit se mener de paire avec la diversité des luttes sociales, antiracistes, féministes, écologistes, décoloniales… déjà existantes, mais aussi avec les nombreuses actions de solidarité qui renforcent la cohésion sociale, associative et politique dans les quartiers et à la campagne. En bref, ne pas s’attaquer qu’aux conséquences du fascisme, mais également à ses causes.

[Fred]

1Streetpress, : CartoFaf : La Cartographie de l’extrême-droite radicale française – 5 nov. 2024

This entry was posted in General. Bookmark the permalink.